Retourà l'instinct primaire streaming:: sur quel service légal regarder les saisons ? Toutes les offres de Netflix, SFR Play, OCS Go et 20+ autres . Accueil Nouveautés Populaires Watchlist Sports. Se connecter. Série. Track show. Tout vu. J'aime. Je n'aime pas. Connectez-vous pour synchroniser la Watchlist. Note. 75% . 6.5 (4k) Genres. Reality TV , Horreur . Durée. 48min.
AlloCinĂ© News CinĂ©ma SĂ©ries Streaming Trailers DVD VOD Kids DISNEY+ Mon compte Identifiez-vousCrĂ©ez votre compte AllocinĂ© CrĂ©ations 809 vidĂ©os et 3 saisons Commentaires Pour Ă©crire un commentaire, identifiez-vous L?gion X. A quand un top sur les immeubles dangereux , je peux en citer quelque un celui de gremlins 2 , kick-ass , la tour infernale , attack the block et transformers 3 . Fabrice F. "Identity" film complĂštement dingue et son final totalement imprĂ©visible. narsildu35 Tout le monde dit que Shining fout les boules, moi perso sa ma pas du tout fais peur ! Yazid L. LoreleiXScorpio Super quizz, j'adore merci ! CarrieBradshaw44 Benjamin Jego SarahConnor ? Rien Ă  dire. Sauf que pour "Hostel", l'endroit oĂč se dĂ©roulent les tortures et donc la majoritĂ© du film, ce n'est pas dans l'auberge de jeunesse, mais dans une usine dĂ©saffectĂ©e. Victor Abouaf lulucastagne Tiago Moreira 5 4 3 completement inutil! parcontre en arrivant a deux je me suis dit... comment c'est possible quel hotel pourrait etre "mieux" que le bates motel??? Et puis... ouf... ils ont pas oubliĂ© ce cher stanley... - Cinemotions moyennement intĂ©ressant le theme de ce top 5...... fresh-BUZZ "Shining en tĂȘte, ohlala quel surprise" dit-il surpris!...Ou pas! Franchement, ça coulait de source! Caine78 Tout Ă  fait d'accord avec vinfast, mais bon, ça aurait fait trop mal Ă  AllocinĂ© de mettre un film des annĂ©es 60 en tĂȘte d'un quelconque classement. Cela dit, le top se tient globalement pas mal. vinfast Psychose aurait dĂ» ĂȘtre leader ! derchminator BOUM ! Kubrick dĂ©trĂŽne Hitchcock ! J'avoue que j'avais mĂȘme pas penser Ă  Shining, et que j'Ă©tais sĂ»r que Psychose allait ĂȘtre premier ! MisterBoub Il y a un petit hĂŽtel qui est totalement passĂ© Ă  la trappe, mais que j'adore, c'est le motel de "Vacancy" qui s'appelle d'ailleurs "Motel" en France, je crois. Une petite sĂ©rie B qui ne paye pas de mine mais qui fout vraiment pas mal les chocottes ! Paul R. Merci je comptait voir Identity bientĂŽt... Leonna E. QUOI ? le Dolphin en cinquiĂšme position ? Peuh ! C'est nul éÚ OriginalKaa Le MEGA HILTON, projet d'hĂŽtel Ă  Cannes de l'ignoble Martoni qu'on accuse d'avoir tuĂ© l'Ă©colo Jacques Lelong et qui Ă  donnĂ© comme surnom Ă  la ville cannoise La CitĂ© de la Peur !!! Voir les commentaires
Luz rédacteur en chef] Luz a souhaité prendre des nouvelles de ses ami·es qui travaillent dans le milieu de la musique en ces temps troublés par la crise sanitaire et la dématérialisation
Depuis le 28 septembre, Les Boules et les Chocottes et Seul au Monde sont de retour en France sur Discovery Channel. Les tĂ©lĂ©spectateurs peuvent dĂ©couvrir ainsi une soirĂ©e Au Naturel » tous les dimanches soir, jusqu’au 23 novembre. À 21h35, la saison 2 inĂ©dite de Les Boules et les Chocottes voit deux inconnus, un homme et une femme, tester leurs compĂ©tences en matiĂšre de survie sur l’Amazone. Ils vont devoir Ă©voluer face aux crĂ©atures dangereuses de cette zone isolĂ©e du globe pendant vingt-et-un jours. Les deux aventuriers partent entiĂšrement nus, sans eau, ni nourriture, ni le moindre outil moderne, et vont devoir rapidement s’adapter Ă  l’environnement hostile. La soirĂ©e se poursuit avec Seul au Monde, oĂč l’on dĂ©couvre Ed Stafford relevant un nouveau dĂ©fi. Dans la premiĂšre saison, il Ă©tait abandonnĂ© sur une Ăźle dĂ©serte. Cette fois-ci, il retente l’expĂ©rience dans les Montagnes Gran Sabana au VĂ©nĂ©zuĂ©la, dans le Delta du Okavango en Afrique australe et dans les jungles de Borneo. Ed Stafford dispose de dix jours pour survivre dans chacun des lieux frĂ©quentĂ©s. La deuxiĂšme soirĂ©e Au Naturel » de Discovery Channel est programmĂ©e ce dimanche 5 octobre, Ă  partir de 21h35.
Enviede frayeur pour Halloween ? Toutes les plateformes, petites ou grandes, proposent sĂ©ries et films pour faire le plein d’angoisse. Petite sĂ©lection mortelle.
Les boules et les chocottes version XL TĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© 2015 Disponible sur myCANAL, Molotov TV LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve? Tout public En vedette Michael Brown, Charlie Frattini, Jeff Zausch Distribution et Ă©quipe technique À propos TÉLÉ-RÉALITÉ Informations Studio Discovery Channel Genre Sortie ClassĂ© Audio original Anglais États-Unis, Anglais Australie © Discovery Communications Inc. Langues Audio Français France AAC Complet Non-censurĂ© Complet Informations Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© AnnĂ©e 2015 RĂ©sumĂ© de l'Episode 2 40 jours et 40 nuits Douze aventuriers expĂ©rimentĂ©s sont lĂąchĂ©s dans les Badlands en Colombie. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtement Informations Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© AnnĂ©e 2016 RĂ©sumĂ© de Les boules et les chocottes version XL Les dessous Les participants sont rĂ©unis pour la premiĂšre fois depuis l'aventure qui a changĂ© leur vie. Ils reviennent sur les bons, les mauvais moments de ce dĂ©fi de 40 jours et s'expliquent Sauront-ils travailler en Ă©quipe? Trouveront-ils de quoi se nourrir en Ă©vitant les morsures et les piqĂ»res des animaux sauvages? Suivez le parcours de ces aventuriers un brin nudiste dans leur retour Ă  l'Ă©tat originel! Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a dĂ©cidĂ© de rĂ©unir les meilleurs survivalistes pour un nouveau dĂ©fi. Six femmes et six hommes ayant dĂ©jĂ  participĂ© au programme vont cette foisci devoir survivre tous ensemble 40 jours et 40 nuits dans les profondeurs de la jungle Ă©quatoriale colombienne. DĂ©posĂ©s d'abord par groupe de trois ou quatre dans diffĂ©rents coins de cette zone inhabitĂ©e, ils vont devoir s'adapter rapidement Ă  l'environnement et s'affronter pour obtenir les ressources nĂ©cessaires Ă  leur survie. Sauront-ils travailler en Ă©quipe? Trouveront-ils de quoi se nourrir en Ă©vitant les morsures et les piqĂ»res des animaux sauvages? Suivez le parcours de ces aventuriers un brin nudiste dans leur retour Ă  l'Ă©tat originel! Videos4350Les boules et les chocottes XL Colombie S01 E039 1K viewsYouTube4346Les boules et les chocottes XL Colombie S01 E0112K viewsYouTube4318Retour Ă  l'instinct primaire Canada73K viewsYouTube145 Comment chasser un Varan? 41K viewsYouTube217 Ils se rapprochent en se cherchant des poux! Non-censurĂ© Les informations recueillies sont destinĂ©es Ă  CCM Benchmark Group pour vous assurer l'envoi de votre newsletter. Elles seront Ă©galement utilisĂ©es sous rĂ©serve des options souscrites, Ă  des fins de ciblage publicitaire. 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You pour le sol Les boules et les chocottes xl streaming vf Litiere granulĂ©s bois chevaux du Les boules et les chocottes xl streaming ita Grossiste D'epices Herbes En Vrac GreenVrac Fournisseur Vrac Grille de chantier Ou trouver de la confiture d airelles Gingembre pour visage pour Les boules et les chocottes xl streaming video Les boules et les chocottes xl streaming online Les boules et les chocottes xl streaming sur Qu on fasse connaissance Voirfilms' » Retour Ă  l'instinct primaire Restons groupĂ©s Date de la premiĂšre transmission 2015-07-12 Date de la derniĂšre transmission 2022-05-22 Pays d'origine US langue originale en Temps de fonctionnement 60 minutes Production Discovery Channel / Discovery+ / Genre Reality RĂ©seaux de tĂ©lĂ©vision Investigation Discovery Discovery Life discovery+ Retour Ă  l'instinct primaire Restons groupĂ©s Nombre de saisons 8 Nombre d'Ă©pisodes 79 Aperçu Des anciens participants de l'Ă©mission sont de retour au cƓur de l'impitoyable jungle des Philippines. Durant 40 jours et 40 nuits, 12 hommes et femmes devront faire face aux requins, aux serpents mortels, aux infatigables insectes et Ă  de fĂ©roces varans. Lors d'un rebondissement inĂ©dit, deux autres anciens candidats rejoindront le groupe aprĂšs avoir rĂ©ussi leur propre dĂ©fi de 21 jours. Les survivants connaĂźtront la faim, l'hypothermie, les orages violents. Mais si la pire menace qui pouvait les empĂȘcher de rĂ©ussir ce dĂ©fi, c'Ă©tait les autres? Qu'est-il supposĂ© advenir lorsque vous dĂ©posez une femme et un homme entiĂšrement nus sur une zone isolĂ©e du globe?... Discovery Channel avait commencĂ© Ă  explorer la question dans Les Boules et les Chocottes en rĂ©unissant des duos de parfaits inconnus sur des terrains hostiles afin de tester leurs compĂ©tences en matiĂšre de survie. Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine nature pour une aventure hors du commun. Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a dĂ©cidĂ© de rĂ©unir les meilleurs survivalistes pour un nouveau dĂ©fi. Six femmes et six hommes ayant dĂ©jĂ  participĂ© au programme vont cette foisci devoir survivre tous ensemble 40 jours et 40 nuits dans les profondeurs de la jungle Ă©quatoriale colombienne. DĂ©posĂ©s d'abord par groupe de trois ou quatre dans diffĂ©rents coins de cette zone inhabitĂ©e, ils vont devoir s'adapter rapidement Ă  l'environnement et s'affronter pour obtenir les ressources nĂ©cessaires Ă  leur survie. 0202 heure miroir 2019
Programmetélé Canal+ et Canalsat complet de ce soir et de la journée sur les chaines TV Canal+ et Canalsat, bandes annonces, et l'avis de la rédaction de Télé Star pour vous guider . Rechercher Newsletter. Je m'abonne. Rechercher. Rechercher le texte: L'actualité telepoche.fr. dans votre boßte mail. Menu. Je m'abonne. Programme TV; Replay ; Accueil; Programme TV;
Certes, nos trois lascars ont Ă©tĂ© dĂ©finitivement virĂ©s de l'enseignement supĂ©rieur avec interdiction d'enseigner dans le privĂ©, mais ils n'ont guĂšre eu Ă  pointer Ă  PĂŽle Emploi l'un a trouvĂ© un poste de DGS dans une mairie-PPM du nord de la Martinique ; un autre a Ă©tĂ© embauchĂ© comme cadre par un important groupe bĂ©kĂ© et le dernier n'a sans doute plus besoin de travailler pour assurer ses fins de mois. Rappelons qu'ils sont soupçonnĂ©s d'avoir dĂ©tournĂ© pas moins de 12 millions d'euros de Fonds EuropĂ©ens attribuĂ©s Ă  la recherche, d'abord au sein de l'ex-UniversitĂ© des Antilles et de la Guyane, puis de l'UniversitĂ© des Antilles. Les combattre n'a pas Ă©tĂ© une mince affaire comme chacun sait, mĂȘme si une conasse, qui n'a jamais pu passer prof et qui jubile d'avoir un petit poste, traite sur le Net ce combat de "cancans". Comme dirait le Grand Charles celui du 18 juin 12 millions d'euros, ça s'trouve tout d'mĂȘme pas sous les sabots d'un ch'val ! Bref... Si BALKANY en a pris pour 4 ans de taule, se disent nos trois compĂšres en se mordillant les ongles, nous, on n'est donc pas Ă  l'abri d'un sĂ©jour Ă  l'ombre. Remarquons que vu la canicule rĂ©gnant en Martinique en ce moment toujours en retard sur l'AmĂšre-Patrie quel que soit le domaine considĂ©rĂ©, ça ne leur ferait pas de mal. Au soleil, on se tape 44° ces jours-ci ! Donc oui, leur affaire, celle du CEREGMIA a Ă©tĂ© dĂ©localisĂ©e Ă  Paris. Au Parquet National Financier trĂšs exactement. Because ? Eh bien, parce que, paraĂźt-il, sous les cocotiers, la justice ne dispose pas des moyens techniques lui permettant d'enquĂȘter sur une affaire aussi compliquĂ©e dixit la justice. Ouais...Elle a mis...4 ans avant de s'en apercevoir !!! Heureusement que l'informatique existe car c'est un laps de temps largement suffisant pour faire disparaĂźtre des documents-papier et autres preuves. Nos trois lascars et leurs 30 complices dixit toujours la justice de Martinique et Guadeloupe ont donc les chocottes depuis que le couperet est tombĂ© sur la nuque de BALKANY. Ils et Elles se demandent si le temps de l'impunitĂ© ne serait, hĂ©las, pas rĂ©volu. Si trĂšs bientĂŽt eux, nos trois Ali BABA insulaires et leurs 30 voleurs, ne risquent pas d'ĂȘtre obligĂ©s de se rendre Ă  des convocations du Parquet National Financier Ă  Paris alors que le billet d'avion coĂ»te horriblement cher. MĂȘme que l'une de leurs avocates a fait une confĂ©rence de presse derniĂšrement pour annoncer que ses clients n'auront pas les moyens de voyager, mĂȘme pas en classe "Economique". ArrĂȘte, Tatie, tu nous fais marrer et c'est pas le moment vu la chaleur qu'il fait !... 16h15Top streaming Clips - 30mn. 16h45 La Quot Cstar Divertissement - 15mn. 17h00 Top CStar Clips - 1h05. 18h05 Pawn Stars, les rois des enchĂšres Shekel et Hyde SociĂ©tĂ© - Passer au contenu AccueilTutoriels & Infos Boutique Bracelets, Portes ClĂ©s
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LES CONTREES MYSTERIEUSES ET LES PEUPLES INCONNUS. OUVRAGE ILLUSTRE DE G GRANDES CARTES ET DE 277 GRAVURES DANS LE TEXTE, DONT 54 GRANDES PLANCHES. PARIS, LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET CIE,- IMPRIMEURS DE L'iNSTITUT, RUE JACOB, 56. 1884. Reproduction et traduction rĂ©servĂ©es. i LES CONTRÉES MYSTÉRIEUSES ET LES PEUPLES INCONNUS. GÉNÉRALITÉS. Les voyages d'exploration, — qu'on appelait autrefois voyages autour du monde », — ont cessĂ© de captiver l'attention. Il n'y a plus de nouvelles terres Ă  dĂ©couvrir. Les Ăźles de l'OcĂ©anie, mĂȘme les plus pe- tites, sont classĂ©es et cataloguĂ©es, comme le sont sur les cartes sidĂ©rales les planĂštes et les Ă©toiles. Et pourtant plus de la moitiĂ© de notre globe reste Ă  conquĂ©rir Ă  la civilisation, au progrĂšs ; plus de la moitiĂ© de la terre n'a jamais Ă©tĂ© foulĂ©e par le pied d'un EuropĂ©en, voyageur, mis- sionnaire ou trafiquant. Il y a non seulement des contrĂ©es inconnues, mais des rĂ©gions qui semblent absolument impĂ©nĂ©trables, — les pĂŽles par exemple, — le pĂŽle nord, pour lequel l'impossible est journellement tentĂ©; le pĂŽle sud, bieu autrement inaccessible encore, et contre lequel est venue se briser la tĂ©mĂ©raire Ă©nergie des Cook, des Dumont d'Ur- ville et des James Ross. Aujourd'hui les vĂ©ritables voyages autour du monde se font comme une partie de plaisir, — en quatre-vingts jours , si l'on est pressĂ©. — Du Havre ou de Liverpool on se rend Ă  New- York ; en une semaine de che- min de fer, on atteint San-Francisco, puis, reprenant la mer, on se di- rige sur Yokohama, ShanghaĂŻ, Hong-Kong, Calcutta ou Bombay; en- fin on revient par Suez, Port-SaĂŻd et Marseille. C'est la grande route du tour du monde, — une route connue et bat- tue, oĂč il n'y a plus mĂȘme de l'imprĂ©vu Ă  attendre. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 1 2 GÉNÉRALITÉS. Aussi ceux que tourmente le besoin de changer de place, ceux qu'a- niment l'esprit d'aventures, le prosĂ©lytisme religieux, ceux qui sont stimulĂ©s par des intĂ©rĂȘts scientifiques ou commerciaux, devaient-ils chercher d'autres directions Ă  leur activitĂ©. Aujourd'hui, l'on essaye de traverser l'Afrique ou l'Australie de part en part ; on remonte aux sources des grands fleuves ; on pĂ©nĂštre par la ruse dans les contrĂ©es fermĂ©es » oĂč des gouvernements jaloux exercent de loin une suzerainetĂ© nominale, — comme au Thibet et dans plusieurs autres parties de l'Asie ; — on tente la conquĂȘte du pĂŽle nord ; on s'ap- prĂȘte Ă  donner Ă  ses forteresses de glace un dernier et victorieux assaut. Ce n'est certes pas de nos jours seulement qu'on a vu des explora- teurs intrĂ©pides les annales des voyages sont pleines des grands noms de Magellan, de Jacquemont, de CaillĂ©, de Duperrey, de Cook et tant d'autres! Mais on peut affirmer que jamais, pas mĂȘme au lendemain de la dĂ©couverte du nouveau monde, il n'y eut un tel empressement, un tel concours d'Ă©mulation entre les nations civilisĂ©es pour remplir les feuillets, demeurĂ©s en blanc si longtemps, de l'inventaire de notre pa- trimoine terrestre. Et pour que rien ne soit perdu des rĂ©sultats acquis par les pion- niers lancĂ©s en avant, on fonde partout des SociĂ©tĂ©s de gĂ©ographie ; on crĂ©e des musĂ©es ethnographiques, on publie des journaux de voyage ; des Relations nombreuses, soit originales, soit traduites, ont créé une vĂ©ritable littĂ©rature des voyages. Si l'impulsion donnĂ©e se poursuit chez nous, nous cesserons bientĂŽt de mĂ©riter l'Ă©pigramme des savants allemands, qui ont ainsi dĂ©fini les Français Un peuple spirituel, ai- mable, — c'Ă©tait avant la guerre de 1870, — et qui ne sait pas un mot de gĂ©ographie. » On ne se fait pas une idĂ©e de la somme de vie humaine rĂ©pandue sur notre globe. Ce chiffre Ă©norme a donnĂ© lieu Ă  bien des controver- ses. M. Charles Vogel, dans son beau livre , le Monde terrestre, l'a Ă©va- luĂ© Ă  1,250 millions, peut-ĂȘtre un peu plus, en ne dĂ©passant pas, toute- fois, 1,500 millions Behmet Wagner s'Ă©taient arrĂȘtĂ©s Ă  1,391 millions d'Ăąmes, dont 321 millions pour l'Europe, 800 millions environ pour l'A- sie, 200 millions pour l'Afrique, 85 millions pour les deux AmĂ©riques, GÉNÉRALITÉS. 3 et 4 ou 5 millions pour l'Australie et l'OcĂ©auie. Mais combien la civili- sation est clairsemĂ©e au sein de ces masses humaines! A mesure que s'agrandit le domaine de la gĂ©ographie positive », se restreint le champ de cette prĂ©tendue science du monde, qui Ă©tait autre- fois Ă  la gĂ©ographie ce que l'astrologie est Ă  l'astronomie. S'il y a en- core beaucoup de terres inconnues, il n'y a plus, heureusement, de ces rĂ©gions fabuleuses, fertiles en inventions ridicules et dĂ©cevantes. L'El- dorado, le pays d'or » de la tradition des Indiens du PĂ©rou, et le prĂ©- tendu lac Farime sont depuis longtemps relĂ©guĂ©s dans le royaume des chimĂšres, aprĂšs avoir dĂ©frayĂ© bien des gĂ©nĂ©rations qui rĂȘvaient de cette contrĂ©e oĂč la terre Ă©tait pavĂ©e d'or et fleurie de pierreries. Ce qui peut expliquer en partie l'Ă©trangetĂ© des conceptions des voya- geurs anciens , c'est que l'espĂšce humaine est, dans son unitĂ© , extrĂȘme- ment diverse. Un essai de classification des races ne serait peut-ĂȘtre pas dĂ©placĂ© ici; mais c'est un sujet bien scabreux! On se heurte tout de suite Ă  des questions graves, telles que l'unitĂ© de l'espĂšce humaine selon la thĂ©olo- gie, et la diversitĂ© des races selon la science. Chercher les solutions nous entraĂźnerait trop loin. Il serait tout aussi difficile d'obtenir sur de tels sujets un accord de vues absolu. L'anthropologie est une science trop rĂ©cente, trop vaste, elle touche de trop prĂšs Ă  tous les problĂšmes religieux, philosophiques, sociaux, qui prĂ©occupent notre gĂ©nĂ©ration, pour que les adeptes de cette science ne se trouvent pas frĂ©quemment en parfait dĂ©saccord, — et cela prĂ©cisĂ©ment sur les questions capitales. Que serait-ce si nous voulions appeler Ă  notre secours l'Ă©tude des types, des traits du visage, de la conformation du crĂąne? Nous trouvons- dans l'atlas d'un in-4° amĂ©ricain, la tĂȘte d'un orang-outang mise en pa- rallĂšle avec celle d'un cocher hottentot, et le crĂąne d'un chimpanzĂ© dont l'angle facial offre quelque supĂ©rioritĂ©, comparĂ© au crĂąne d'un nĂšgre crĂ©ole. Ce n'est pas nous qui nous chargerions de fixer la mesure de telles exagĂ©rations... Qu'il nous suffise donc, en adoptant les principes de l'application de la mĂ©thode naturelle Ă  la classification des races, selon M. de Quatrefages, de partager l'ensemble des races humaines pures en trois troncs blanc, 4 GÉNÉKALITÉS. jaune, nĂšgre comprenant huit branches, dix-huit rameaux et trente-neuf familles; les grandes races mixtes d'Asie et d'AmĂ©rique, qui se relient plus ou moins au tronc jaune, sont rĂ©parties en vingt-deux familles. Une particularitĂ© bien connue, c'est que l'homme supporte assez bien les tempĂ©ratures extrĂȘmes. Or, ces tempĂ©ratures extrĂȘmes peuvent va- rier de 120 Ă  130 degrĂ©s. C'est Ă©norme! Et cependant l'homme est apte Ă  s'acclimater Ă  peu prĂšs partout. De 120 Ă  130 degrĂ©s! Il y a, en effet, une telle diffĂ©rence entre les plus grands froids de la SibĂ©rie pendant lesquels le thermomĂštre tombe jusqu'Ă  60 degrĂ©s au-dessous de zĂ©ro, et les chaleurs excessives des pays chauds. Ce n'est pas sous TĂ©quateur, — comme on le croit commu- nĂ©ment, — que sont les chaleurs extrĂȘmes. Les fours de la terre, dit M. Louis Figuier, sont le nord et l'est du Sahara, le pied de l'Himalaya, la vallĂ©e du Gange sacrĂ©, les steppes sans fin de l'Afghanistan et de la Boukharie les maxima observĂ©s ont Ă©tĂ© de 55 degrĂ©s Ă  l'ombre, de 70 degrĂ©s au soleil. Pourquoi, dit le dicton afghan, as-tu créé l'enfer, Allah? N'avais-tu pas dĂ©jĂ  créé Ghaznan? » Sur cette question de l'acclimatation de l'homme il ne faut pourtant rien exagĂ©rer. On a pensĂ© jusqu'ici que la race humaine jouissait d'une aptitude illimitĂ©e pour l'acclimatation ; mais on ne s'est peut-ĂȘtre pas assez rendu compte des effets moraux et physiques qui se manifestent chez l'homme, transportĂ© dans certains climats, moins favorables Ă  son dĂ©veloppement que ceux de la zone tempĂ©rĂ©e. Le climat exerce sur la vie de l'homme une influence incontestable ; la nourriture mĂȘme , qui sert Ă  renouveler pĂ©riodiquement les forces de l'homme, varie suivant le climat, et il est impossible que le corps ne se ressente pas d'une rĂ©- volution dans l'alimentation. D'autre part, la tempĂ©rature, en ouvrant ou resserrant les pores plus que de coutume, agit sensiblement dĂ©jĂ , dans les simples changements de saison; qu'est-ce alors quand on change de pays? Il reste encore Ă  tenir compte de la gĂ©ographie physique de la nou- velle contrĂ©e qu'on habite l'Ă©lĂ©vation au-dessus du niveau de la mer, l'humiditĂ© ou la sĂ©cheresse du sol; les cours d'eau, et plus encore la qualitĂ© de l'eau qu'on boit; la diffusion de la lumiĂšre, suivant que la contrĂ©e est plus ou moins boisĂ©e, ou que le ciel est habituellement plus GÉNÉRALITÉS. 5 ou moins nuageux ; enfin, la nature et la frĂ©quence des vents dominants. On a remarquĂ© qu'aprĂšs un certain temps , l'action du climat sur l'Ă©- tranger semble diminuer ; mais cet affaiblissement s'opĂšre souvent Ă  ses dĂ©pens il a insensiblement modifiĂ© ses babitudes, et il s'est fait en lui un changement de constitution. Si l'homme civilisĂ© parvient Ă  neutra- liser ces effets contraires, il ne les ressent pas moins Ă  la longue et les transmet Ă  sa descendance. L'EuropĂ©en qui s'Ă©tablit dans les Indes ou aux Antilles, par exenrple, n'est plus le mĂȘme homme Ă  son retour; s'il reste dans le pays, ses enfants, aisĂ©ment acclimatĂ©s, ne se trouve- raient pas Ă  leur aise en Europe. On peut croire qu'il s'est opĂ©rĂ© au milieu des populations , dans le courant des siĂšcles, des modifications qui ont fini par introduire dans le genre humain de profondes distinctions de race ; chacune de ces races ou familles s'est ressentie des influences climatĂ©riques qui l'entourent, et il en est rĂ©sultĂ© une organisation particuliĂšre. Il y a clans les races divers degrĂ©s d'aptitudes Ă  l'acclimatation ; celles qui sont le plus favorisĂ©es au point de vue intellectuel ont plus de faci- litĂ© que les autres Ă  s'acclimater. Cela n'est point douteux. NĂ©anmoins, chaque race se trouve comme enfermĂ©e dans de certaines limites gĂ©ogra- phiques qu'elle ne peut pas franchir impunĂ©ment. Toujours, qu'il s'a- gisse des EuropĂ©ens ou des Chinois, des NĂšgres, des Peaux Rouges ou des habitants des Ăźles Sandwich , le changement de climat a eu pour effet la dĂ©gĂ©nĂ©rescence et souvent l'extinction. Il y a pourtant, semble-t-il, une exception Ă  cette rĂšgle gĂ©nĂ©rale c'est l'IsraĂ©lite qui la fournit. S'il est vrai que le climat puisse produire avec le temps les distinc- tions profondes qui sĂ©parent les diverses branches de l'espĂšce humaine, Ă  quoi sert la dispute dĂ©jĂ  vieille et toujours ardente de l'unitĂ© ou de la pluralitĂ© des races? Un professeur allemand a remarquĂ© que le type de la race est bien plus accentuĂ© chez la femme que chez l'homme. Soumises aux influences du milieu et du moment, les femmes sont plus passionnĂ©es et donnent Ă  tout leur ĂȘtre l'expression du sentiment momentanĂ© qui les agite... Voyez, dit-il, la NĂ©gresse sensuelle, impressionnable, naĂŻve et de bonne humeur ; la Turque apathique , lourde et rĂȘveuse ; la Juive aile- 6 GÉNÉRALITÉS. mande infatigable, de comprĂ©hension vive, d'une fidĂ©litĂ© absolue Ă  la parole donnĂ©e; la Polonaise adonnĂ©e Ă  Y Ă©clat, Ă  toutes les passions; la Française impressionnable, spirituelle, gracieuse et vaniteuse c'est le professeur Reclam qui parle; l'Anglaise maladroite, de conception lente, mais opiniĂątre et portĂ©e Ă  son intĂ©rĂȘt; voyez l'Allemande peu active, mais persĂ©vĂ©rante dans son travail, dans son dĂ©vouement, dans ses sympathies comme dans ses antipathies. Est-ce qu'elles n'expriment pas dans tout leur ĂȘtre les particularitĂ©s de leur race, beaucoup plus nettement que leurs seigneurs et maĂźtres? MalgrĂ© le volume supĂ©rieur de sa cervelle, conclut le professeur, malgrĂ© son intelligence cosmique, l'homme est, au point de vue physiologique, moins distinct de l'animal que ne l'est la femme. » — Nous y souscrivons volontiers, — mais par pure galanterie. Comme le titre de notre livre le fait entrevoir, nous aurons Ă  nous occuper beaucoup des races infĂ©rieures et des peuples plongĂ©s depuis des siĂšcles dans un Ă©tat qui semble ne souffrir aucune amĂ©lioration. Tels sont les ichtyophages , dont la gloutonnerie est toute bestiale ; les peuplades de l'AmĂ©rique qui se nourrissent de terre, celles qui ha- bitent les arbres ; — le docteur Crevaux a mĂȘme rencontrĂ© dans les forĂȘts de la Guyane des Indiens amphibies. — Tels sont encore les NĂš- gres, qui s'accommodent assez bien de l'esclavage, et les Parias, repoussĂ©s par diverses races hautaines ; tous gens peu vĂȘtus, mais qui ont des prĂ©tentions Ă  la coquetterie, qui se teignent le corps et le visage d'une maniĂšre indĂ©lĂ©bile, grĂące Ă  l'opĂ©ration du tatouage, qui dĂ©forment dĂšs la naissance le crĂąne de leurs enfants pour lui donner la façon exigĂ©e par la mode ; ou encore qui aplatissent le nez de leur progĂ©niture, — facile embellissement ; — qui se percent les oreilles, les lĂšvres ou le nez pour y passer des ornements d'un goĂ»t douteux ; qui se noircissent les dents ou se les aiguisent en dents de scie comme certains anthropophages. Les anthropophages! On croit rĂȘver. Cette affreuse coutume sera plus difficile Ă  extirper qu'on ne l'imagine. C'est qu'elle ne revĂȘt pas, Ă©galement partout le mĂȘme caractĂšre de fĂ©rocitĂ©. Elle peut ĂȘtre acciden- telle, inspirĂ©e par la superstition ou par la vengeance. On a des rĂ©cits pathĂ©tiques des efforts tentĂ©s , souvent avec succĂšs,, par d'intrĂ©pides officiers de l'armĂ©e de l'Inde, pour sauver de la mort GÉNÉRALITÉS. 7 des milliers de MĂ©riahs que les sept Ă  huit cents villages des Khonds Ă©taient habituĂ©s Ă  sacrifier annuellement Ă  la dĂ©esse de la terre, et aussi pour empĂȘcher les infanticides. Ce fanatisme traditionnel, liĂ© Ă  des pra- tiques de cannibalisme, est loin d'ĂȘtre extirpĂ©. A l'heure prĂ©sente, la civilisation apparaĂźt sĂ©rieusement aux prises avec l'homme sauvage. Quelques faits, qui doivent trouver leur place dans cette Introduction, Ă©tablissent qu'il n'en est pas, dans les lois du progrĂšs, comme en philosophie, oĂč l'initiĂ©, — selon le mot profond de Ballanche, — tue l'initiateur. Ici, c'est le nouvel initiĂ© Ă  la civilisation qui disparaĂźt. Il y a lĂ  un grand motif de ne pas redouter de voir un jour les races que nous allons arracher Ă  l'Ă©tat de nature ou Ă  la barba- rie, nous rendre en une seule fois toutes nos visites ; et nous devons Ă©carter l'idĂ©e d'un retour offensif de plusieurs dizaines de millions de gens humiliĂ©s dans leur amour-propre. HĂątons-nous donc de faire connaĂźtre certains peuples, hier encore inconnus et qui n'existerout bientĂŽt plus. Ce sont pour nous des peuples nouveaux et, tout Ă  la fois, des peuples qui disparaissent. Un fait incontestable et hors de discussion, c'est que les indigĂšnes de l'Australie, de la Nouvelle-CalĂ©donie, de la Nouvelle-ZĂ©lande, des Ăźles Sandwich, des Ăźles Marquises, de TaĂŻti, et de la plupart des Ăźles de l'aire polynĂ©sienne sont atteints de maladies nouvelles dont les suites devien- nent fatales pour eux. On les voit s'Ă©tioler et s'Ă©teindre, et ces faits se produisent au contact des EuropĂ©ens. M. de Pochas, M. Brainne, M. de Quatrefages, Darwin, tous les anthropologistes et tous les voya- geurs sont d'accord sur ce point. Faut-il admettre, avec les palĂ©ontologistes, dit M. de Fontpertuis, un ordre fatal de succession des races supĂ©rieures aux races infĂ©rieures? voir dans les PolynĂ©siens les derniers reprĂ©sentants d'une race que le refroidissement terrestre aurait peu Ă  peu refoulĂ©e vers FĂ©quateur, seul point de la terre oĂč elle puisse encore vivre, mais d'une existence difficile et compromise par le moindre Ă©cart? croire Ă  l'insalubritĂ© du climat? On sait ce que signifie, au point de vue moral, la succession des races supĂ©rieures aux races infĂ©rieures la destruction des Australiens et l'extermination des Peaux Rouges. » 8 GÉNÉRALITÉS. DĂšs l'arrivĂ©e d'au navire europĂ©en dans une terre de la PolynĂ©sie, des maladies Ă©pidĂ©miques se dĂ©clarent parmi les indigĂšnes ; Darwin a donnĂ© une explication de ce fait en l'attribuant aux miasmes putrides emma- gasinĂ©s Ă  bord du navire pendant une longue traversĂ©e et qui, inoffen- sifs pour l'Ă©quipage, qui s'y est graduellement habituĂ©, deviennent dĂ©- lĂ©tĂšres et mortels pour quiconque est surpris par leur brusque atteinte. La phtisie pulmonaire, qui exerce de si cruels ravages dans les mĂȘmes parages, pourrait bien y ĂȘtre aussi une importation du monde civilisĂ©. Les naturels de la Nouvelle-CalĂ©donie n'en' doutent pas; ils citent le flĂ©au de KoturĂ©, qui a coĂŻncidĂ© avec la venue des premiers caboteurs anglais ; et Ă  en juger par la sensation inexplicable de froid que les Mao- ris et les TaĂŻtiens disent Ă©prouver Ă  notre contact, l'affirmation ne manque pas de plausibilitĂ©. Ce sont les EuropĂ©ens qui ont introduit dans ces archipels de l'OcĂ©a- nie le tabac, le gin, le rhum, l'eau-de-vie ; or, l'abus de ces narcoti- ques et de ces liqueurs devait exercer des ravages sur des constitu- tions formĂ©es par une nourriture peu substantielle et incapables de supporter aucun Ă©cart de rĂ©gime, aucun changement d'habitudes. M. Frout de Fontpertuis, que nous venons de citer, s'est souvent de- mandĂ© s'il n'y aurait pas lieu de ranger parmi les causes de ce dĂ©pĂ©risse- ment inexplicable l'impression de dĂ©couragement et de tristesse qu'ont dĂ» causer Ă  des races flĂšres les entreprises des EuropĂ©ens; leur nombre, leur audace, leur intelligence, et, il faut bien le dire, leur cupiditĂ© et leurs passions dĂ©rĂ©glĂ©es. M. de Quatrefages, tout en mentionnant ces causes, ne s'est pas arrĂȘtĂ© Ă  en examiner la portĂ©e ; mais Gratiolet leur a accordĂ© beaucoup plus d'importance, et des faits que rapporte M. Sproat semblent bien donner raison Ă  l'Ă©minent physiologiste. En 1860, M. Malcom Sproat prit possession, au nom de l'Angleterre, de la partie de l'Ăźle Vancouver qui occupe le fond du Barclay-Sound, au nord de l'entrĂ©e du dĂ©troit de Fuca. LĂ  vivaient plusieurs tribus, par- lant des idiomes diffĂ©rents ; elles semblaient placĂ©es Ă  un degrĂ© trĂšs infĂ©rieur de l'humanitĂ©. Ces sauvages ne virent pas d'un bon Ɠil la venue des Anglais ; ils abandonnĂšrent la cĂŽte et se retirĂšrent dans l'in- tĂ©rieur. Cependant, durant un premier hiver ils parurent bĂ©nĂ©ficier du voisi- GÉNÉRALITÉS. 9 nage des EuropĂ©ens. Ils travaillaient volontiers pour eux. Lors des rĂš- glements de compte, les Anglais leur cĂ©daient des vĂȘtements, de la fa- rine, du riz, des pommes de terre. Mais Ă  la fin de l'hiver M. Sproat et ses compagnons s'aperçurent d'un changement trĂšs marquĂ© de disposi- tions chez ces indigĂšnes. Tandis que quelques jeunes gens acceptaient avec empressement les bĂ©nĂ©fices de la civilisation qui s'offraient Ă  eux, les hommes faits, les vieillards, taciturnes, menaçants presque, se tenaient Ă  l'Ă©cart, rĂ©fugiĂ©s au fond de leurs huttes. M. Sproat devina que la vue des Anglais, de leurs navires, de leurs machines et de leur industrie les affectait pĂ©niblement ; le sentiment de leur propre infĂ©rioritĂ© accablait ces pauvres sauvages ; ils perdaient toute confiauce en eux-mĂȘmes, toute estime dans leurs traditions et leurs usages. BientĂŽt la maladie s'abattit sur eux et exerça de terribles ravages, qu'on ne sut Ă  quoi attribuer M. Sproat avait dĂ©fendu de leur vendre des liqueurs fortes. Cependant ils mouraient fatalement l'un aprĂšs l'autre. Comment ne pas s'arrĂȘter Ă  l'idĂ©e qu'ils tombaient vic- times du dĂ©couragement morne et stupide dont ils s'Ă©taient sentis at- teints dĂšs leur premier contact avec nue race mieux douĂ©e »? Un mot encore avant d'aborder notre sujet. Une Ă©tude de l'homme sauvage et barbare n'offre rien de rebutant il faut laisser rĂ©pĂ©ter aux esprits chagrins les vers de Boileau De Paris au PĂ©rou, du Japon jusqu'Ă  Rome, Le plus sot animal, Ă  mon avis, c'est l'homme. Non, l'homme est au contraire un animal des plus intĂ©ressants. Toutes les fois qu'on l'observera avec attention, on se convaincra bien vite qu'aussi bien chez l'Indien des bords de l'UcayalĂ© et le Noir afri- cain du lac Victoria, qui vivent dans une perpĂ©tuelle enfance, que chez la plupart des peuples civilisĂ©s, — lesquels n'entrent pas dans le cadre de notre livre, — il va des lois de milieu, d'Ăąge et de dĂ©veloppement, qui dĂ©terminent les caractĂšres et les degrĂ©s de civilisation. Telle bar- barie qui nous' rebute ou nous indigne a peut-ĂȘtre ses raisons d'ĂȘtre aussi bien que la culture la plus raffinĂ©e. On en pĂ©nĂštre les secrets mo- biles, Ă  l'aide des observations que nous fournissent les voyageurs, dans CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 2 III GÉNÉRALITÉS. leurs relations, et, en apprĂ©ciant mieux les causes, on devient moins sĂ©vĂšre dans ses jugements sur leurs effets. Voici dans quel ordre se prĂ©senteront les dĂ©veloppements de notre livre. Nous visiterons d'abord les rĂ©gions arctiques, oĂč le froid semble avoir Ă©tabli son immuable empire ; il y a lĂ  des peuples Ă  peine entrevus dans le crĂ©puscule polaire Esquimaux, Lapons, SainoyĂšdes, Tongouses ou Yakoutes. AprĂšs cela nous appellerons l'attention de nos lecteurs sur le Nouveau Monde, depuis l'AmĂ©rique britannique jusqu'Ă  la Terre de Feu ; nous leur montrerons les Peaux Rouges rĂ©sistant dĂ©sespĂ©rĂ©ment aux envahissements de la race blanche. Nous doublerons ensuite le cap Horn comme de simples caboteurs, pour aller d'Ăźle en Ăźle Ă  travers l'OcĂ©anie. Les archipels de la PolynĂ©sie, la Nouvelle-ZĂ©lande, la Nouvelle-CalĂ©- donie, le continent australien, la Nouvelle-G-uinĂ©e et plusieurs terres de la Malaisie nous offriront des stations successives. Nous aborderons ensuite l'Asie par la presqu'Ăźle de Malacca, et nous remonterons vers le nord, en Ă©tudiant ces pays inexplorĂ©s ou fer- mĂ©s Ă  la curiositĂ© des EuropĂ©ens, ces peuples inconnus, sauvages ou barbares, qui s'Ă©chelonnent de l'Indo-Chine Ă  la SibĂ©rie. De la Mon- golie, du Thibet, nous passerons par-dessus les contrĂ©es de l'Asie centrale oĂč se rencontrent et se heurtent les Russes et les Anglais ; nous traverserons les dĂ©serts de l'Arabie. L'Afrique est ouverte ; nous y pĂ©nĂ©trerons Ă  la suite des Livingstone, des Speke, des Grant, des Burton, des Lejean, des Brazza, des Cameron, des Schvv'einfurth, des Stanley, et des Serpa Pinto. PREMIÈRE PARTIE. LE POLE NORD ET LE POLE SUD. I. Le pĂŽle nord. — Aspect des rĂ©gions polaires. — Étranges lois physiques La lune et les para- sĂ©lĂšnes. — Le soleil et les parhĂ©lies. — Une journĂ©e de quatre mois. — Un crĂ©puscule de cinquante jours. — Dangers de la navigation. — Les icebergs » en mouvement. — Comment se forment les montagnes de glace. — L'hiver. — Les tourmentes de neige. — Les tempĂȘtes qui dĂ©sagrĂšgent la banquise. — Le pack ». — Navires emprisonnĂ©s dans les glaces. — Les hummocks ». — Quartiers d'hiver. — La nuit polaire. — Son silence effrayant. — Aurores borĂ©ales. — Éloge du froid. — Ses bizarreries. — Ses curiositĂ©s. — Retour du soleil. — Tableaux d'Ă©tĂ©. — Effets de mirage. S'il est une contrĂ©e mystĂ©rieuse entre toutes, c'est bien cette rĂ©gion du pĂŽle nord dont l'inconnu exerce une si grande attraction, qui fait naĂźtre des illusions si gĂ©nĂ©reuses et ne livre un Ă  un ses secrets qu'au prix de tant de sacrifices hĂ©roĂŻques, de tant d'efforts, de tant de deuils! La fin dramatique de sir John Franklin et de ses compagnons dans les mers arctiques, les expĂ©ditions successives entreprises par l'Angle- terre et les États-Unis pour dĂ©couvrir leurs traces, ont attirĂ© l'atten- tion sur ces contrĂ©es hostiles, oĂč la crĂ©ation semble finir et le chaos re- commencer. Le capitaine Mac-Clintoch constata, en 1859, que les Ă©quipages de YÉrĂšbe et de la Terreur avaient pĂ©ri misĂ©rablement. Lorsque l'impres- sion douloureuse causĂ©e par la certitude de ce dĂ©sastre se fut un peu dissipĂ©e, on se trouva ramenĂ© Ă  l'objet mĂȘme de l'expĂ©dition de Franklin, qui Ă©tait, on se le rappelle, la recherche d'un passage d'Europe en Asie en suivant la direction nord-ouest. En mĂȘme temps, les notions rĂ©cem- ment acquises sur la configuration des terres borĂ©ales fournissaient la preuve que ce passage existait rĂ©ellement, que sir John Franklin avait Ă©tĂ© bien prĂšs de l'atteindre, mais que la science seule devait profiter des rĂ©sultats obtenus, ce passage ne pouvant ĂȘtre utilisĂ© pour la na- vigation, du moins dans l'Ă©tat actuel de nos moyens maritimes. u LE POLE NORD. Depuis la constatation, par M. NordenskiĂŽld, de la possibilitĂ© de suivre de l'ouest Ă  l'est les cĂŽtes de la NorvĂšge, de la Russie et de la SibĂ©rie jusqu'au dĂ©troit de Behring, c'est-Ă -dire d'aller rĂ©ellement d'Europe en Asie par l'ocĂ©an Glacial, la recherche d'un passage par le nord-ouest a beaucoup perdu de son intĂ©rĂȘt. Toutefois un grand pas a Ă©tĂ© fait dans la connaissance des rĂ©gions circumpolaires. La gĂ©ographie se trouve avoir largement bĂ©nĂ©ficiĂ© de tous les voyages entrepris depuis le commencement de ce siĂšcle ; ils lui ont donnĂ© le tracĂ© Ă  peu prĂšs dĂ©finitif d'une partie du globe jusque- lĂ  Ă  peine entrevue. Ce n'est pas tout. Plusieurs dĂ©couvertes faites par les Parry, les Mac- Clure, les Mac-Clintoch, les Kane, les Hayes, les Weyprecht intĂ©res- sent diverses branches des sciences physiques, et doivent recevoir d'u- tiles applications. C'est dans la rĂ©gion arctique qu'a Ă©tĂ© trouvĂ©e la loi des courants mystĂ©rieux qui, semblables Ă  deux fleuves immenses, traversent les vastes espaces de l'OcĂ©an le gulf-stream » et l'ice- stream » 1 le courant chaud qui s'Ă©lĂšve au nord, et le courant glacĂ© qui en descend. C'est dans la terre Boothia que les deux Ross ont atteint pour la premiĂšre fois le pĂŽle magnĂ©tique, ce point central au- tour duquel tourne l'aiguille de la boussole sur une moitiĂ© de l'hĂ©- misphĂšre nord. Les nombreuses observations des explorateurs autour de ce centre ont beaucoup ajoutĂ© Ă  ce que nous savions sur les lois de la dĂ©clinaison et de l'intensitĂ© magnĂ©tiques. Les rĂ©gions polaires offrent Ă  l'imagination un attrait irrĂ©sistible. Rien ne s'y rĂšgle sur les lois auxquelles nous sommes accoutumĂ©s. L'hiver y dure neuf mois ; le printemps y apparaĂźt en juillet. Au 80e degrĂ© de latitude, l'annĂ©e n'a qu'un jour de six mois et une nuit d'une Ă©tendue Ă©gale du jour sans fin de l'Ă©tĂ©, on passe, Ă  travers le crĂ©puscule d'automne, Ă  la nuit sans fin de l'hiver. Les fleuves, s'arrĂȘtant dans leur marche, donnent naissance Ă  d'im- menses glaciers auprĂšs desquels ceux des Alpes ne sont que des minia- tures ; et de ces glaciers se dĂ©tachent incessamment d'Ă©normes monta- 1 Le ce courant du golfe » et le ce courant froid ». Prononcez g ueulf strime et aĂŻce strime. 16 LE POLE NORD gues, que les courants charrient. Ces blocs, tribut des continents, en- vahissent la mer, tandis que celle-ci se solidifie sous l'action du froid et, se refusant Ă  la navigation, permet les traversĂ©es Ă  pied et en traĂźneau. On voit lĂ  des aurores borĂ©ales accompagnĂ©es d'Ă©tranges phĂ©nomĂš- nes mĂ©tĂ©orologiques l'aurore borĂ©ale s'Ă©vanouit-elle , la lune radieuse demeure, une lune infatigable qui ignore son coucher; une lune victo- rieuse qui transforme en jours les longues nuits du solstice d'hiver. Tan- tĂŽt, reine du jour et de la unit, elle s'entoure de halos et de grandes couronnes d'or; tantĂŽt, comme si elle se mirait coquettement dans plusieurs glaces, elle se multiplie par le mirage de la parasĂ©lĂšue. AprĂšs les nuits du solstice d'hiver, lorsque la pĂąle Ă©toile du jour a reparu dans le ciel, c'est le phĂ©nomĂšne de laparhĂ©lie, qui se produit le plus souvent avec deux ou trois faux soleils, quelquefois avec quatre, avec huit et mĂȘme seize spectres lumineux qui deviennent les centres d'autant de circonfĂ©rences ; parfois mĂȘme, horizontale au lieu d'ĂȘtre ver- ticale, elle entoure le spectateur d'une multitude d'images solaires et le transporte comme sous un dĂŽme dont le pourtour serait illuminĂ© par des lanternes vĂ©nitiennes. Tout enfin, dans ces rĂ©gions, prĂ©sente un sai- sissant contraste avec le monde dans lequel nous vivons. Nous venons de dire que sous le 80e degrĂ© un jour de six mois succĂšde Ă  une nuit d'une Ă©gale durĂ©e. Il convient de prĂ©ciser. Nous ne voulons ni Ă©garer nos lecteurs, ni ĂȘtre taxĂ©s d'ignorance. Sous le 80e parallĂšle, le soleil se maintient sur l'horizon pendant cent trente-quatre jours et reste couchĂ© pendant cent vingt-sept. Le pĂŽle voit rĂ©gner tour Ă  tour une nuit et un jour absolus, l'une depuis* le milieu du mois de novembre jusqu'au commencement du mois de fĂ©vrier, et l'autre depuis le 21 mars jusqu'au 23 septembre. Le crĂ©puscule polaire n'est pas le phĂ©nomĂšne le moins remarquable et le moins curieux qu'offrent ces contrĂ©es lointaines. On sait que le crĂ©puscule est dĂ» Ă  la rĂ©fraction, par l'atmosphĂšre, des rayons du soleil abaissĂ© au-dessous de l'horizon. Cette clartĂ© indirecte s'affaiblit peu Ă  peu, puis elle s'Ă©vanouit complĂštement et fait place Ă  la nuit. Or, si l'on songe que le soleil tourne Ă  quelques degrĂ©s au-dessous de l'horizon, pendant des mois entiers , au commencement et Ă  la fin de l'hiver po- laire, on s'expliquera la longue durĂ©e du crĂ©puscule sous ces latitudes. ET LE POLE SUD. 17 Il semble, en ces contrĂ©es, que la nature ait voulu dire Ă  l'homme Tu n'iras pas plus loiu. » Cependant rien ne l'arrĂȘte. A peine le marin a-t-il quittĂ© Uppernawick, dernier Ă©tablissement danois sur le littoral du Groenland, qu'il se trouve aux prises avec les dangers d'une navigation pour laquelle un apprentissage ne peut avoir Ă©tĂ© fait ailleurs. Aux tempĂȘtes qui se dĂ©chaĂźnent sur toutes les mers, s'ajoutent ici des pĂ©rils inaccoutumĂ©s. Ce sont d'abord des montagnes de glaces flottantes, des icebergs », qui s'avancent de plus en plus rapprochĂ©s entre eux, parfois enveloppĂ©s d'un brouillard intense qu'ils semblent retenir autour de leurs sommets, comme pour traĂźtreusement se cacher. De ces masses glacĂ©es, il y en a qui ont jusqu'Ă  cent mĂštres et mĂȘme deux cents mĂštres d'Ă©lĂ©vation au- dessus de l'eau, ce qui suppose une hauteur totale de six cents Ă  mille mĂštres... Eoss a mesurĂ© un de ces icebergs qui, dressant au-dessus de l'eau sa tĂȘte menaçante, Ă  une hauteur de cent mĂštres, prĂ©sentait un dĂ©veloppement de quatre cents mĂštres de longueur. Malheur aux na- vires qui n'Ă©vitent pas la rencontre de ces colosses, de ces LĂ©viathans de la mer polaire! Plus d'un baleinier Ă  la robuste membrure a Ă©tĂ© Ă©crasĂ© comme une coquille de noix entre deux icebergs qui se ren- contraient. Et ce n'est pas le seul pĂ©ril Ă  craindre ! Parmi ces icebergs il y en a qui, datant de plusieurs saisons, sont crevassĂ©s par les dĂ©gels de l'Ă©tĂ©, minĂ©s par les attaques de la mer, Ă©vidĂ©s et percĂ©s Ă  jour comme des clochers de cathĂ©drales gothiques le moindre choc, la dĂ©tonation d'une arme Ă  feu, — mĂȘme un cri d'effroi, — peuvent produire une commotion et un effondrement fatal. Ces Ă©normes glaçons s'avancent au hasard des vents et des cou- rants, se pressant au dĂ©bouchĂ© des dĂ©troits qu'ils obstruent, terribles avec leurs profils aux arĂȘtes aiguĂ«s ou leurs sommets sourcilleux- qui surplombent l'abĂźme... L'un, — au clair de lune surtout, — prend la forme d'un ĂȘtre fan- tastique, goule ou vampire , traĂźnant aprĂšs soi le linceul blanc d'un cer- cueil violĂ© ; un autre rappelle une de ces pyramides oĂč les Pharaons dorment depuis des siĂšcles leur dernier sommeil; un autre un temple fĂ©erique, avec des tours d'une architecture Ă©trange, des flĂšches deu- CONTKÉES MYSTÉRIEUSES. 3 18 LE POLE NORD. telĂ©es, des dĂŽmes audacieux, Ă©difiĂ©s pour uu culte dĂ©moniaque ; ou uu vieux chĂąteau aux murailles dĂ©mantelĂ©es dans les efforts d'un siĂšge. Tel bloc offre l'image d'une ville maudite qui s'Ă©croule, sous la foudre invisible d'un chĂątiment divin. Dans une autre direction se prĂ©sente un assemblage de cavernes mystĂ©rieuses, d'antres profonds dont quel- que esprit jaloux semble avoir interdit l'entrĂ©e par un entassement capricieux de stalactites gigautesques ; il y a de vastes portiques bĂ©ants qui paraissent s'ouvrir sur des gouffres noirs d'ombre, des arcs dont la hardiesse pourrait dĂ©fier celle de l'arc-en-ciel; tel cĂŽne se tient renversĂ© sur son sommet par une puissance occulte qui se rit de toute loi d'Ă©quilibre ; une large table pareille Ă  un autel de sacrifices drui- diques est couchĂ©e horizontalement sur deux blocs qui lui servent de base. Il y a des menhirs comme il y a des dolmens ; et cette archĂ©o- logie polaire qui n'aura peut-ĂȘtre qu'une heure de durĂ©e Ă©crase par la comparaison toutes les pierres levĂ©es du Morbihan, toutes les hautes- bornes, toutes les chaires-du-diable... De distance en distance s'Ă©lĂšvent, le long des cĂŽtes, les glaciers im- menses, vĂ©ritables remparts de cristal, dominant de plus de ceDt mĂštres le niveau des eaux et miroitant aux derniĂšres lueurs du jour d'Ă©tĂ© De neiges, de glaçons entassements Ă©normes ; Du temple des frimas colonnades informes ; Prismes Ă©blouissants dont les pans azurĂ©s, DĂ©fiant le soleil dont ils sont colorĂ©s, Teignent de pourpre et d'or leur Ă©clatante masse ; Tandis que triomphant sur leur trĂŽne de glace, L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour Embellir son palais et dĂ©corer sa cour 1 ! A eux, Lamartine pourrait aussi adresser cette apostrophe Le nuage en grondant parcourt en vain vos cimes. Le fleuve en vain grossi sillonne vos abĂźmes, La foudre frappe en vain votre front endurci... Tout Ă  coup, au sein du calme, un bruit formidable, semblable Ă  la T attelle en assez grand nombre. Fig. 34. — TraĂźneau moderne. Les mĂȘmes chiens, ou leurs congĂ©nĂšres, sont utilisĂ©s de mĂȘme en Laponie, et dans le nord de la SibĂ©rie, de l'Obi au dĂ©troit de Behring. Ces sortes de chiens peuvent demeurer impunĂ©ment en plein air sans trop souffrir. Ils se creusent un trou dans la neige, en ne laissant Ă  l'air que l'extrĂ©mitĂ© de leur museau sur lequel ils ramĂšnent leur Ă©paisse queue pour rĂ©sister Ă  l'ĂąpretĂ© du froid. L'Ă©tĂ©, dans les lieux oĂč les moustiques les tourmenteraient, ils savent se creuser des trous dans la terre pour Ă©chapper aux cuisantes morsures. Toute une bande de chiens Ă©tant attachĂ©e au traĂźneau d'un Esquimau, dit M. Elie Reclus, il n'aurait jamais de fouet assez long pour atteindre les premiers. Que fait-on quand on veut aller vite? Le conducteur cingle un bon coup de fouet sur le dernier chien, qui, mĂ©chant et hargneux comme ils le sont ET LE POLE SUD. 85 Kg. 35. — Table d'os de morses. tous, ne veut pas rester sur sou coup de fouet, et, ne pouvant se re- tourner, se venge par un coup de dent dans l'arriĂšre-train de celui qui le prĂ©cĂšde, lequel le transmet Ă  sou prĂ©curseur, lequel le fait passer plus loin, et en un rien de temps ils ont tous Ă©tĂ© fouettĂ©s ou mordus, et le traĂźneau file rapidement par la neige, au milieu des protestations, grogne- ments et hurlements de l'Ă©quipage. Oh! les amis, quoi de plus humain ! Le soir venu, on attache le roi de chaque meute prĂšs de son traĂźneau, sujets et sujettes l'entourent et se couchent Ă  ses pieds. Cette soumission est loin d'ĂȘtre cons- tante, et le plus souvent n'est que le rĂ©sultat de la fatigue et de l'Ă©puisement. Dans la gent cynique, elle aussi, les monarques ont fort Ă  faire pour gou- verner leurs vassaux, dont les femelles surtout sont d'humeur vagabonde. Ou voit les mĂąles tirer sur la corde, grognant et relevant les babines, impatients de l'heure oĂč ils pourront se mesurer avec leurs rivaux, et dĂ©cider qui sera le chef suprĂȘme. Une longue suite de combats Ă©tablit l'autoritĂ© du plus hardi; encore cette autoritĂ© n'est pas longtemps respectĂ©e. Ces chiens aiment le tumulte, et la bataille est la condition naturelle de leur exis- tence. » Les Esquimaux ont de singu- liĂšres coutumes matrimoniales. Lorsque l'un d'eux a fait choix de la fille qu'il veut Ă©pouser, il s'adresse Ă  la maman. Si la future belle-mĂšre reconnaĂźt au prĂ©tendant les aptitudes suffisantes, c'est-Ă - dire si par sa chasse et sa pĂȘche il est en Ă©tat d'entretenir une femme, elle s'empresse de donner son consentement. Le fiancĂ© se procure alors des vĂȘtements de choix pour celle qu'il aime et les lui offre; et l'on va Fig. 36. — SiĂšge des Esquimaux. 86 LE POLE NORD voir que la cĂ©rĂ©monie nuptiale se rĂ©duit Ă  l'acceptation de la ' cor- beille ». En effet, la jeune fille, par le seul fait qu'elle se pare de ces vĂȘtements, prononce un oui » solennel. Il ne lui reste plus qu'Ă  aller trouver dans sa hutte de neige celui dont elle est la femme dĂšs ce mo- ment mĂȘme. Le guide Hans, cet Esquimau qui a fait partie de plusieurs expĂ©ditions, perdit dans l'une d'elles sa belle-mĂšre, qui l'avait rejoint, et les AmĂ©- ricains assistĂšrent avec curiositĂ© Ă  un enterrement esquimau la morte fut enveloppĂ©e dans une peau et descendue dans un trou autour duquel sa fille dansa pendant une heure, laissant tomber successivement un couteau, des aiguilles et du fil tirĂ© des nerfs de phoque ; le trou fut fermĂ©, et c'est ainsi que la cĂ©rĂ©mo- nie s'acheva. Mais Hans et les siens Ă©taient civilisĂ©s ». Il existe chez les Esquimaux une coutume horrible celle d'enterrer Blg. 37. - Chien en tenue de campagne. eilCOre vivantes les perSOUlieS doilt la mort semble prochaine. Voici un fait de ce genre le capitaine Hall avait donnĂ© des soins Ă  une malheureuse femme, nommĂ©e Nuketou; un jour, comme il allait lui rendre visite, il trouva les voisins occupĂ©s Ă  lui bĂątir un nouvel iglou ». Il questionna les travailleurs et apprit d'eux que cette hutte de neige devait ĂȘtre le tombeau vivant de la malheureuse femme! C'Ă©- tait la coutume, et personne ne songeait Ă  s'y dĂ©rober. Quelques jours aprĂšs, la pauvre Nuketou fut transportĂ©e dans l'i- glou. Quatre femmes l'avaient Ă©tendue sur nue civiĂšre de peau de renne ; elles l'introduisirent par une entrĂ©e mĂ©nagĂ©e Ă  cet effet derriĂšre la hutte, et non par l'entrĂ©e ordinaire, qui ne fut ouverte qu'aprĂšs cette premiĂšre partie de la cĂ©rĂ©monie. Les porteuses pĂ©trirent des blocs de neige et l'ouverture fut bouchĂ©e sous la direction de l'une d'elles, restĂ©e auprĂšs de la mourante. Lorsque Hall put pĂ©nĂ©trer dans Tiglon, il trouva Nuketou calme , rĂ©signĂ©e et reconnaissante mĂȘme de tout ce qu'on faisait pour elle. ET LE POLE SUD. S 7 Elle savait que cette hutte devait ĂȘtre son tombeau ; mais avec les idĂ©es de sa race, et sentant qu'elle devenait un fardeau pour les autres, qu'au surplus ses jours Ă©taient comptĂ©s, elle se rĂ©signait, attendant qu'on l'abandonnĂąt Ă  son sort, qu'on la laissĂąt mourir... Ce qui fut fait, Nous constaterons plus d'une fois chez les sauvages cette duretĂ© de Fig. 38. — Un tombeau d'Esquimau. cƓur qui les porte Ă  vouer Ă  la mort ceux qui leur sont h charge. Les Esquimaux ne sont pas absolument dĂ©pourvus d'idĂ©es reli- gieuses ; ils croient Ă  l'existence d'esprits bons et mauvais, mais ils ne semblent pas faire de diffĂ©rence entre eux. Ils vivent sous l'in- fluence de sorciers, qui cumulent les fonctions de prĂȘtre et de mĂ©decin. On nomme cet homme prĂ©cieux un angeko ». En passant des terres polaires de l'AmĂ©rique et du Groenland au 88 LE POLE NORD nord de la pĂ©ninsule Scandinave et de la Russie, nous retrouvons les petits hommes, — aprĂšs les Esquimaux, les Lapons. Ces hommes, a dit Regnard dans son Voyage de Laponie, sont faits tout autrement que les autres. » — On peut croire qu'ils n'ont pas changĂ© depuis la visite dont les honora notre grand poĂšte comique. La hauteur des plus grands n'excĂšde pas trois coudĂ©es ; et je ne vois pas de figure plus propre Ă  faire rire. Ils ont la tĂȘte grosse, le visage large et plat, le nez Ă©crasĂ©, les yeux petits, la houche large et Fig. 39. — Derniers restes de funĂ©railles. une barbe Ă©paisse qui leur pend sur l'estomac. Tuus leurs membres sont proportionnĂ©s Ă  la petitesse du corps les jambes sont dĂ©liĂ©es, les bras longs; et toute cette petite machine semble remuer par ressort... VoilĂ , ajoute Regnard, la description de ce petit animal qu'on appelle Lapon ; et l'on peut dire qu'il n'y en a point, aprĂšs le singe, qui ap- proche plus de l'homme. » Plus loin, dans sa relation, le poĂšte co- mique dit encore Il est constant que tous les Lapons et les La- ponnes sont extrĂȘmement laids... Leur visage est carrĂ©, les joues extrĂȘmement Ă©levĂ©es, le reste du visage trĂšs Ă©troit, et la bouche se coupe depuis une oreille jusqu'Ă  l'autre. » Les Lapons sont robustes et agiles. Leur teint, d'un brun olivĂątre, est rendu plus foncĂ© encore par la fumĂ©e dans laquelle ils vivent. ET LE POLE SUD. 80 ChrĂ©tiens pour la plupart, ils vivent eu uomades. Cependant il y a, clans le voisinage des NorvĂ©giens et des SuĂ©dois, des Lapons qui sont devenus sĂ©dentaires ; mais la hutte ronde de ceux-lĂ  ressemble Ă©trange- ment Ă  la tente des autres, — avec son ouverture laissĂ©e dans le toit pour le passage de la fumĂ©e du foyer, avec son revĂȘtement de branches de bouleau et de mottes de gazon. La grande ressource du Lapon est le renne ; chaque famille en pos- sĂšde plusieurs centaines ; moins, ce serait pour elle la misĂšre profonde. Ces animaux sont bien prĂ©cieux pour eux ils leur fournissent du lait, — dont on fait aussi des fromages ; — leur chair est Ă  peu prĂšs la seule viande qu'on mange; le renne sert aussi d'animal de trait et donne ensuite sa peau pour la confection des vĂȘtements, — robes, bottes, gants, — et l'Ă©dification des tentes. Ces bottes mĂ©ritent une description. TrĂšs larges et doublĂ©es Ă  l'intĂ©rieur de menu foin, elles sont sans semelles. GrĂące Ă  ces chaussures, il est possible d'aller Ă  travers des terrains accidentĂ©s couverts de neige. Les Lapons nomades, qui vivent dans les forĂȘts et auprĂšs des cours d'eau, chassent et pĂšchent. Ils se servent encore d'arcs et d'arbalĂštes. Le gibier est trĂšs abondant. Il faut noter dans l'alimentation des Lapons l'Ă©corce tendre qui se trouve au sommet des pins ou des bouleaux, trempĂ©e dans l'huile ou cuite sous la terre chaude, ou broyĂ©e avec des os de poisson, et aussi une sorte de bouillie faite avec du suif et de la farine cette farine, ils l'obtiennent des Russes ou des SuĂ©dois par voie d'Ă©change, en donnant des quartiers de viande sĂšche toujours le renne!, du poisson fumĂ© et des fourrures. C'est encore ainsi qu'ils se procurent le tabac et Teau- de-vie qui leur plaisent tant. Les voyageurs ont signalĂ© depuis lougtemps un fait qui a toutes les apparences du merveilleux dans le voisinage d'un village de Laponie, nommĂ© PonoĂŻ, situĂ© Ă  l'embouchure de la riviĂšre du mĂȘme nom, sur la cĂŽte nord-ouest de la mer Blanche et de la presqu'Ăźle de Kola cap Orloff, on trouve une espĂšce de poussiĂšre lĂ©gĂšre, blanchĂątre, assez sem- blable Ă  du talc, laquelle est ramassĂ©e par les indigĂšnes et consommĂ©e comme aliment. La vĂ©ritĂ© est que cette nouvelle manne du dĂ©sert ne se mange pas toute seule, mais mĂ©langĂ©e Ă  de la farine ordinaire, et, CONTRÉES .MYSTÉRIEUSES. 12 90 LE POLE NORD. par ce moyeu, convertie en pain. La terre en question forme nue couche importante, Ă©paisse de deux ou trois pieds, sous le sable et l'argile de la riviĂšre Atsche-Ejeka, qui se jette dans la mer Blanche, prĂšs de la riviĂšre PonoĂŻ. C'est un silicate de potasse finement pulvĂ©risĂ©. Il pro- vient sans doute des dĂ©bris d'un lit schisteux que la fonte des neiges ou les pluies amĂšnent dans la vallĂ©e de l'Atsche-Bjeka, oĂč ils sont dĂ©posĂ©s en couche comme la terre Ă  porcelaine. Avec sa vieille pipe et sa goutte de liqueur assurĂ©e, le Lapon en- tretient l'incroyable indolence qui lui est naturelle. Ajoutons qu'il se montre aussi crĂ©dule et superstitieux qu'il est indolent. Les jeunes femmes possĂšdent, en Laponie,ce qu'on appelle ailleurs la beautĂ© du diable; mais en vieillissant elles enlaidissent Ă©trange- ment ; au demeurant, Ă©pouses fidĂšles et bonnes mĂšres. On les voit va- quant Ă  de rudes travaux, portant, retenu sur leur dos par une courroie, le berceau et le nourrisson. Les mĂšres sont peu fĂ©condes, et dans ees climats rigoureux la mortalitĂ© frappe cruellement les nouveau-nĂ©s; Ou peut croire que les enfants qui survivent auront la vie dure; et de fait les Lapons atteignent des Ăąges fort avancĂ©s. Reguard nous a donnĂ© nue exacte description du traĂźneau lapon Cette machine, qu'ils appellent pulea, est faite comme un petit canot, Ă©levĂ©e sur le devant pour fendre la neige avec plus de facilitĂ©. La proue n'est faite que d'une seule planche, et le corps est composĂ© de plusieurs morceaux de bois qui sont cousus ensemble avec un gros fil de rhenne sans qu'il y entre un seul clou, et qui se rĂ©unissent sur le devant Ă  un morceau de bois assez fort, qui rĂšgne tout du long, par-dessus, et qui, excĂ©dant le reste de l'ouvrage, fait le mĂȘme effet que la quille d'un vaisseau. C'est sur ce morceau de bois que le traĂźneau glisse ; et comme il n'est large que de quatre bons doigts, cette machine roule continuel- lement de cĂŽtĂ© et d'autre on se met dedans jusqu'Ă  la moitiĂ© du corps, comme dans un cercueil ; et l'on vous y lie, en sorte que vous ĂȘtes en- tiĂšrement immobile, et l'on vous laisse seulement l'usage des mains, afin que d'une vous puissiez conduire la rhenne, et de l'autre vous sou- tenir lorsque vous ĂȘtes en danger de tomber. Il faut tenir son corps dans l'Ă©quilibre ; ce qui fait qu'Ă  moins d'ĂȘtre accoutumĂ© Ă  cette maniĂšre de courir, on est souvent en danger de la vie, et principalement lorsque 92 LE POLE NORD le traĂźneau descend des rochers les plus escarpĂ©s sur lesquels vous courez d'une si horrible vitesse qu'il est impossible de se figurer la promptitude de ce mouvement, Ă  moins de l'avoir expĂ©rimentĂ©. » Le mĂȘme voyageur parle aussi de ces longues planches de bois de sapin avec lesquelles les Lapons courent d'une si extraordinaire vi- tesse, qu'il n'est point d'animal, si prompt qu'il puisse ĂȘtre, qu'ils n'at- trapent facilement, lorsque la neige est assez dure pour les soutenir ». Ces planches extrĂȘmement Ă©paisses, dit-il, sont de la longueur de deux aunes et larges d'un demi-pied; elles sont relevĂ©es en pointes sur le devant, et percĂ©es au milieu dans l'Ă©paisseur, qui est assez considĂ©- rable en cet endroit pour pouvoir y passer un cuir qui tient les pieds fermes et immobiles. Le Lapon qui est dessus tient un long bĂąton Ă  la main, oĂč, d'un cĂŽtĂ©, est attachĂ© un rond de bois, afin qu'il n'entre pas dans la neige, et de l'autre un fer pointu. Il se sert de ce bĂąton pour se donner le premier mouvement, pour se soutenir en courant, pour se conduire dans sa course, et pour s'arrĂȘter quand il veut; c'est aussi avec cette arme qu'il perce les bĂȘtes qu'il poursuit lorsqu'il en est assez prĂšs. Les femmes ne sont pas moins adroites que les hommes Ă  se servir de ces planches. Elles vont visiter leurs parents et entreprennent de cette maniĂšre les vojrages les plus difficiles et les plus longs. » Le professeur Nilsson croit que la race naine Ă  tĂȘte ronde, — dont nous entretenons prĂ©sentement nos lecteurs, — Ă©tait, Ă  l'Ăąge de la pierre taillĂ©e, plus largement rĂ©pandue dans le pays qu'elle habite qu'elle ne l'est aujourd'hui ; ce qui ne dĂ©truit pas l'opinion que les premiers habi- tants de la Scandinavie appartenaient Ă  une race Ă  tĂȘte longue semblable Ă  la race germano-gothique occupant actuellement la pĂ©ninsule. Nous avons dit que la plupart des Lapons sont chrĂ©tiens ; ceux qui sont demeurĂ©s paĂŻens se livrent Ă  des pratiques mystĂ©rieuses. Quelle est leur croyance? Parmi les dieux primitifs des Lapons, Jean Scheffer mentionne le dieu HysĂ©, dont la fonction est de commander aux ours et aux loups ; le mĂȘme auteur, dans son chapitre des CĂ©rĂ©monies ma- giques et de la magie des Lapons », fait figurer l'ours, — que les Lapons appellent le seigneur des forĂȘts, — sur le tambour magique, en compa- gnie de Thor, du Christ, du soleil et du serpent, — dieux en ce pays-lĂ , — et de quelques autres animaux, par exemple le loup et le renne. Mais ET LE POLE SUD. cette existence d'un culte des animaux chez les Lapons n'est nullement prouvĂ©e. Eu parlant des SamoyĂšdes, nous avons encore Ă  prĂ©senter Ă  nos lec- teurs un peuple d'une taille au-dessous de la moyenne. Ces nomades, riverains de la mer de Kara, sont gros et trapus. Leur teint est d'un Fig. 41. — RĂ©pression d'une Ă©meute. jaune brun, leur visage large, avec des yeux petits, un peu obliques, des pommettes saillantes, un nez dĂ©primĂ©, la bouche grande et des lĂšvres relevĂ©es; peu de barbe. Leur tĂȘte est rasĂ©e, sauf le sommet oĂč ils lais- sent pousser une touffe de cheveux. Les femmes ont parfois dans leur jeunesse une physionomie avenante; leurs cheveux, portĂ©s longs, for- ment deux tresses qu'elles laissent tomber sur les Ă©paules. Chez les SamoyĂšdes, hommes et femmes s'habillent de robes de peaux de renne et de culottes de peau. Les femmes vont la tĂȘte et le visage dĂ©couverts. Elles portent Ă  leurs oreilles des pendants de corail. 94 LE POLE NORD. Leurs robes, ouvertes par devant, sont fixĂ©es Ă  la taille au moyen d'une ceinture. Elles n'enlĂšvent point leurs vĂȘtements pour se coucher. Un mot des habitations ce sont des tentes en peau de renne, sem- blables pour la forme Ă  celles des Lapons. Les SamoyĂšdes vivent du produit de leur pĂȘche et de leur chasse, s'accommodent fort bien des baleines mortes qui viennent Ă©chouer sur leurs rivages, et ont un goĂ»t trĂšs prononcĂ© pour les liqueurs fortes. Ils se servent de traĂźneaux longs et lĂ©gers attelĂ©s de rennes ou de chiens. Ils possĂšdent des troupeaux de rennes assez nombreux. AprĂšs un naufrage mĂ©morable, le lieutenant Krusenstern et ses compagnons d'infortune, abordant aux rives de la mer de Kara sur un glaçon, furent secourus par un SamoyĂšde qui Ă©tait propriĂ©taire de plus de mille de ces animaux. Chez ce peuple, la femme occupe une trĂšs humble condition ; elle est la servante de son mari, ne mange pas avec lui, et doit se contenter de ses restes. On devine que tous les gros ouvrages de la c sant le dĂ©troit sur la glace solide encore, se rĂ©pandent sur les diverses Ăźles du labyrinthe polaire. C'est ainsi que les rennes s'avancent jus- qu'au 80e degrĂ© de latitude. Les oiseaux dĂ©passent de plusieurs degrĂ©s cette limite, et s'en vont par vols Ă©pais faire leur ponte annuelle sur les rochers des Ăźles les plus septentrionales, comme s'ils Ă©taient sĂ»rs de trouver sous le pĂŽle un climat plus doux, des eaux libres, des terres moins froides, que leur instinct leur fait deviner. Fig. 59. — Baie de IMville. Un fait certain encore, c'est que la vie animale, qui avait fait dĂ©faut Ă  l'expĂ©dition dans le sud, apparut d'une maniĂšre saisissante » Ă  Morton et Ă  son guide esquimau , lorsqu'ils eurent atteint le littoral de la mer libre. LĂ , l'eider, le canard royal, l'oie de Brent, Ă©taient si nombreux que les voyageurs en abattaient deux d'un seul coup de fusil. L'oie de Brent, dit le docteur Kane, est bien connue du voya- geur polaire comme un oiseau Ă©migrant du continent amĂ©ricain. Ainsi que ceux de la mĂȘme famille, cet oiseau se nourrit de matiĂšres vĂ©gĂ©- tales, gĂ©nĂ©ralement de plautes marines avec les mollusques qui y adhĂšrent. Il est rarement vu dans l'intĂ©rieur des terres, et ses habi- 130 LE POLE NORD tudes en font un indice de la prĂ©sence de l'eau... Les rochers Ă©taient couverts d'hirondelles de mer, oiseaux qui ne vivent qu'auprĂšs d'une eau libre, et qui y Ă©taient dĂ©jĂ  au moment de la ponte... Tous ces oi- seaux occupaient les premiers milles du canal Kennedy ; c'est le nom que prend vers sa fin le dĂ©troit de Smith depuis le commencement de l'eau libre; mais plus au nord, ils Ă©taient remplacĂ©es par des oiseaux nageurs. Les mouettes Ă©taient reprĂ©sentĂ©es par quatre espĂšces au moius. » Un peu plus avant, Morton remarqua le pĂ©trel arctique, oiseau Fig. 60. — Cap York, daiis la baie de Melville. qui n'avait pas Ă©tĂ© vu depuis que l'expĂ©dition avait quittĂ© les parages frĂ©quentĂ©s par les baleiniers anglais, Ă  plus de 200 milles au sud. Le docteur Kane fait remarquer que la nourriture du pĂ©trel, essentielle- ment marine, consiste surtout en petits poissons nommĂ©s acalĂšphes, et il ajoute Il s'attroupe rarement , exceptĂ© dans les parages frĂ©- quentĂ©s par les baleines et les plus grands animaux de l'OcĂ©an ». Sur les bords de la mer libre, des troupes de ces pĂ©trels se balançaient au-dessus de la crĂȘte des vagues, comme le font les reprĂ©sentants de la mĂȘme espĂšce dans les climats plus doux... Il est impossible, en rap- pelant les faits relatifs Ă  la dĂ©couverte d'une mer libre, — la neige fondue sur les rochers, les bandes d'oiseaux marins, la vĂ©gĂ©tation de- ET LE POLE SUD. 137 venant de plus en plus abondante, l'Ă©lĂ©vation du thermomĂštre dans l'eau, — de ne pas ĂȘtre frappĂ© de l'existence probable d'un climat plus doux vers le pĂŽle. » Morton constata que les rivages n'Ă©taient pas privĂ©s de toute vĂ©gĂ©- tation ; elle s'y montrait relativement active ; plusieurs espĂšces de fleurs, lychnis, hespĂ©ris, joubarbe, etc., s'Ă©panouissaient Ă  la lumiĂšre... La vie Fig. Cl. — Cap Alexandre. semblait rĂ©ellement renaĂźtre sous ces latitudes qui se rapprochaient du pĂŽle. Ce n'Ă©tait pas la premiĂšre fois, — nous l'avons dit, — que des navi- gateurs apercevaient des eaux navigables au nord des dĂ©troits oĂč ils s'Ă©taient engagĂ©s. Plusieurs dĂ©jĂ  avaient cru trouver la fameuse mer, objet de tant d'aspirations. Aussi les conclusions du docteur Kane fu- rent-elles timides. Rappelant les prĂ©tendues dĂ©couvertes faites par ses prĂ©dĂ©cesseurs, toutes, disait-il, ont Ă©tĂ© illusoires, bien que notĂ©es avec une parfaite CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 18 138 LE POLE NORD. bonne foi et plusieurs peuvent penser que mon observation , quoique faite sur une plus grande Ă©chelle, doit se ranger dans la mĂȘme catĂ©- gorie. Mais la mer que je me suis hasardĂ© Ă  appeler libre », a Ă©tĂ© suivie pendant nombre de milles le long de la cĂŽte , et vue d'une Ă©lĂ©- vation de 480 pieds, sans limite Ă  l'horizon et sans glaces Ă  la sur- face, — mer vĂ©ritable se soulevant et se brisant contre les rochers du rivage. » Tel Ă©tait l'Ă©tat de la question lorsque le docteur Hayes entreprit un nouveau voyage aux mĂȘmes lieux. Le plan de l'entreprise qu'il a exĂ©cutĂ©e en 1860, Hayes l'avait formĂ© Ă  l'Ă©poque oĂč il faisait partie, en qualitĂ© de chirurgien, de l'expĂ©dition de son compatriote Kane. Dans ce premier voyage, c'est lui qui avait dĂ©couvert la terre de Grinnell, faisant face, dans le dĂ©troit de Smith, au littoral d'oĂč Morton a signalĂ© une mer libre. Il espĂ©rait ouvrir assez loin parmi les glaçons une route Ă  son navire, puis, Ă  l'aide des chiens indigĂšnes, transporter sur la banquise un canot, et enfin, si pareille fortune » lui Ă©tait rĂ©servĂ©e, se lancer dans la mer libre, pour continuer sa route vers le nord. » . Convaincu, disait le docteur Hayes, que l'OcĂ©an ne peut ĂȘtre gelĂ© autour du pĂŽle nord, qu'une vaste mer libre, dont l'Ă©tendue varie selon les saisons, se trouve encadrĂ©e dans la formidable ceinture de glaces qui a dĂ©fiĂ© tant d'au- dacieux assauts, je dĂ©sirais ajouter encore aux preuves accumulĂ©es Ă  cet Ă©gard, d'abord par les anciens navigateurs hollandais et anglais, plus tard par Scoresby, Wrangel, Parry, Kane. » Le docteur Hayes retrouva ces eaux libres, — du moins Ă  ce qu'il a prĂ©tendu, — et il les contempla d'un autre point du littoral de cet ocĂ©an prĂ©sumĂ©. Parti le 4 avril 1861, en traĂźneau, il s'avança bien prĂšs du 82e degrĂ©. Le 18 mai, aprĂšs une pĂ©nible marche de quarante-six jours il arrivait Ă  la baie de lady Franklin. LĂ , il escalada une pente escarpĂ©e et se hissa sur une saillie de rochers Ă  huit cents pieds environ au-dessus de la mer. 0 bonheur! au-dessous, la mer Ă©talait sa nappe immense, bigarrĂ©e de taches blanches ou sombres, ces derniĂšres indiquant les endroits oĂč la glace Ă©tait presque dĂ©truite, ou avait entiĂšrement dis- paru ; au large, ces taches devenaient plus foncĂ©es et plus nombreuses, 140 LE POLE NORD jusqu'Ă  ce que, formant une bande d'un bleu noirĂątre, elles se confon- dissent avec la zone du ciel oĂč se reflĂ©taient leurs eaux. Les vieux et durs champs de glace dont les moins grands mesuraient Ă  peine moins d'un kilomĂštre, et les rampes massives et les dĂ©bris amoncelĂ©s qui en marquaient les bords, Ă©taient les seules parties de cette vaste Ă©ten- due qui conservassent encore la blancheur et la soliditĂ© de l'hiver. » Tout me le dĂ©montrait, ajoute le docteur Hayes, j'avais atteint les rivages du bassin polaire, l'OcĂ©an dormait Ăąmes pieds! TerminĂ©e par le promontoire qui, lĂ -bas, se dessinait sur l'horizon, cette terre que je foulais Ă©tait une grande saillie se projetant au nord, comme le SĂ©verro VostochnoĂŻ, hors de la cĂŽte opposĂ©e de SibĂ©rie. Le petit ourlet de glace qui bordait les rives s'usait rapidement. Avant un mois la mer entiĂšre, aussi libre de glaces que les eaux du nord de la baie de Baffin, ne serait obstruĂ©e que par quelque banquise flottante, errant çà et lĂ  au grĂ© des courants et de la tempĂȘte. » L'approche du printemps, le dĂ©gel rapide, obligeaient le docteur Hayes Ă  revenir en arriĂšre pour ne pas compromettre son retour aux cĂŽtes groĂ«nlandaises. Son but Ă©tait, du reste, atteint. Il avait pu hisser ses pavillons sur le point le plus septentrional oĂč l'on fĂ»t par- venu jusqu'alors dans ces rĂ©gions, et ce point Ă©tait justement baignĂ© par un ocĂ©an inconnu... Mais le navigateur quittait avec peine ces lieux. Ils exerçaient sur lui une fascination puissante Notre proximitĂ© de l'axe du globe, a-t-il Ă©crit dans sa relation, la certitude que de nos pieds nous tou- chions une mer placĂ©e bien au delĂ  des limites des dĂ©couvertes prĂ©cĂ©- dentes, les pensĂ©es qui me traversaient l'esprit en contemplant cette vaste mer qui s'Ă©tendait devant nous, l'idĂ©e que peut-ĂȘtre ces eaux ceintes de glaces baignent les rivages d'Ăźles lointaines oĂč vivent des ĂȘtres d'une race inconnue, tout cela paraissait donner je ne sais quoi de mystĂ©rieux Ă  l'air mĂȘme que nous respirions ; tout cela excitait notre curiositĂ© et fortifiait ma rĂ©solution de me lancer sur cet ocĂ©an et d'en reconnaĂźtre les limites les plus reculĂ©es. Je me rappelais toutes les gĂ©nĂ©rations de braves marins, qui, par les glaces, et malgrĂ© les glaces, ont voulu atteindre cette mer, et il me semblait que les es- prits de ces hommes hĂ©roĂŻques, dont l'expĂ©rience m'a guidĂ© jusqu'ici, ET LE POLE SUD. 141 descendaient sur moi pour m'encourager encore. Je touchais pour ainsi dire la grande et notable chose » qui avait inspirĂ© le zĂšle du hardi Frobisher j'avais accompli le rĂȘve de l'incomparable Parry! » Kane et Hayes ont proclamĂ© leur dĂ©couverte. L'un et l'autre ont publiĂ©, de leurs voyages, des relations qui ont Ă©tĂ© lues avec aviditĂ©. Le docteur Hayes n'a pas hĂ©sitĂ© Ă  intituler son livre La Mer libre du pĂŽle. Et cependant le doute est loin d'ĂȘtre dissipĂ©. Ces eaux navigables peuvent-elles conduire jusqu'au pĂŽle borĂ©al? Sont-elles exemptes de glaces en tous temps? Occupent-elles le pĂŽle lui-mĂȘme, ou baignent- Fig. C3. — DerniĂšre Ă©tape vers le Nord. elles un continent polaire auquel elles permettraient d'atteindre aisĂ©- ment? Est-il possible, enfin, dans l'Ă©tat de la science nautique, de dĂ©passer le pĂŽle sur ces eaux , pour revenir par un autre hĂ©misphĂšre dans le monde connu? En d'autres termes, le dĂ©troit qui sĂ©pare l'Asie et l'AmĂ©rique offrirait-il une issue Ă  un navire qui, entrĂ© dans les rĂ©gions arctiques entre l'AmĂ©rique et l'Europe, aurait atteint et dĂ©- passĂ© le pĂŽle? Pour savoir dĂ©finitivement Ă  quoi s'en tenir sur ces divers points, Petermann en Allemagne, le capitaine Osborn en Angleterre, Gus- tave Lambert en France , Ă©tudiĂšrent, prĂ©parĂšrent ou entreprirent mĂȘme comme l'a fait Aug. Petermann de nouvelles expĂ©ditions qui de- vaient surpasser en hardiesse toutes celles successivement tentĂ©es par tant de navigateurs audacieux. 142 LE POLE NORD On connaĂźt la fin du capitaine Lambert, tuĂ© pendant le siĂšge de Paris ; aprĂšs sa mort, l'hypothĂšse d'une mer libre au pĂŽle nord a Ă©tĂ© Ă  peu prĂšs abandonnĂ©e. Mais d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale les programmes scientifiques des expĂ©ditions futures se sont enrichis. Les exigences se multiplient les courants aĂ©riens et maritimes, la tempĂ©rature de l'eau et de l'air, la pression atmosphĂ©rique et les marĂ©es, les variations de la pesanteur, celles de la direction et de l'in- tensitĂ© des forces magnĂ©tiques, les causes des aurores horĂ©ales, la formation et le dĂ©veloppement des glaciers, et d'autres importantes lois de la physique du globe, constituent un ensemble de donnĂ©es encore assez confuses, qui ne peuvent que gagner Ă  ĂȘtre Ă©tudiĂ©es sur place. AprĂšs la dĂ©couverte rĂ©elle ou illusoire de Kane, confirmĂ©e pourtant par Hayes, d'autres expĂ©ditions se formĂšrent pour aller contrĂŽler leurs assertions. Les principales sont celle du Tegethqff et celle du Polaris, signalĂ©es par tant d'incidents dramatiques, puis en 1875 l'ex- pĂ©dition entreprise avec YAlert et la Discovery sous le commandement du capitaine Nares et les lieutenants Marhham, Aldrich et Beaumont. Le capitaine Nares affirma n'avoir trouvĂ© qu'un ocĂ©an couvert de glaces Ă©ternelles, — des hummocks, — Ă  l'endroit oĂč Kane et Hayes avaient vu une mer libre et ouverte... Lui et ses officiers ont reconnu que le rivage, Ă  la sortie du dĂ©troit de Robeson, fuyait d'un cĂŽtĂ© vers l'est, de l'autre vers l'ouest; mais devant eux se dĂ©ployait au lieu de cette mer libre depuis si longtemps cherchĂ©e et vue par Kane et Morton ainsi que par Hayes, une immense Ă©tendue, rigide et blanche agglomĂ©ration d'Ă©normes banquises sĂ©cu- laires, incessamment accrues par les neiges d'innombrables hivers, et ayant de quatre-vingts Ă  cent pieds d'Ă©paisseur. Ce plancher de glace inĂ©gal, montueux, impraticable, pressait la cĂŽte du GroĂ«nland et, aussi loin que le lieutenant Aldrich put aller, le littoral de la terre de Grant; au nord, le lieutenant Markham en reconnut la continuitĂ© jusqu'au delĂ  du 83° degrĂ©. Cette mer congelĂ©e a reçu le nom de Pa- lĂ©ocnjstique, Ă  cause de l'antiquitĂ© de ses glaces. L'Ɠil exercĂ© du physicien a reconnu Ă  ces glaces le caractĂšre qui appartient aux neiges accumulĂ©es depuis des siĂšcles sur les hauts ET LE POLE SUD. 143 sommets des Andes ou de l'Himalaya. La surface semble se renouveler tous les ans, car elle paraĂźt usĂ©e, tourmentĂ©e par l'action des Ă©tĂ©s ; mais cette action dissolvante n'atteint point la masse indestructible qui encombre ce bassin. On ne peut admettre la supposition d'une supercherie de la part de Kane et de Hayes ; ce qu'ils ont dit avoir vu ils l'ont vu rĂ©ellement. Cela Ă©tant, n'est-on pas tenu de s'efforcer de concilier les deux opinions? La bonne foi des deux explorateurs amĂ©ricains admise, il est permis de croire que cet encombrement signalĂ© par le capitaine Nares, tout en Ă©tant formĂ© de glaces Ă©ternelles, a pu ĂȘtre produit par quelque mou- vement des eaux, par une cause accidentelle, et qu'un autre accident peut disperser les bummocks de la prĂ©tendue mer PalĂ©ocrystique. Les futures explorations donneront sans doute le mot de cette Ă©nigme. Quoi qu'il en soit, Ă  l'heure prĂ©sente, il est loisible Ă  chacun d'ac- cepter sans rĂ©serve les affirmations du capitaine Nares et de ses lieu- tenants, ou de les rejeter en s'en tenant au contraire aux rĂ©vĂ©lations de Kane et de Hayes touchant la mer libre. Petermann a soutenu l'existence de la mer libre ; M. NordenskiĂŽld, dont on ne contestera certes point la compĂ©tence, a donnĂ© aussi son avis sur cette question. Il affirme que s'il y a une terre Ă  l'axe du globe, elle est improductive, mĂȘme inabordable, et que s'il existe une mer, elle est gelĂ©e et impĂ©nĂ©trable. En prĂ©sence de ces divergences, il s'est produit ce fait curieux que sur certaines cartes on voit tracĂ©e la mer polaire de Kane Ă  l'extrĂ©mitĂ© du canal Robeson, — qui fait suite au canal Kennedy ; — sur d'autres cartes, au mĂȘme lieu, sous la mĂȘme latitude on trouve indiquĂ© l'ocĂ©an PalĂ©ocrystique de Nares, avec sa banquise Ă©paisse, formĂ©e de glaçons bouleversĂ©s. Nous avons nommĂ© le Polaris. Qu'il nous soit permis, pour donner un exemple saisissant de la thĂ©orie des courants, de raconter les ter- ribles pĂ©ripĂ©ties de cette aventure des mers borĂ©ales il s'agit de quel- ques hommes de l'Ă©quipage de ce navire, qui endurĂšrent pendant plus de six mois le supplice de se trouver abandonnĂ©s, en plein OcĂ©an arc- tique, sur un glaçon en dĂ©rive. 144 LE POLE NORD Le capitaine Georges Tyson, compagnon de l'infortunĂ© Hall, — mort Ă  la veille peut-ĂȘtre de rĂ©soudre le grand problĂšme de la dĂ©couverte du pĂŽle, — Tyson se rĂ©fugia avec quelques matelots et quelques Esquimaux sur un glaçon entraĂźnĂ© par les courants et qui fondait peu Ă  peu sous les effluves des vents du sud. Voici comment la sĂ©paration d'avec le Polaris avait eu lieu Un peu au-dessus du 80e degrĂ©, ce navire pris dans les glaces se mit Ă  dĂ©river ; dĂ©livrĂ© de sa ceinture, il fut repris par les glaces et dĂ©riva de nouveau vers le sud. Le 15 octobre, au milieu d'une tempĂȘte, un cri d'alarme se fit entendre Une voie d'eau ! » En peu de temps, tout le monde fut sur la glace. On y transporta la baleiniĂšre, les bateaux, les kayaks, des armes, des vivres, tout ce qu'on pouvait sauver. C'Ă©tait une fausse alerte ; la voie d'eau n'existait pas. On remettait donc tout en ordre lorsque soudain la glace se brise avec fracas et le capitaine Tyson ainsi que plusieurs hommes de l'Ă©- quipage se trouvent sĂ©parĂ©s du Polaris. George Tyson avait autour de lui dix matelots et tous les Esquimaux du bord. En tout, dix-huit per- sonnes , dont deux femmes et cinq enfants, un de ces enfants encore Ă  la mamelle. Le Polaris restait en vue ; mais les naufragĂ©s n'avaient ni rames ni gouvernail, et ils demeuraient paralysĂ©s. Plus tard Tyson apprit que rames et gouvernail avaient Ă©tĂ© cachĂ©s par des matelots allemands qui, se voyant sĂ©parĂ©s du navire , voulaient tenter l'aventure du glaçon ils savaient que deux ans auparavant des matelots de leur pays Ă©taient demeurĂ©s pendant plusieurs mois Ă  l'est du Groenland sur un glaçon en dĂ©rive et qu'Ă  leur rentrĂ©e en Allemagne ils avaient reçu du roi Guillaume une double paye; l'appĂąt d'une rĂ©- compense incertaine les poussait donc Ă  s'exposer, eux et leurs com- pagnons, Ă  d'immenses pĂ©rils ; car il est Ă  peine croyable qu'ils en soient sortis. Tyson et ses compagnons restĂšrent six mois et demi sur un radeau de glace, Ă©puisĂ©s par le froid qui Ă©tait de 40 et 50 degrĂ©s, dĂ©vorĂ©s par la faim ils avaient gaspillĂ© les provisions, vivant des phoques que pĂ©- chaient les Esquimaux JoĂ« et Hans, d'un ours qu'ils avaient eu la chance de tuer. Un jour le glaçon s'Ă©miette, il faut passer sur un autre glaçon. Les malheureux s'abritaient comme ils pouvaient sous des ET LE POLE SUD. 145 huttes de neige, en proie Ă  tontes sortes de souffrances. Tyson fut sou- tenu par le dĂ©vouement sans bornes des Esquimaux, dont les Alle- mands indisciplinĂ©s avaient tout d'abord jurĂ© la perte. Dans ces conjonctures NoĂ«l arrive. Au milieu de ces Ă©preuves, l'Ăąme de Tyson, de cet ancien harponneur, s'est Ă©levĂ©e, son langage mĂȘme Fig. 64. — Hivernage du Polai is. s'ennoblit La NoĂ«l! Ă©crit-il avec attendrissement dans son livre de bord, tout le monde chrĂ©tien cĂ©lĂšbre la naissance du Sauveur; nous ferons comme les autres. Un peu de joie pĂ©nĂ©trera encore une fois dans notre monde de glace, de froid, d'orages, de faim et de tĂ©nĂšbres. Nous sentons bien que Dieu ne nous a pas abandonnĂ©s, nous sommes encore ses enfants, il veille sur nous aussi bien que sur ceux qui habi- tent les villes et les plus somptueuses demeures. » Tyson tenait en rĂ©- serve un dernier jambon, il le sortit de sa cachette. Chaque homme en CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 19 146 LE POLE NORD eut un morceau gelĂ©, avec deux biscuits et quelques pommes tapĂ©es; le saug d'un phoque fournit la boisson. La nuit continuelle des rĂ©gions polaires aggravait les maux et aug- mentait l'irritation de tous ; Tyson craignit plus d'une fois une rĂ©volte, une collision sanglante. Enfin le soleil reparut et le froid diminua. Mais alors survint un autre danger le glaçon sur lequel les marins du Polaris Ă©taient rĂ©fugiĂ©s se dĂ©sagrĂ©gea, et le 2 avril il se brisa en mor- ceaux ; heureusement il leur restait une embarcation grĂące Ă  laquelle on transborda tout le monde sur un autre glaçon. Enfin, le 28 avril, un bateau Ă  vapeur passe au loin en vue des nau- fragĂ©s. Le 29 ils en voient un autre. Celui-lĂ , Ă  n'en pas douter, se dirige de leur cĂŽtĂ© ; ils crient, ils tirent des coups de fusil, enfin ils sont aperçus. Ce navire libĂ©rateur Ă©tait le baleinier Ă  vapeur la Tigresse. Quelle joie! quelles actions de grĂąces! Le 5 mai 1873, dit Tyson, le dimanche, nous entendĂźmes le service divin que le capitaine lut Ă  haute voix Ă  son Ă©quipage qui l'Ă©coutait avec respect. Il y avait pour moi un dĂ©licieux rafraĂźchissement de l'Ăąme Ă  entendre de nouveau ces vieilles et grandes priĂšres de l'Eglise. » Nous arrivons Ă  l'examen des observations physiques recueillies par les explorateurs, et qui servent de base aux thĂ©ories sur lesquelles s'Ă©- difient toutes les entreprises qu'on pourra projeter. Ces observations portent sur le plus ou moins d'intensitĂ© du froid et sur la chaleur que donne le soleil ; sur les courants et particuliĂšrement sur le courant nommĂ© gulf-stream. Il paraĂźt dĂ©montrĂ© que les pĂŽles ne sont pas les points les plus froids du globe. En ce qui concerne le pĂŽle arctique, des observations ther- momĂ©triques dĂ©terminent deux et mĂȘme trois pĂŽles du froid situĂ©s, croit-on, daus le nord du Groenland, prĂšs de la Nouvelle-Zemble, et dans les environs du dĂ©troit de Behring. Ces positions varient, du reste, suivant les saisons. Mais ce qui est significatif, c'est que le froid ne va pas en augmentant Ă  mesure qu'on s'achemine vers le nord. Les natu- rels de la baie de Baffin donnent aux rĂ©gions situĂ©es au sud le nom de pays des glaces et des neiges », et la moyenne de tempĂ©rature notĂ©e par les navigateurs est tout Ă  l'avantage des latitudes les plus septeu- ET LE POLE SUD. 147 trionales. Les animaux, ou l'a vu dans ce qui prĂ©cĂšde, vout, Ă  l'approche de l'hiver, y chercher un climat moins Ăąpre, et ou sait que leur instinct est infaillible. Les rennes s'avancent jusqu'au 80e degrĂ©, les oiseaux le dĂ©passent oies sauvages, mouettes, eider-ducks, Ă©migrent par bandes et c'est dans les rochers des Ăźles du nord qu'ils vont faire leur ponte annuelle. A mesure, aussi, que l'on s'avauce plus prĂšs du pĂŽle, la deusitĂ© de l'air diminue. Diverses explications de ce fait ont Ă©tĂ© donnĂ©es. Le Com- modore Maury attribue les causes de cette rarĂ©faction de l'air et la direction moyenne des vents vers le nord au dĂ©gagement des vapeurs produites par l'Ă©mersion d'un puissant courant sous-marin, capable de faire affluer au pĂŽle des eaux d'une tempĂ©rature Ă©levĂ©e. Lorsque le vent souffle du nord, — et c'est sa direction constante au printemps, — l'atmosphĂšre s'adoucit beaucoup. Ces vents favorisent le dĂ©gel et viennent donner aux rĂ©gions arctiques quelques beaux jours. Il est impossible de ne pas admettre qu'ils se sont Ă©chauffĂ©s par leur passage au-dessus de terres ou d'eaux d'une tempĂ©rature sensiblement plus Ă©levĂ©e que celle des rĂ©gions polaires moins septentrionales. L'encombremeut des mers par la glace provieut de la congĂ©lation de leurs eaux, de la neige qui tombe eu abondance dĂšs la fin d'aoĂ»t et des masses qui se dĂ©tachent des glaciers du rivage. L'eau se congĂšle ou se transforme en un corps solide Ă  la tempĂ©rature de zĂ©ro, quand elle est calme et pure. ChargĂ©e de sel, elle ne se fige qu'Ă  des tempĂ©ratures infĂ©- rieures, qui peuvent mĂȘme aller jusqu'Ă  15 degrĂ©s au-dessous de zĂ©ro dans l'extrĂȘme saturation. Pendant l'hiver les champs de glace que le dĂ©gel a disloquĂ©s, mais n'a pu faire disparaĂźtre totalement, sont res- soudĂ©s entre eux par la glace nouvelle. C'est la glace de formation rĂ©- cente qui, chaque annĂ©e, cĂšde la premiĂšre sous les influences du soleil et des courants tempĂ©rĂ©s. On peut admettre, a dit le docteur Hayes, que la surface seule de l'eau se rĂ©frigĂšre assez pour se changer en glace ; et que, lorsqu'elle est agitĂ©e par les vents les particules refroidies au contact de l'air se mĂȘlent dans le roulis des vagues, avec les eaux plus chaudes des couches infĂ©- rieures. Aussi la glace ne se forme-t-elle que dans les endroits abritĂ©s, dans les baies, oĂč le fond est assez Ă©levĂ© et le courant assez peu actif 148 LE POLE NORD. pour ne mettre aucun obstacle Ă  l'action de la tempĂ©rature extĂ©rieure, ou bien encore, lorsque l'atmosphĂšre est uniformĂ©ment calme, circons- tance assez rare du reste, les vents se dĂ©chaĂźnant avec autant de vio- lence sur la mer polaire que dans toute autre rĂ©gion du globe. Les glaces ne peuvent donc couvrir qu'une petite partie de l'OcĂ©an arctique et n'existent que dans les lieux oĂč la terre les protĂšge et les entretient. La banquise s'attache aux cĂŽtes de SibĂ©rie , et, franchissant le dĂ©troit de Behring, elle presse les rivages de l'AmĂ©rique, engorge les canaux Ă©troits de l'archipel de Parry, par oĂč les eaux polaires s'Ă©coulent dans la baie de Baffin, traverse cette mer, suit les bords du Groenland, at- teint ceux du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble, investissant ainsi le pĂŽle d'un rempart continu de glaces adhĂ©rentes Ă  la terre, plus ou moins disloquĂ©es en hiver comme en Ă©tĂ©, et dont les dĂ©bris, flottant çà et lĂ , sans laisser jamais entre eux de passes bien Ă©tendues, forment une barriĂšre que n'ont pas encore pu forcer toute la science et l'Ă©nergie de l'homme. » Quelle peut ĂȘtre l'action du soleil sur la glace pendant cette longue journĂ©e de l'Ă©tĂ© durant laquelle il reste au-dessus de l'horizon? On l'a, croyons-nous, exagĂ©rĂ©e, en affirmant qu'elle a assez de puissance pour produire la fusion des masses glacĂ©es amoncelĂ©es par les hivers. Des physiciens qui ont Ă©tudiĂ© avec soin les lois de l'insolation, semblent trop compter sur ses effets bienfaisants. On leur a objectĂ©, avec raison, que des champs de glace d'une trĂšs grande Ă©paisseur ne peuvent ĂȘtre sensiblement influencĂ©s par l'action du soleil ; que si la Polynia des Pusses eu particulier n'a d'autre existence que par l'application de ces lois, certaines parties des mers polaires devraient jouir du mĂȘme bĂ©- nĂ©fice et offrir aussi de grands espaces d'eau libre, attendu que le so- leil a une action Ă©gale partout. Bien plus, au nord des continents d'Asie et d'AmĂ©rique, les glaces sont maintenues immobiles ; la banquise prĂ©- sente partout aux navigateurs un obstacle impĂ©nĂ©trable ; tandis qu'au nord du Spitzberg et Ă  l'est du Groenland, les courants, par leur direc- tion constante vers le sud, facilitent puissamment la dĂ©rive des glaces. Le commodore Maury, — qui s'est montrĂ© fermement partisan d'une mer libre au pĂŽle, — explique ainsi qu'il suit le phĂ©nomĂšne dont nous parlons m m 150 LE POLE NORD IndĂ©pendamment, dit-il, de la dĂ©rive gĂ©nĂ©rale des glaces vers le sud, ce que les baleiniers nomment la glace du milieu middle-ice, dans la baie de Baffin, prouve qu'il y a chaque hiver une dĂ©rive spĂ©ciale de glaces qui descendent de l'ocĂ©an arctique. La glace du milieu est la derniĂšre qui cĂšde Ă  la chaleur de l'Ă©tĂ©, parce que, venant du nord, elle est pins compacte que les glaces formĂ©es des deux cĂŽtĂ©s du littoral, dans la baie de Baffin et le dĂ©troit de Davis. Cette bande de glaces, longue de mille milles environ 300 lieues, qui, l'hiver, descend du nord, doit ĂȘtre sĂ©parĂ©e d'une masse principale ; il y a donc de l'eau qui la transporte et cette eau libre, beaucoup d'autres raisons nous engagent Ă  le croire, ne doit pas ĂȘtre Ă©loignĂ©e de l'extrĂ©mitĂ© nord des dĂ©troits qui conduisent de la baie de Baffin Ă  la mer polaire. » Qu'on nous permette de dire quelques mots des courants. Les inĂ©galitĂ©s de tempĂ©rature observĂ©es dans les rĂ©gions arctiques trouvent une explication plausible dans la prĂ©sence ou l'absence d'un courant froid et d'un courant chaud. L'existence de ces courants est un fait incontestable. L'un, divisĂ© en deux branches principales, monte au nord c'est le courant chaud. L'autre descend du pĂŽle et ses eaux sont Ă  une tempĂ©rature extrĂȘmement basse. Lorsque William Barentz cher- chait, au seiziĂšme siĂšcle, un passage au nord de l'Asie pour aller aux Indes, il fut trĂšs surpris, Ă©tant Ă  la Nouvelle-Zemble, de voir, au com- mencement de l'hiver, les glaces se dĂ©tacher du littoral et dĂ©river vers le nord. YoilĂ  une preuve de l'action des courants. Les voyages modernes en fournissent une autre l'un des bĂątiments de l'escadre de sir Ed. Belcher, la Resolute, abandonnĂ© en mai 1854, prĂšs de l'Ăźle Byam-Martin, tout Ă  fait au nord du labyrinthe formĂ© par les nombreuses terres arctiques situĂ©es au delĂ  de la mer de Baffin, fut rencontrĂ© au printemps suivant dans les eaux du Canada, en parfait Ă©tat de conservation. Cette thĂ©orie des courants de la mer, si largement Ă©tu- diĂ©e en ce siĂšcle, et qui doit tant au commodore Maury, est aujourd'hui assez certaine pour qu'on puisse admirer dans le tableau d'une double circulation de l'OcĂ©an, l'une des lois les plus merveilleuses de la cons- titution physique du globe. Une puissante artĂšre va porter les eaux de la zone tropicale au pĂŽle glacĂ© c'est le gulf-stream. En retour, par le dĂ©troit de Davis, un cou- ET LE POLE SUD. 151 vaut hyperborĂ©en, s'alimentant Ă  de puissantes sources, descend du pĂŽle et vient rafraĂźchir l'Atlantique. Aux eaux des grands fleuves asiatiques et amĂ©ricains, suspendus en hiver et qui reprennent leur cours quand le dĂ©gel arrive, se mĂȘlent les fontes de neiges abondamment produites par les vapeurs atmosphĂ©riques sans cesse en voie de prĂ©cipitation sous l'influence du froid. Il y a cette diffĂ©rence entre les courants chauds et le courant glacĂ©, que l'action des premiers est permanente, tandis que celle de l'autre a lieu pĂ©riodiquement Ă  la fin de chaque hiver. Fig. 66. — Embarquement de l'expĂ©dition Ăźle Barcntz. Il est permis de supposer que la majeure partie des eaux du courant chaud ne se refroidit pas jusqu'au point de congĂ©lation, et que, dans les profondeurs du bassin polaire , une masse Ă©norme d'eau tempĂ©rĂ©e doit fournir Ă  la rĂ©gion qu'elle occupe une chaleur bien plus Ă©levĂ©e que celle qui lui serait propre. Les eaux du gulf-stream, dont la tempĂ©rature ini- tiale est de 30 degrĂ©s au-dessus de zĂ©ro, doivent conserver, en arrivant au point oĂč elles Ă©mergent et s'arrĂȘtent un moment, une chaleur d'au moins 0 degrĂ© centigrade. Mais quel est ce courant assez puissant pour porter jusqu'au pĂŽle la chaleur et la vie? Le commodore Maury l'a ainsi dĂ©crit dans sa GĂ©ogra- 152 LE POLE NORD phie physique Le volume des eaux de ce courant reste invariable... Il n'a pas moins de 3,000 pieds de profondeur et 60,000 de largeur ; sa vitesse dans les dĂ©troits de la Floride est de 4 milles Ă  l'heure... Si la chaleur transportĂ©e par ce prodigieux courant pouvait ĂȘtre utilisĂ©e, elle serait suffisante pour maintenir en constante activitĂ© un fourneau cy- elopĂ©en, capable de donner un courant de fer fondu d'un volume Ă©gal Ă  celui du pins grand fleuve... La vie pullule dans les tiĂšdes eaux du gulf- stream, qui portent jusque sur nos riviĂšres des milliers d'animalcules phosphorescents. Aussi, dans les nuits orageuses, le grand courant appa- raĂźt-il lumineux sur la sombre mer, y traçant comme une voie lactĂ©e, plus Ă©tincelante que celle qui Ă©claire la voĂ»te cĂ©leste... Le gulf-stream est un fleuve au milieu de l'OcĂ©an le volume de ses eaux est Ă  lui seul plus considĂ©rable que celui de tous les fleuves du globe rĂ©unis. Son lit et ses rives sont d'eau froide, sa couleur est d'un bleu sombre et aisĂ©- ment on le distingue des eaux qui le bordent. » En effet, dans certains parages la ligue de sĂ©paration des rives du fleuve est si nettement tranchĂ©e qu'on peut voir, Ă  mer calme, les eaux bleues du courant jaillir sous l'avant d'un navire, tandis que l'arriĂšre est encore dans les eaux vertes de la mei\Sa surface mĂȘme, enflĂ©e dans son milieu, s'Ă©lĂšve au-dessus du niveau des eaux environnantes. Plusieurs thĂ©ories expliquent la marche du gulf-stream. Voici la plus accrĂ©ditĂ©e. Les eaux glacĂ©es des rĂ©gions du pĂŽle austral sont sans cesse dĂ©versĂ©es dans l'OcĂ©an et forment un courant qui vient se heurter contre la cĂŽte ouest de l'AmĂ©rique mĂ©ridionale. Il longe le littoral du Chili et du PĂ©rou, puis s'inflĂ©chit dans une direction occidentale Ă  travers l'ocĂ©an Pacifique. Il baigne alors l'Australie, pĂ©nĂštre dans la mer des Indes, dĂ©passe le cap de Bonne-EspĂ©rance , et, traversant l'Atlantique, entre dans le golfe du Mexique. La circulation du courant, un moment ralentie, prend une Ă©nergie nouvelle par la pression qu'il Ă©j^rouve dans les limites Ă©troites oĂč il se trouve enserrĂ©. Quand il rentre dans l'Atlantique, le gulf-stream poursuit sa route vers le nord, longe les cĂŽtes occidentales des deux Bretagnes, de l'Irlande et de la NorvĂšge, dotant les rivages qu'il baigne d'un climat plus doux que celui des mĂȘmes latitudes. Entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, le gulf-stream rencontre les eaux glacĂ©es qui ET LE POLE SUD. 153 descendent du pĂŽle et il se divise en deux branches dont l'une con- tourne le cap Nord, et l'autre, prenant une direction pins borĂ©ale, va baigner la cĂŽte ouest du Spitzberg. C'est grĂące Ă  l'influence du gulf-stream que certaines rĂ©gions arc- tiques jouissent de tempĂ©ratures plus Ă©levĂ©es que celles de leur lati- tude. C'est ainsi que l'hiver est relativement fort doux aux Ăźles Bear ou Cherry; qu'il y pleut mĂȘme au mois de dĂ©cembre, taudis que, sous Fig. 67. — Icebergs Ă  la dĂ©rive. le mĂȘme parallĂšle, Ă  l'Ăźle Melville, par exemple, le mercure reste gelĂ© pendant plusieurs mois. La tempĂ©rature de la mer sur les cĂŽtes du Spitzberg n'est infĂ©rieure, Ă  profondeur Ă©gale, que d'un demi-degrĂ© Ă  celle des eaux qui baignent les Antilles, tandis que sur le littoral du Labrador, qui est longĂ© par le courant glacĂ© descendant du nord, le refroidissement de l'eau est de 4 degrĂ©s au-dessous de zĂ©ro. Les navigateurs, on le sait, rencontrent de grandes montagnes de glace sur les cĂŽtes du Groenland et du Labrador. Telle de ces mon- tagnes a un volume de plusieurs millions de pieds cubes et atteindrait une hauteur de mille pieds au-dessus du niveau du sol. La cause pre- CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 2U 154 LE POLE NORD. miĂšre de la formation de ces montagnes de glace se rattache Ă  l'exis- tence des prodigieux glaciers qui, sur les cĂŽtes du Groenland, des- cendent jusque dans la mer. Cependant les blocs qui se dĂ©tachent des glaciers ne forment que le noyau des icebergs un bloc dĂ©tachĂ© plonge par sa base jusque dans une couche d'eau refroidie au-dessous du point de congĂ©lation, et, par ce contact avec de la glace toute faite, l'eau passe Ă  l'Ă©tat solide. Le bloc ne cesse de s'accroĂźtre ainsi dans sa course vagabonde et finit par devenir une de ces monstrueuses mon- tagnes de glace qui Ă©pouvantent les navigateurs dans l'ocĂ©an Atlan- tique , jusque sous une latitude trĂšs avancĂ©e vers le sud. Le Spitzberg, bien qu'il possĂšde aussi d'Ă©normes glaciers, ne nous offre jamais de montagnes de glace qui se puissent comparer mĂȘme de loin Ă  celles du Groenland. C'est que les cĂŽtes du Spitzberg sont baignĂ©es jusqu'Ă  une latitude de 80 degrĂ©s par les eaux encore tiĂšdes du gulf-stream , et non point, comme les cĂŽtes du Groenland, par un courant froid originaire du nord. De lĂ  vient que l'on ne rencontre pas souvent dans les mers qui entourent le Spitzberg une couche d'eau trĂšs froide, et les noyaux qui se dĂ©tachent des glaciers ne tombent point dans un milieu favorable Ă  leur accroissement. Le gulf-stream atteint-il comme limite extrĂȘme de sa course le pĂŽle borĂ©al? C'est ce que les observations qui prĂ©cĂšdent permettent de supposer. Mais enfin la vĂ©rification de cette hypothĂšse probable n'a pas encore Ă©tĂ© faite. On n'est pas fixĂ© non plus sur l'importance du courant chaud du grand OcĂ©an qui , remontant le long des cĂŽtes orien- tales du Japon, franchit l'Ă©troit espace qui sĂ©pare l'Asie et l'AmĂ©rique. Les uns pensent qu'arrivĂ© air dĂ©troit de Behring aprĂšs s'ĂȘtre brisĂ© sur la chaĂźne des Ăźles AlĂ©outiennes, il ne porte Ă  travers le dĂ©troit qu'un volume d'eau trĂšs diminuĂ©. D'autres croient, au contraire, que franchissant plein de force le dĂ©troit, il n'est pas mĂȘme arrĂȘtĂ© par les glaces, qu'il plonge et disparaĂźt sous leur voĂ»te Ă©paisse, et que s'inflĂ©chissant de plus en plus Ă  l'est, il va mĂȘler ses eaux refroidies au grand courant de surface qui descend par le dĂ©troit de Davis dans les latitudes mĂ©ridionales. Il appartient aux futurs explorateurs de fixer la valeur de ces donnĂ©es. VI. Les anciennes et les futures explorations. — Les trois routes du pĂŽle. — Le dĂ©troit de Smith, — Le dĂ©troit de Behring. — Entre le Groenland et la Nouvelle-Zemble. — L'expĂ©dition allemande. — Le capitaine Nares. — L'expĂ©dition autrichienne. — Les projets de Gustave Lambert. — Coup d'Ɠil rĂ©trospectif. — Wrarigel et sa mer libre. — Avenir des expĂ©ditions futures. — CrĂ©ation de stations fixes pour le ravitaillement des navires. — ExpĂ©dition du lieutenant Sclnvatka. Les voyages de Kane, de Hayes, du capitaine Nares, au nord du dĂ©troit de Smith, de Weyprecht et Jules Payer dans les eaux de la Nouvelle-Zemble, ont prodigieusement agrandi nos connaissances sur la configuration des terres et des mers arctiques situĂ©es au nord de la mer de Baffin, c'est-Ă -dire aux limites extrĂȘmes du continent amĂ©- ricain, et au nord de l'Europe. Dans l'autre hĂ©misphĂšre, un de leurs Ă©mules, le capitaine amĂ©ricain Long, commandant le baleinier le Nil, entrĂ© par le dĂ©troit de Behring dans l'ocĂ©an Glacial, au mois d'aoĂ»t 1807, prĂ©tend avoir reconnu, Ă  environ soixante- dix milles au nord du cap Yakan, une vaste terre couverte de verdure oĂč se jouaient des morses et des phoques ». L'amiral Kellet fut le premier homme blanc qui vit cette terre, — en 1849. Le capitaine Long avait recommandĂ© instamment le choix du dĂ©troit de Behring pour une expĂ©dition au pĂŽle. Cette voie a Ă©tĂ© suivie par l'expĂ©dition envoyĂ©e par sir Gordon Bennet dans les mers arctiques. La Jeannette dont l'objectif principal Ă©tait la terre de Wran- gel ou celle de Kellet n'a pas rĂ©ussi dans son entreprise. On se rappelle que ce navire, broyĂ© dans les glaces, a Ă©tĂ© abandonnĂ© par son Ă©quipage, dont une partie a pĂ©ri misĂ©rablement sur les cĂŽtes de la SibĂ©rie. Enfin, une troisiĂšme route, celle qui pourrait permettre de s'Ă©lever 156 LE POLE NORD. au nord dans le large espace qui s'Ă©tend entre le Groenland et la Nou- velle-Zemble, a Ă©tĂ© aussi Ă©tudiĂ©e par Auguste Petermann. Longtemps, le savant gĂ©ographe allemand mĂ©dita l'exĂ©cution de ce voyage. Il s'Ă©tait dĂ©cidĂ© pour la voie du Spitzberg, en se fondant surtout sur la tentative faite en 1827 par le capitaine Parry, tentative qui fit con- cevoir tant d'espĂ©rances sur la solution de la question dont nous nous occupons. La pointe la plus avancĂ©e du Spitzberg vers le pĂŽle, le cap Hakluyt, n'est qu'Ă  600 milles environ du pĂŽle. L'expĂ©dition allemande partit de Bergen, en NorvĂšge, au mois de mai de l'annĂ©e 1869. Le navire la Germania Ă©tait un bĂątiment Ă  vapeur jaugeant 90 ton- neaux, ayant un Ă©quipage composĂ© d'une quinzaine de marins brĂȘmois. Ce n'est certes pas le manque de prĂ©voyance qui a fait Ă©chouer l'en- treprise tout avait Ă©tĂ© sagement administrĂ©. Mais cette annĂ©e-lĂ , les parages du Spitzberg et du Groenland se montrĂšrent exceptionnelle- ment dĂ©favorables Ă  la navigation. La mer se trouva fermĂ©e par une barriĂšre de glace infranchissable, et la Germania ne put atteindre que le 81e degrĂ© 5 minutes. Cette latitude n'avait, du reste, Ă©tĂ© dĂ©- passĂ©e jusque-lĂ  que daus la tentative faite en traĂźneaux par Edouard Parry. Le 10 octobre la Germania rentrait au port de BrĂšme. La Hansa, envoyĂ©e aussi par M. Petermann sur la cĂŽte orientale du GroĂ«nland, rencontra des difficultĂ©s du mĂŽme genre. Depuis, Hall, en septembre 1871, en longeant la cĂŽte occidentale du GroĂ«nland , n'a dĂ©passĂ© le 82e degrĂ© que de quelques minutes ; de mĂȘme Payer et Weyprecht, en avril 1874, au nord de la Nouvelle- Zemble, dans le voyage qui leur fit dĂ©couvrir la terre Ă  laquelle ils ont donnĂ© le nom de François-Joseph. Le capitaine Nares en s'avan- çant en traĂźneaux Ă  l'imitation de Parry est arrivĂ© si prĂšs du pĂŽle nord qu'il n'avait plus que 170 lieues environ Ă  parcourir pour l'attein- dre. On est infiniment moins avancĂ© du cĂŽtĂ© du pĂŽle sud oĂč les glaces forment des amoncellements bien autrement considĂ©rables ; lĂ , on n'a pas encore franchi le 78e degrĂ©; 300 lieues sĂ©parent donc de l'axe terrestre les rĂ©gions connues de l'extrĂ©mitĂ© mĂ©ridionale du globe. Rappelons briĂšvement les conditions dans lesquelles le capitaine Lambert voulait accomplir son expĂ©dition. 158 LE POLE NORD Gustave Lambert, persuadĂ© que le plus graud danger de la navi- gation dans les mers arctiques est créé par les montagnes de glace flottantes qui peuvent Ă  tout moment broyer un navire, avait choisi une autre voie que celle des dĂ©troits du nord de l'AmĂ©rique. Les icebergs se formant aux bords des cĂŽtes, le capitaine Lambert for- mulait cet axiome Fuir les terres. » Le dĂ©troit de Behring, par Fig. C9. — HĂ©sidence d'automne de Sclmvtka sur la terre du roi Guillaume. oĂč il voulait pĂ©nĂ©trer dans la mer polaire, lui permettait, croyait-il, de se tenir Ă©loignĂ© de tout rivage. L'expĂ©dition de la Jeannette et, si l'on veut, celle du Rodgers, — navire envoyĂ© Ă  la recherche de la Jeannette, — n'ont pas rĂ©alisĂ© les espĂ©rances du capitaine Lambert. Il convient de dire cependant que les marins du Rodgers ont visitĂ© pour la premiĂšre fois la terre de Wrangel c'est ainsi qu'on avance toujours plus vers le point central. Le capitaine Lambert se faisait Ă©videmment illusion sur cet espace d'eaux libres que les Russes ont appelĂ© Polynia; c'Ă©tait, selon lui, ET LE POLE SUD. 159 l'un des chemins du pĂŽle. Notre regrettĂ© compatriote plaçait son projet sous la protection d'un grand nom, en affirmant que Cook avait indiquĂ© le dĂ©troit de Behring comme la vĂ©ritable route du pĂŽle nord et que la mort empĂȘcha seule l'illustre navigateur de changer cette hypothĂšse en certitude. En jetant un rapide coup d'oeil sur les principales tentatives faites pig. 70. — RĂ©sidence d'Ă©tĂ© de Sohwatka. jusqu'ici, et eu rĂ©unissant les observations recueillies, nous avons essayĂ© d'Ă©tablir quelles conditions de succĂšs sont offertes aux promo- teurs d'entreprises nouvelles. Mais combien on perd de temps Ă  chaque expĂ©dition nouvelle Ă  refaire une route dĂ©jĂ  faite tant de fois, Ă  poursuivre un but dĂ©jĂ  atteint; que de fatigues et quel mauvais emploi des forces! C'est souvent Ă  l'Ă©tat d'Ă©puisement que l'on entreprend de pousser plus loin cette recherche fiĂ©vreuse que les devanciers ont abandonnĂ©e malgrĂ© 160 LE POLE NORD. eux, et qu'oĂč abaudouuera soi-mĂȘme aprĂšs avoir poussĂ© uu peu plus avaut la solution des problĂšmes... Mais Ă  peiue est-on arrivĂ© qu'il faut songer Ă  se mĂ©nager la possibilitĂ© du retour. C'est cette prĂ©occupation qui est fatale. S'il existait Ă  proximitĂ© des rĂ©gions encore iuconnues du pĂŽle un ou plusieurs Ă©tablissements fixes pouvant servir de bases d'opĂ©ration, les expĂ©ditions se perpĂ©tueraient pour ainsi dire et l'Ă©uergie des liommes de bonne volontĂ© donnerait des rĂ©sultats chaque jour plus marquĂ©s. On a doue songĂ© Ă  Ă©tablir sur tous les points oĂč l'on est dĂ©jĂ  parvenu, sur ceux du moins oĂč il est sinon facile, du moins possible de parvenir, des stations, des postes Ă  demeure, au cap ShĂ©ridan par exemple, et encore au Spitzberg. De la sorte, la recherche se dĂ©dou- blerait; et en se dĂ©doublant les chances de succĂšs s'accroĂźtraient singuliĂšrement. Des navires partiront sans cesse des ports- de l'Eu- rope et de l'AmĂ©rique et ravitailleront ces postes ; ils renouvelleront les instruments de toute sorte et de toute nature, les barques, les traĂźneaux, les chiens pour les mener; ils amĂšneront des marins, des savants, appelĂ©s Ă  remplacer les hommes Ă©puisĂ©s par la rigueur du climat, dĂ©couragĂ©s ou saisis de la nostalgie de la lumiĂšre et de la chaleur, et ces hommes nouveaux, poursuivant avec des ressources inĂ©puisables les explorations commencĂ©es, avanceront sĂ»rement sans trop de mĂ©comptes; chaque annĂ©e marquera une Ă©tape, peut-ĂȘtre un succĂšs ; avec le temps, les stations se multipliant, le pĂŽle sera comme cernĂ©, bloquĂ©, et enfin conquis. On s'avancera d'un cĂŽtĂ© par les dĂ©troits de Smith, de Kennedy et de Robeson, — qui se font suite, — de l'autre par la rive occidentale du Groenland ; ici par le Spitzberg et la terre François-Joseph; lĂ  par la Nouvelle-Zemble; le dĂ©troit de Behring ouvrira lui-mĂȘme sans doute ses champs de glaces impĂ©nĂ©trables. La bonne direction donnĂ©e Ă  son entreprise par le lieutenant Schwat- ka, lors de sa recherche, sur le littoral du Groenland, d'indications * propres Ă  nous fixer dĂ©finitivement sur le sort des compagnons du capi- taine Franklin, accusent un progrĂšs notable et de bon augure dans la science des voyages aux rĂ©gions polaires." A7 IL Le pĂŽle austral. — Sa ressemblance physique avec le pĂŽle borĂ©al . — Point par lequel il diffĂšre essentiellement. — Dumont-d'Urville. — Sir James Ross. — Les volcans ce Erebus » et ce Terror ». — Les deux Ɠ glaciĂšres » des pĂŽles et le futur dĂ©luge . Le pĂŽle austral a de si nombreuses ressemblances avec le pĂŽle bo- rĂ©al qu'il doit trouver sa place ici si nous ne voulons pas nous exposer Ă  rĂ©pĂ©ter ce que nous avons dit sur la nuit polaire, le froid, les glaces, et surtout ces tempĂȘtes durant lesquelles les vagues s'Ă©lĂšvent Ă  une hau- teur effrayante , dĂ©ferlant par-dessus les montagnes de glace les plus hautes, prĂ©cipitant et brisant ces masses Ă©normes l'une contre l'autre, puis les engloutissant sous une couche Ă©paisse d'Ă©cume blanche pour les lancer de nouveau dans l'air et les choquer sans rĂ©pit avec une vio- lence Ă©pouvantable. Il y a pourtant une diffĂ©rence essentielle entre les deux pĂŽles, c'est qu'on ne connaĂźt aucun habitant dans les terres du pĂŽle sud. Ni Cook, ni les baleiniers, ni Charles Enderby, ni le lieutenant Wilkes, de la marine amĂ©ricaine, ni le capitaine Dumont-d'Urville , ni, aprĂšs lui, James Ross, — qui, le premier, s'est avancĂ© au delĂ  des limites de la vie vĂ©gĂ©tale, — n'ont signalĂ© d'indigĂšnes sur les terres qu'ils ont dĂ©- couvertes. Le danger qu'on court Ă  reconnaĂźtre une cĂŽte, dans ces mers in- connues et glacĂ©es, est si grand, disait le capitaine Cook dans la rela- tion de son deuxiĂšme voyage, que j'ose avancer que personne ne se hasardera jamais Ă  aller plus loin que moi, et que les terres situĂ©es tout Ă  fait au sud, — s'il y en a, — ne seront jamais reconnues. Les brumes y sont trop Ă©paisses, les tourmentes de neige trop frĂ©quentes, le froid trop aigu, tous les dangers de la navigation trop multipliĂ©s. L'aspect CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 21 LE POLE SUD. 133 des cĂŽtes, plus horrible qu'on ne peut l'imaginer, accroĂźt encore ces dif- ficultĂ©s. Ces rĂ©gions sont condamnĂ©es par la nature Ă  ne jamais sentir la chaleur des rayons du soleil et Ă  rester ensevelies sous d'Ă©ternels frimas. » Le sillage des navires de Cook a nĂ©anmoins laissĂ© une trace que d'au- tres explorateurs ont suivie. Le drapeau de la France a Ă©tĂ© plantĂ© sur les terres antarctiques par notre illustre Dumont-d'Urville. Le capitaine Cook, dont les travaux sont venus en aide Ă  ses Ă©mules, n'avait rien exaerĂ©rĂ©. Dumont-d'Urville a racontĂ© toutes les difficultĂ©s qu'il a vues surgir devant lui les Ăźles de glace, falaises dangereuses ne pouvant qu'entraĂźner Ă  sa perte le navire qui fĂ»t venu un seul instant y chercher un abri contre le vent, des murailles droites dĂ©passant de beaucoup la mĂąture des deux bĂątiments de l'expĂ©dition il fallait s'y aventurer comme dans les rues Ă©troites d'une ville de gĂ©ants, ville ruinĂ©e aux toits surplombants. Dans l'Ă©paisseur de ces glaces la mer s'engouffrait avec fracas dans de vastes cavernes ; mais comme dĂ©dom- magement le soleil d'Ă©tĂ© dardait ses rayons obliques sur d'immenses parois de glace, semblables Ă  du cristal, produisant des effets d'ombre et de lumiĂšre vraiment magiques et saisissants. MalgrĂ© de tels obatacles, accumulĂ©s en si grand nombre qu'il n'a pas encore Ă©tĂ© possible de s'avancer aussi prĂšs de ce pĂŽle qu'on l'a fait au pĂŽle nord, sir James Clark Ross a vu, dans les terres antarctiques, des volcans trois ou quatre fois plus Ă©levĂ©s que l'HĂ©cla. Dans la nuit du 27 janvier, mois qui correspond au mois de juillet de France — le capitaine Ross avait jetĂ© l'ancre au milieu d'une mer libre de glaces ; lorsque le jour parut il fut extrĂȘmement surpris de trouver devant lui une montagne s'Ă©levant Ă  plus de douze mille pieds de hauteur au-dessus du niveau de la mer, et qui vomissait d'Ă©pais tour- billons de flammes et de fumĂ©e. Il appela ce volcan le mont Erebus et il donna le nom de Terror Ă  un autre volcan Ă©teint, situĂ© Ă  l'est du mont Erebus. La mer et le ciel, Ă©crivait alors sur son journal sir W. Hooker, le savant naturaliste de l'expĂ©dition, Ă©taient d'un bleu aussi beau et mĂȘme plus foncĂ© que celui qu'ils ont sous les tropiques ; toute la cĂŽte ne formait qu'une masse de pics de neige, d'une blancheur Ă©blouisante qui , au moment oĂč le so- ^avĂ© par Rllausermaan Yig, 72. — Carte du pĂŽle austral. LE POLE SUD. 165 leil approcha de l'horizon, prirent des teintes jaune d'or et Ă©carlate de l'Ă©clat le plus brillant alors s'Ă©leva du cratĂšre une Ă©paisse colonne de fumĂ©e, au centre de laquelle Ă©tincelait un jet de flammes, la moitiĂ© noire comme la nuit la plus obscure, l'autre moitiĂ© Ă©clairĂ©e par les rayons du soleil; et parfois, quand elle Ă©tait parvenue en ligne droite Ă  une certaine hauteur, un coup de vent la renversait Ă  angle droit et l'em- portait, en l'Ă©parpillant, Ă  une distance de plusieurs milles. Il est im- possible de se faire une idĂ©e de la grandeur d'un pareil spectacle... » Le navigateur anglais ne s'est arrĂȘtĂ© dans sa course hardie que devant une muraille de glace de cent Ă  cent cinquante pieds de hauteur qui, sur une Ă©tendue de cinq cents milles, prĂ©sentait un obstacle absolument infranchissable. Suivant M. AdhĂ©mar, l'ingĂ©nieux auteur de la thĂ©orie des dĂ©luges pĂ©riodiques, la glaciĂšre » du pĂŽle austral n'aurait pas moins de mille lieues- de diamĂštre sur vingt lieues d'Ă©paisseur. Si les calculs de M. AdhĂ©mar sont justes, l'accumulation incessante de ces glaces Ă©ter- nelles doit, dans l'espace de dix mille cinq cents ans, dĂ©terminer le dĂ©placement du centre de gravitĂ© de la terre et l'irruption diluvienne des eaux d'un hĂ©misphĂšre dans l'autre. Nous y marchons. Mais qu'on se rassure ; nous avons encore une belle marge ! DEUXIÈME PARTIE. LES DEUX AMÉRIQUES. L. Le Labrador. — Le pays des fourrures et la Compagnie de la baie d'Hudson. — Les missions catholiques de l'AmĂ©rique britannique. — A travers la rĂ©gion nord-ouest. — RiviĂšres et lacs. — Navigation en canots. — Ce qu'on appelle portages », En revenant, — pour suivre notre plan, — au nord de l'AmĂ©rique, nous n'aurons pas Ă  nous occuper des grandes Ăźles situĂ©es dans le voisi- nage du Labrador et de la mer d'Hudson. Ces Ăźles, — comme la terre de Fox, l'Ăźle de Sonthampton, — bien qu'au sud du cercle polaire, font en quelque sorte partie de ce damier » arctique que nous avons dĂ©jĂ  visitĂ©; et comme nous ne faisons pas de gĂ©ographie, il nous est permis de les omettre. Ainsi que les terres de la rĂ©gion borĂ©ale, ces terres, quoique moins sep- tentrionales, ne prĂ©sentent durant neuf mois de l'annĂ©e que des amas dĂ©glace, et, dans la saison chaude, une dĂ©sagrĂ©gation des glaciers, au milieu de brouillards Ă©pais. Passant rapidement Ă  travers les rĂ©gions de l'AmĂ©rique britannique conquises Ă  la civilisation, — comme le Canada, et le Manitoba, — nous allons traverser les grandes plaines du nord-ouest de l'AmĂ©rique. Nommons, pour mĂ©moire seulement, le Labrador, qui fait vis-Ă -vis au Groenland. Le Labrador, dit M. OnĂ©sime Reclus, a des riviĂšres tantĂŽt molles et calmes, tau tĂŽt frĂ©nĂ©tiques, des lacs que l'hiver cristal- lise, des marais, des Ă©tangs, des plateaux de mousse, des pins, des mĂ©- lĂšzes, et des boideaux de grandeur convenable s'ils sont abritĂ©s des vents, nains quand la roche ne les protĂšge pas. » .. La partie sud de cette froide terre est habitĂ©e Dans le nord-est, les seuls blancs sont des missionnaires moraves. Sur le pourtour de ses cĂŽtes on rencontre des Esquimaux en assez grand nombre, plus de douze cents. C'est Ă  peu prĂšs le tiers de la population totale du CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 22 170 LES DEUX AMÉRIQUES. Labrador, composĂ©e de pĂȘcheurs qui exportent pour six ou sept mil- lions de francs de poissons salĂ©s. Bien que le territoire du nord-ouest que l'Angleterre possĂšde en AmĂ©rique renferme autre chose que des champs de chasse, et qu'il s'y trouve des terres excellentes entre la riviĂšre Rouge et la riviĂšre de la Fig. 73. — Le Labrador. Paix, la Ăźompagnie de la baie d'Hudson domine toute cette immense rĂ©gion, sauf le territoire de l'ancienne AmĂ©rique russe, acquis par les États-Unis en 1867. Cette corporation riche et puissante possĂšde des comptoirs fortifiĂ©s dans des rĂ©gions perdues habitĂ©es seulement par des tribus d'Indiens, et plus au nord par les Esquimaux ; elle a des agents Ă  sa solde, — une armĂ©e, — une cour rĂ©guliĂšre de justice pour son territoire dans sa colonie de la riviĂšre Rouge et une cour spĂ©ciale dans l'Ăźle de Vancou- ver, dont la possession a Ă©tĂ© octroyĂ©e Ă  la Compagnie en 1849 par la reine Victoria. LES DEUX AMÉRIQUES. 171 Les sauvages de cette partie de l'AmĂ©rique se rĂ©unissent pĂ©riodique- ment autour des comptoirs de la Compagnie de la baie d'Hudson Ă©tablis dans les principaux centres des tribus ; au milieu d'eux se trouvent des mĂ©tis français du Canada, et quelques-uns de ces hardis trappeurs franco-canadiens qui continuent de faire prĂ©valoir notre langue dans une rĂ©gion de l'AmĂ©rique oĂč la France a laissĂ© maintes traces de son passage. Les principales de ces factoreries sont situĂ©es sur la baie James, Ă  l'embouchure de la riviĂšre de Severn, dans la partie sud et vers les frontiĂšres du haut Canada, sur les lacs SupĂ©rieur, Ouinipeg, Atha- baska, et prĂšs des riviĂšres Saskatchewan , Assiniboine, etc. Au Fort- York, qui commande le cours du fleuve Nelson, l'un des tributaires de la mer d'Hudson, se trouve le quartier gĂ©nĂ©ral de la Compagnie, et c'est lĂ  qu'est Ă©tabli son principal dĂ©pĂŽt de fourrures. Le trafic des pelleteries a beaucoup perdu de l'importance qu'il avait autrefois ; cependant il est encore considĂ©rable et la faune de ces con- trĂ©es, voisines de la rĂ©gion arctique, est loin d'ĂȘtre Ă©puisĂ©e. Les peaux les plus prĂ©cieuses apportĂ©es par les Indiens sont les peaux d'ours noirs, de renards noirs, de renards argentĂ©s, de loutres, de pĂ©caris, de martres, de foutreaux, de renards rouges et blancs ; on peut y ajouter quelques petites peaux, telles que celles de rats musquĂ©s, de castors, d'herminettes, et de mĂȘme, des peaux de cygnes. Les missionnaires catholiques pĂ©nĂštrent dans les rĂ©gions inconnues plus avant encore que les agents de la fameuse Compagnie, et ils par- viennent Ă  s'Ă©tablir au milieu de tribus de Peaux Rouges qui n'ont en- tamĂ© aucun nĂ©goce avec les blancs. Il y a nue quarantaine d'annĂ©es, un petit nombre de missionnaires, sous la conduite de Mgr Provencher, s'Ă©taient rĂ©unis au confluent de la riviĂšre Rouge, du lac Ouinipeg et de la riviĂšre Assiniboine ; ils se multipliaient pour l'accomplissement de leur tĂąche. Aujourd'hui plusieurs Ă©vĂȘques, aidĂ©s de plus de cinquante missionnaires, se parta- gent les immenses territoires qui s'Ă©tendent de la riviĂšre Rouge aux embouchures du Mackensie dans l'ocĂ©an Glacial, et de la baie d'Hud- son aux montagnes Rocheuses. La riviĂšre Rouge a son embouchure sur le lac Ouinipeg, qui est par- 172 LES DEUX AMÉKIQUES. semĂ© d'Ăźlots trĂšs boisĂ©s. Supposons que reprenant les itinĂ©raires des Hearne, des RaĂ«, des Mackensie et des Franklin, nous partions de lĂ  pour visiter les solitudes qui s'Ă©tendent au nord jusqu'au cercle polaire, au moment oĂč l'hiver vient de prendre fin et oĂč la fonte des neiges dans les plaines et sur le versant des collines donne naissance aune multitude de ruisseaux qui charrient d'Ă©normes masses d'eau vers l'ocĂ©an Glacial. Il y a tout d'abord des facilitĂ©s exceptionnelles pour ce voyage dans la multiplicitĂ© des cours d'eau considĂ©rables et des lacs commu- niquant entre eux, qui donnent Ă  cette rĂ©gion un caractĂšre particu- lier. Les riviĂšres sont presque parallĂšles ; et il est d'usage de poursui- vre sa route en transportant de l'une dans l'autre le canot creusĂ© dans un gros arbre qui sert Ă  faire le voyage les stations oĂč l'on s'arrĂȘte pour effectuer ce trajet par terre s'appellent jiortages, d'un mot français importĂ© par les premiers colons du Canada, hommes d'a- ventures, passionnĂ©s pour les grands voyages et les longues chasses dans les solitudes du Nord. On utilise d'abord la riviĂšre du Grand-Rapide, du moins jusqu'Ă  l'endroit oĂč toute navigation est rendue impossible par le rapide qui, sur une Ă©tendue de trois kilomĂštres, avec une largeur de cent mĂštres, prĂ©sente des obstacles infranchissables. La riviĂšre aux CĂšdres offre un cours plus paisible aux voyageurs; puis le lac Bourbon lac des CĂš- dres des Anglais, dĂ©couvert en 1728 par M. de la RĂ©vĂ©renderie. AprĂšs avoir traversĂ© ce lac, on pĂ©nĂštre dans la riviĂšre Rapide, aux eaux bourbeuses parsemĂ©es d'Ăźlots couverts d'une vĂ©gĂ©tation de joncs, de saules et de roseaux, et oĂč viennent se reposer les oiseaux de pas- sage arrivant du sud dĂšs que le loug hiver a pris fin les cygnes, les perdrix blanches, les aigles Ă  tĂȘte chauve, les canards encapuchonnĂ©s de rouge, les guillemots, les eider-duks, les puffms. Sur un parcours d'environ deux cent cinquante lieues, la riviĂšre Rapide ne prĂ©sente pas une seule chute. Et toujours des riviĂšres coulent vers le nord; et toujours des lacs marquettent de leur poli vaporeux les plaines incommensurables le lac Cumberland, la riviĂšre Plate, le petit lac Castor, la riviĂšre des Épingles, la riviĂšre de la Queue-de-Loutre, le lac du mĂȘme nom, peu LES DEUX AMERIQUES. 173 profond, Ă©maillĂ© dĂšs les premiers so- leils de trĂšs larges fleurs jaunes, et encombrĂ© d'Ăźlots ; puis la riviĂšre aux Anglais, le lac Larrouge, la riviĂšre Churchill, enfin le lac de l'Ăźle de la Crosse, siĂšge de l'une des plus an- ciennes rĂ©sidences des missions ca- tholiques, — situĂ©e par 56° 25 de latitude nord et 106° 56 de longitude ouest. Ce qu'on dĂ©signe sous le nom d'Ăźle de la Crosse est un vaste territoire si bien entourĂ© de petits lacs et de riviĂšres qu'il peut produire l'illusion d'une Ăźle. Au rapport des mission- naires, ces riviĂšres et ces lacs sont trĂšs poissonneux ; les Ăźlots qu'ils con- tiennent sont assez bien boisĂ©s] sur les collines et dans les vallĂ©es cen- trales croissent des pins, des lyards, des trembles et des bouleaux. Enfai d'animaux on compte surtout en grand nombre l'Ă©lan, le renne, .. . les ours jaunes et noirs; les castors ont Ă©tĂ© pres- que dĂ©truits par les chas- seurs ; en revanche il y a beaucoup de^ martres , de pĂ©caris, de lynx, de loutres, de foutreaux, de rats musquĂ©s. En Ă©tĂ© », dit M51' Faraud, qui a Ă©vangĂ©lisĂ© dans les possessions britanniques du nord-ouest, le cygne, l'oie, ; le canard, le pluvier, l'outarde peuplent les lacs et les riviĂšres ; le fai- 74. — Trappeur de la Saskatchewan. 174 LES DEUX AMÉRIQUES. san, la perdrix et le liĂšvre animent les vallĂ©es et les bois. Le huard fait retentir l'Ă©cho de sa voix criarde, le hĂ©ron pousse son cri d'Ă©pou- vante, et les pĂ©licans rĂ©unis en grand nombre sur les hauteurs y rĂ©pondent par leurs cris plaintifs. » Et maintenant, si l'on veut pousser plus au nord encore que l'Ăźle de la Crosse, on rencontrera le grand lac du BƓuf, la riviĂšre de la Loche, le lac Athabaska au delĂ  duquel les roches nues font place Ă  la ver- dure. BientĂŽt, apparaissent d'immenses forĂȘts, aux arbres sĂ©culaires, peuplĂ©es de quantitĂ© d'oiseaux. Les cygnes et les grues traversent la riviĂšre de l'un Ă  l'autre bord, avec mille cris bruyants. C'est ainsi qu'on entre dans le lac, encombrĂ© de rochers granitiques chauves ou couron- nĂ©s de pins que, l'hiver, tordent les vents furieux. IL Une rĂ©union de chasseurs et de trappeurs indiens au fort CHppeways, sur le lac Athabaska. — Indiens Chippeways. — Couteaux-Jaunes. — Sioux. — Sauteux. — Pieds-Noirs. — Assini- boines. — Cris. — Indiens Castors. — Indiens de l'Esclave. — Plats-CĂŽtĂ©s-de-Chiens. — Peaux de-LiĂšvre, etc. Il y a sur le lac Athabaska, qui est rĂ©ellement le centre des posses- sions britanniques dans l'AmĂ©rique du Nord, un poste commercial de la Compagnie, le fort Chippeways. Les Indiens qui battent le pays entre les montagnes Rocheuses et les rivages dĂ©serts de la baie d'Hud- son ne s'y rĂ©unissent guĂšre qu'Ă  deux moments de l'annĂ©e, trois se- maines environ au printemps, et trois semaines en automne. Ils vien- nent y vendre les fourrures des bĂȘtes qu'ils ont tuĂ©es dans la chasse d'hiver et la chasse d'Ă©tĂ©. Il faut les voir s'acheminant par groupes nombreux vers le fort. Leurs femmes, petites mais fortes, les suivent pĂ©niblement, transpor- tant sur leurs Ă©paules les pelleteries, la tente et tout le matĂ©riel de la vie nomade. TraitĂ©es comme des animaux domestiques, ces malheu- reuses sont habituĂ©es de tout temps Ă  accomplir les plus rudes tĂąches... La nouvelle s'est rĂ©pandue au loin que le commandant du fort Chippeways, dĂ©sireux d'encourager les chasseurs et les trappeurs, dis- tribuerait une douzaine d'excellentes carabines Ă  ceux qui lui apporte- raient les prĂ©cieuses fourrures en plus grande quantitĂ©. Aussi est-ce par centaines que les Indiens se sont mis en route. Un Ă  un, leurs groupes, distincts de langage et parfois terriblement brouillĂ©s entre eux, viennent Ă©tablir leur campement dans l'endroit assignĂ©, en de- hors de la palissade de pieux et de planches qui constitue l'enceinte du fort. Ils dressent leurs tentes de peaux de buffle. Le printemps 176 LES DEUX AMÉRIQUES. polaire fait sentir son influence, mais les nuits sont encore trĂšs froides ; sur la surface du lac nagent, malgrĂ© les rayons du soleil, d'Ă©normes glaçons aux arĂȘtes irisĂ©es ; aussi, de bonne heure, le matin, la fumĂ©e du foyer s'Ă©chappe-t-elle par l'ouverture laissĂ©e bĂ©ante au sommet des tentes. Le fort Chippeways tient en respect tout ce monde sauvage et iras- cible, Ă  qui du reste les blancs ne sont nullement antipathiques. Le poste commercial est composĂ© de deux maisons d'habitation, en bois, l'une pour les officiers et leurs familles, l'autre pour les soldats et les employĂ©s subalternes. Il comprend encore uu grand magasin et un hangar. Les Indiens sont attendus avec impatience par les agents de la Compagnie quelques EuropĂ©ens, un certain nombre de Canadiens et trois ou quatre mĂ©tis, qui sortent Ă  peine de leur lutte avec les horreurs d'un long hiver augmentĂ©es par des privations de toute sorte. Enfin un certain nombre des chasseurs annoncĂ©s se trouvant ras- semblĂ©s autour du poste, il est possible d'Ă©valuer le rendement de la campagne d'hiver, et par suite de fixer le prix des pelleteries pour ce premier marchĂ© de l'annĂ©e. Au jour fixĂ©, les palissades sont fran- chies par une cohue tatouĂ©e, bariolĂ©e, empanachĂ©e, et dont des peaux de bison velues et des couvertures de laine aux couleurs voyantes, — bleues ou rouges, — jetĂ©es sur les Ă©paules ou serrĂ©es autour des reins, composent le vĂȘtement pittoresque. Ces gens se montrent pressĂ©s de faire affaire dans de bonnes conditions et les interprĂštes sont assail- lis de toute part. Quelques femmes, — leurs squaws », — se glissent timidement derriĂšre les guerriers. Il y a entre tous ces sauvages une ressemblance et comme un air de famille c'est la peau bistrĂ©e ; ce sont les cheveux noirs, — ils ne blanchissent jamais, — longs, tombant de chaque cĂŽtĂ© du visage, chez quelques-uns avec une mĂšche sur le nez, parfois disposĂ©s en deux tresses, plus une petite queue descendant par derriĂšre comme pour solliciter le couteau du scalpeur ; c'est la barbe rare ou mĂȘme absente ; c'est l'Ɠil noir profondĂ©ment encaissĂ© dans son orbite, avec des pau- piĂšres obliques, et un regard calme qui fait Ă©videmment partie d'un maintien composĂ©; ce sont les pommettes saillantes, le nez aquilin, LES DEUX AMÉRIQUES. 177 les lĂšvres fines- et serrĂ©es, enfin les dĂ©licates extrĂ©mitĂ©s des membres. Leur dĂ©marche Ă  tous est grave, particuliĂšrement celle des chefs. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 23 178 LES DEUX AMÉRIQUES. Quant au costume, il offre de mĂȘme divers points de ressemblance, mais il varie assez d'une tribu Ă  l'autre pour qu'on puisse distinguer Ă  quelle nation, Ă  quelle tribu appartiennent les Indiens rĂ©unis dans l'enceinte du fort. Ainsi, cinq Chippeways, remarquables surtout Ă  leur haute taille, Ă  leurs larges Ă©paules, Ă  leur physionomie intelli- gente et rĂ©flĂ©chie, sont vĂȘtus uniformĂ©ment de casaques de peaux et de manteaux de fourrures d'un certain effet. Ce costume de parade, exhibĂ© par braverie, est complĂ©tĂ© par un bouquet de plumes d'aigle dĂ©ployĂ© en Ă©ventail au-dessus de l'abondante chevelure. Quelques dĂ©tails, — tatouage, colliers, — indiquent par surcroĂźt que ce sont des Chippeways du dĂ©sert, appelĂ©s plus communĂ©ment mangeurs de caribous ». Ils sont venus en canot de l'extrĂ©mitĂ© orientale du lac Athabaska. Ces Indiens paraissent frayer volontiers avec quelques Couteaux- Jaunes, de mĂȘme nation qu'eux, du reste, habituĂ©s Ă  vivre paisible- ment dans la rĂ©gion situĂ©e entre le lac Athabaska et le lac des Es- claves, et qui sont venus au rendez-vous du fort Chippeways, attirĂ©s bien plus par le dĂ©sir d'obtenir par voie d'Ă©change quelques objets de premiĂšre nĂ©cessitĂ©, qu'avec l'espoir de conquĂ©rir l'une des carabines promises. A vingt pas de ces sauvages pacifiques huit Sioux, trĂšs animĂ©s, sup- putent sur leurs doigts les bĂ©nĂ©fices probables de leur voyage. Ils sont grands aussi, mais, aux traits communs Ă  toute la race indienne, ils joignent un large front, d'Ă©pais sourcils et un air de fĂ©rocitĂ© peu ordinaire. Leurs Ă©paules sont couvertes d'une peau de buffle au poil long et soyeux ; sur le revers de cette peau sont peintes, en espĂšces d'hiĂ©roglyphes, les victoires remportĂ©es sur leurs ennemis. C'est pour chacun de ces guerriers sa propre biographie qu'il porte sur lui. L'un de ces Sioux paraĂźt ĂȘtre un chef, — un sachem. Son front est couronnĂ© d'une sorte de turban de peau autour duquel sont fichĂ©es des plumes rouges, jaunes et vertes. Il a chaussĂ© ses pieds de mocas- sins brodĂ©s en perles ; il porte aux doigts de nombreuses bagues, aux oreilles des pendeloques d'argent de forme Ă©trange et sur la poitrine diverses parures de mĂ©tal, d'os et de coquilles nacrĂ©es. Le sachem et ses compagnons ont le visage peint de deux couleurs. Pourtant l'un 180 LES DEUX AMÉEIQUES. de ces Sioux montre un visage entiĂšrement noir en signe de la perte rĂ©cente d'une de ses femmes ; et comme il serre convulsivement le manche de son couteau Ă  scalper, il n'en paraĂźt que moins sociable. Toutefois, il s'est luxueusement coiffĂ© pour la circonstance d'un cha- peau de feutre mou qui jure Ă©trangement avec tout l'attirail sau- vage. Ces huit Sioux font bande Ă  part. On devine Ă  leur isolement qu'ils sont d'une nation guerroyant sans cesse contre toutes les tribus avec lesquelles elle se trouve en contact. Mais ceux-ci s'attirent surtout les regards de dĂ©fi et de haine des Indiens Sauteux, qui ne les perdent pas de vue. Peut-ĂȘtre ces hommes se sont-ils rencontrĂ©s dĂ©jĂ  autre part que dans les marchĂ©s Ăźle pelleteries de la Compagnie et peut- ĂȘtre y a-t-il entre eux quelque compte de chevelures Ă  rĂ©gler... Des Pieds-Noirs en assez grand nombre, — on peut en compter plus de vingt, — vont et viennent d'un air affairĂ©, Ă©vitant toutefois cinq ou six Assiniboines du petit lac de l'Esclave et quelques Cris, appar- tenant les uns et les autres Ă  des tribus avec lesquelles ils sont con- tinuellement en guerre. Ces Pieds-Noirs sont rĂ©ellement cruels. Ils ne se contentent pas, — Ă  l'exemple des Cris, — d'arracher la chevelure des morts et de cĂ©lĂ©brer les victoires qu'ils remportent par des chants et des danses autour des dĂ©pouilles humaines ils ouvrent la poitrine de leur ennemi vaincu et dĂ©vorent leur cƓur ensanglantĂ©, pensant aug- menter ainsi leur dose de courage ; bien plus, ils convient leurs femmes Ă  ces monstrueuses curĂ©es. Les Cris qui offusquent ces Pieds-Noirs sont seulement au nombre de sept. Ils ne sont pas grands, mais ils paraissent dĂ©cidĂ©s, provo- cateurs, prĂȘts Ă  tout... mĂȘme Ă  piller les magasins de la Compagnie. Ils sont venus des rives des lagons qui avoisinent la mer d'Hudson, faisant un trajet de cent lieues, moitiĂ© dans leurs canots, moitiĂ© Ă  pied, au milieu des plaines dĂ©trempĂ©es par le dĂ©gel, et ils ont amenĂ© cinq femmes avec eux ; mais une de ces malheureuses a Ă©tĂ© tuĂ©e, le jour mĂȘme de leur arrivĂ©e, [par son seigneur et maĂźtre, — dans un moment de colĂšre. Tout un clan de Sauteux des environs du lac Ouinipeg, — et dont font partie les six Indiens qui] semblent lĂ -bas dĂ©fier les guerriers sioux, LES DEUX AMERIQUES. 181 leurs plus mortels ennemis, — assis par terre et formant un grand cercle, anime un coin de l'enceinte. Ces sauvages, Ă©chauffĂ©s par de trop nombreuses libations de wisky, prĂ©tendent absolument Ă©taler leurs marchandises au soleil, pour en faire admirer l'opulence ; mais les agents regardent avec dĂ©fiance cette exposition faite malgrĂ© eux de Fig. 77. — Camp d'Indiens au Nord. fourrures obtenues de seconde main, volĂ©es peut-ĂȘtre, et ils montrent Ă  l'Ă©gard de l'honnĂȘtetĂ© commerciale de ces trafiquants du dĂ©sert de glace un manque de confiance parfaitement justifiĂ©. Dans un autre coin du fort se trouvent une quinzaine d'Indiens Cas- tors, de petite taille, chĂ©tifs, avec un visage blĂȘme et allongĂ©, au teint hĂąve et maladif, accusant enfin tous les signes d'une irrĂ©mĂ©diable dĂ©crĂ©pitude. Ils sont venus de la riviĂšre de la Paix, dont les affluents 182 LES DEUX AMÉRIQUES. sont habitĂ©s par des castors, — ce qui vaut Ă  ces Indiens le nom qu'ils portent. Quelques trappeurs Esclaves, campant sur la rive ouest du grand lac des Esclaves, vont vers eux avec cet air affable qui leur est naturel. Essen- tiellement pĂȘcheurs, ceux-ci n'ont Ă  offrir Ă  la Compagnie que les peaux de mince valeur des petits animaux pris au trĂ©buchet au bord de l'eau. Des Plats-CĂŽtĂ©s-de- Chiens s'effacent le plus qu'ils peuvent. Grands, sveltes, mais laids, avec un visage long, aplati, des yeux Ă  fleur de tĂȘte, un menton et une mĂąchoire pointus comme s'ils ne parlaient que du bout des dents, vĂȘtus de la peau des caribous tuĂ©s Ă  la chasse, ils personnifient la sauvagerie dans ce qu'elle a de plus original. Enfin, par-ci, par-lĂ  se montre quelque inoffensif Peau-de-LiĂšvre, grands mangeurs de lapins, quelque Loucheux, — terreur de l'Esqui- mau, — ornĂ© de son insĂ©parable pipe, se promenant hautain, orgueil- leux, irascible malgrĂ© sa mince stature, et jetant autour de lui des regards louches », tout Ă  la fois timides et sinistres. Au centre de plusieurs groupes, un orateur prend Ă  tĂąche d'entre- tenir cette facultĂ© de l'Ă©loquence qui est l'apanage du Peau Rouge, et parle d'une voix lente, sonore, cadencĂ©e, soutenue par des gestes trop nombreux, mais empreints d'une certaine noblesse. Quelques soldats de la Compagnie, le mousquet sur l'Ă©paule, se promĂšnent lentement, dĂ©sƓuvrĂ©s et curieux, Ă  travers tous ces hidalgos du dĂ©sert, qui rĂ©pondent fiĂšrement aux noms Ă  effet de Y Ours- Aff ile, du Corbeau-MĂąle, du Chien-Rouge, du Faucon-Noir, du Chat-Tigre, de la NuĂ©e-Rouge, de la Pluie-qui- Marche.. . C'est ici le lieu de dire que la population aborigĂšne de l'AmĂ©rique britannique se divise en quatre races ou nations principales qui sont 1° les Esquimaux de la baie d'Hudson ; 2° les Algonquins Sauteux, Cris, etc.; 3° les Hurons-Iroquois Sioux, Assiniboines, etc.; 4° les DĂ©uĂ©-DindjiĂ© Castors, Loucheux, etc.. Si quelques chiffres n'effraient pas trop nos lecteurs, et surtout nos lectrices, nous Ă©tablirons de la sorte le dĂ©nombrement de ces sauvages en nous rĂ©glant sur le genre de vie qu'ils mĂšnent 15,000 environ frĂ©quentent les abords des cours d'eau ou les cĂŽtes, 12,000 campent dans les prairies, et 30,000 dans les forĂȘts. III. CaractĂšre des Peaux Ronges. — Une vieille femme vouĂ©e Ă  la mort par les siens. — Indiens anthropophages. — Histoire d'une petite fille sauvĂ©e par un missionnaire. Ou a reconnu des traits physiques de rĂ©elle parentĂ© entre tous ces Indiens. Au moral, il y a Ă©galement de nombreux traits qui leur sont communs Ă  tous. Ainsi, en gĂ©nĂ©ral, ils supportent la douleur avec une constance remarquable une plainte leur semblerait une lĂąchetĂ©. Chez les Cris, si une femme en travail d'enfant poussait un seul soupir, on la jugerait indigne d'ĂȘtre mĂšre, parce qu'elle ne pourrait mettre au inonde qu'un enfant dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©. L'Indien, habituĂ© Ă  se maĂźtriser, demeure calme, mĂȘme dans ses plus grandes colĂšres ; ses traits ne s'altĂšrent pas ; la fureur est dans son Ăąme et la placiditĂ© sur ses traits ; il sait souffrir et se taire ; il sait dissimuler sa haine et le dĂ©sir de se venger. Une grande sĂ©cheresse de cƓur leur est aussi commune Ă  tous. Ce n'est que par la rĂ©flexion, par un sentiment innĂ© de justice propre Ă  toute crĂ©ature humaine, qu'ils peuvent ĂȘtre amenĂ©s Ă  Ă©prouver de l'a- mitiĂ©, de la reconnaissance et quelquefois de la compassion. Mais que dire de leur cruautĂ© envers les vieillards et les enfants lorsque ceux-ci deviennent pour eux une charge? Les Indiens Plats-CĂŽtĂ©s-de-Chiens sont peut-ĂȘtre, entre tous, ceux qui se dĂ©barrassent avec le plus d'indiffĂ©rence des enfants en bas Ăąge et des vieillards infirmes. Mgl" Faraud, dans son beau livre Dix-huit ans chez les sauvages de V AmĂ©rique britannique, raconte qu'en longeant un jour une riviĂšre il vit au bord de l'eau une vieille femme qui se traĂźnait sur les genoux. Il lui demanda ce qu'elle faisait en cet endroit et apprit que c'Ă©taient 184 LES DEUX AMÉRIQUES. ses enfants qui l'y avaient amenĂ©e et abandonnĂ©e. Et oĂč sont-ils, tes enfants? » demanda le missionnaire. La vieille montra de la main la rive opposĂ©e. La pauvre femme Ă©tait si faible qu'elle semblait sur le point d'expirer. Le missionnaire tĂącha de la ranimer, mais en vain, et voici tout ce qu'il put apprendre d'elle Elle avait six enfants dans la tribu des Montagnais... tous grands et forts... Ils lui avaient dit l'autre soir — Écoute, mĂšre... tu es vieille, tu ne peux plus travailler, nous allons te laisser seule dans les bois... Dans peu de jours tu seras morte... et tu n'auras pins de misĂšre... Ils avaient fait ainsi; et elle s'Ă©tait traĂźnĂ©e jusqu'au bord de l'eau, tourmentĂ©e par uue soif ardente. Maintenant elle n'avait plus soif. Et en parlant ainsi la pauvre Indienne expira. Une autre fois, en traversant en hiver une Ă©paisse forĂȘt, le mĂȘme mis- sionnaire entendit des gĂ©missements. Il s'avança avec prĂ©caution, Ă©car- tant les branches des arbustes Ă©pineux sur la neige , gisait une pe- tite fille de six Ă  sept ans. Il courut Ă  elle. L'enfant avait dĂ©jĂ  les pieds et les mains gelĂ©s. Le charitable missionnaire ranima comme il put la pauvre petite crĂ©ature et apprit d'elle que son pĂšre et sa mĂšre Ă©tant morts l'hiver d'avant, ses autres parents l'avaient prise avec eux; mais s'Ă©tant lassĂ©s de la nourrir, ils l'avaient amenĂ©e en cet endroit pour l'y abandonner, lui disant qu'elle Ă©tait trop petite, bonne Ă  rien... qu'on allait la laisser lĂ , et que dans peu de jours elle ne souffrirait plus. ‱ Le missionnaire indignĂ© alluma du feu et parvint Ă  rĂ©chauffer l'en- fant, qu'il put enfin emmener avec lui. Cette petite Indienne devait avoir un triste sort l'ayant confiĂ©e Ă  des Cris, — l'homme et la femme, — qui se montraient dĂ©sireux de re- cevoir le baptĂȘme, le missionnaire fut fort affligĂ© de n'en plus avoir de nouvelles. Il entreprit un long voyage pour retrouver la tribu Ă  laquelle appartenaient ces Cris, et quand enfin il put s'informer de l'enfant, il apprit avec un vĂ©ritable dĂ©sespoir qu'elle avait Ă©tĂ© mangĂ©e la sau- vagesse fut forcĂ©e de le lui avouer. ce PĂšre, lui dit-elle avec une horrible ingĂ©nuitĂ©, l'hiver avait Ă©tĂ© mauvais; nous n'avions plus de viande... plus de poisson... La pauvre LES DEUX AMERIQUES. 185 petite Ă©tait bien maigre... elle allait mourir... Mon mari et moi nous avions faim... alors nous l'avons mangĂ©e. » La plus exĂ©crable inclination qu'on puisse reprocher Ă  quelques- unes de ces tribus, c'est l'anthropophagie. Au premier rang se trouvent les Hommes-de-Saug Duccldeli-Ot- tinĂ©, les habitants qui mangent les hommes. Ces malheureux, appelĂ©s plus communĂ©ment le mauvais monde, habitent entre le 58° et le 63° latitude nord, et le 125° et 135° longitude ouest il est toujours bon de prĂ©ciser quand il s'agit d'anthropophages. Ils sont trĂšs peu nombreux, et cela se comprend... ils poussent leur passion pour la chair humaine Ă  ce point que la mĂšre n'est pas en sĂ»- retĂ© auprĂšs de son enfant, ni les enfants avec leur pĂšre. Les parents mangent leurs parents, les amis mangent leurs amis. Quand les chĂšvres et les moutons sauvages qu'ils chassent dans les montagnes Ro- cheuses leur font dĂ©faut, et que la disette de vivres survient, elle rĂ©- veille en eux cet horrible besoin, et alors le plus fort dĂ©vore le plus faible. C'est ainsi que ces sauvages, petits et laids, finiront par se dĂ©- truire tous, ou plutĂŽt finiront par se manger... jusqu'Ă  l'avant-dernier. Le missionnaire dont nous venons de parler s'en est souvent entre- tenu au fort Alkett, situĂ© au centre de cette tribu, avec un vieillard lĂ©preux, qui avouait avoir mangĂ©, Ă  lui seul, dix de ses parents ; aussi la maladie qui rĂ©sulte de l'anthropophagie l'avait-elle atteint sa lĂšpre n'avait pas d'autre cause. Les Cris ne sont pas Ă  proprement dire anthropophages ; cependant, dans quelques circonstances, ils se laissent, aller sans rĂ©pugnance Ă  faire usage de chair humaine. Il existe parmi eux un certain nombre d'hommes qu'on appelle manitokasou » ou magiciens. Dans cette classe privilĂ©giĂ©e on devient aisĂ©ment ce qu'on appelle windigo » ou mangeur d'enfants. On mange donc des enfants. Il est mĂȘme permis de manger ses propres enfants. Mgr Faraud en cite deux exemples. Il rĂ©ussit Ă  dissiper chez un Cris cette fatale obsession. C'Ă©tait un pĂšre possĂ©dĂ© de la tentation irrĂ©sis- tible de manger ses deux enfants. Le missionnaire le convertit mĂȘme Ă  la foi chrĂ©tienne. Moins heureux envers un autre Indien Cris, dont il avait baptisĂ© le fils et la fille, il arracha un jour au pĂšre de ces in- COXTRÉES MYSTÉRIEUSES. 24 186 LES DEUX AMÉRIQUES. fortunĂ©s l'aveu que, dans un moment oĂč les vivres devenaient rares, sa femme n"ayant rien Ă  donner Ă  manger Ă  leurs enfants, les voyant dĂ©pĂ©rir et eux-mĂȘmes ayant faim, il les avaient tuĂ©s pour se nourrir de leur chair. Heureusement de telles moeurs ne sont que des exceptions, — de hideuses exceptions. Fig. 78. — Indiens en embuscade. Le nombre de ces Indiens du Nord-Ouest va diminuant sensiblement. Ce n'est pourtant pas que les blancs les pourchassent, les traquent, les tuent comme le font les AmĂ©ricains Ă  l'Ă©gard des Indiens du Far- West. Ils vivent paisibles possesseurs du sol sur lequel ils sont nĂ©s et la Compagnie de la baie d'Hudson a rĂ©ussi Ă  trouver en eux des auxiliaires utiles. Ici donc les causes de dĂ©peuplement sont diffĂ©rentes. En ne tenant compte de l'anthropophagie que pour mĂ©moire, il y a par-dessus tout les reprĂ©sailles incessantes, les guerres de tribu Ă  tribu une tribu LES DEUX AMÉRIQUES. 187 voyageuse rencontre une tribu ennemie, c'est un combat d'extermina- tion. DouĂ©s d'une bonne constitution, ils auraient des gages d'une longue vie si des privations de toute nature, de terribles jeĂ»nes ne les affai- blissaient pas avant le temps. Ainsi lorsqu'ils partent pour la chasse ils n'emportent pas de provisions et ils mourraient de faim plutĂŽt que de rentrer avant d'avoir tuĂ© quelque gibier. Ces privations excessives sont souvent suivies d'excĂšs contraires. AprĂšs une abstinence forcĂ©e de plusieurs mois, si l'abondance survient, ils mangent avec gloutonnerie, et ceux qui ne sont pas morts de faim meurent alors d'indigestion. Une chose qui contribue surtout Ă  abrĂ©ger leur existence, c'est l'abus des liqueurs fortes. On sait aussi que les populations sauvages tirant exclusivement leur subsistance de la chasse et de la pĂȘche, n'augmentent que dans une trĂšs faible mesure, au-dessous de laquelle les font descendre rapi- dement, toutes les fois qu'elles se produisent, les famines, les maladies Ă©pidĂ©miques, les guerres, et mĂȘme le simple contact avec l'Ă©lĂ©ment civilisĂ©. Il y a des exemples saisissants de cette disparition des Indiens du Nord-Ouest. Les Castors, Ă©chelonnĂ©s le long de la riviĂšre de la Paix, Ă©taient autrefois assez nombreux, mais la maladie les a tellement Ă©prouvĂ©s que cette population n'existera bientĂŽt plus que de souvenir de six mille qu'ils Ă©taient il y a une vingtaine d'annĂ©es, c'est Ă  peine s'il en reste aujourd'hui cinq ou six cents. Quant Ă  eux, Ă  toutes les causes ordinaires, on peut ajouter la paresse des femmes... Ces mal- heureux couchent nus, en plein air faute de tentes, bien qu'ils aient des peaux; mais il faudrait les coudre! Ils dorment Ă  cĂŽtĂ© d'un petit feu, Ă  demi grillĂ©s d'un cĂŽtĂ© et gelĂ©s de l'autre. IV. La chasse et la pĂȘche dans l'AmĂ©rique britannique. Les Indiens du nord-ouest de l'AmĂ©rique partent au commen- cement d'octobre pour la criasse ou la pĂȘche d'hiver, et au mois d'a- vril ou de mai pour la chasse ou la pĂȘche d'Ă©tĂ©, employant, l'Ă©tĂ©, des pirogues creusĂ©es dans des troncs d'arbre; l'hiver, les trajets s'accom- plissent en traĂźneaux auxquels sont attelĂ©s une demi-douzaine de chiens, ou Ă  l'aide de raquettes qui s'adaptent Ă  la chaussure et per- mettent de marcher rapidement sur la neige. Dans les vastes prairies oĂč l'on chasse le buffle, et sur les bords de la mer Glaciale, terrain de la chasse au caribou, les Indiens se rĂ©unis- sent par bandes et font leurs expĂ©ditions en commun. Quelques tentes formĂ©es de dix Ă  douze peaux de buffle leur offrent un abri suffisant; chacune d'elles peut ĂȘtre occupĂ©e par une vingtaine d'individus. Ces tentes se plient et se transportent avec facilitĂ© ; elles prĂ©sentent lors- qu'elles sont dressĂ©es, une forme conique d'environ cinq mĂštres de hauteur. Des perches, fixĂ©es Ă  la base par des piquets , soutiennent l'en- veloppe de peaux ; une ouverture Ă  laquelle deux oreilles mobiles ser- vent d'abat-vent, est mĂ©nagĂ©e au sommet de la tente et donne une issue Ă  la fumĂ©e du foyer, placĂ© au milieu. Ils ont des piĂšges pour les petits animaux Ă  fourrures le renard, le Ă©can, la martre, le carcajoux, l'herminette, d'autres encore. Quant aux grosses piĂšces, telles que l'orignal, le bison, le cerf et le caribou, ils savent suivre leur piste et supplĂ©er par la ruse et la patience Ă  l'imper- fection de leurs armes. Ainsi l'orignal ou Ă©lan a la vue courte, bien que ses yeux soient gros et trĂšs fendus, mais sa longue oreille est trĂšs fine et il distingue parfai- LES DEUX AMÉRIQUES. 189 tement les bruits accidentels. Que le vent agite la forĂȘt, qu'il dĂ©racine les arbres, l'animal n'en dort pas moins profondĂ©ment. Sa tĂȘte appa- raĂźt de loin armĂ©e d'un bois trĂšs volumineux ; ses formes, plus lourdes que celles du cerf, ont quelque ressemblance avec celles du cheval, dont pourtant il dĂ©passe la taille; son poil est assez long, trĂšs abon- dant, d'une couleur cendrĂ©e. L'Indien l'aperçoit, tend son arc, puis il casse une branche; l'animal entend ce bruit insolite... se met sur ses Fig. 79. — Le renne. pattes, s'Ă©tire pour se dĂ©gourdir et prendre la fuite. C'est ce rapide instant qu'attendait le chasseur, qui vise juste et... lui perce le cƓur. La tactique change avec les caribous. Ces animaux, rĂ©unis ordinai- rement en troupeaux assez nombreux, se rassemblent dans les vastes contrĂ©es incultes qui bordeut la baie d'Hudson. Le caribou, — c'est le renne, — Ă  l'opposĂ© de l'orignal, a de mauvaises oreilles, mais des jambes excellentes qui lui permettent de racheter ce dĂ©faut. Les Indiens disent qu'il a des ailes. Il faut, pour l'atteindre, con- naĂźtre avant tout ses instincts. C'est encore avec lui une guerre de ruse, 190 LES DEUX AMÉRIQUES. et les sauvages y sont passĂ©s maĂźtres. En Ă©tĂ© ou en automne, il leur suffit de trouver la piste de ces animaux. Lorsqu'ils connaissent le chemin qu'ils vont suivre, ils se couchent derriĂšre de grands arbres, non loin du lac que les animaux devront traverser, — car ceux-ci ne se laissent dĂ©tourner par aucun obstacle. Les caribous arrivent en bande, se jettent Ă  l'eau, et au moment oĂč ils atteignent la rive opposĂ©e, les Indiens se montrent, en poussant de grands cris ; les caribous, surpris et effrayĂ©s, font volte-face clans un dĂ©- sordre extrĂȘme ; ils cherchent Ă  regagner le large ; mais, tandis qu'ils s'Ă©loignent difficilement du rivage, en rangs trop serrĂ©s, les sauvages lancent leurs canots d'Ă©corce sur le dos des plus vigoureux qui , exci- tĂ©s par ce fardeau, achĂšvent de porter Ă  son comble la confusion de la troupe et entraĂźnent dans une course folle canots et chasseurs. Alors les Indiens, armĂ©s de leurs lances, frappent mortellement Ă  droite et Ă  gauche tous les caribous qui sont Ă  leur portĂ©e. C'est un vĂ©- ritable carnage. Il ne s'agit plus que de s'emparer des morts qui rougis- sent les eaux de leur sang c'est la deuxiĂšme partie de la journĂ©e. Nous avons vu que les SibĂ©riens poursuivent aussi le renne dans les lacs et les riviĂšres. Durant les chasses d'hiver, les Indiens ont une autre maniĂšre de procĂ©der plus ingĂ©nieuse encore. Recouverts d'une peau de caribou, ils vont attendre sur la surface gelĂ©e d'un lac le passage d'une bande. Les caribous arrivent Ă  toute vitesse, dĂ©passent les chasseurs , comme s'ils ne les avaient pas vus; puis se ravisant, poussĂ©s par une curiositĂ© im- prudente, ils reviennent sur leurs pas, flairer ces animaux qui leur res- semblent et dont l'attitude est inexplicable pour eux. Les Indiens, pro- fitant de ce moment, commencent Ă  leur tirer des coups de fusils. Plus les dĂ©tonations sont nombreuses, plus les caribous sont surpris, Ă©tonnĂ©s. Ils courent tout autour des chasseurs qui en abattent aisĂ©ment un grand nombre, — parfois deux ou trois mille. Chez les Indiens, la pĂȘche ressemble beaucoup Ă  la chasse. Durant l'Ă©tĂ©, montĂ©s dans leurs canots d'Ă©corce, ils poursuivent les poissons avec un dard qu"ils manient fort adroitement. C'est de la sorte qu'ils s'em- parent d'esturgeons Ă©normes dont le poids va parfois jusqu'Ă  cent kilogrammes. LES DEUX AMÉRIQUES. 191 Deux pĂȘcheurs se placeut chacuu Ă  une extrĂ©mitĂ© du cauot. L'uu gouverne, l'autre tient un dard retenu dans le canot par un rouleau de cordes. Qu'un esturgeon se montre Ă  bonne portĂ©e, il est harponnĂ©. Il fuit, entraĂźnant canot et pĂȘcheurs, mais ses forces vont s'Ă©pnisant et c'est une capture certaine. Disons en passant que ces esturgeons mons- trueux sont loin d'avoir une chair dĂ©licate ; on ne les mange que par nĂ©cessitĂ©. Ceux de la petite espĂšce ont un goĂ»t exquis. L'esturgeon n'est pas le seul poisson des lacs du nord-ouest qui attei- gne un dĂ©veloppement aussi considĂ©rable. Le brochet y devient aussi excessivement gros ; il y en a qui pĂšsent jusqu'Ă  cent livres; ce sont de vrais requins d'eau douce, et ils font une guerre cruelle Ă  tous les autres poissons. Les Indiens en aiment fort la chair. Il y a des truites de soixante Ă  quatre-vingts livres ; on distingue la blanche, la jaune, la rougeĂ tre ; les unes et les autres sont excellentes. Il existe en outre quelques poissons particuliers aux lacs poissonneux de ces rĂ©gions, — si mal partagĂ©es sous tant d'autres rapports ; ce sont le dorĂ©, le poisson blanc qui, rĂŽti devant le feu, prend Ă  la fois le goĂ»t de la viande et du bon pain, l'inconnu, que les Indiens appellent le pois- son sans dents tĂ©ouly, et quelques autres de moindre valeur Ta- loche, le toulibri, l'albassoche, etc. Les Indiens pĂšchent aussi au filet et mĂȘme, — qui le croirait ? — Ă  la ligne. L'hiver, comme les lacs sont gelĂ©s, ils percent la glace qui a quelquefois deux mĂštres d'Ă©paisseur par cette ouverture, ils ont l'art de jeter le filet au-dessous de la glace et ils se procurent ainsi un aliment quotidien pour eux et les chiens de leurs traĂźneaux. Y. ContrĂ©es avoisinant la Terre Maudite. — Lacs et riviĂšres. — Le grand lac des Esclaves. — Le lac du Grand Ours. — La riviĂšre de la Paix. — La riviĂšre des Lyards. — Les forts de la Compagnie de la baie d'Hudson. Les plaines dĂ©sertes qui s'Ă©tendent du lac Athabaska, — oĂč nous avons fait une longue halte, — jusqu'aux rives de la mer Glaciale, jus- qu'aux embouchures du fleuve Mackensie, peuvent ajuste titre figurer sur une carte des contrĂ©es du globe encore inconnues. C'est le mĂȘme systĂšme de lacs reliĂ©s entre eux par de nombreuses riviĂšres. C'est ainsi que le lac Athabaska communique par la riviĂšre des Esclaves avec le grand lac des Esclaves. Ce lac, le plus considĂ©rable de tous ceux de la rĂ©gion, est encombrĂ© de petits Ăźlots, verdoyants aux jours de soleil, quelques-uns hauts de trente Ă  quarante mĂštres, parfois du double ; sa surface est gelĂ©e d'un bord Ă  l'autre durant la moitiĂ© de l'annĂ©e. La Compagnie de la baie d'Hudson possĂšde trois Ă©tablissements sur ses rives le fort Providence au nord , le fort RĂ©solution au sud, et le fort Reliance Ă  l'extrĂ©mitĂ© nord-est du lac c'est dans ce dernier que se dĂ©roulent quelques-unes des scĂšnes les plus intĂ©ressantes du roman de M. Jules Verne le Pays des fourrures. Au nord du lac, d'Ă©paisses forĂȘts de peupliers, de pins et de bouleaux confinent Ă  cette portion dĂ©solĂ©e du continent amĂ©ricain qui a reçu , non sans raison, le nom de Terre Maudite. La rive opposĂ©e, sans une seule Ă©lĂ©vation du sol, est, pour ainsi dire, la limite que ne franchissent plus les bisons. Les eaux du grand lac des Esclaves sont abondamment pois- sonneuses. Avancer davantage vers le nord, ne pas nĂ©gliger volontairement le lac du Grand Ours, et tout le cours du Mackensie, ce serait rentrer dans la rĂ©gion polaire dont nous avons Ă©tudiĂ© le rĂ©gime et la vie. CONTRÉES MYSTERIEUSES. 25 194 LES DEUX AMÉRIQUES. Disons toute fois que lors de la recherche de sir John Franklin et ses compagnons, le lac du Grand Ours fut assignĂ© par l'amirautĂ© an- glaise Ă  sir John Richardson pour ses quartiers d'hiver. L'explorateur devait battre le pays entre la riviĂšre des Mines de cuivre, la terre de Wollaston et le fleuve Mackensie, en s'appnyant sur le fort Bonne-Es- pĂ©rance situĂ© sur ce dernier fleuve, et le fort Confidence qui est au nord du lac du Grand Ours. La Compagnie de la baie d'Hudson se chargea du transport, Ă  travers ses vastes domaines, des bateaux destinĂ©s Ă  l'exploration des cĂŽtes de la mer et des cours d'eau. Mieux vaut aller vers l'ouest, se rapprocher des montagnes Rocheuses qui nous ramĂšneront vers le Far- West », objet de nos plus prochaines investigations. Aussi bien est-il impossible de ne pas accorder quelque attention Ă  l'un des affluents du lac Athabaska, la riviĂšre de la Paix. En la remontant nous allons vers les montagnes Rocheuses. En effet cette riviĂšre importante prend sa source dans un petit lac si- tuĂ© au milieu de ces montagnes. Dans son cours rapide depuis sa source jusqu'au lac dont elle est tributaire, elle s'est creusĂ© un lit trĂšs profond ; sur son parcours ses rives sont bordĂ©es de masses rocheuses fort Ă©levĂ©es. Vers la fin du mois de juin et pendant le mois de juillet, la riviĂšre, accrue par la fonte des glaces des montagnes oĂč elle prend sa source, charrie des arbres de haute futaie. La masse d'eau de cette riviĂšre Ă  cette Ă©poque est Ă©norme, et fait monter de trois on quatre mĂštres la vaste superficie du lac Athabaska, en s'y dĂ©versant. Les terres traversĂ©es par la riviĂšre de la Paix fourniraient un sol fĂ©- cond s'il Ă©tait livrĂ© Ă  la culture. Un missionnaire a vu au fort Vermil- lon des Ă©pis de blĂ© en parfaite maturitĂ©. D'immenses prairies, dĂ©dai- gnĂ©es maintenant des buffles, sont bornĂ©es Ă  l'horizon par des hauteurs boisĂ©es. Aujourd'hui tous les affluents de cette grande riviĂšre abondent en castors. C'est la prĂ©sence de ces animaux qui a fait donner aux In- diens Ă©chelonnĂ©s le long des rives le nom de Castors. Outre le fort Vermillon , la Compagnie de la baie d'Hudson possĂšde deux autres forts sur cette riviĂšre, le fort Dunvergun et, presque Ă  sa source, le fort John. A soixante-dix lieues Ă  l'ouest, un autre cours d'eau considĂ©rable coule parallĂšlement Ă  la riviĂšre de la Paix, c'est la riviĂšre des Lyards, — le LES DEUX AMERIQUES. 105 lyard est nue sorte d'arbre, — qui descend des montagnes Rocheuses avec l'impĂ©tuositĂ© d'un torrent. Les timoniers mĂ©tis quand ils se ha- sardent sur ses eaux se fout attacher Ă  leur canot pour triompher de la violence du courant. Fig. 81. — Pont suspendu des Indiens. Et maintenant, avant de franchir ces montagnes Rocheuses qui se trouvent sans cesse Ă  notre horizon, nous allons abandonner l'AmĂ©ri- que britannique et descendre au sud pour visiter les territoires nouvelle- ment constituĂ©s de l'ouest, c'est-Ă -dire la vaste rĂ©gion, sauvage encore, qui s'Ă©tend Ă  l'ouest des États-Unis le Far-West. VI. Les Peaux Rouges et les Visages PĂąles. — HostilitĂ© permanente. — La lĂ©gende de Fergusson. — LTne rixe sanglante. — Ruse de Peau Rouge. — Incendie clans la Prairie. — ScalpĂ© ou brĂ»lĂ© vif. — Quelques relations amicales. — Les Français du Canada. — Les Quakers. — John Smith et Pocahontas. — Ce qu'Ă©tait l'AmĂ©rique il y a deux siĂšcles. — La forĂȘt vierge. Le voyage de Chateaubriand dans le nouveau monde, la peinture qu'il nous a faite de la vie des Natchez , le rĂ©cit des amours d'Atala et de Chactas, nous ont fait connaĂźtre une AmĂ©rique pittoresque, poĂ©tique et grandiose, — avec ses larges fleuves, ses forĂȘts vierges, ses citĂ©s nĂ©es de la veille. A leur tour, les romans de Fenimore Cooper sont venus sĂ©duire les jeunes imaginations par les tableaux si colorĂ©s, si vrais, si sĂ©duisants qu'ils prĂ©sentent. C'est dans ces compositions que nous avons tous appris Ă  aimer ces Indiens, hĂ©roĂŻques dans leur rĂ©sistance Ă  l'invasion de leur pays; ces pionniers qui, presque toujours pour secouer toute contrainte des institutions sociales, s'en vont au loin dans le dĂ©sert, et justement pour le plus grand profit de cette civilisation dĂ©daignĂ©e par eux ; ces colons, — vĂ©ritables chasseurs de terre » comme on les a appelĂ©s, — maniant Ă©galement la bĂȘche et la carabine, qui font des conquĂȘtes sur un sol n'ayant jamais Ă©tĂ© dĂ©frichĂ©, toujours prĂȘts Ă  soutenir une lutte acharnĂ©e contre des sauvages qui se mettent sur le sentier de la guerre » non par gloriole ou turbulence, mais avec l'Ă©nergie du dĂ©ses- poir. Chateaubriand et Cooper, — celui-ci du moins pour la plupart de ses romans, — ont placĂ© les cadres de leurs Ɠuvres dans la rĂ©gion des grands lacs, oĂč se sont formĂ©s depuis des centres de population ; mais il suffit pour que les peintures des deux grands Ă©crivains gardent toute la vive animation de leur coloris, de se porter un peu vers l'ouest du continent LES DEUX AMERIQUES. 107 amĂ©ricain, au delĂ  du Mississipi, coteau de la torture. 232 LES DEUX AMÉRIQUES. sont lasses de ces passe-temps fĂ©roces, elles allument du feu sur le ventre de leur victime qui expire dans d'affreuses souffrances, tandis qu'elles se mettent Ă  danser en rond. Quelles sont donc les querelles qui arment les tribus les unes contre les autres ? Quelquefois c'est Ă  l'occasion d'un territoire neutre violĂ©, d'une frontiĂšre franchie; un champ de chasse est disputĂ©; le plus souvent, il s'agit de reprĂ©sailles Ă  exercer pour quelque ancien mĂ©fait impossible Ă  pardonner. Il y a aiusi des haiQes qui s'Ă©ternisent. Autrefois, au temps de la guerre de l'IndĂ©pendance, des tribus entiĂšres ont pris fait et cause en faveur des AmĂ©ricains, soutenus par les Français, ou en faveur des Anglais. Aujour- d'hui les Peaux Rouges n'essayent pas de s'entendre pour s'unir contre les Visages PĂąles. Ils continuent de guerroyer entre eux, et de temps Ă  autre contre les Yankees, dont ils attaquent les convois dans les prairies. D'aprĂšs ce qu'on sait de la thĂ©ologie des Indiens, Hiawitha ou Kitchi Manitou, le Grand-Esprit, est une divinitĂ© suprĂȘme qui rĂšgne au som- met des cieux et au nom duquel gouvernent une foule de ministres ou de divinitĂ©s secondaires, beaucoup plus rĂ©elles et vivantes que lui. Suivous M. Élie Reclus dans ses Fragments de morale indienne, pour mettre un peu d'ordre dans les divinitĂ©s de cet Olympe de sauvages. Les principales de ces divinitĂ©s sont au nombre de six, dont quatre habitent les quatre points cardinaux, — pays des vents, — et sont su- bordonnĂ©es aux GĂ©nies du ciel et au GĂ©nie de l'eau; ce dernier est l'Être malfaisant. Mais le personnage le plus considĂ©rable de cette mythologie est Me- nabochou, CrĂ©ateur, Homme-Dieu et PromĂ©thĂ©e. Les Peaux Rouges le confondent presque constamment avec leur Dieu suprĂȘme, dont il est la rĂ©alisation et la personnification la plus immĂ©diate, en mĂȘme temps que son incarnation humaine et perpĂ©tuelle. Car Menabochou n'a pas abandonnĂ© le monde, son ouvrage, et continue Ă  l'habiter Ă  la façon d'un Indien. Menabochou a femmes, enfants et neveux, il fume sa pipe, et quand il a faim il se serre le ventre. » C'est Ă  Menabochou que l'on doit le paradis des Ăąmes, auquel le grand Manitou n'avait point songĂ©, — oubli fĂącheux ! GrĂące Ă  Menabo- LES DEUX AMÉRIQUES. 233 chou, les Ăąmes ne s'ennuient plus aprĂšs la mort ; elles se rassemblent clans les prairies heureuses », oĂč elles dansent et jouent du tambour toute la journĂ©e plus de guerre, plus de chasse, plus aucun travail. ce Presque tous les Indiens, dit M. Élie Reclus, ont transportĂ© leur paradis Ă  l'ouest, par delĂ  l'ocĂ©an Pacifique, et il est Ă  remarquer que leurs jossakids » ou devins sont rĂ©putĂ©s d'autant plus puissants qu'ils habitent davantage vers l'occident. Leur imagination aurait-elle Ă©tĂ© Kg. 92. — La danse du scalp. frappĂ©e par les splendeurs du couchant, baignant de ses vapeurs dorĂ©es les coteaux lointains, par delĂ  lesquels la paix, le bonheur et la gloire semblent habiter un pays inconnu, tout rayonnant de lumiĂšre dorĂ©e ? Serait-ce que leurs lĂ©gendes, reportant leurs origines vers l'orient, Ă©ta- bliraient une analogie poĂ©tique entre le matin et la naissance, le dĂ©clin du jour et le soir de la vie, la nuit et la tombe, entre un pays que le soleil parcourt pendant la nuit et celui oĂč se rendent les Ăąmes aprĂšs la mort? Peut-ĂȘtre ont-ils pensĂ© que les Ăąmes marchaient sur la trace du soleil par le chemin des Ă©toiles, par cette voie lactĂ©e que les Indiens appellent le sentier de la mort » ? CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. ;0 234 LES DEUX AMÉRIQUES. La cosmogonie trĂšs Ă©lĂ©mentaire des Indiens s'est fort bien accom- modĂ©e des rĂ©cits bibliques et des lĂ©gendes chrĂ©tiennes rĂ©pandues par les missionnaires. Qu'on nous permette pour en fournir un exemple curieux, — nous pourrions multiplier ces exemples, — de rapporter ici l'histoire de la crĂ©a- tion et du pĂ©chĂ© originel. On y verra que Marie dont les Indiens ont plus entendu parler que d'Eve, y est confondue avec notre premiĂšre mĂšre. Autrefois la mer s'Ă©tendait partout. Kitchi Manitou, — d'autres di- sent Menabochou, — forma d'abord le rivage en rĂ©pandant du sable tout autour du lac ; et il trouva qu'il faisait bon s'y promener. Un jour il aperçut une petite racine qu'il enfonça dans le sable ; et le lendemain cet endroit s'Ă©tait transformĂ© en une forĂȘt de roseaux oĂč bruissait et murmurait le vent. Cela lui fit plaisir, et dĂ©sormais il ramassa toutes les graines qu'il rencontrait ; et bientĂŽt le pays se couvrit d'herbes et de forĂȘts, oĂč les oiseaux et les bĂȘtes vinrent habiter. Chaque jour il ajou- tait quelque chose Ă  son domaine, et il n'oublia pas de mettre des pois- sons dans l'eau. Par aventure , il se vit un jour fort surpris en rencontrant sur la plage un Ă©trange animal, couvert des pieds Ă  la tĂȘte d'Ă©caillĂ©s d'argent Ă©tincelantes, et qui rongeait les jeunes pousses de roseaux. C'Ă©tait un homme. Il ne jwuvait pas parler, mais il soupirait bien souvent. Kitchi Manitou, devinant son ennui d'ĂȘtre seul, le prit dans son canot et le porta dans l'Ăźle qui se trouve encore au milieu du lac SupĂ©rieur; et il se mit immĂ©diatement Ă  l'Ɠuvre pour lui fabriquer une femme. Il la cons- truisit Ă  peu prĂšs comme lui et la recouvrit Ă©galement d'Ă©caillĂ©s d'ar- gent, et il lui souffla la vie par la bouche. AprĂšs il lui dit Cherche le long du rivage, et tu trouveras qui te fera de la joie. » Elle se mit donc Ă  chercher; elle cherchait, elle cherchait tous les jours. L'homme, qui ne se doutait de rien, continuait Ă  manger ses pousses de roseau. Un jour qu'il s'avança plus loin que d'habitude, il dĂ©couvrit avec effroi de nombreuses traces de pieds sur le sable... Si c'Ă©tait une mĂ©chante horde d'Indiens! » pensa-t-il, et il se rĂ©fugia daus le taillis. Enfin, il aperçut la femme, endormie de fatigue sur un tronc d'arbre. Il la con- templa, il la contempla longtemps, et la saisissant par le bras LES DEUX AMÉRIQUES. 235 Qui es-tu ? lui demauda-t-il, car Ă  sa vue la parole lui vint tout d'un coup. Comment t'appelles-tu? D'oĂč viens-tu? — Je m'appelle Mani Marie et Kitchi Manitou m'a dit dĂ©jĂ  que je te trouverais. — Et que mauges-tu? — Je n'ai encore rien mangĂ©, il me tardait trop de te trouver. DonnĂ©- es moi tout ce que tu voudras. » AussitĂŽt l'homme sauta dans le taillis et lui chercha des herbes et des racines. Kitchi Manitou, qui regardait de loin, se sentit Ă©mu, et^vint les prendre dans son canot pour les amener dans son Ăźle, oĂč ils trouvĂš- rent une maison, avec des vitres aux fenĂȘtres , avec des chaises, des lits et des tables. A cĂŽtĂ©, un joli jardin avec des pommes de terre, des ha- ricots, des prunes et des cerises ; plus loin, un grand champ de maĂŻs. ceu dans la bouche. Les Marahuas du Javari, trĂšs agrĂ©ablement peinturlurĂ©s, remplacent les moustaches et la barbe absentes par des Ă©pines de palmier de six pouces de long, ou de mimosa, fichĂ©es dans les lĂšvres et le menton, trouĂ©s Ă  cet effet comme une Ă©cumoire. Chez les Lenguas, les hommes et les femmes ont les oreilles percĂ©es de bonne heure. En y passant un morceau de bois, dont on augmente sans cesse le volume, on parvient, Ă  l'Ăąge oĂč partout naĂźt l'ambition, Ă  constater que le lobule de l'oreille peut recevoir un rondin d'une res- pectable grosseur. Vers l'Equateur, les Ccotos et les Anguteros per- cent aussi leurs oreilles et parviennent Ă  y enchĂąsser des rondelles en bois de cĂ©cropia d'un volume phĂ©nomĂ©nal. Ajoutons comme singularitĂ©, que les Indiens Charbonniers » du dĂ©sert de sable qu'on nomme la Pampilla, ainsi que des Indiens de plusieurs autres tribus, reçoivent un aspect Ă©trange de leur forte chevelure nouĂ©e derriĂšre la tĂȘte en 352 LES DEUX AMÉRIQUES. queue de cheval. Les YuracarĂšs attachent leur couteau Ă  leurs cheveux, par derriĂšre. Si l'on passe au caractĂšre, il est impossible de gĂ©nĂ©raliser. Il y a des Indiens d'une humeur douce, comme les Quichuas, lesquels vont jus- qu'Ă  l'apathie et Ă  la mĂ©lancolie ; il y en a d'effĂ©minĂ©s, comme les MocĂ©tĂ©nĂšs ; il y en a d'affables et d'hospitaliers, comme les Changos. Les Antis sont bons, humbles et serviables. Au BrĂ©sil, les Mondurucus ont paru de braves gens » Ă  Lucien Biart, et leur bonhomie, disait-il, le rĂ©conciliait avec la race indienne. On rencontre des populations qui se font remarquer par leur viva- citĂ©, leur loquacitĂ©, comme les Chontaquiros du PĂ©rou; d'autres au contraire se montrent taciturnes, comme les YuracarĂšs. Les Indiens qui se nourrissent de tortues, comme les Conibos, semblent plongĂ©s dans une sorte de torpeur la lenteur de leur esprit obtus, leur jovialitĂ© un peu niaise, sont Ă©crites dans leurs yeux vagues, sur leurs joues massives. Il y a des Indiens hautains; il y en a de hardis, d'entreprenants; on a pu noter l'arrogance des Tacanas, la rudesse et l'indiscipline des Chon- taquiros. Les Muras de l'Amazone sont voleurs, n'ont aucune parole et professent une invincible antipathie pour les hommes qui n'appartien- nent pas Ă  la race rouge. Dans un concours de vertus attardĂ©es », — on fait bien des courses de lenteur au vĂ©locipĂšde! — une mĂ©daille pour la malpropretĂ© individuelle pourrait ĂȘtre offerte aux Lenguas du Para- guay. Mais le trait qui domine assurĂ©ment parmi les populations encore insoumises de l'AmĂ©rique du Sud, c'est la cruautĂ©, l'humeur belliqueuse et farouche. Les riverains du Caqueta, et des affluents du Napo, les Indiens nomades de la Pampa, et bien d'autres sont toujours dispos pour le pillage, l'incendie, le meurtre et le rapt. Enfin il existe encore parmi les Indiens des anthropophages. Les Miranhas sont considĂ©rĂ©s comme tels par les tribus voisines, — qui peut-ĂȘtre les calomnient. Nous ne conseillerions Ă  aucune personne dodue et bien en chair d'aller vĂ©rifier la chose. Au dire des habitants du bassin de l'Amazone, les Ccotos de la rive droite du Napo et les Anguteros , qui habitent les forĂȘts situĂ©es sur la gauche de ce cours d'eau, sont voleurs, assassins et anthropophages. LES DEUX AMERIQUES. 353 Ces deux castes, nous apprend M. Marcoy, ue hantent guĂšre, du- rant le jour, les plages du Napo, par frayeur des trafiquants de salse- pareille. Mais ils se dĂ©dommagent de cette contrainte en y venant la nuit, et malheur Ă  l'imprudent voyageur qu'ils trouvent endormi sous sa moustiquaire ! Ils s'en approchent sans bruit, soulĂšvent les plis de la toile et percent le dormeur de leur lance emmanchĂ©e d'un bambou Fig. 131. — Indiens anthropophages. tranchant et effilĂ©, large de six pouces. Le mangent-ils ensuite? — Tout le monde l'assure, mais nous n'osons pas l'affirmer. » Une autre tribu importante se signale de temps en temps par sa fĂ©ro- citĂ© la derniĂšre fois que les Tobas du Pilcomayo ont fait parler d'eux , c'est lorsqu'ils ont massacrĂ© le docteur Crevaux et le personnel de la mis- sion que ce savant voyageur dirigeait, — sauf le Français Ernest Haurat et l'Argentin Carmelo Blanco qui purent d'abord se sauver Ă  la nage, mais demeurĂšrent prisonniers. Les Tobas, dit le docteur Demersay, dans son Histoire du Paraguay, fiers, jaloux de leur libertĂ©, ont de tout temps montrĂ© des dispositions hostiles aux crĂ©oles et n'ont cessĂ© d'inquiĂ©ter leurs Ă©tablissements, tantĂŽt en les attaquant Ă  force ouverte, CONTRÉES .MYSTÉRIEUSES. 45 354 LES DEUX AMÉRIQUES. tantĂŽt en pillant leurs troupeaux. Les villes de Corrientes et de Santa- FĂ©, cette derniĂšre surtout, eurentbeaucoup Ă  souffrir de leurs dĂ©prĂ©dations. Les SantafĂ©cinos, aidĂ©s par les gouverneurs des provinces voisines, ont Ă  plusieurs reprises dirigĂ© contre leurs ennemis implacables de coĂ»teuses et sanglantes expĂ©ditions. Cette lutte entre la barbarie et la civilisation continue de nos jours plus ardente que jamais. Un voyageur raconte que les Indiens ont fait sur les rives du Salado, du mois d'avril 1854 au mois d'aoĂ»t 1855, six invasions qui ont coĂ»tĂ© Ă  la province de Santiago cent treize habitants emmenĂ©s comme captifs ou assassinĂ©s sur place. Nulle sĂ©curitĂ© pour les habitations Ă©parses, ni mĂȘme pour les villes. Ces hordes pillardes, qui savent doubler les forces et la vitesse du cheval, traversent comme une avalanche d'immenses dĂ©serts, et tombent tout d'un coup sur de pauvres familles, presque folles de frayeur et sans dĂ©- fense. Qu'on suppose ces Indiens pourvus quelque jour d'armes Ă  feu, et ils viendrout impunis asseoir lgurs tentes sur les ruines des citĂ©s. » Et le docteur Demersay ajoute avec une profonde conviction En attendant que le croisement des races les fasse entrer, modifiĂ©s et adoucis, dans la grande famille humaine, l'imminence du pĂ©ril oblige Ă  des mesures Ă©nergiques d'extermination... » En somme les Indiens de l'AmĂ©rique du Sud non soumis, — los In- dios bravos, — laissent encore Ă©normĂ©ment Ă  dĂ©sirer. Quant aux Indiens i civilisĂ©s », les mazos, ils ne prĂ©sentent pas en gĂ©nĂ©ral un spectacle bien encourageant leur paresse, leur ivrognerie, leurs vices sont loin de donner une idĂ©e brillante de l'avenir rĂ©servĂ© aux autres on dirait que ces malheureuses races ne sont aptes Ă  prendre de la civilisation que ses mauvais cĂŽtĂ©s. Parmi ces Indiens sauvages, un grand nombre de tribus vivent Ă  l'Ă©tat de nuditĂ©; et pourtant, dans certaines rĂ©gions humides les mous- tiques leur font une guerre d'extermination. Quelquefois une ficelle autour des reins compose tout le costume, ou encore quelque orne- ment superflu fait oublier les parties absentes du vĂȘtement les Mayorunas couvrent leurs narines de piĂšces d'argent et leur menton de plumes de perroquet voilĂ  tout! Ailleurs, on voit des brassards enjolivĂ©s de plumes, des bandes de coton tissĂ© au-dessus des chevilles des pieds c'est encore peu de chose... LES DEUX AMÉRIQUES. 355 Dans l'AmĂ©rique Ă©quinoxiale la nuditĂ© des femmes est absolue, sauf les jours de rĂ©jouissance, ou lorsque les tri- bus se dĂ©clarent respectivement la guerre. Alors hommes et femmes portent uue cein- ture, des bretelles de coton ; des colliers de verroterie, de peaux de serpent, de graines , de fruits, ou encore de dents de caĂŻman, de jaguar, d'ours, de puma, de singe; des pen- deloques d'or et d'argent aux oreilles ; une couronne de plumes sur la tĂȘte. Un voyageur, M. Ed. AndrĂ©, dit que dans ces grandes circonstances, les narines et la lĂšvre supĂ©rieure des femmes sont trouĂ©es pour supporter de petites baguettes couvertes de fines plumes de colibri ; leurs oreilles sont ornĂ©es de la mĂȘme maniĂšre ou de morceaux d'or, et leur lĂšvre infĂ©rieure est percĂ©e de trous d'oĂč plusieurs Ă©pines font saillie air dehors ». Qui s'y frotte s'y pique! Quant aux Indiens qui montrent quelque souci de se vĂȘtir, — il en est peu qui soient aussi complĂštement habillĂ©s que le sont les femmes des Yuncas du PĂ©rou, — les uns se bornent Ă  s'attacher une piĂšce d'Ă©toffe ou une peau autour des hanches et Ă  se couvrir les Ă©paules de la dĂ©pouille des animaux des forĂȘts. Les Indiens Mocoas ont pour se couvrir un morceau d'Ă©toffe grossiĂšre, sorte de droguet fabriquĂ© dans la rĂ©publique de l'Equateur et large d'un mĂštre, sur deux de long. Une fente mĂ©diane permet de passer la tĂȘte, et les deux moitiĂ©s qui retombent sont atta- chĂ©es Ă  la ceinture par une autre bande d'Ă©toffe ou de cuir. Le sac qui sert de tunique aux Chontaquiros du PĂ©rou a un capuchon. 356 LES DEUX AMÉRIQUES. Fig. 133. — Jeune femme Yuucas, du PĂ©rou. aux villages oĂč ils trouvent d'autr Forster, le savant compagnon de Cook, soupçonna que ces Ăźles circu- laires sont des cratĂšres de volcans exhaussĂ©s par les polypes. Cette explication est insuffisante. Il faut dire encore que, volcans ou sommets de montagnes, sont descendus peu Ă  peu au niveau de la mer. C'est lorsque ces hauteurs ont Ă©tĂ© sur le point de disparaĂźtre que le travail des polypes, recommencĂ© sans doute bien des fois sur une plus vaste circonfĂ©rence, a surgi, formant un anneau entourĂ© de ce qui demeurait au-dessus de l'eau sons la forme d'un Ăźlot. Entre l'anneau battu par les flots et l'Ăźlot central, la mer dort dans un bassin tranquille. Quel- ques plantes de trois ou quatre espĂšces, dit encore Michelet dans son beau livre sur la Mer, font une couronne de verdure clairsemĂ©e an bas- sin antĂ©rieur. L'eau est du plus beau vert. L'anneau est de sable blanc rĂ©sidu de coraux dissous en contraste avec le bleu foncĂ© de l'OcĂ©an. Sous l'eau salĂ©e, nos ouvriers travaillent selon leurs espĂšces ou leurs 398 L'OCÉANIE. caractĂšres, les uns plus hardis aux brisants, aux cĂŽtĂ©s paisibles les bonnes gens timides. VoilĂ  un monde peu variĂ©. Atteudez. Les vents, les courants, tra- vaillent Ă  l'enrichir. Il ne faut qu'une bonne tempĂȘte pour que les Ăźles voisines fassent la fortune de celle-ci. C'est lĂ  une des plus magnifiques fonctions de la tempĂȘte. Plus elle est grande, violente, tourbillonnante, enlevant tout, plus elle est fĂ©conde. Une trombe passe sur une Ăźle ; le torrent qu'elle y produit, chargĂ© de limon, de dĂ©bris, de plantes mortes ou vivantes, parfois de forĂȘts arrachĂ©es, flot noir, bourbeux, perce la mer, et bientĂŽt, poussĂ© des vagues ici et lĂ , distribue ces prĂ©sents aux Ăźles prochaines. Un grand messager delĂ  vie, et l'un des plus transportables, c'est la solide noix de coco. Non seulement elle voyage ; mais, jetĂ©e sur les rĂ©cifs, si elle trouve un peu de sable blanc, oĂč pĂ©riraient d'autres plantes, elle y prend et s'en contente. Si elle trouve une eau saumĂątre qu'aucun n'aimerait, elle la compte pour eau douce, et vit lĂ , et s'enfonce lĂ . Elle germe , elle pousse, et c'est un arbre, un robuste cocotier. Un arbre c'est bientĂŽt de l'eau douce, et des dĂ©bris, donc de la terre. Cela invite d'autres arbres, et bientĂŽt l'on voit des palmiers. Des vapeurs arrĂȘtĂ©es par eux se fait un ruisseau qui coulant du centre de l'Ăźle, maintient dans la blanche ceinture une percĂ©e que respectent les polypes, habitants de l'eau salĂ©e. > Les savants ont consacrĂ© le nom d'attoles donnĂ© par les Indous aux Ăźles de coraux Ă  lagunes de l'ocĂ©an Pacifique. Les plus remarquables sont le groupe d'attoles de l'archipel de Radak visitĂ© par Chamisso, l'Ăźle de Borabora, l'Ăźle de Witsunday dans l'archipel de Pomotou, l'Ăźle Keeling ou des Cocos Ă  environ deux cent quarante lieues de la cĂŽte de Sumatra. Le cercle de rĂ©cifs qui forme une lagune laisse libre un chenal qui tournoie entre des coraux dĂ©licatement ramifiĂ©s. C'est le passage que prennent les vaisseaux pour chercher un mouillage Ă  l'intĂ©rieur. DĂšs l'entrĂ©e, dit Darwin, qui a visitĂ© les attolesde l'OcĂ©anie, le spectacle est ravissant. L'eau, calme, limpide, transparente, peu profonde, repose sur un lit blanc, uni, fin. Le soleil, dardant ses rayons verticaux sur cette immense plaque de cristal, de plusieurs milles de largeur, la fait resplen- L'OCÉ ANIE. 399 dir du vert le plus Ă©clatant ; des ligues de brisants, frangĂ©es d'une Ă©blouissante Ă©cume, la sĂ©parent des noires et lourdes vagues de l'OcĂ©an et les festons rĂ©guliers et arrondis des cocotiers, aux palmes vertes, Ă©pars sur les Ăźlots, se dĂ©tachant sur la voĂ»te azurĂ©e du ciel, achĂšvent d'encadrer ce miroir d'Ă©meraudes, tachetĂ© çà et lĂ  par des lignes de vivants coraux. » La mer attaque sans trĂȘve, de ses grandes vagues, cette barriĂšre nĂ©e de la veille, et arrache d'Ă©normes blocs de rochers ; mais le travail in- cessant de ces myriades d'architectes, Ă  l'Ɠuvre nuit et jour, rĂ©pare les brĂšches ; et l'on est bien forcĂ© de reconnaĂźtre que le corps mou et gĂ©lati- neux d'un polype sait vaincre, par l'action des lois vitales, l'immense pouvoir mĂ©canique des vagues de l'OcĂ©an auxquelles ne rĂ©sisteraient ni l'art de l'homme, ni les ouvrages de la nature. Deux naturalistes trĂšs distinguĂ©s, Gaimard et Quoy, ont victorieuse- ment soutenu que les polypes du corail n'Ă©tablissent jamais leur de- meure Ă  une grande profondeur, oĂč ils ne pourraient rĂ©sister Ă  l'exces- sive pression de l'eau; ils commencent leurs travaux Ă  quelques brasses seulement au-dessous du niveau de l'OcĂ©an, en s'Ă©tablissant sur les hauts-fonds. L'illustre Darwin a donnĂ©, depuis, Ă  leur assertion le poids de son autoritĂ©. Ainsi, on l'a dĂ©jĂ  compris, ce n'est pas du fond de la mer qu'ont surgi ces Ăźles Ă  fleur d'eau. Ces hauts-fonds sur lesquels les lithophytes bĂątissent ont Ă©tĂ© formĂ©s par des montagnes, par des Ăźles lentement descendues l'une aprĂšs l'autre sous les vagues, offrant suc- cessivement de nouvelles bases Ă  l'Ă©tablissement des coraux, — mondes finis et qui veulent renaĂźtre. Si la navigation Ă  travers l'ocĂ©an Pacifique et le grand OcĂ©an n'est pas exempte de pĂ©rils, s'orienter dans ces mers pour dĂ©crire les Ăźles et les grandes terres qu'on y rencontre n'est pas non plus sans quelque dif- ficultĂ©. Les gĂ©ographes ont adoptĂ© pour cette partie du globe une divi- sion toute conventionnelle. Ils ont rĂ©parti les diverses terres grandes et petites entre les quatre groupes suivants 1° La Malaisie, dont les habitants appartiennent Ă  la race malaise, caractĂ©risĂ©e par son peu de barbe, sa petite taille, le teint rouge-brun de sa peau. Cette rĂ©gion de l'OcĂ©anie comprend l'archipel de la Sonde 400 L'OCÉANIE. Java, Sumatra, Banca, Timor, BornĂ©o, les CĂ©lĂšbes, les Moluques, les Philippines. 2° La MĂ©lanĂ©sie, ainsi nommĂ©e Ă  cause de sa population noire. Elle possĂšde un vaste continent l'Australie et de grandes terres comme la Nouvelle-GuinĂ©e, la Nouvelle-CalĂ©donie, la Nouvelle-Bretagne, les Nou- velles-HĂ©brides, auxquelles il convient d'ajouter les Ăźles Salomon et les Louisiades. Les Australiens sont des sortes de nĂšgres chĂ©tifs;les Papouas de la Nouvelle- GuinĂ©e, avec leur peau noire et leur barbe bien fournie, reprĂ©sentent la portion la mieux partagĂ©e du groupe mĂ©lanĂ©sien. 3° La PolynĂ©sie ce mot signifie Ăźles nombreuses. Elle renferme la Nouvelle-ZĂ©lande, les Ăźles Viti ou Fidji les Ăźles Marquises, TaĂŻti, les Ăźles Tuamotou, les Ăźles Gambier, les Ăźles Sandwich, les Ăźles Samoa, les Ăźles Tonga. Les PolynĂ©siens ont le teint plus clair et les traits plus rĂ©guliers que les hommes de race malaise. 4° enfin, la MicronĂ©sie petites Ăźles est, elle-mĂȘme, enclavĂ©e clans la PolynĂ©sie. On y compte les Ăźles Carolines, les Mariannes, les Ăźles Mars- hall, les Ăźles Palaos, et quelques autres. L'Ă©valuation de la population des terres ocĂ©aniennes varie entre vingt-cinq millions et trente-cinq millions. Nous assisterons, dans cette partie du globe, Ă  la disparition inĂ©vita- ble des sauvages que la prĂ©sence seule des EuropĂ©ens semble frapper de mort. Comme on l'a dit, la violence vis-Ă -vis de ces aborigĂšnes est un crime gratuit, puisque le simple contact de l'homme civilisĂ© tue le sauvage. De tous les peuples dissĂ©minĂ©s dans ces Ăźles nombreuses de l'OcĂ©anie, il n'y aura plus, dans un siĂšcle, que de rares tribus. C'est le monde europĂ©en, Ă©lĂ©ment plus fort, qui se substitue fatale- ment aux races indigĂšnes demeurĂ©es indolentes et farouches. On a remarquĂ© toutefois que les populations de race malaise rĂ©sistent beau- coup mieux au contact des EuropĂ©ens que les PolynĂ©siens, peut-ĂȘtre parce qu'elles y ont Ă©tĂ© graduellement prĂ©parĂ©es par des siĂšcles de re- lations avec les races supĂ©rieures de l'Asie. L'influence des races n'explique peut-ĂȘtre pas suffisamment cette im- possibilitĂ© apparente de s'initier Ă  notre civilisation que l'on remarque chez certains peuples. On a dit avec raison que le principal obstacle Ă  l'initiation des peuples actuellement sauvages, c'est la trop grande dis- L'OCÉANIE. 401 tance existant entre leur culture Ă©lĂ©mentaire et la nĂŽtre. Il y a lĂ  un abĂźme que ni les uns ni les autres ne peuvent franchir. Pour dĂ©grossir des sauvages, des barbares vaudraient mieux que des gens civilisĂ©s ; il faudrait qu'il y eĂ»t des points de contact entre deux peuples pour que le plus avancĂ© entraĂźnĂąt l'autre. Mais comme on met en prĂ©sence les deux extrĂȘmes de la sauvagerie et de la civilisation, le sauvage effa- rouchĂ© fuit ou meurt, et l'initiateur dĂ©concertĂ© demeure persuadĂ© qu'il a affaire Ă  des crĂ©atures d'une espĂšce infĂ©rieure qu'il peut lĂ©gitimement refouler ou dĂ©truire. Nous retrouverons l'anthropophagie encore existaute dans certaines parties de l'OcĂ©anie et se pratiquant de maniĂšres diverses chez les Bat- tas de Sumatra, les Tidouns de BornĂ©o, les Papouas, les Maindanais des Philippines, les insulaires de Piguiram Ăźles Carolines, en Nouvelle- ZĂ©lande, dans tout l'archipel Viti, trĂšs probablement dans la Nouvelle- Irlande, dans l'archipel Salomon oĂč le cannibalisme exerce toutes ses fureurs, Ă  Tanna Nouvelles-HĂ©brides , Ă  la Nouvelle-CalĂ©donie, mal- grĂ© l'occupation et la colonisation française, et dans certaines tribus du centre et du nord de l'Australie, notamment au dĂ©troit de TorrĂšs. Mais dĂ©jĂ  notre voyage est commencĂ© en quittant l'AmĂ©rique, nous Ă©tions en vue des Ăźles Gallapagos, Ăźles sans importance, mais dont nous demandons la permission de dire quelques mots, Ă  cause de ses hĂŽtes emplumĂ©s, — les oiseaux familiers. Cet archipel, qui a appartenu Ă  la RĂ©publique de l'Equateur jusqu'en 1855, Ă©poque de sa cession aux Etats-Unis, consiste en dix Ăźles princi- pales formĂ©es de rocs volcaniques, situĂ©es sous l'Ă©quateur et assez prĂšs des cĂŽtes de l'AmĂ©rique du Sud pour pouvoir ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme des satellites de ce continent. Plusieurs des cratĂšres qui dominent les plus grandes Ăźles sont im- menses et s'Ă©lĂšvent Ă  plus de mille mĂštres. Sur leurs flancs s'ouvrent d'innombrables orifices, et l'on peut sans hĂ©siter Ă©valuer Ă  au moins deux mille les cratĂšres de cet archipel. La flore de quelques-unes de ces Ăźles n'a d'analogue pour sa pauvretĂ© que la flore arctique. Un acacia et un grand cactus d'un port bizarre sont les seuls arbres qui fournissent uu peu d'ombre ; les feuilles et les CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. il 402 L'OCÉANIE. fleurs que donnent ces arbres sont si maigres qu'Ă  trĂšs peu de distance on croirait leurs branches dĂ©pouillĂ©es comme en hiver. Quant Ă  la faune, elle n'est pas plus riche des lĂ©zards, des serpents, de nombreuses tortues, point de crapauds ni de grenouilles. Darwin a rĂ©uni quelques Ă©chantillons d'oiseaux de l'intĂ©rieur des terres, tous spĂ©- ciaux Ă  cet archipel. Merles moqueurs, pinsons, roitelets, gobe-mou- ches,pigaons et busards, prĂ©sentent cette singuliĂšre particularitĂ© de se laisser approcher d'assez prĂšs pour qu'on puisse les abattre avec sa badine ou mĂȘme d'un coup de chapeau. Un jour que j'Ă©tais couchĂ© Ă  terre, raconte Darwin, un merle vint se poser sur le bord d'une Ă©cuelle faite d'une Ă©caille de tortue que je tenais Ă  la maiu, et se mit tranquillement Ă  boire ; je levais le vase sans qu'il s'envolĂąt. J'ai tentĂ© d'attraper ces oi- seaux par les pattes et peu s'en est fallu que je ne rĂ©ussisse. Il paraĂźt qu'au- trefois ils Ă©taient encore plus familiers qu'Ă  prĂ©sent. Cowley a Ă©crit en 1684 Les tourterelles sont si peu craintives qu'elles se posent sur nos chapeaux et nos Ă©paules, de maniĂšre qu'on peut les prendre vivantes. Elles n'avaient aucune crainte de l'homme jusqu'Ă  ce que quelqu'un des nĂŽtres, ayant tirĂ© sur elles, les eĂ»t mis en dĂ©fiance. » Dampier dit aussi, Ă  la mĂȘme Ă©poque, qu'un homme pouvait facilement tuer six Ă sept dou- ce zaines de ces oiseaux dans sa promenade du matin. » Aujourd'hui, quoi- que peu farouches, les tourterelles ne perchent pas sur la tĂȘte des gens et ne se laissent pas massacrer en si grand nombre... Dans l'Ăźle Charles 1 , je vis un jeune garçon assis prĂšs d'une source, une baguette Ă  la main ; il s'en servait pour tuer les tourterelles et les pinsons Ă  mesure qu'ils venaient boire. Il en avait dĂ©jĂ  un petit tas qu'il destinait Ă  son dĂźner. C'Ă©tait, disait-il, sa façon habituelle de s'approvisionner. Il semble que les oiseaux de cet archipel n'ont pas encore appris que l'homme est de tous les animaux le plus dangereux... On peut conclure de ces faits et de beaucoup d'autres analogues, ajoute le cĂ©lĂšbre naturaliste, que la ter- reur de l'homme chez les oiseaux est un instinct particulier, qui ne s'ac- quiert qu'au bout d'un certain temps, mĂȘme quand il y a persĂ©cution, et qui se transmet par l'hĂ©rĂ©ditĂ© Ă  travers des gĂ©nĂ©rations successives. » 1 L'Ăźle Charles est habitĂ©e par une petite colonie de dĂ©portĂ©s politiques bannis de la rĂ©pu- blique de FÉquateur. La vĂ©gĂ©tation y est vigoureuse ; il y a des bois, des cultures de patates et de bananes. Les pauvres habitants y vivent de porcs et de chĂšvres sauvages et surtout de tortues. IL La PolynĂ©sie. — Ile de PĂąques. — Ducie. — L'Ăźle Elisabeth. — Pitcairn. — L'archipel de Gam- bier. — L'arbre Ă  pain. — Les huĂźtres perliĂšres. — TaĂŻti, la Nouvelle-CythĂ©re. — Ses jeunes filles. — Les Ăźles Marquises. — Les plus beaux PolynĂ©siens. — La lĂ©proserie des Ăźles Saud- wich. — HĂ©roĂŻsme du P. Damien. — LeMauna-Loa. — Les Ăźles Hervey. — L'archipel de Sa- moa. — Les cent cinquante Ăźles, Ăźlots et Ă©cueils de l'archipel de Tonga. — L'Ile ou Christian et ses compagnons. — La Nouvelle-ZĂ©lande. — Ses beautĂ©s naturelles. — Les bassins de ses ce grandes eaux ». — Les fougĂšres arborescentes. — Le pin Kauri. — Le plus beau lin du monde. — L'ouragan de sable. — Les Maoris. — La guerre et le cannibalisme. — Le Pai Ma- ririsme. La premiĂšre Ăźle vĂ©ritablement ocĂ©anienne que l'on rencontre en ve- nant de l'est, c'est l'Ăźle de PĂąques, nommĂ©e aussi VaĂŻliou. Elle se trouve trĂšs isolĂ©e, en plein ocĂ©an. Ses montagnes et leurs cratĂšres Ă©teints ac- cusent une origine volcanique. Tous ses rochers sont noirs, brĂ»lĂ©s, et poreux comme des rayons de miel. Le sol est couvert d'une terre rou- geĂątre calcinĂ©e et rĂ©duite en poussiĂšre. Sur ce sol mĂȘlĂ© de lave, de sco- ries, ne croissent que quelques vĂ©gĂ©taux et aucun arbre, ce qui est sur- prenant pour une Ăźle situĂ©e sous un aussi beau climat. On y trouve une population de cinq Ă  six cents habitants. C'est le reste d'environ trois mille insulaires issus de PolynĂ©siens ou de Malais venus de l'ouest, — vraisemblablement les hommes qui taillĂšrent les deux cents bustes Ă  gaines colossales qu'on voit dans l'Ăźle, debout et entiĂšres ou gisantes et brisĂ©es, placĂ©es sur des constructions qui contiennent des tombeaux. Il y a quelques annĂ©es, l'Ăźle de PĂąques fut tout Ă  coup dĂ©- garnie de sa population une flottille de flibustiers pĂ©ruviens enleva de vive force les habitants pour les transporter dans les Ăźles Ă  guano du PĂ©rou, sous prĂ©texte que l'on manquait de bras pour la fructueuse ex- ploitation de cet engrais. Les malheureux qui, Ă  l'expiration de leur contrat », ont revu leur Ăźle, y ont rapportĂ© la petite vĂ©role, qui y rĂšgne en permanence. Par suite de la dĂ©population, les longues maisons de 404 L'OCÉANIE. 100 mĂštres et plus construites eu lave, et qu'habitaient des tribus en- tiĂšres, tombent eu ruines. Nous passons sans nous y arrĂȘter devant Ducie, Ăźlot bas, inhabitĂ©, couvert de broussailles, au centre duquel se' trouve un petit bassin d'eau de mer, et qui a une ceinture de bancs de coraux oĂč les requins Fig. 144. — Statues Ă  VaĂŻhou, ou Ăźle de PĂąques. abondent; nous passons devant l'Ăźle Elisabeth, un peu plus grande que l'Ăźle Ducie, assise Ă©galement sur un banc madrĂ©porique, avec une vĂ©gĂ©tation d'arbrisseaux, de buissons, de fougĂšres et d'herbes ram- pantes ; nous passons devant l'Ăźle Pitcairn, curieuse pourtant par l'his- toire des marins rĂ©voltĂ©s qui s'y Ă©tablirent aprĂšs s'ĂȘtre emparĂ©s du navire la Bounty, et oĂč vivent encore les descendants de ces marins an- glais. Les Ăźles Gambier, possession française depuis 1844, nous solli- L'OCÉAXIE. 405 citent, Ă  ce titre d'abord, et par leur importance. Elles sont sur la route de mer que suivent les bateaux Ă  vapeur qui vont de Panama Ă  Syd- ney Australie en passant par la Nouvelle-ZĂ©lande qu'ils traversent au dĂ©troit de Cook. L'archipel de Gambier se compose de quatre Ăźles, Manga-reva, Tara- vaĂŻ, Aka-maru, et Ao-kena. La vĂ©gĂ©tation n'y apparaĂźt que dans les parties basses, Ă  cause de la raretĂ© de la terre. Quelques Ăźlots de ro- chers complĂštement nus et hĂ©rissĂ©s d'Ă©cueils avoisinent les quatre Ăźles principales. Ce groupe d'Ăźles ne fut dĂ©couvert qu'en 1797, par le capi- taine Wilson, qui commandait le Duff. Un rĂ©cif madrĂ©porique de quarante milles de circuit entoure extĂ©rieurement l'archipel. On le reconnaĂźt de loin Ă  la blanche nappe d'Ă©cume qui bouillonne dans ses bri- sants. Sur ce rĂ©cif, se trouvent de nombreux cocotiers, et une profusion de paudanus, qui, par leur vĂ©gĂ©tation active et touffue, constituent d'im- pĂ©nĂ©trables fourrĂ©s. Les solutions de continuitĂ© ouvrent des passes Ă©troites oĂč d'Ă©normes blocs de coraux forment des bancs dangereux, ainsi que des-hauts fonds qui ne laissent guĂšre plus de cinq brasses d'eau. Tout indique que ces Ăźles sont les vestiges d'un vaste continent, les sommets de montagnes d'un pays submergĂ©. L'action des volcans du PĂ©rou et du Chili s'y fait sentir. Le fait suivant est une preuve irrĂ©cu- sable de l'influence des volcans de l'AmĂ©rique du Sud sur les Ăźles Gambier. Le 7 novembre 1837, de violentes dĂ©tonations, qui semblaient sortir du sein des montagnes, jetĂšrent l'Ă©pouvante au milieu de la po- pulation. La mer se retira au large, puis, refluant vers le littoral, elle l'inonda. Ce ne fut qu'aprĂšs trois ou quatre mouvements d'aller et de retour qu'elle resta dans ses limites. Ce phĂ©nomĂšne se produisait le mĂȘme jour et presque Ă  la mĂȘme heure qu'un violent tremblement de terre dĂ©solait Valdivia au Chili. Manga-reva est une Ăźle trĂšs montueuse oĂč quelques vallĂ©es cepen- dant peuvent ĂȘtre cultivĂ©es. Les arbres ne laissent Ă  la mer qu'une grĂšve Ă©troite, jonchĂ©e de rochers volcaniques, de madrĂ©pores ou d'un sable blanc provenant des dĂ©bris finement pulvĂ©risĂ©s des rĂ©cifs de co- raux. L'arbre le plus prĂ©cieux de ces Ăźles est sans contredit l'arbre Ă  406 L'OCÉANIE. pain. On en plante partout oĂč se trouve la moindre parcelle de terre. FrĂȘle de tronc et peu Ă©levĂ©, cet arbre ne donne qu'une rĂ©colte par an et meurt jeune, au contraire de celui de TaĂŻti qui donne trois rĂ©coltes et pendant de longues annĂ©es. Les orangers et les citronniers sont de rĂ©cente importation. Les indigĂšnes des Ăźles Gambier, gĂ©nĂ©ralement grands, sont robustes, bien faits ; ils ont un air doux et se montrent affables. Leur teint est cuivrĂ©, leur tĂȘte aplatie Ă  la rĂ©gion occipitale, avec un front fuyant, des pommettes saillantes, un nez Ă©patĂ©, des lĂšvres Ă©paisses, des cheveux noirs et lisses et une barbe rare. Nous retrouverons les mĂȘmes traits de race chez les TaĂŻtiens. Les femmes, de moyenne taille, sont dotĂ©es d'une physionomie agrĂ©able. Elles vont pieds nus, la chevelure flottante et en dĂ©sordre, nĂ©gligemment vĂȘtues d'une robe d'indienne, serrĂ©e Ă  la taille par un mouchoir roulĂ© en corde le tissu d'indienne, le mouchoir attestent le passage de l'Ă©tat sauvage Ă  un Ă©tat meilleur. C'est surtout l'Ɠuvre des missionnaires catholiques. Ils sont tout-puissants aux Ăźles Gambier, et le voyageur y est accueilli par cette question Vous catholica, MosiĂ©? » Si la rĂ©ponse est affirmative, ces braves gens, plus confiants, approchent ; leurs yeux brillent de joie ; ils font des signes de croix et entr'ouvrent leur chemise pour montrer leurs scapulaires il s'agit des hommes seule- ment ; quant aux femmes, les missionnaires leur ont appris Ă  s'enfuir Ă  l'approche des marins que leur amĂšne tout navire qui a franchi les rĂ©cifs. L'arbre Ă  pain est la base de la nourriture des indigĂšnes. On en fait, sous le nom de popoĂŻ », une pĂąte qu'on laisse fermenter. Elle se prĂ©pare en raclant d'abord le fruit cru pour lui enlever son Ă©piderme rugueux, aprĂšs quoi on coupe le fruit en morceaux, qui sont dĂ©posĂ©s comme ap- provisionnement dans des sortes de silos. La popoĂŻ se pĂ©trit avec de l'eau; de la pĂąte on forme des petits pains qu'on enveloppe dans une feuille de bananier pour les faire cuire sur des cailloux rougis au feu. On utilise de la mĂȘme maniĂšre le taro ou karo. Le pain ainsi prĂ©parĂ© justifie alors le nom donnĂ© Ă  l'arbre qui en a fourni les Ă©lĂ©ments personne n'a pensĂ©, sans doute, qu'on cueillait sur cet arbre exotique des petits pains d'un sou, comme on cueille des poires ou des pĂȘches dans nos vergers. L'OCÉ ANIE. 407 Mais avec le pain il faut manger autre chose. Quelles ressources ont donc ces insulaires? La question n'est pas oiseuse, puisqu'il s'agit de Français » d'outre-mer. Quelles ressources? Mais ils ont des revenus considĂ©rables. On pĂȘche aux Ăźles Gambier des huĂźtres perliĂšres, dont les perles sont d'un bel orient. Les coquilles de ces huĂźtres donnent aussi une trĂšs belle nacre, dont la vente rapporte annuellement de trois cent mille Ă  quatre cent mille francs. Quoique les requins bien endentĂ©s soient nombreux dans la rade de Manga-reva, les plongeurs indigĂšnes vont hardiment et au pĂ©ril de leur vie chercher les huĂźtres perliĂšres jusqu'Ă  vingt-cinq et trente brasses de profondeur. Dame ! c'est comme le pain qui ne vient pas tout cuit. A l'ouest des Ăźles Gambier et en montant vers l'Ă©quateur, nous trou- vons encore une possession française, TaĂŻti, que Bougainville avait nommĂ©e la Nouvelle-CythĂšre et Ă  qui on s'accorde Ă  donner le titre de reine de l'ocĂ©an Pacifique. Elle a inspirĂ© Ă  de grands Ă©crivains, Ă  Delille, Ă  Chateaubriand, Ă  Victor Hugo, des tableaux gracieux, des pages Ă©mues. Cette Ăźle fertile et riante, ces peuples aimables de l'archi- pel de la SociĂ©tĂ©, ont laissĂ© de profonds souvenirs Ă  tous les navigateurs. TaĂŻti est une terre Ă©levĂ©e qui s'abaisse de tous cĂŽtĂ©s vers la mer et s'allonge en deux pĂ©ninsules, unies par un isthme si bas que les hautes marĂ©es le submergent. Le coup d'Ɠil qu'elle prĂ©sente est pittoresque au plus haut point. Les montagnes y sont d'une grande beautĂ© de li- gnes, surtout lorsque le soleil levant dore leurs crĂȘtes et rĂ©pand avec profusion ses rayons empourprĂ©s sur un paysage d'une ravissante har- monie de formes et de couleurs. De vives nuances animent les cimes les plus altiĂšres, alors que seuls les pitons basaltiques du principal dia- dĂšme rocheux projettent les masses d'ombre de leurs profondes dente- lures, sur les flancs des montagnes voisines. On dirait que l'Ăźle entiĂšre sort humide et reposĂ©e du sein de la mer. Sur les plages sablonneuses s'alignent les cocotiers agitĂ©s doucement par le frisson de l'aube naissante ; l'eau des lagunes est encore d'un vert assombri par le feuillage des grands peupliers qui les bordent. Sur les pentes des forĂȘts les arbres Ă  pain des plus vigoureux arron- dissent en parasol leurs feuilles dĂ©coupĂ©es ; des torrents descendent en 408 L'OCÉANIE. cascades sonores des pics oĂč croissent les grandes fougĂšres, et animent des rives tapissĂ©es d'hĂ©liconias purpurins, oĂč des lianes, mĂȘlĂ©es de fleurs, Ă©tablissent des ponts naturels au-dessus de leurs eaux Ă©cuman- tes ; des ravins sont hĂ©rissĂ©s de hautes fougĂšres Ă©pineuses qui semblent dĂ©fendre l'approche de la rose de Chine et du suave gardĂ©nia; quel- ques vallĂ©es coupĂ©es dans leur milieu par une riviĂšre limpide, s'enfon- cent ombreuses dans l'intĂ©rieur de cet Edeu, avec leurs prairies entre- vues, tout Ă©maillĂ©es de fleurs, piquĂ©es de mimosas et de bambous, et leurs colonnades grandioses de palmiers. Sur les cĂŽtes, la mer s'Ă©veille Ă  son tour, battant de ses vagues encore alourdies les rochers de corail. Vers la plage s'avancent en groupes de rieuses jeunes filles, Ă  peine vĂȘtues, leur belle chevelure noire, bien lissĂ©e, dĂ©jĂ  parĂ©e de blanches et odorantes couronnes de gardĂ©nia toutes ruisselantes de rosĂ©e, ou de fleurs d'hibiscus, de basilic et de fougĂšres odorantes. Elles profitent de l'aube pour aller faire leurs ablutions matinales et plonger leur beau corps bronzĂ© dans les flots d'une mer dont la nuit n'a pas refroidi les eaux tiĂšdes. On pense Ă  la Fille d'O-TaĂŻti » de Victor Hugo et Ă  la douce plainte qu'elle adresse au jeune Ă©tranger qui songe Ă  s'Ă©loigner Pourquoi quitter notre Ăźle? En ton Ăźle Ă©trangĂšre, Les cieux sont-ils plus beaux?... Comment donc s'Ă©tonner de l'admiration que cette grande et impo- sante nature a fait naĂźtre? Xous l'avouons, notre plume est impuis- sante Ă  rendre l'impression que produit un pays qui rĂ©alise toutes les plus sĂ©duisantes fictions de la poĂ©sie grecque et latine, et nous ne pou- vons rĂ©sister au plaisir de citer ici une page du GĂ©nie du Christianisme, oh Chateaubriand, Ă©mule, quand il veut, de Bossuet, par les vigoureuses images de son Ă©loquence, rivalise avec Bernardin de Saint- Pierre, par la richesse et la grĂące de sa description de tout le groupe de TaĂŻti Lorsque les navigateurs pĂ©nĂ©trĂšrent pour la premiĂšre fois dans l'ocĂ©an Pacifique, ils virent se dĂ©rouler au loin des flots que cares- sent Ă©ternellement des brises embaumĂ©es. BientĂŽt, du sein de l'im- mensitĂ©, s'Ă©levĂšrent des Ăźles inconnues. Des bosquets de palmiers, mĂȘ- lĂ©s Ă  de grands arbres qu'on eĂ»t pris pour de hautes fougĂšres, couvraient les cĂŽtes, et descendaient jusqu'au bord de la mer eu amphithéùtre ; forĂȘts. Les Ăźles, environnĂ©es d'un cercle de coteaux, semblaient se ba- COXTRÉES MYSTÉRIEUSES. 50 410 L'OCÉANIE. laucer comme des vaisseaux Ă  l'ancre dans un port, au milieu des eaux les plus tranquilles. L'ingĂ©nieuse antiquitĂ© aurait cru que YĂ©nus avait nouĂ© sa ceinture autour de ces nouvelles CythĂšres, pour les dĂ©fendre des orages. Sous ces ombrages ignorĂ©s, la nature avait placĂ© un peuple beau comme le ciel qui l'avait vu naĂźtre. Les OtaĂŻtiens portaient pour vĂȘ- tement une draperie d'Ă©corce de figuier ; ils habitaient sous des toits de feuilles de mĂ»rier, soutenus par des piliers de bois odorant, et ils faisaient voler sur les ondes de dociles canots aux voiles de jonc, aux banderoles de fleurs et de plumes. Il y avait des danses et des so- ciĂ©tĂ©s consacrĂ©es aux plaisirs ; les chansons et les drames de l'amour n'Ă©taient point inconnus sur ces bords. Tout s'y ressentait de la mol- lesse de la vie, et d'un jour plein de calme et d'une nuit dont rien ne troublait le silence. Se coucher prĂšs des ruisseaux, disputer de paresse avec les ondes, marcher avec des chapeaux et des manteaux de feuil- lages, c'Ă©tait toute l'existence des tranquilles sauvages d'OtaĂŻti. Les soins qui, chez les autres hommes, occupent leurs pĂ©nibles journĂ©es, Ă©taient ignorĂ©s de ces insulaires ; en errant Ă  travers les bois, ils trou- vaient le lait et le pain suspendus aux branches d'arbres. » Les choses ont beaucoup changĂ© depuis. Les insulaires sont encore bons, naĂŻfs et hospitaliers, toujours prĂȘts Ă  faire fĂȘte aux Ă©trangers qui viennent les visiter, mais sur ce sol privilĂ©giĂ©, si riche sans culture, sous ce climat sans rival, notre civilisation europĂ©enne Ă©tiole et tue ra- pidement ces hommes robustes, et surtout ces jeunes filles au gai vi- sage. Serait-ce parce que l'austĂ©ritĂ© a succĂ©dĂ© aux fĂȘtes et aux plaisirs? Cela se peut. Une chose certaine, c'est que la population a diminuĂ© d'une maniĂšre effrayante. Et cependant il s'agit de terres placĂ©es sous le protectorat de la France! Lorsqu'on est tĂ©moin de l'anĂ©antissement des aborigĂšnes dans les colonies anglaises, on est tentĂ© d'en faire re- monter la responsabilitĂ© Ă  l'Angleterre elle-mĂȘme. C'est peut-ĂȘtre trop de sĂ©vĂ©ritĂ©... Il n'est pas inutile de rappeler que le protectorat de la France sur les Ăźles de la SociĂ©tĂ© remonte au 9 septembre 1842, en vertu d'une convention entre la reine Pomare et l'amiral Dupetit-Thouars ; notre autoritĂ© combattue pendant plusieurs annĂ©es n'est devenue effective L'OCÉ ANIE. 411 qu'Ă , la fia de 1856. TaĂŻti et les Ăźles voisines constituent un poste de ravitaillement pour les navires baleiniers de l'ocĂ©an Pacifique. Le commandement de TaĂŻti comprend, comme uue dĂ©pendance ad- ministrative des Ăźles de la SociĂ©tĂ©, le groupe des Ăźles Marquises , dont la France a pris possession souveraine en 1842. Nous ne dirons que quelques mots de ces Ăźles. Fig. 140. — Sanctuaire religieux Ă  Nouka-Hiva. SituĂ©es Ă  deux cent cinquante lieues au nord-est de TaĂŻti, elles sont pour la plupart hautes, montueuses, boisĂ©es quoique volcaniques, et elles possĂšdent de trĂšs belles sources qui forment uue multitude de jolies cascades et de ruisseaux. La principale est Nouka-Hiva. Le cli- mat de ces Ăźles est chaud, mais trĂšs sain. L'hiver y est la saison des pluies, — comme dans toutes les rĂ©gions tropicales, — mais ces pluies ne sont ni frĂ©quentes ni continues. 412 L'OCÉANIE. La flore est riche et variĂ©e. On y distingue le cocotier, l'arbre Ă  pain, Vinocarpus, qui fournit une chĂątaigne nourrissante, le mĂ»rier Ă  papier, l'acacia, Y hibiscus Ă  l'Ă©corce fibreuse, l'ananas, le bauanier, le dracasna, la canne Ă  sucre, le bambou, les arums, les pandanus, le ricin, le gar- dĂ©nia aux fleurs odorantes, et un grand nombre de fougĂšres d'une Ă©lĂ©vation et d'une vigueur qu'on ne trouve que dans les contrĂ©es in- tertropicales. Quant aux animaux, on trouve en grand nombre des poules et des vampires ; mais le cochon, le chien et le rat Ă©taient les seuls quadrupĂšdes connus Ă  Nouka-Hiva, avant l'arrivĂ©e des EuropĂ©ens. Les poissons abondent dans cet archipel et y ont un goĂ»t excellent. La plupart des navigateurs qui ont visitĂ© Nouka-Hiva font le por- trait le plus flatteur de ses habitants ; ils n'hĂ©sitent pas Ă  les placer au premier rang parmi les insulaires de la PolynĂ©sie, avant mĂȘme les TaĂŻ- tiens ; et ils ne veulent pas qu'ils soient stigmatisĂ©s du nom de sau- vages. Si les hommes sont braves, gĂ©nĂ©reux, honnĂȘtes, intelligents et mĂȘme spirituels, avec un visage rĂ©gulier et ouvert, des yeux pleins de finesse, des dents blanches, des jambes d'un modelĂ© parfait, les fem- mes ne sont pas moins sĂ©duisantes, — un peu trop rusĂ©es peut-ĂȘtre, un peu trop coquettes, s'attachant Ă  plaire et y rĂ©ussissant aisĂ©ment ; dans leur jeunesse leur peau est lĂ©gĂšrement brune, leurs bras et leurs mains sont de toute beautĂ© ; toutefois leurs pieds sont un peu gros et leur taille laisse Ă  dĂ©sirer. Lorsqu'en 1855, KamĂ©hamĂ©ha IV, roi des Ăźles Sandwich, accompa- gnĂ© du rĂ©vĂ©rend M. Judd, son ministre et gouverneur, vint Ă  Paris solliciter pour ses États le protectorat de la France, souverain et gou- verneur ne furent pas mĂ©diocrement surpris de l'ignorance de notre ministĂšre des affaires Ă©trangĂšres. On leur demandait oĂč se trouvaient les Ăźles Sandwich ; si ce n'Ă©taient pas les mĂȘmes Ăźles que les Ăźles Fidji, dĂ©jĂ  appelĂ©es Viti; si les indigĂšnes Ă©taient des cannibales... 11 convient d'ajouter que cette ignorance doit ĂȘtre attribuĂ©e en partie Ă  la dĂ©plo- rable habitude de baptiser toute terre nouvelle d'un nom cĂ©lĂšbre Ă  un titre quelconque; lord Sandwich a eu l'honneur d'ĂȘtre le parrain de l'archipel d'Hawaii. L'OCÉANIE. 413 Ce nom d'HawaĂŻ est donnĂ© Ă  l'archipel par la plus importante des Ăźles qui le composent, DĂ©couverte par le capitaine Cook, en 1778, elle est cĂ©lĂšbre par ses volcans, — le Mauna-Loa et le Mauna-KĂ©a. Le Mauna-Loa Ă©lĂšve Ă  plus de 4,000 mĂštres au-dessus du niveau de la mer sa cime neigeuse couronnĂ©e de feu et de fumĂ©e ; et sur ses flancs s'ouvre un cratĂšre, toujours en ignition, plus vaste qu'aucun autre cra- tĂšre de volcan connu il n'a pas moins de onze kilomĂštres de tour. L'Ăźle d'HawaĂŻ est cĂ©lĂšbre encore par la mort de l'illustre navigateur anglais que les sauvages massacrĂšrent dans l'annĂ©e qui suivit la dĂ©- couverte. On sait qu'un dĂ©plorable conflit entre les naturels et les Anglais en- traĂźna la mort du grand marin ; mais les HawaĂŻens, qui le considĂ©raient comme un demi-dieu, le regrettent encore Ă  l'Ă©gal d'un de leurs chefs les plus vĂ©nĂ©rĂ©s. Le temps n'a pas effacĂ© Cook de leur mĂ©moire il s'est contentĂ© de dĂ©grader le monument qui lui a Ă©tĂ© Ă©levĂ©. Quoi qu'il en soit, ces Ăźles ne peuvent plus ĂȘtre rangĂ©es parmi les pays qui appellent l'investigation elles ont un roi constitutionnel, des ministres responsables, deux chambres lĂ©gislatives, une armĂ©e perma- nente, une police, une cour suprĂȘme de justice, un service postal, un gouverneur pour chacune des douze Ăźles qui composent le groupe, une dette publique, des douanes, des impĂŽts, des journaux, un systĂšme d'Ă©- ducation populaire, — et qui sait? peut-ĂȘtre mĂȘme obligatoire ; enfin leurs habitants ne sont pas des cannibales, et il est douteux qu'ils l'aient jamais Ă©tĂ©. Ils furent jadis des idolĂątres ; mais, convertis au christia- nisme depuis 1819, ils renoncĂšrent volontairement Ă  leurs idoles, qu'on ne trouve plus que dans les collections des missionnaires. Nous ne parlerions donc point des Ăźles HawaĂŻennes, — c'est leur dĂ©- signation officielle, — si une horrible et douloureuse particularitĂ© ne faisait tache au milieu de toute cette prospĂ©ritĂ© naissante ; il s'agit de la rĂ©alisation sur notre globe d'une de ces visions de l'enfer que ra- content les poĂštes. Ici nous rentrons eu plein dans l'inconnu et le mys- tĂ©rieux. Parmi les douze Ăźles de l'archipel, — huit seulement sont habitĂ©es, — il en est une, MolokaĂŻ l'Ăźle des prĂ©cipices », oĂč les rochers forment des murailles naturelles montant toutes droites de la mer jusqu'Ă  une hau- 414 L'OCÉANIE. teur de 1,000 pieds, de 2,000 pieds et davantage. Une plaine situĂ©e derriĂšre une de ces murailles infranchissables est, de par la loi, le vesti- bule de la mort. En cet endroit on exile, on dĂ©porte, on interne les lĂ©preux du royaume, et ils sont nombreux. Us n'ont lĂ  aucun secours Ă  atten- dre du savoir humain, impuissant Ă  leur Ă©gard, aucune espĂ©rance de sor- tir vivants de ce vaste tombeau anticipĂ©, de ce charnier oĂč la dĂ©compo- sition et l'anĂ©antissement s'opĂšrent du vivant de l'ĂȘtre, — lamentable communautĂ© de proscrits, morts socialement dont toute l'occupation est de mourir », — maris saus femmes, Ă©pouses sans maris, — cruels divorces ! — enfants saus famille, — orphelius dont les parents vivent, — dĂ©sintĂ©ressĂ©s de tout ce qui se fait sous le soleil », condamnĂ©s, comme redoublement de supplice, Ă  voir s'anĂ©antir Ă  leurs cĂŽtĂ©s les malheureux dout le sort les a faits les compagnons et les hĂ©ritiers, vĂ©- ritables cadavres ambulants, respirant encore, promenant autour d'eux les regards de leurs yeux vitreux, Ă©voquant l'idĂ©e de spectres repous- sants. Aux Ăźles Sandwich, malgrĂ© une atmosphĂšre des plus salubres, la lĂšpre est devenue une cause de dĂ©population. Cet horrible flĂ©au ne faisait-il autrefois que de rares victimes? se demande un voyageur. N'est- ce que depuis quelques annĂ©es que sa contagion a fini par les multi- plier tellement, que le gouvernement a jugĂ© nĂ©cessaire d'avoir recours Ă  une rigoureuse mesure de police hygiĂ©nique ? On ne sait. » Miss Ara- bella Bird, aprĂšs un sĂ©jour de six mois dans l'archipel hawaĂŻen, a Ă©crit des pages Ă©mouvantes sur la lĂ©proserie des Ăźles Sandwich. Nous en par- lerons d'aprĂšs la voyageuse anglaise. C'est en 1865 que le parlement hawaĂŻen dĂ©cida de prĂ©venir la propaga- tion de la maladie, par la fondation, dans l'Ăźle de MolokaĂŻ, en milieu nom- mĂ© Kalawao, d'un Ă©tablissement oĂč seraient confinĂ©s les lĂ©preux. DĂ©jĂ  des rĂ©sidents de race blanche Ă©taient atteints par la contagion. La rĂ©- sistance fut grande de la part des malades ; mais ils durent cĂ©der. Un grand exemple de soumission Ă  la loi fut donnĂ© par l'avocat Bill Kags- dale, appartenant Ă  la race indigĂšne par sa mĂšre et AmĂ©ricain par son pĂšre. C'Ă©tait un homme politique distinguĂ© , un personnage considĂ©- rable. Il se dĂ©nonça lui-mĂȘme au shĂ©rif, se disant prĂȘt Ă  s'expatrier immĂ©diatement, bien qu'il n'eĂ»t encore que les premiers symptĂŽmes de 416 L'OCÉANIE. la maladie. Bill Ragsdale, dit miss Bird, s'embarqua en effet volon- tairement sur un navire qui transportait une quarantaine de lĂ©preux ; ses amis et ses nombreux clients, dont il avait pris congĂ© le matin mĂȘme, l'escortĂšrent les uns en pleurant, les autres le fĂ©licitant sur son courage et lui offrant des fleurs. Avant de monter Ă  bord, le malheureux avocat harangua l'assistance , en engageant ses concitoyens Ă  se rĂ©- signer Ă  une mesure qu'il dĂ©clara juste et nĂ©cessaire. » L'avocat Ragsdale n'est pas la seule personne de haut rang atteinte par la loi de salut du royaume hawaĂŻen. Lorsque miss Bird visita l'ar- chipel de Sandwich une cousine de la reine Emma, veuve de KamĂ©ha- mĂ©ha IV, figurait parmi les victimes. De l'annĂ©e 1865 au mois d'aoĂ»t 1877, l'Ăźle de MolokaĂŻ avait reçu 1,570 lĂ©preux, et, sur ce nombre, il en Ă©tait mort Ă  cette derniĂšre date plus de 900. Une lettre du 14 sep- tembre 1881 Ă©value Ă  680 les survivants. La plupart de ces malheureux internĂ©s appartiennent Ă  la classe indigente et doivent ĂȘtre nourris aux frais du petit État polynĂ©sien. Les rations de nourriture sont abondantes et de bonne qualitĂ©. Cha- que lĂ©preux reçoit par semaine vingt livres de poĂŻ » ; c'est l'aliment national de l'archipel, formĂ© de la pĂąte fermentĂ©e que l'on obtient avec la racine du taro ; outre ce pain », chaque malade a encore cinq ou six livres de viande de boucherie. Si le bĂątiment qui apporte les vivres est en retard, on remplace la poĂŻ et la viande par du riz, du sucre et du saumon. Le savon et le vĂȘtement sont fournis par l'adminis- tration ; mais au delĂ  de ces choses nĂ©cessaires, les lĂ©preux ne peuvent rien se procurer que par leur industrie ou par le secours de leur fa- mille. Des personnes charitables font aux nĂ©cessiteux des envois de cafĂ©, de tabac, d'outils, de couteaux, de livres. Les lĂ©preux vont cacher leur infirmitĂ© dans de sombres huttes du village de. Kalawao ; par exception quelques dames, des personnes de distinction, habitent de jolis cottages et se donnent tout le confortable que la fortune peut procurer. On peut voir Ă  Kalawao certaines fem- mes chez qui le goĂ»t de la toilette a persistĂ©, affreuses comme des Gorgones, remplaçant les serpents de la tĂȘte de MĂ©duse par une guir- lande de fleurs, faisant les coquettes et lorgnant les admirateurs ». L'hĂŽpital, composĂ© d'une douzaine de bĂątiments eu bois, est en bonne L'OCÉANIE. 417 situation. Mais il n'y a point de mĂ©decin dans cet hĂŽpital ; en l'absence d'un docteur rĂ©sident, les maladies communes dont les lĂ©preux ne sau- raient ĂȘtre exempts sont traitĂ©es par quelque lĂ©preux de bonne volontĂ©, charitablement assistĂ©... nous allons dire par qui. Dans les bĂątiments de l'administration se trouve le bureau du surintendant ; le gouverneur a Ă©tabli lĂ  son domicile, il est le reprĂ©sentant de la royautĂ©... mais le vrai gouverneur, — c'est la mort ». Mais s'il ne s'est pas rencontrĂ© de mĂ©decin capable de faire le sa- crifice de sa vie en s'associant librement Ă  ces infortunĂ©s fatalement f m condamnĂ©s Ă  mourir, l'Eglise catholique a Ă©tĂ© plus heureuse. Le P. Da- mien Deveuster, prĂȘtre belge, a choisi pour y exercer son ministĂšre de charitĂ© cette colonie de malades et de mourants, oĂč il est le pasteur d'un troupeau de crĂ©atures dont la plupart n'ont plus mĂȘme figure hu- maine. C'est lui qui les encourage, les console, les soigne dans leurs maladies accidentelles. Le P. Damien a inaugurĂ© cette Ɠuvre de dĂ©- vouement hĂ©roĂŻque. Depuis il a Ă©tĂ© suivi dans cette voie douloureuse et sainte par plusieurs PĂšres de la maison de Picpus, ses auxiliaires ou ses supĂ©rieurs. Mais n'anticipons pas. Une chapelle, prĂšs du lieu de dĂ©barquement, et une autre Ă  Kalawao tĂ©moignent, dit le voyageur qui nous sert de guide, de l'extraordinaire dĂ©vouement du prĂȘtre catholique qui avec toutes les chances de devenir un des dignitaires du clergĂ© dont il est membre, avec la jeunesse, l'Ă©du- cation et tout ce qui aurait pu le dĂ©tourner d'un tel sacrifice, est venu dans cette hideuse vallĂ©e, exilĂ© volontaire, pour l'amour du Christ. Il n'y eut qu'un Ă©lan d'unanime admiration, quand on connut l'acte sublime du P. Damien. Certes aucun motif indigne, aucun soupçon d'intĂ©rĂȘt humain ne put lui ĂȘtre attribuĂ© l'envie resta muette ; le protestant le plus in- tolĂ©rant oublia que le prĂȘtre qui imitait si admirablement l'Homme- Dieu en donnant sa vie pour ses frĂšres Ă©tait un prĂȘtre catholique ro- main, et un sentiment spontanĂ© qu'aucune rĂ©flexion ne put affaiblir, le proclama un des plus vaillants soldats de la noble armĂ©e des martyrs ». Outre les deux Ă©glises catholiques, il y a Ă  Kalawao une chapelle pro- testante avec un pasteur. Mais celui-ci est lĂ©preux comme ses ouailles. Il y a aussi deux Ă©coles oĂč les enfants reçoivent leur instruction en langue havaĂŻenne d'un magister lĂ©preux. Pauvres enfants! A quel CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 53 418 L'OCÉANIE. petit nombre d'entre eux cette instruction doit-elle ĂȘtre profitable? Nous possĂ©dons le rĂ©cit d'une visite faite Ă  leurs tristes sujets de Mo- lĂŽkaĂŻpar le roi Kalakavdia Ă©lule 12 fĂ©vrier 1873 et la reine Kapiolani son Ă©pouse. Lorsque nous dĂ©barquĂąmes, dit miss Bird, nous trouvĂąmes les lĂ©preux rassemblĂ©s au nombre de deux ou trois cents, car ils avaient Ă©tĂ© prĂ©venus de notre visite, et nous fĂ»mes saluĂ©s par une joyeuse mu- sique. L'orchestre se composait de quatre exĂ©cutants un tambour, un fifre et deux flĂ»tes, artistes jeunes encore qui tous Ă©taient horri- blement dĂ©figurĂ©s par la lĂšpre. Cette musique produisait sur nous une Ă©trange impression, et nous pouvions malaisĂ©ment dissimuler un mĂ©lange de pitiĂ© et de rĂ©pulsion en nous voyant entourĂ©s sur la plage par une foule empressĂ©e, qui nous souriait avec des visages Ă  faire peur. Il y en avait dont la main tendue appelait une Ă©treinte sym- pathique et qui s'Ă©loignaient la tĂȘte basse, notre peu d'empressement leur rappelant qu'ils Ă©taient des proscrits mis au ban de la sociĂ©tĂ© et dont le contact est une souillure. Quelques questions bienveillantes du mĂ©decin, le docteur Trousseau, diminuĂšrent l'embarras de la pre- miĂšre rencontre. Peu Ă  peu cette foule se mit Ă  jaser et Ă  rire, comme toute autre foule d'insulaires hawaĂŻens, indiffĂ©rents par tempĂ©rament, et, sauf quelques exceptions, Ă  peine resta-t-il quelques traces de la sombre mĂ©lancolie qu'on devait naturellement s'attendre Ă  trouver dans une existence si malheureuse. TrĂšs contents se montraient ceux Ă  qui nous adressions la parole, et toujours prĂȘts Ă  nous rĂ©pondre. Nous en recon- nĂ»mes plusieurs que nous avions connus autrefois et qui, ayant disparu du monde libre, passaient pour morts. De ce nombre Ă©tait un membre de la reprĂ©sentation nationale, un des notables de la colonie, que le bu- reau hygiĂ©nique a prĂ©posĂ© Ă  l'inspection du magasin public. Quand nous l'abordĂąmes en lui disant Vous ĂȘtes une ancienne connaissance? — Oui, rĂ©pondit-il, et que vous retrouvez dans un tombeau vivant. » Mais dĂ©tournons nos regards de ce spectacle affligeant. Les HawaĂŻens subissent, comme les autres habitants de l'OcĂ©anie, l'effet dĂ©sastreux du contact europĂ©en. Nous sommes ici, Ă©crivait na- guĂšre un missionnaire, comme des gens conviĂ©s pour assister aux funĂ©- railles d'une nation. » Le capitaine Cook avait estimĂ© Ă  trois ou quatre L'OCÉANIE. 419 cent mille Ăąmes la population havaĂŻenne ; on ne comptait plus que cent cinquante mille habitants du temps de la rĂ©gente Kahumanu, cent huit mille en 1836, soixante-dix-huit mille en 1850, soixante et onze mille en 1854; le recense- ment de 1872 n'accuse plus que l'existence de quarante-neuf mille indigĂšnes. D'aprĂšs les plus rĂ©centes Ă©valuations ce chiffre est tombĂ© Ă  qua- rante-deux mille. Il n'y a sans doute pas d'exem- ple, dans les annales du monde, d'uue destruction pareille Ă  celle qui s'opĂšre dans cet archipel. A toutes les causes de destruction s'ajoutent pour les HawaĂŻens le peu de stabilitĂ© de leur sol. Ils sont de plus en plus troublĂ©s par de terribles Ă©ruptions volcaniques et des tremblements de terre. En une centaine d'annĂ©es, ils n'ont pas Ă©prouvĂ© moins d'une douzaine de fois l'effet du feu souterrain. AprĂšs nous ĂȘtre Ă©levĂ©s de vingt degrĂ©s au- dessus de l'Ă©quateur, il nous faut repasser la ligne et descendre de vingt degrĂ©s au-dessous. C'est que la PolynĂ©sie est la plus Ă©tendue des divisions ethnographiques de l'OcĂ©anie. Nous voilĂ  donc aux Ăźles Hervey, — ou archipel de Cook, — ou encore archipel de ManaĂŻa, comp- tant une dizaine d'Ăźles dont la plus connue, mais non la plus vaste, est Rarotonga, qui ressemble Ă  un jardin tout y est couvert de taros, de bana- niers, de potirons et de patates; mais le cocotier y est trĂšs rare. L'archipel contient de huit Ă  dix mille habitants. Ces descendants de cannibales qui coupaient les tĂȘtes des vaincus et mangeaient leurs cadavres sont convertis au protestantisme. Ils ressemblent beau- coup aux TaĂŻtiens. Leur physionomie est heureuse et leur caractĂšre jovial. Ils sont agriculteurs. Fig. 148. — Hameçon ii poulpe des Ăźles Sandwich. 420 L'OCÉANIE. A quelques centaines de lieues au nord-ouest des Ăźles Hervey se trouve le magnifique archipel de Samoa, oĂč la terre est partout d'une prodi- gieuse fĂ©conditĂ©, couverte de bois de palmiers oĂč les villages semblent enfouis, d'arbres Ă  pain, de cocotiers et d'orangers. Partout au milieu des bouquets d'arbres se fait entendre le bruit des cascades qui se prĂ©- cipitent en pluie Ă©cumeuse du haut des falaises ; les bois sont peuplĂ©s de perruches, de ramiers et de tourterelles. La population est de trente-cinq mille Ăąmes dont cinq mille catholiques ce sont les chiffres donnĂ©s rĂ©cemment par les missionnaires, qui possĂš- dent une douzaine de rĂ©sidences dans cet archipel. Le navigateur Roggewcen dit, en parlant des naturels de Samoa, que c'est le peuple le plus honnĂȘte des Ăźles du grand OcĂ©an. Ils sont industrieux. Ils cons- truisent leurs pirogues avec beaucoup d'art; ils font de grands plats Ă  trois pieds. Les femmes fabriquent avec le tapa des tissus souples et soyeux sur lesquels elles impriment des dessins. Ces insulaires sont d'une taille trĂšs Ă©levĂ©e, bien faits et musculeux. Leur teint estfoncĂ© ; ils portent leurs cheveux droits et Ă©bouriffĂ©s, — en brous- sailles. — Une ceinture d'herbes marines constitue la partie principale de leur vĂȘtement. LaPĂ©rouse, dont quelques-uns des compagnons furent massacrĂ©s dans l'Ăźle Toutouila, — le capitaine de Langle, le naturaliste Lamanon et neuf marins, — a dĂ©clarĂ© que les femmes de cet archipel sont grandes et jolies, — au surplus, nullement farouches. En passant de l'archipel de Samoa aux Ăźles Touga , — ou des Amis, ainsi que le capitaine Cook les a nommĂ©es, — nous sommes toujours dans la PolynĂ©sie heureuse, les beaux climats, les terres fertiles. L'archipel de Tonga comprend prĂšs de cent cinquante Ăźles, Ăźlots, attoles et Ă©cueils de corail. Les plus considĂ©rables sont celles de Vavaou Tonga- Tabou, Lefouga, Namouka, Eoa, LatĂ© et Tofoua. Ces Ăźles sont peu Ă©levĂ©es au-dessus de la mer. Leur population peut ĂȘtre Ă©valuĂ©e Ă  vingt- cinq mille habitants, dont neuf mille Ă  l'Ăźle Tonga-Tabou Tabou veut dire sacrĂ©e qui est la mĂ©tropole de l'archipel. Des migrations de la MĂ©lanĂ©sie ont peut-ĂȘtre amenĂ© dans cet archipel ces insulaires quelque peu teintĂ©s de noir, fort beaux d'ailleurs, et qu'on a surnommĂ©s les Anglo-Saxons des mers du Sud. Une portion de ce petit L'OCËANIE. 421 peuple se compose de Tuas, esclaves de pĂšres eu fils Ă  la suite de quel- que guerre oĂč leurs ancĂȘtres out Ă©tĂ© vaincus. La flore du pays est riche; situĂ©e sur la limite de la mer de Corail, elle montre dĂ©jĂ  quelques rapports avec la flore mĂ©lanĂ©sienne et com- prend des es'pĂšces absentes de la PolynĂ©sie orientale. L'Anglais Mariner, qui eut Ă  souffrir beaucoup chez les insulaires de Tonga aprĂšs le meurtre du capitaine Brown 1800, a dĂ©crit le site le plus pittoresque de toutes les Ăźles Tonga, la cĂŽte occidentale de Vavao. Fig. 149. — Femme de Samoa battant le tapa. A l'en croire, la nature arassemblĂ© en ce lieu toutes les richesses vĂ©gĂ©tales de ces Ăźles; les tamanaos et les toas s'y montrent en bois Ă©pais au milieu desquels sont creusĂ©s divers bassins d'eau douce; sur le penchant d'une colline, une belle plaine est plantĂ©e en cocotiers et en arbres Ă  pain, partout des fleurs odorantes aux vives couleurs. Lord Byron, sĂ©duit parles mƓurs et les coutumes de ces insulaires, a placĂ© clans une des Ăźles Tonga les scĂšnes de son ravissant poĂšme l'Ile ou Christian et ses compagnons. Mariner, qui avait appris malgrĂ© lui Ă  connaĂźtre ces Ăźles , et dont le poĂšte anglais lisait avec intĂ©rĂȘt le tableau qu'il en a tracĂ©, — Byron aimait passionnĂ©ment les relations de voyages, — Mariner, disons-nous, a notĂ© qu'il existe dans l'Ăźle principale une 422 L'OCÊANIE. caverne singuliĂšre, situĂ©e sur la cĂŽte occidentale. Son entrĂ©e est au moins Ă  une brasse au-dessous du niveau de la mer quand la marĂ©e est Lasse... Qu'on se figure un rocher creux, s'Ă©levant de plus de soixante pieds au dessus de la surface de la mer, n'ayant qu'une entrĂ©e connue Ă  six pieds sous l'eau ; on peut donc dire que la base de cette caverne est la mer mĂȘme. » VoilĂ  la scĂšne principale oĂč se dĂ©roule l'action du poĂšme. On se souvient en quels beaux vers lord Byron fait le rĂ©cit de la pre- miĂšre prise de possession de la caverne sous-marine. Un jeune chef, — il y avait de cela mille lunes , — plongeant pour chercher des tortues dans le voisinage de cette roche, avait suivi sa proie jusque dans cette caverne ainsi dĂ©couverte pour la premiĂšre fois. Parla suite, pendant les pĂ©rils et les incertitudes d'une guerre cruelle, il y avait cachĂ© une jeune captive, fille d'une race ennemie, sauvĂ©e parla pitiĂ© des siens d'une inĂ©vitable mort. Quand les orages des combats furent calmĂ©s, le chef conduisit sa tribu insulaire vers le lieu on les eaux couvraient de l'ombre verdĂątre de leur cristal transparent ce por- tique de rocher. LĂ , il plongea, — laissant craindre qu'il ne reparĂ»t plus. Ses compagnons Ă©tonnĂ©s, immobiles dans leurs canots, le croyaient insensĂ© ou devenu la proie du requin. Ils contemplaient d'un air dĂ©solĂ© la roche entourĂ©e par les ondes , et s'arrĂȘtaient soudain en se reposant sur leurs rames, lorsqu'ils virent sortir de l'OcĂ©an une divinitĂ©, — ou du moins ils la crurent telle dans leur respectueuse crainte. Avec elle reparut leur compagnon triomphant Ă  son cĂŽtĂ© , fier de sa fiancĂ©e, ha- bitante des mers. DĂ©trompĂ©s, ils transportĂšrent le couple sur le rivage au son des conques retentissantes et au bruit de joyeuses acclama- tions... » Au sud-ouest des Ăźles Tonga s'Ă©lĂšve du sein de l'OcĂ©an un groupe volcanique connu sous le nom d'Ăźles de la Nouvelle-ZĂ©lande. Les Hol- landais lui donnĂšrent ce nom au dix-septiĂšme siĂšcle. Les cĂŽtes et les rives de quelques fleuves navigables y ont Ă©tĂ© seules habitĂ©es et encore tardivement, car rien ne raconte aux yeux des voyageurs l'histoire des races disparues, ni villes en ruines, ni vestiges de monuments. Ce sont aussi des terres merveilleusement fertiles. NaguĂšre encore L'OCÉANIE. 423 couvertes de forĂȘts d'arbres gigantesques elles dormaient asiles Ă  des tribus de cannibales farouches, sans cesse en guerre les uns contre les autres. Il n'y a qu'une soixantaine d'annĂ©es que les EuropĂ©ens ont songĂ© Ă  tirer parti de ce sol vierge et fĂ©cond, et grĂące Ă  la beautĂ© du climat, Ă  la richesse du sol, et surtout Ă  la prĂ©sence des gisements d'or, la nou- velle-ZĂ©lande a vu le courant de l'Ă©migration se diriger sans interrup- tion vers elle. Des villes qui ne sont encore marquĂ©es sur aucune carte se sont Ă©levĂ©es comme par enchantement sur le littoral. Les rues de la plupart de ces villes sont bien pavĂ©es, Ă©clairĂ©es au gaz ; on y rencontre des bornes-fontaines et des boĂźtes aux lettres; des routes ont Ă©tĂ© ouvertes, on a construit des phares sur le littoral ; on a perforĂ© l'Ă©pine dorsale qui longe les deux Ăźles, pour joindre le port de Cauterbury avec celui de Littleton ; des steamers naviguent continuellement le long des cĂŽtes et font le voyage d'Australie et de Tasmanie, d'autres par le Pacifique met- tent directement l'Europe en communication avec la colonie anglaise. L'intĂ©rieur se peuple rapidement de squatters », — colons Ă©leveurs de bestiaux et cultivateurs devant lesquels recule la population sauvage. Encore quelques annĂ©es, et les aborigĂšnes, — les Maoris, — ne seront plus qu'un souvenir. La Nouvelle-ZĂ©lande se compose de deux grandes terres , — comme les Iles britanniques, — et de plusieurs petites Ăźles. Les deux grandes terres sont l'Ăźle du Nord, ou Te Ika Maui , et l'Ăźle du Sud ou TawaĂŻ Pounamou ; une troisiĂšme appelĂ©e l'Ăźle Stewart est la plus importante parmi les petites Ăźles du groupe. Ce pays doit son caractĂšre principal Ă  la chaĂźne de montagnes qui s'Ă©tend clans toute la longueur des deux grandes terres. Sur cette puissante ossature vient s'appuyer ou s'adosser toute une rĂ©gion de collines et de plateaux, semĂ©e d'un grand nombre de cĂŽnes volcaniques, traversĂ©e par des cours d'eau dans toutes les direc- tions, et bornĂ©e par de vastes plaines. C'est dans l'Ăźle du sud que les montagnes de la chaĂźne atteignent leur dĂ©veloppement le plus grandiose ; l'Ă©tendue de ses glaciers et la grandeur des lacs que renferment les hantes vallĂ©es leur a valu le nom d'Alpes mĂ©ridionales. Ces montagnes sont reliĂ©es entre elles par des contreforts, et sĂ©parĂ©es par des vallĂ©es oĂč coulent des riviĂšres profondĂ©ment encaissĂ©es. Au milieu, les sommets du mont Cook, Ă©clatants de neiges et oĂč miroitent des glaciers, s'Ă©lĂšvent 424 L'OCÉANIE. jusqu'Ă  4,000 mĂštres au-dessus du niveau de la mer, — ce qui est presque la hauteur du mont Blanc. L'Ăźle du Nord, moins pittoresque que l'Ăźle du Sud, est fĂ©conde en phĂ©- nomĂšnes volcaniques ; le haut plateau situĂ© Ă  l'ouest de la chaĂźne de montagnes est ouvert en plus de cent endroits par l'action du feu sou- terrain. Des cĂŽnes de trachite, d'autres de basalte plus petits et de for- mation rĂ©cente, d'innombrables sources thermales, qui lancent Ă  de grandes hauteurs des masses d'eau bouillante, des fumerolles, des vol- Fig. 150. — Source de vapeur de Koropeti Nouvelle-ZĂ©lande. cans et des solfatares offrent au gĂ©ologue de nombreux sujets d'Ă©tude. Le principal foyer de ces phĂ©nomĂšnes se trouve au milieu de l'Ăźle, prĂšs du lac Taupo. C'est lĂ  que, sur un plateau stĂ©rile, se dressent deux volcans gigantesques, le Tongariro, avec ses vastes cratĂšres vomissant une Ă©paisse vapeur; le Euapahu, qui Ă©lĂšve jusqu'Ă  8,000, ou 10,000 pieds son large cĂŽne tronquĂ©. Comme il est presque toujours en- veloppĂ© de nuages, on ne sait si un plateau occupe son sommet, ou si un cratĂšre y est ouvert. Quand le ciel est clair, les versants de ce vol- can Ă©teint apparaissent couverts de neige, entrecoupĂ©s de glaciers et de profonds ravins. Sur ces montagnes, se trouvent les sources des deux principaux fleuves de l'Ăźle. L'OCÉANIE. 425 Entre le lac Taupo et la baie d'Abondance, sur la cĂŽte orientale, s'Ă©- tend la rĂ©gion des lacs, cĂ©lĂšbre par ses sources thermales. LĂ , en plus de mille endroits des vapeurs jaillissent de la terre ; ces phĂ©nomĂšnes prennent diverses formes ; tantĂŽt ce sont des sources chaudes inter- mittentes, analogues aux geysers d'Islande, tantĂŽt des fumerolles, des volcans de boue ou des solfatares. Les plus renommĂ©es sont celles qui surgissent sur les deux rives du WaĂŻkato, occupant un espace d'un mille environ. Le site offre en cet endroit un spectacle saisissant. cv commise, soit que le sujet leur portĂąt ombrage, soit enfin que le n\ Grand-Chef l'eĂ»t trouvĂ© bien en chair et digne de fournir la principale piĂšce d'un joyeux festin. Alors le tueur allait se poster sur le chemin de lĂ  vic- time dĂ©signĂ©e, et il lui cassait la tĂȘte sans sommation ni aver- tissement d'aucune sorte. Il se contentait de dire aux autres membres de la tribu Laissez passer la justice du G rand-Chef ! Le tueur en titre d'office se chargeait aussi, moyennant un lĂ©ger cadeau, de l'exĂ©cution des vengeances particuliĂšres... Certaines peuplades se sont montrĂ©es particuliĂšrement re- belles Ă  notre domination. C'Ă©taient, outre les Canaques du voisinage de NoumĂ©a, — qui massacrĂšrent un jour douze colons, — les naturels de Kuan- nĂ©, qui, en 1801, donnĂšrent une lugubre cĂ©lĂ©britĂ© Ă  la baie du Massacre, — encore une baie du Massacre! C'Ă©taient aussi ceux de Fig. 158. — NĂšo-CalĂ©donien de Balade, revĂȘtu de rApouĂ©ma. 452 L'OCÉANIE. UaĂŻlu et les tribus des Attinens. Les actes de violence exercĂ©s Ă  titre de reprĂ©sailles envers les blancs Ă©taient suivis d'orgies de canni- bales. Les Ounouas, nos alliĂ©s, nous rendaient de signalĂ©s services pour la rĂ©pression des Canaques rĂ©calcitrants. ArmĂ©s Ă  l'europĂ©enne, les Tayos- Fusils, — c'est le nom qu'ils s'Ă©taient donnĂ©, — ne le cĂ©daient en rien comme cruautĂ©, — on s'en doute bien un peu, — aux naturels insoumis. Dans leur victoire, dit le docteur Patouillet, mĂ©decin de la marine, qui a sĂ©journĂ© dans notre colonie, ils n'Ă©pargnaient ni les femmes ni mĂȘme les enfants Ă  la mamelle. Je suis mĂȘme persuadĂ© qu'ils se li- vraient aprĂšs le combat Ă  des festins dont les cadavres ennemis fai- saient les frais ; mais il eĂ»t Ă©tĂ© aussi inutile qu'impolitique de contrarier dans leurs mƓurs ces alliĂ©s toujours fidĂšles, et l'on fermait les yeux sur des faits qu'on dĂ©sespĂ©rait, bĂȘlas! de pouvoir empĂȘcher. » Ces Tayos-Fusils surprirent une nuit, dans une case isolĂ©e, le farouche Gk>n- dou, chef de plusieurs tribus, qui depuis plusieurs annĂ©es tenait tĂȘte au gouvernement de la colonie ; ils le mirent en morceaux et il fut mangĂ© sur place. V oici comment les NĂ©o-CalĂ©doniens se font la guerre de tribu Ă  tribu, ou entre Canaques indĂ©pendants et Canaques soumis. Durant toute la campagne, dit le docteur Patouillet, l'envahisseur se nourrit aux dĂ©pens de l'ennemi, loge dans ses cases, qu'il brĂ»le en les quittant, mange ses ignames, dĂ©truit celles qu'il ne peut consommer, et dĂ©vore les meilleurs quartiers des cadavres laissĂ©s sur place. J'in- siste sur cet abandon des cadavres, car c'est pour une tribu une honte ineffaçable que de laisser sur le champ de bataille un de ses morts. Aussi, comme dans Y Iliade, voit-on, aprĂšs des hostilitĂ©s matinales qui n'ont Ă©tĂ© funestes Ă  personne, le premier guerrier qui tombe devenir le centre d'un combat sanglant. Des cruautĂ©s inouĂŻes signalent la victoire ; on mange les morts, mais si l'on est pressĂ© de quitter le champ de ba- taille, on se contente de couper leurs tĂȘtes, qu'on mettra pourrir comme trophĂ©es sur les tabous des cases. Les membres et le foie sont Ă©gale- ment emportĂ©s pour le repas. On bourre d'ignames crues le tronc, dont on a arrachĂ© les entrailles, on remplace la tĂȘte par une marmite, et c'est une insulte pour la tribu... D'autres fois, on dĂ©terre les ignames L'OCEANIE. 453 d'un champ voisin, et on remplace chacune d'elles par un petit mor- ceau de cadavre. Je me rappelle un de nos travailleurs indigĂšnes qui s'Ă©tait procurĂ© ce divertissement dans une de nos expĂ©ditions... Doui, — c'Ă©tait son nom, — accompagnĂ© de son camarade Taoumou, qui pous- sait des lamentations ironiques, appelait Ă  grands cris les ennemis, rĂ©- fugiĂ©s sur la crĂȘte d'une montagne d'oĂč, Ă  l'abri de nos balles, ils nous regardaient dĂ©vaster leurs plantations. Voyant que ces malheureux, malgrĂ© toutes ses provocations, n'osaient venir Ă  portĂ©e de son fusil, il leur criait ueensland est si restreinte qu'il se trouve tout entier eu la possession de quelques petites tribus. Lorsque l'annĂ©e est bonne, les tribus du voisinage ont permission de venir en manger leur part, et elles accou- rent. Ce fruit est un farineux de qualitĂ© supĂ©rieure ; les Noirs engrais- sent rapidement ; mais au bout de quelque temps de ce rĂ©gime ils se sentent un besoin irrĂ©sistible de manger de la chair. Kangurous et opos- sums gambadent autour d'eux, il est vrai ; mais il leur faut s'abstenir d'y toucher, parce que ces animaux sont nĂ©cessaires Ă  la nourriture de la tribu qui les a conviĂ©s Ă  prendre leur part des fruits du bunya, et que ce serait mal payer l'hospitalitĂ© qu'ils reçoivent que de les tuer. Alors, pour satisfaire leur besoin sans manquer Ă  leurs devoirs envers la tribu amie, ils sacrifient quelques-uns des leurs et les mangent voilĂ  un singulier fait d'anthropophagie dĂ©terminĂ© par un scrupule honorable. Cela dĂ©concerte. Évidemment ces gens-lĂ  doivent avoir des idĂ©es Ă  eux sur ce qui est bien et ce qui est mal. 47G L'OCÉANIE. Cela est si vrai que des indigĂšnes placĂ©s sous l'autoritĂ© plus ou moins nominale du gouvernement colonial peuvent ĂȘtre punis pour des crimes qu'ils ont commis, sans se douter que c'Ă©taient des crimes et souvent pour obĂ©ir Ă  leurs propres lois. M. A. Trollope donne un exemple sai- sissant de cette particularitĂ©. La plupart des actes de violence commis par les aborigĂšnes sont suivis de mort ; mais frĂ©quemment ces meurtres sont de lĂ©gitimes revanches de tribu Ă  tribu ou, plus simplement encore, des actes de bonne politique tel est le cas oĂč un guerrier, mou- rant de sa mort naturelle, le chef juge prudent de rĂ©tablir l'Ă©galitĂ© avec la tribu voisine en faisant tuer un homme de cette tribu. Il dĂ©signe un meurtrier, et si celui-ci n'obĂ©it pas, il est en butte aux mauvais traite- ments de son entourage. M. Trollope eut avec un de ces criminels incons- cients le petit bout de conversation que voici Le chef venir; lui dire Va tuer Cracko! Moi pas aimer cela ; lui dire Il faut! Cela pas plaire Ă  moi beaucoup; lui avoir lance, — ici un geste pour montrer le cruel chef dardant son sujet dĂ©sobĂ©issant, — alors moi aller tuer Cracko. » Et, puisque nous sommes sur le chapitre de l'honnĂȘtetĂ© relative, rap- pelons-nous que les squatters, isolĂ©s dans l'intĂ©rieur, au milieu d'im- menses pacages de moutons, sont souvent forcĂ©s de recouriraux services des indigĂšnes. On cite le fait d'un de ces Ă©leveurs de moutons que tous ses bergers avaient abandonnĂ© pour courir Ă  des gisements d'or nou- vellement dĂ©couverts ; il dut confier quinze mille tĂȘtes de bĂ©tail Ă  la tribu des Kamilaroi, et ces bergers improvisĂ©s lui rendirent bon compte de ses troupeaux. On a doutĂ© longtemps que les sauvages de l'Australie eussent un culte. En les observant de plus prĂšs, il a Ă©tĂ© reconnu qu'ils suivaient certaines pratiques superstitieuses ou mystiques, par exemple lors du mariage, des funĂ©railles, etc. Ces pratiques semblent indiquer, sinon l'existence d'un culte, du moins un ensemble de vagues croyances. Ces Noirs sont gĂ©nĂ©ralement persuadĂ©s, depuis qu'ils voient des hommes de race blanche, qu'aprĂšs leur mort ils renaĂźtront sous la forme d'un blanc et que peu Ă  peu tous les Noirs deviendront de la sorte des hommes blancs dotĂ©s d'avantages qu'il ne leur a pas Ă©tĂ© donnĂ© de possĂ©der dans leur premiĂšre existence. Les Australiens sont d'une agilitĂ© et d"une adresse remarquables. L'OCÉANIE. 477 Qu'on eu juge par leur façon de grimper au plus haut des arbres, pour certaines chasses. AprĂšs s'ĂȘtre assurĂ©, par la prĂ©sence de dĂ©bris au pied d'un arbre, qu'il s'y trouve une proie, le chasseur assujettit sa lance derriĂšre son dos et fait avec sa hachette, dans l'Ă©paisse Ă©corce, trois en- Fig. 10". — IndigĂšnes montant Ă  l'arbre Australie. tailles superposĂ©es Ă 'uu pied et demi de distance l'une de l'autre. Il place dans la plus Ă©levĂ©e la main droite d'abord, dans la plus basse l'orteil du pied droit, dans l'entaille intermĂ©diaire le pied gauche, et de la main gauche, qui est libre, il fait une entaille au-dessus de celle dans laquelle sa main droite est placĂ©e. Ensuite il met sa hachette dans sa bouche, place sa main gauche dans la derniĂšre entaille qu'il vient de 478 L'OCÉANIE. faire, et, reprenant la hachette de la main droite, il fait uue entaille nouvelle. Remettant alors encore sa hachette dans sa bouche, il se sou- lĂšve sur ses deux mains, et plaçant le pied droit dans l'entaille oĂč Ă©tait primitivement la main droite, il est montĂ© d'un Ă©chelon. Ce sont de vrais Ă©chelons qu'il se creuse ainsi dans le tronc de l'arbre, Ă©chelons oĂč il place successivement les mains et les pieds. Eien n'est plus cu- rieux que de voir son corps noir et maigre se dĂ©tachant sur le gommier blanc, tous les muscles tendus, cramponnĂ© Ă  l'Ă©corce par l'extrĂ©mitĂ© seule des membres. Quand il est arrivĂ© au nid de l'animal, — opossum ou chat sau- vage, — il harponne le malheureux dans son trou, le retire et lui brise la tĂȘte contre le tronc en criant et riant de joie; puis le jette Ă  sa lubra » sa femme et redescend comme il est montĂ©! Cette fois les entailles Ă©tant dĂ©jĂ  faites, il met autant d'agilitĂ© que s'il descendait d'une Ă©chelle 1 . » Les Australiens n'ont ni tente, ni abri, ni aucun vĂȘtement; sur la cĂŽte du nord seulement oĂč les nuits et les matinĂ©es sont trĂšs fraĂźches, ils portent une peau de kangurou nouĂ©e en manteau sur les Ă©paules. Pendant les nuits les plus froides, ils se couchent sous le sable, d'oĂč l'on est trĂšs Ă©tonnĂ© de les voir surgir le matin. L'Ă©tĂ©, de simples branches de gommier, entassĂ©es contre quelques pieux fichĂ©s en terre, les garantissent du soleil et du vend chaud; l'hiver, ils arrachent aux arbres des grandes plaques d'Ă©corce et ils s'en font un abri du cĂŽtĂ© d'oĂč vient la pluie et le vent. Accroupi sur la terre nue et enveloppĂ© dans la peau qui lui sert de 1 M. de Castella, auteur des Squatters australiens. — M. de Castella, originaire de Fri- bourg en Suisse, est un des premiers qui ait eu l'idĂ©e d'acclimater la vigne en Australie, oĂč elle rĂ©ussit parfaitement. L'OCÉANTE. 470 vĂȘtement et de couche, chacun d'eux entretient un petit feu devant soi. La vie domestique de l'Australien exige un bien mince mobilier, en sorte que lorsqu'il abandonne, avec sa famille, le lieu ou il a passĂ© la nuit pour se transporter ailleurs, un sac de peau de kangurou que la femme porte suspendu Ă  son cou et rejetĂ© sur ses Ă©paules, suffit pour contenir tout l'avoir du mĂ©nage. C'est bien peu de chose une provision de gomme de xanthorrhĂ©a servant comme mastic Ă  plusieurs usages, des pierres pour la fabrication des hachettes, des marteaux et des couteaux pour broyer les Ă©corces d'arbres , ces derniĂšres du poids d'au moins quatre livres chacune; des nerfs de kaugurous pour servir de fils, de liens; des petits paniers en forme de bouteille contenant de la terre blanche, de la terre rouge avec lesquelles les Austra- liens se peignent le visage , la poitrine ; quelques morceaux de bois creusĂ©s en cuillers et en tasses, de la laine d'opossum, des plumes de divers oiseaux, des peaux de kangnrous non encore apprĂȘtĂ©es, de la graisse pour s'oindre le corps, une pro- vision de racines et d' Ă©corces d'arbres, enfin quelques os pour l'ornement du nez, — les bijoux de famille. L'homme marche en avant, portant ses armes seulement, le casse- tĂȘte ou hachette, la lance, arme de jet, le long bouclier de bois eu losange, enfin le boumerang », — nous reparlerons de cette arme terrible. — Il s'avance d'un air altier et mĂȘme arrogant, attentif Ă  dĂ©couvrir tout ce Fi^'. 16 3 — Abris des indigĂšnes d'Australie Ă©tĂ©. 480 L'OCÉ ANIE. qui peut fournir quelque aliment Ă  lui ou aux siens. La femme le suit de prĂšs. Elle porte d'ordinaire son dernier nĂ© dans un sac ou dans un panier d'osier aussi suspendu Ă  son cou. L'enfant, avançant la tĂȘte par- dessus l'Ă©paule gauche, tette le sein du mĂȘme cĂŽtĂ©, tandis qu'un autre marmot, ĂągĂ© de deux ou trois ans, et qui se tient Ă  califourchon, tette de l'autre cĂŽtĂ©. Les enfants sevrĂ©s et adultes s'avancent derriĂšre la mĂšre Ă  la queue leu-leu, par rang de taille , tout comme font les kangurous et les cygnes noirs. Ce doit ĂȘtre lĂ  une habitude inspirĂ©e par la crainte que les ressources que le sol offre Ă  l'indigĂšne se rĂ©duisent Ă  quelques rares plantes venant sans culture le nardou, cryptogame qu'on trouve au fond des mares dessĂ©chĂ©es on en utilise les sporules en forme de lentilles; Ă©crasĂ©es entre deux pierres et prĂ©parĂ©es en bouillie, elles fournissent un aliment peu substantiel. Il y a encore les dingoua, spo- rules et racines d'une sorte de fougĂšre, quelques racines d'arums, une espĂšce de pisang, des patates douces, quelques feuilles de vĂ©gĂ©taux herbacĂ©s, des baies assez semblables au raisin, du riz sauvage, des igna- mes. C'est bien peu de chose; avant la venue des EuropĂ©ens l'Australie ne produisait ni le blĂ©, ni le riz, ni aucun dont ses habitants pussent se nourrir; aucun fruit ne pendait aux arbres. Ces malheureux sauvages ont encore la chasse et la pĂȘche ; l'une et des serpents, car oĂč le premier a passĂ© 1 es autres peuvent mettre le pied sans danger. Jamais on ne rencontre plusieurs Australiens de front, mĂȘme quand ils sont trĂšs nombreux. Lorsque toute la tribu voyage Ă  travers les plaines, on voit de loin une longue file noire se mouvant au-dessus des hautes herbes. Fig. 170. — Masque chez les sauvages du dĂ©troit de TorrĂ©s. Et puisque nous par- lons de nourriture, disons L'OCÉ ANIE. 481 l'autre de peu de produit. C'est l'opossum dĂ©nichĂ© dans le trou oĂč il est tapi au plus haut d'un arbre, l'Ă©mou, le kangurou, le canard. La pĂȘche se pratique en barrant les cours d'eau au moyen de digues en argile pour faire Ă©chouer le menu poisson ou le harponner plus facilement. Leur pĂȘche Ă  l'anguille dans les lagunes est un spectacle original. Figurez-vous, par un chaud soleil, sous le ciel gris blanc des jours d'Ă©tĂ© des pays chauds, huit ou dix de ces sauvages Ă  la peau luisante et d'un ton noir cuivrĂ© qui tranche sur tous les autres tons un peu monotones de la nature. Debout dans l'eau jusqu'Ă  mi-jambe ou jusqu'Ă  la cein- ture, ils tiennent dans chaque main une lance avec laquelle ils fouillent Fig. 171. — Vase Ă  boire fait du crĂąne d'un indigĂšne. le fond de l'eau, se balançant et rĂ©glant leurs mouvements sur la mesure parfaitement marquĂ©e d'un de leurs chants saccadĂ©s. Quand ils ont traversĂ© une anguille avec une de leurs lances ce qu'ils sentent au mou- vement qu'elle fait en se dĂ©battant, ils la transpercent avec l'autre lance dans un autre endroit, et, tenant les deux pointes Ă©cartĂ©es, ils la jetent sur la terre Ă  l'un d'eux qui les met toutes entas. Ils en prennent de cette façon des quantitĂ©s vraiment prodigieuses, et en font d'horribles grillades 1. » A mesure que la population europĂ©enne s'accroĂźt en Australie , la po- pulation aborigĂšne diminue, s'enf uyant devant les colons envahisseurs , disparaissant comme disparaĂźt le dĂ©sert devant les efforts des pionniers. Les tribus du Murray et du Darliug sont demeurĂ©es les plus nombreuses 1 M. de Castella. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 61 482 L'OCÉANIE. de l'Australie. Toutefois, Ă  l'heure prĂ©sente, les Anglais se trouvent les maĂźtres de l'Australie entiĂšre. Cette race sauvage, demeurĂ©e la mĂȘme, sans doute, pendant des siĂšcles, s'est effacĂ©e, s'est effondrĂ©e en quelques annĂ©es Ă  la seule apparition des blancs. Ces Noirs australiens ontfondu aux approches de la civilisation comme la neige sous les rayons d'un soleil ardent. Les Indiens rĂ©sis- tent beaucoup mieux en prĂ©sence d'une sociĂ©tĂ© de cinquante millions de yankees et l'on peut prĂ©voir que, bien qne fort rĂ©duits en nombre, il faudra plus d'un siĂšcle encore pour amener leur extinction; les Austra- liens, au contraire, n'ont pu tenir contre moins de deux millions d'Euro- pĂ©ens qui, Ă  l'origine, n'Ă©taient qu'une poignĂ©e d'hommes ; leur complĂšte disparition n'est plus qu'une affaire de quelques annĂ©es. Des tribus de plusieurs centaines d'individus que Sturt et Mitchell visitĂšrent sur les affluents supĂ©rieurs du Murray ne sont plus reprĂ©sentĂ©es que par des groupes Ă©pars de huit ou dix malheureux affamĂ©s. J'ai en vain cherchĂ©, Ă©crit un touriste, Ă  dĂ©couvrir quelques-uns de ces bocages de la mort, qui jadis marquaient le centre du parcours, la terre patrimoniale de chacune des grandes tribus. Ces poĂ©tiques sĂ©pul- tures ont disparu Ă  leur tour; les descendants ont manquĂ© aux aĂŻeux pour entretenir les tumuli de gazon et les petits sentiers sablĂ©s qui cir- conscrivaient, sous l'ombre des eucalyptus et des mĂ©laleucas, les carrĂ©s de ces Ă©chiquiers funĂ©raires. Les pousses de quelques printemps, les pluies d'un petit nombre d'automnes auront suffi pour tout envahir, tout recouvrir ou tout niveler. Si l'on veut voir aujourd'hui une sĂ©pul- ture indigĂšne, il faut aller la chercher dans les dĂ©serts dĂ©nudĂ©s de l'ouest. LĂ , de loin en loin, quatre branches d'arbres, fichĂ©es en terre et croisĂ©es Ă  leur sommet, supportent la dĂ©pouille mortelle d'un Australien, ayant pour suaire une peau de kangurou qui le dĂ©fend mal contre l'action de l'air et les insultes des oiseaux de proie, jusqu'Ă  ce que la dĂ©composi- tion cadavĂ©rique livre ces lamentables restes aux chiens sauvages accourus Ă  cette curĂ©e des quatre aires de l'horizon. » Le rhum et les maladies apportĂ©es par les colons ont de funestes rĂ©- sultats sur la dĂ©population; les affections de poitrine, par exemple, causĂ©es par l'intempĂ©rance, font des ravages aussi effrayants en Australie qu'Ă  TaĂŻti, aux Sandwich et aux Ăźles Fidji. L'OCÉ ANIE. 483 Les colous tneut les Australiens comme s'ils faisaient la chasse Ă  des animaux incommodes. Les blancs les repoussent des endroits oĂč ils s'Ă©tablissent, le bĂ©tail, disent-ils, ne voulant pas rester dans les lieux 484 L'OCÉ ANIE. oĂč sĂ©journent les indigĂšnes . Une tribu enlĂšve- t-elle quelques tĂȘtes de bĂ©tail daus nue station Ă©cartĂ©e? Un chĂątiment cruel ne se fait pas long- temps attendre. Les squatters des environs fondeut sur les pillards, rĂ©unis peut-ĂȘtre en un festin dont les animaux dĂ©robĂ©s font les frais. Les cavaliers blancs exĂ©cutent une charge, labourant de coups de fouet le torse nu de ces maraudeurs incorrigibles, renversant et blessant tous ceux qui se trouvent sur leur passage. Taut pis pour les Noirs tuĂ©s la leçon profitera aux survivants. Aussi les Australiens ont-ils une grande crainte du squatter, qui leur apparaĂźt Ă  cheval et armĂ© de son terrible fouet. Ces squatters se sont occupĂ©s dĂšs les premiers temps de la colonisa- tion de l'Ă©levage du bƓuf et du mouton. A mesure qu'ils connaissaient mieux cette contrĂ©e nouvelle, ils poussaient leurs troupeaux plus avant vers l'intĂ©rieur. Une avant-garde de bushmen s'en allait reconnaĂźtre le pays, y chercher des zones propres Ă  l'exploitation ; les squatters les suivaient de prĂšs avec leurs troupeaux, leurs fermes mobiles, faisant ainsi des conquĂȘtes sur le dĂ©sert. Aujourd'hui il y a tel Ă©leveur qui possĂšde quinze mille, vingt mille taureaux et vaches et qui prend Ă  bail Ă  l'État des campagnes vastes comme un de nos dĂ©partements. Heureusement la place ne manque pas. La fortune de cette contrĂ©e, a trĂšs bien dit le comte de Beauvoir, n'est pas dans la qualitĂ© de son sol, elle est dans son espace! » On trouve des runs », — il faut dire que ceux-lĂ  sont exceptionnels, — de soixante mille, cent mille et deux cent mille moutons, donnant chaque annĂ©e Ă  la tonte des montagnes de laine. Les colons se livrent aussi en grand Ă  l'exploitation de mines mines d'or, mines de fer, mines de cuivre, d'Ă©tain, de houille, etc. C'est en 1851 que les premiĂšres parcelles d'or furent recueillies Ă  Ballarat et dans le voisinage. Vingt mille personnes en un mois, dit le comte de Beauvoir, cent cinq mille, en une annĂ©e, se ruĂšrent toutes haletantes vers les collines fortunĂ©es dont il suffisait de fouiller la surface pour ramasser des trĂ©sors ce que devait ĂȘtre l'aspect de la route oĂč une foule anxieuse courait Ă  la recherche de l'or, comme chez nous on court au feu, qui peut l'imaginer ? » A Ballarat, un pauvre mineur sentit un jour sa pioche retenue dans un Lloc solide c'Ă©tait an lingot d'or, pesant 2, 60d onces et d'une valeur 48G L'OCÉANIE. de 260,000 francs! Il y a eu bien d'autres trouvailles presque aussi belles. Au mont Alexandre, Ă  environ quarante lieues de Melbourne, on vit quantitĂ© de mineurs faire fortune en pende jours. Deux frĂšres, nommĂ©s Cavanagh, rĂ©unirent, eu deux semaines, une centaine de mille francs. Ils avaient rĂ©alisĂ© pins de la moitiĂ© de leurs bĂ©nĂ©fices en une demi-heure sous la forme de nuggets de la grosseur d'Ɠufs de pigeon. Trois autres chercheurs d'or en recueillirent pour trente mille francs un matin avant leur dĂ©jeuner. A Melbourne, les boutiques se fermĂšrent, les mar- chands chargĂšrent le contenu de leurs magasins sur des chariots et se dirigĂšrent vers les placers. Partout oĂč la main de l'homme Ă©tait nĂ©ces- saire, dans les moulins, les abattoirs, les tanneries, l'ouvrage cessa, faute d'ouvriers. La fiĂšvre de l'or se dĂ©clarait intense et contagieuse. Avant l'expiration de la premiĂšre annĂ©e, il Ă©tait expĂ©diĂ© en Angle- terre pour plus de 125 millions de francs du prĂ©cieux mĂ©tal. Depuis, les mines d'or australiennes ont donnĂ© un rendement de plus de quatre milliards. Les mines de fer et les mines de houille sont les plus riches aprĂšs les mines d'or. Donnons aussi une mention Ă  la belle mine de cuivre de Burra daus l'Australie du Sud, qui fut si productive dĂšs le dĂ©but de l'exploitation que les actions sur lesquelles il n'avait Ă©tĂ© versĂ© que 75 fr. montĂšrent presque aussitĂŽt Ă  8,025 francs. Il y a aussi des mines de cuivre Ă  Kapunda et dans d'autres localitĂ©s. On retrouve dans les rĂ©gions aurifĂšres cette Ă©trange population de chercheurs d'or et ces mƓurs que nous avons dĂ©crites, en traversant la Californie les villes » de toile, le jeu effrĂ©nĂ©, les procĂ©dĂ©s de justice ex- pĂ©ditive. Un mineur, par exemple, est-il convaincu publiquement de vol? les hommes prĂ©sents se prĂ©cipitent sur lui ; les uns lui coupent les che- veux, tandis que d'autres lui lient les mains derriĂšre le dos et lui pla- cardent sur les Ă©paules un Ă©criteau infamant. Cette bande de justiciers acharnĂ©s s'accroĂźt de moment en moment, et bientĂŽt deux cents person- nes peut-ĂȘtre sont Ă  l'Ɠuvre, cinglant avec des ceintures, des sangles ou des courroies les Ă©paules du patient, au milieu d'un tumulte, de huĂ©es et de cris qui couvrent ses hurlements de douleur. Et cela jusqu'Ă  ce que quelques bonnes Ăąmes interviennent... L'OCÉ ANIE. 487 Nous avons promis, Ă  propos des armes des sauvages de l'Australie, quelques dĂ©tails sur l'arme nationale », le formidable boumerang. C'est une sorte de sabre courbe en bois trĂšs dur, mince, qui, lancĂ© par les indigĂšnes avec une adresse sans Ă©gale, aprĂšs avoir atteint le but, revient en tournoyant tomber aux pieds de celui qui l'a jetĂ©. Le comte Russel-Killough a observĂ© attentivement le maniement de cette arme singuliĂšre et redoutable. Le sauvage, dit-il, regardait d'abord le ciel comme s'il le menaçait, faisait plusieurs bonds, et lançait son terrible messager avec un effort qui semblait capable de disloquer toute son organisation l'instrument de bois, sifflant en fendant l'air, montait Ă  au moins vingt mĂštres, puis semblait tomber Ă  terre, mais il repartait de nouveau comme un objet animĂ©, remontait en tournant toujours sur lui-mĂȘme, et aprĂšs avoir errĂ© ainsi pendant prĂšs d'une minute, revenait, comme un oiseau de proie qui n'a rien trouvĂ©, se dĂ©battre en mourant au pied de son maĂźtre, Ă  moins qu'il ne l'eĂ»t lancĂ© avec une vigueur extrĂȘme, et alors il recommençait un nouveau cercle. On conçoit facile- ment qu'avec beaucoup d'adresse on puisse, avec cette arme, tuer, dĂ©ca- piter mĂȘme son ennemi derriĂšre un objet quelconque, arbre ou maison... Cet instrument, fabriquĂ© en bois d'acacia, est appelĂ© par les naturels calĂ© ». Ils s'en servent beaucoup pour la cbasse des oiseaux, qui se trouvent tout dĂ©concertĂ©s en voyant voler parmi eux un objet si Ă©trange. » Qu'on ne se moque plus des sabres de bois! En quittaut l'Australie, nous traversons la mer de Corail. Au nord de cette mer, Ă  la pointe orientale de la Nouvelle- GuinĂ©e, la Louisiade Ă©grĂšne ses petites Ăźles, ses Ăźlots et ses Ă©cueils. Les Papouas qui habitent les Ăźles de cet archipel sont encore des Noirs... et des anthro- pophages. Un officier de notre marine, M. de Rochas, a racontĂ© les faits horribles qui suivirent le naufrage du trois-mĂąts le Saint-Paul sur des rĂ©cifs, en vue de l'une de ces Ăźles, l'Ăźle Rossel. Ce navire, venant de Hong-Kong, Ă  destination de Sydney, avait Ă  son bord trois cent dix-sept Chinois qui s'en allaient travailler aux mines d'or de l'Australie. Le capitaine , utilisant son principal canot, laissa la plus grande partie de ses vivres aux Chi- nois rĂ©fugiĂ©s sur un Ăźlot, et prit la mer pour aller chercher du secours. Il 488 L'OCÉ ANIE. rĂ©ussit Ă  aborder en Australie, fat recueilli par nue goĂ©lette anglaise au moment oĂč il se trouvait Ă  la merci des cannibales du dĂ©troit de TorrĂšs, et il dĂ©barqua enfin Ă  la Nouvelle-CalĂ©donie. LĂ , sur ses instances, le Styxfat envoyĂ© Ă  la recherche des malheureux Chinois abandonnĂ©s sur l'Ăźlot des Louisiades. M. de Rochas avait un commandement Ă  bord de ce navire. Quand on arriva en vue du sinistre Ă©cueil, il ne s'y trouvait plus un seul des naufragĂ©s. Pas un ĂȘtre vivant, dit M. de Rochas, pas un signal sur ce pĂątĂ© de corail de vingt mĂštres environ de largeur sur trente-cinq de longueur. Un officier descendit sur l'Ăźlot et y remarqua une tente en lambeaux, encore fixĂ©e sur deux arbres, des troncs d'arbres sciĂ©s Ă  un mĂštre du sol et creusĂ©s comme pour servir de rĂ©servoir, deux cadavres ensevelis sous une couche de cailloux, des dĂ©bris de toile Ă©pars sur le sol avec une grande quantitĂ© de coquilles qui, ayaut subi l'action du feu, avaient dĂ» servir Ă  la nourriture des naufragĂ©s. » AprĂšs quelques jours de recherches sur les Ăźlots voisins, on apprit par un survivant fortuitement dĂ©couvert que les trois cents et quelques Chi- nois avaient Ă©tĂ© massacrĂ©s par les sauvages de l'Ăźle Rossel , qui Ă©taient venus les chercher dans leurs pirogues les uns aprĂšs les autres. Le Chi- nois recueilli par le navire français raconta les scĂšnes de cannibalisme dont il avait Ă©tĂ© tĂ©moin. Ces affreux Noirs poussaient la fĂ©rocitĂ© et la sensualitĂ© jusqu'Ă  rompre de coups leurs victimes pour amollir les chairs dont ils comptaient se repaĂźtre. Les Ăźles montagneuses de l'archipel Salomon sont peuplĂ©es de noirs fĂ©roces, tatouĂ©s, qui, eux aussi, pratiquent encore largement l'anthropo- phagie. Ces Papouas, qui ont uue grande ressemblance physique avec les Noirs australiens, savent faire manƓuvrer leurs pirogues avec une adresse extrĂȘme. Les Ăźles Salomon portent le nom de Bougainville, Choiseul, Isabelle, — c'est la plus grande de toutes, — Guadalcanar, oĂč s'Ă©lĂšve un pic de 2,450 mĂštres, Malayta et San-Christoval. Passons Ă  la Nouvelle-Bretagne. Ce groupe d'Ăźles, sĂ©parĂ©es de la cĂŽte orientale de la Nouvelle-GuinĂ©e par le dĂ©troit de Dampier, se compose de la Nouvelle-Bretagne, que les indigĂšnes appellent Birara, de la L'OCÉANIE. 489 Nouvelle-Irlande la Tombara des indigĂšnes, sĂ©parĂ©e de la prĂ©cĂ©dente par le canal de George, du Nouveau- É9EHf elle - mĂȘme Hanovre et de plusieurs autres peti- tes Ăźles. Tou- tes ces Ăźles, entourĂ© es pour la plu- part d'Ă©- cueils de corail, sont d'origine volcanique. A Tombara il y a une montagne de plus de 2,700 mĂštres d'Ă©lĂ©vation; les montagnes de ces Ăźles portent sur leurs flancs des forĂȘts oĂč croĂźt l'indestruc- tible tek. La vĂ©gĂ©tation est partout celle des tropiques. Les insulaires papouas se distinguent des Noirs de leur race par une plus belle conformation ; ils montrent aussi des qualitĂ©s d'ordre et de propretĂ© qui les rendent aptes Ă  la civili- sation. Toutefois, ils sont hostiles aux EuropĂ©ens ; on a mĂȘme fait aux na- turels du Nouveau-Hano- vre une rĂ©putation de cannibalisme. Tig .174. — Chef australien en costume de cĂ©rĂ©monie. Avant de quitter la MĂ©- lanĂ©sie, nous avons encore une grande terre sauvage Ă  visiter, la Nou- CUNTUEES MYSTERIEUSES. 62 490 L'OCÉANIE. velle-GuinĂ©e ou Papouasie, l'Ăźle la plus vaste du globe, si l'ou considĂšre l'Australie comme uu continent. . ; ', . Il y a quelques annĂ©es encore , on pouvait s'Ă©tonner, avec M. Vivien de Saint-Martin qu'une terre grande comme deux fois l'Angleterre et l'Écosse et qui forme, Ă  vrai dire, le prolongement de l'Australie, » eĂ»t excitĂ© jusqu'ici si peu d'intĂ©rĂȘt chez les investigateurs anglais, — pour ne parler que de ceux dont cette terre nouvelle est, en quelque sorte, le domaine naturel ». Cette observation ne devait point passer inaperçue ; d'autres l'a- vaient faite aussi, et nombre d'explorateurs se sont tout Ă  coup mis en mouvement, avides de combler l'importante lacune qui leur Ă©tait signalĂ©e dans la gĂ©ographie, l'ethnographie et les sciences natu- relles du globe. L'Italie a fourni deux naturalistes, MM. d'Albertis et Beccari ; la Russie, le docteur Micklukho MacklaĂŻ, qui n'est revenu qu'en 1882, aprĂšs un sĂ©jour de douze annĂ©es dans la MĂ©lanĂ©sie. On doit Ă  l'Au- triche le docteur Bernhard Meyer ; Ă  la Hollande, M. de Rosenberg ; Ă  l'Angleterre, M. A. Russell Wallace, le capitaine Moresby, M. Octavius Stone, le rĂ©vĂ©rend S. Mac Farlane, le naturaliste Goddie. Enfin la France a excitĂ© l'Ă©mulation et encouragĂ© les efforts de plusieurs de ses voyageurs d'Ă©lite, entre autres M. Raffray, naturaliste distinguĂ©. Il s'agissait d'ex- plorations Ă  faire tout aussi intĂ©ressantes que celles de l'Afrique Ă©qua- toriale ou du centre de l'Australie, et ne prĂ©sentant pas moins de pĂ©rils, de difficultĂ©s de dĂ©tail Ă  vaincre. Ainsi aucune monnaie n'a cours sur ce sol primitif l'explorateur doit emporter avec lui une pacotille de ver- roterie, de couteaux, de petits miroirs et d'Ă©toffes aux couleurs voyantes, et pour sa nourriture et celle de son escorte des pains de sagou, des sacs de riz, car le pays ne fournit pas grand'chose. C'est probablement la ressemblance des habitants avec les Noirs de la GuinĂ©e africaine qui fit donner le nom de Nouvelle-GuinĂ©e Ă  cette Ăźle, par le Portugais Jorge MenezĂšs, qui la dĂ©couvrit en 1526. La cĂŽte mĂ©ridionale de la Nouvelle-GuinĂ©e est protĂ©gĂ©e par une sĂ©rie de bancs de corail formant plusieurs ports. Tout Ă  fait Ă  l'orient , du fond des plages formĂ©es de coraux blancs, surgissent des collines arrondies et herbeuses derriĂšre lesquelles s'Ă©tagent de nouvelles collines garnies çà et lĂ  d'eucalyptus, de pandanuset d'autres vĂ©gĂ©taux du type australien. L'OCÉ ANIE. 491 Dans les vallĂ©es et dans l'intĂ©rieur des terres, la vĂ©gĂ©tation pins luxu- riante revĂȘt davantage le caractĂšre tropical. Ces vallĂ©es, dit Moreeby, sont couvertes de cocotiers, de goyaviers, de bananiers, de cannes Ă  su- cre. Sur les pentes boisĂ©es des montagnes, les naturels ont créé de vastes clairiĂšres et les cultures de taros et de yams s'Ă©tagent en gradins et en terrasses, jusqu'aux sommets mĂȘmes. » En contournant ce vaste golfe qui s'arrondit jusqu'aux bords du dĂ©- troit de TorrĂšs, on trouve la baie de Redscar. La cĂŽte est dominĂ©e par des montagnes qui s'Ă©lĂšvent progressivement vers l'est jusqu'Ă  3,500 et 4,000 mĂštres. Si, au contraire, on avance vers l'ouest, le caractĂšre du pays cliauge complĂštement; la mer est tellement semĂ©e de bas-fonds, que les navires sont tenus aune grande distance d'une cĂŽte basse, plate, marĂ©cageuse, que les eaux recouvrent Ă  peine Ă  la marĂ©e haute. Cette cĂŽte, bordĂ©e d'Ă©- paisses forĂȘts de hauts mangliers, est coupĂ©e par de nombreux et larges canaux d'eau douce, offrant des voies faciles pour pĂ©nĂ©trer dans TintĂ©- rieur. Un des explorateurs que nous avons nommĂ©s, M. d'Albertis, a re- montĂ© en chaloupe Ă  vapeur, jusqu'Ă  800 kilomĂštres de son embouchure, l'un de ces cours d'eau, la riviĂšre Fly, qui ouvre comme une grande route vers le centre de l'Ăźle. La cĂŽte conserve le mĂȘme aspect sur un parcours de plusieurs cen- taines de kilomĂštres, puis des montagnes apparaissent couvertes pour la plupart de forĂȘts, jusqu'Ă . une grande hauteur. Les rivages du nord de la Nouvelle-GuinĂ©e, exposĂ©s en plein Ă  la houle du Pacifique, sont entourĂ©s d'une ceinture de foyers volcaniques s'Ă©tendant parallĂšlement Ă  la cĂŽte et non loin d'elle. Les montagnes s'Ă©lĂšvent brusquement de la mer en pentes escarpĂ©es. Au pied mĂȘme de leurs falaises, on trouve cinquante brasses d'eau. Aussi les ports sont- ils rares et les mouillages difficiles, Ă  cause de la profondeur des fonds. De grands caps s'avancent fort loin dans la mer, — jusqu'Ă  soixante kilomĂštres, — Ă©chancrant des baies trĂšs creuses. En poursuivant l'exploration du littoral, — cette fois nous suivons la cĂŽte nord en nous dirigeant vers l'orient, — on voit s'arrondir une suite de larges baies, sĂ©parĂ©es entre elles par des montagnes qui s'Ă©tagent les unes derriĂšre les autres, tandis que des groupes d'Ăźles, renfermant plus 492 L'OCÉANIE. d'un volcan en ignition, encombrent les approches de la terre ferme. L'existence de puissantes riviĂšres dans cette rĂ©gion de la Nouvelle-Gui- nĂ©e est attestĂ©e par de grandes masses de bois, troncs d'arbres qui, aprĂšs avoir formĂ© des obstacles aux embouchures, s'en vont au loin flotter sur la mer. La Nouvelle-GuinĂ©e, par sa situation sous l'Ă©quatĂ©ur, ne connaĂźt qu'une saison , l'Ă©tĂ©. Des pluies abondantes y dĂ©veloppent une vĂ©gĂ©ta- tion magnifique , mais rendent le climat humide et malsain. Certaines parties marĂ©cageuses du littoral sont un foyer d'exhalaisons pestilentielles. Elles rĂ©pandent la fiĂšvre et un mal presque toujours mortel, le beri-beri », qui exerce ses ravages Ă  l'Ă©poque des grandes pluies. Ces fĂącheuses conditions si nuisibles Ă  la colonisation n'existent pas dans la pointe orientale de l'Ăźle, dont Moresby parle comme d'une rĂ©gion magnifique et d'une fertilitĂ© extraordinaire. Nous retrouvons dans la Nouvelle-GuinĂ©e, parmi les mammifĂšres, qui y sont peu nombreux, le kanguron. Au nombre des autres animaux indigĂšnes, nous rangerons le phalanger tachetĂ©, le porc de la Nouvelle- GuinĂ©e, le chien de la Papouasie, considĂ©rĂ© comme souche de tous les chiens sauvages qu'on rencontre dans toutes les terres australes. M. Bec- cari a enrichi la liste des mammifĂšres de plusieurs espĂšces nouvelles, notamment du Cucus maculatus, genre qu'il croit inconnu. Les casoars y sont fort rares; mais l'Ăźle est embellie par les paradi- siers, ces perles de beautĂ© », comme dit M. Russell Wallace. Enfin, en passant aux reptiles, nous notons cinq ou six espĂšces d'ophidiens dont aucune n'est venimeuse. La Nouvelle-GuinĂ©e est habitĂ©e par deux peuples, deux races dont les affinitĂ©s ont Ă©tĂ© le sujet de nombreuses conjectures. Nous ne suivrons pas les explorateurs dans leur enquĂȘte, d'autant plus difficile Ă  mener Ă  bonne fin que la majeure partie de cette terre est incore inconnue. Voici donc sur les habitants de la Nouvelle-GuinĂ©e quelques donnĂ©es posi- tives. Il n'est nul besoin, pensons-nous, de rappeler que les Papouas ont une ressemblance marquĂ©e avec les NĂšgres de l'Afrique. Dans l'intĂ©rieur de l'Ăźle, il existe une population plus primitive encore, les Arfakis, plus connus sous le nom d'Auafouras qui leur a Ă©tĂ© imposĂ© par les Portugais. Fig. 175. — Eu fuite casoars Ă©uuus. 494 L'OCÉANIE. Il se peut que les populations de l'intĂ©rieur en soient venues avec les siĂšcles Ă  diffĂ©rer sensiblement des Papouas, par des conditions d'existence diverses. Toutefois, le docteur Beccari, dans sa derniĂšre exploration, a trouvĂ© au nord de l'Ăźle une race parfaitement noire, avec les cheveux laineux et courts , les arcades sourciliĂšres proĂ©minentes , la racine du nez fortement dĂ©primĂ©e, la poitrine large, le ventre protubĂ©rant et pendant. Les naturels observĂ©s par les explorateurs diffĂšrent sensiblement quant Ă  la taille. M. Wallace en a vu de grands, bien faits, et de mĂȘme Dumont d'Urville. D'autres navigateurs disent expressĂ©ment Les Papouas sont petits. De ce dĂ©saccord on peut infĂ©rer qu'il y a des diffĂ©rences de taille parmi les diverses peuplades de l'Ăźle. Sur la couleur de la peau il y a moins de divergences elle est en gĂ©nĂ©ral trĂšs foncĂ©e, de la nuance de la suie. Le capitaine Moresby a vu sur une partie de la cĂŽte des hommes d'une race petite et cuivrĂ©e, aux cheveux crĂ©pus. Ces sauvages relĂšvent leurs cheveux en une masse hante de quelque trente centimĂštres, ornĂ©e de plumes de casoar et d'oiseaux de paradis... Ils se barbouillent de cou- leurs noires et blanches et se parent de coquilles, de lambeaux d'Ă©corce et de feuilles de palmier. Ils portent en bracelets les os des ennemis qu'ils ont vaincus... et dĂ©vorĂ©s, car nous sommes encore chez des anthropophages. On en voit qui ont le corps noirci avec uu mĂ©lange de charbon et d'huile de coco ; c'est leur maniĂšre de porter le deuil d'un parent. Les matelots du navire que commandait le capitaine Moresby s'Ă©taient fait une grande popularitĂ©, et sans doute un grand renom artistique, par la maniĂšre toute magistrale dont ils couvraient de peintures bizarres au goudron et au rouge les corps des indigĂšnes qui allaient leur rendre visite Ă  bord et solliciter la faveur d'ĂȘtre illustrĂ©s » par eux. PrĂšs de la baie de Eedscar et jusqu'Ă  la pointe orientale de l'Ăźle, la physionomie des indigĂšnes est plus avantageuse qne dans les autres rĂ©gions de l'Ăźle. Ceux-lĂ  sont bien faits ; ils ont l'air intelligents ; leur peau au lieu d'ĂȘtre presque noire revĂȘt une teinte cuivrĂ©e ; leurs cheveux sont frisĂ©s, mais point laineux, et relevĂ©s en chignon chez les hommes. Les femmes les coupent ras. Elles se tatouent, tandis que les hommes L'OCÉANIE. 495 se contentent de se peindre le yisage d'une façon bizarre. De ces faits, il est permis de conclure, dit M. Vivien de Saint-Martin, que les deux Fig. 170. — Un chef Ă  la Nouvelle-Guirrje partie nord. races de l'OcĂ©anie sud-occidentale, la race nĂšgre ocĂ©anienne et la belle race polynĂ©sienne, se trouvent ici en contact, sans parler des Papouas de l'extrĂ©mitĂ© nord-ouest. » MalgrĂ© ces oppositions de races, les indigĂšnes de la Nouvelle-GuinĂ©e vivent eu assez bonne intelligence entre eux. A quelques exceptions 496 L'OCÉ ANIE. prĂšs, ils ont aussi assez bien reçu les Ă©trangers qui ont abordĂ© Ă  leurs rivages. Disons Ă  ce propos que quelques insulaires ont paru frappĂ©s d'admiration pour la peau blanche des EuropĂ©ens, et, dans leur fami- liaritĂ© enfantine, ils ouvraient les gilets et les chemises de leurs hĂŽtes pour se rassasier de cette Ă©tonnante nouveautĂ©. Chaque village cultive une portion de la terre qui se trouve Ă  l'entour. Dans quelques villages de la cĂŽte sud-est une partie de la population se compose de pĂȘcheurs ; le reste cultive le sol. Les tribus les plus sau- vages vivent du produit du sagouier non cultivĂ©. Voici , d'aprĂšs M. Moresby, quelle est l'existence d'un gentleman » papouas Il se lĂšve de bonne heure et frissonne sous son misĂ©rable abri jusqu'Ă  ce que le soleil se montre. Ensuite, c O Tout lama qui appartient Ă  une fa- mille tombĂ©e en servitude devient li- bre eu entrant dans la tribu sacer- dotale. Plus de corvĂ©e pour lui ni de redevances Ă  payer; il peut aussi courir librement le monde sans avoir Ă  rendre compte de ses actes Ă  per- sonne. Ce qui est plus intĂ©ressant que l'Ăąpre steppe et la vie Ăąpre aussi des nomades qui l'habitent, c'est le lieu oĂč l'existence du ne made se dĂ©veloppe parallĂšlement avec celle de l'homme Ă  qui il faut, pour sa tranquillitĂ©, pour sa sĂ»retĂ©, l'Ă©tablissement des villes, une ad- ministration , un gouvernement. C'est ainsi qu'on voit les Tartares s'avancer en Kussie jus- qu'Ă  Kazan. Un rappro- chement semblable s'o- * ., pĂšre en pleine Mandchou- & rie. Il y a mĂȘme des chrĂ©tientĂ©s, sur les bords du BongarietduLanling, qui est un des affluents du Songari et que l'on peut comparer aux plus beaux fleuves de France. Cette contrĂ©e est habitĂ©e par les Tartares Ta- houris auxquels appartiennent les steppes couvertes de leurs troupeaux Fig. 207. - Tartare du Kazau. 582 L'ASIE. de chevaux et de bƓufs. Au milieu et aux extrĂ©mitĂ©s de ces vastes plai- nes d'herbes, ou rencontre des champs cultivĂ©s, oĂč grandissent de belles moissons de sorgho, de millet, de sarrazin, de maĂŻs, de pois, de sĂ©same et mĂȘme l'opium en pavot, ce poison qui vient jusqu'en Tartarie montrer ses funestes effets. Chose curieuse ce sont des colons chinois qui dĂ©- frichent ces terrains. Car il est Ă  remarquer que cette rĂ©gion de l'Amour s'est depuis quelques annĂ©es enrichie de villages chinois et mĂȘme de plu- sieurs villes qui s'Ă©lĂšvent en des lieux oĂč s'Ă©tendaient naguĂšre encore des forĂȘts peuplĂ©es de tigres, d'ours, de cerfs, de chevreuils, de sangliers qui fournissaient l'occasion de belles chasses aux Tartares Salons. LĂ , dit M. Noirjean, — c'est un missionnaire du vicariat de Mandchourie, — oĂč ne rĂ©gnait que la solitude des bois fourmille aujourd'hui tout un peu- ple d'Ă©migrĂ©s ; il y a des marchands, des laboureurs, un mandarin civil pour juger leurs interminables procĂšs, et un camp de soldats comman- dĂ©s par un lieutenant du gouverneur gĂ©nĂ©ral de Tcitcikar, pour leur cou- per la tĂȘte quand la cupiditĂ© les mĂšne au pillage et Ă  la rĂ©volte. » Deux fois en trois ans telle de ces villes a Ă©tĂ© saccagĂ©e par les Barbes Rouges, pillards que vomissent les immenses forĂȘts de l'Amour et de l'Oussouri. LĂ  se trouvent des gisements considĂ©rables d'or et d'argent dont l'empereur, dans une idĂ©e de superstition, a interdit l'exploitation. C'est en vain. Des vagabonds s'y rassemblent en grand nombre. Mais bientĂŽt leurs vivres sont Ă©puisĂ©s; il leur est impossible de les renouveler, car des soldats tartares ont mission d'empĂȘcher par la force tout ravitail- lement. Alors, poussĂ©s Ă  bout, dit le missionnaire que nous venons de citer, les chercheurs d'or arborent le drapeau rouge avec cette devise Le ciel nous protĂšge. Allons ! vengeons-nous. Avec un sabre et un che- val nous vaincrons! » A leur approche les soldats s'enfuient comme des liĂšvres. Les populations demeurent Ă  la merci des pillards. Entre le Nonni, le Songariet l'Amour, nous apprend M. Noirjean, s'Ă©- tend uue immense steppe, oĂč l'on rencontre çà et lĂ  des villages semĂ©s comme autant d'oasis au milieu du dĂ©sert. LĂ  se trouve aussi Tcitcikar, chef-lieu de la province, oĂč rĂ©side uu gouverneur gĂ©nĂ©ral militaire, rĂ©u- nissant sous son commandement toutes les hordes tartares du HeĂŻ-Lung- Kiang. Sur les rives du Nonni de l'Amour, Ă  l'est et Ă  l'ouest, s'Ă©lĂšve L'ASIE. 583 la ville de Tung-sy-Potar-hau, assujettie au commandement d'un ta-jen, chargĂ© de gouverner les diverses tribus des Tartares, qui mĂšnent presque tontes la vie nomade et barbare. Ce sont les hordes des Poils Rouges, les Tartares Harkshi, les Élenthes, et la grande tribu des Salons, dans laquelle, du reste, ces hordes se confondent toutes. Le missionnaire qui nous introduit dans ces contrĂ©es si peu connues, nous dit que la chasse est toute l'occupation des Salons ; ils en tirent Fig. 208. — L'Amour. leur subsistance et leur vĂȘtement; en hiver comme en Ă©tĂ©, ils sont cou- verts de peaux, des pieds Ă  la tĂȘte. Hommes et femmes revĂȘtent un pan- talon taillĂ© sur le dos d'un cerf ou d'un chevreuil; une sorte de toge Ă©troite, dĂ©pouille du mĂȘme animal ; un bonnet de fourrure et des bottes de cuir. Ils emploient comme armes de chasse l'arc [Salon signifie archer » en chinois et quelquefois le fusil. Ils ont aussi une sorte de pique courte qu'ils nomment tita » ; voilĂ  le pauvre ĂŻartare de l'Amour, le pauvre Salon, tel que Dieu l'a fait, dans sa vie errante, au milieu des neiges, sur son coursier rapide, aussi rude et aussi sauvage que lui. » I 584 L'ASIE. C'est sur les bords des riviĂšres que, de prĂ©fĂ©rence, il fait halte ; ailleurs, il ne trouverait poiut d'eau pour apaiser sa soif. Sa serpe a vite coupĂ© quelques branches dans la forĂȘt, qu'il entasse Ă  deux pieds de haut, pour Pig. 209. — Montagnes en formation sur l'Amour. se faire uu entourage. Toute la famille, le pĂšre, la mĂšre et les enfants, prend place derriĂšre ce frĂȘle abri. Un feu allumĂ© jour et nuit sert Ă  faire rĂŽtir la venaison ou Ă  faire bouillir la marmite de fer. Tandis que l'homme, tout enfumant sa pipe, jette un coup d'Ɠil sur la cuisine, la femme prĂ©pare les dĂ©pouilles des bĂȘtes tuĂ©es Ă  la chasse ; elle les tanne avec de la cervelle de chevreuil ou de cerf. C'est la femme L'ASIE. 585 aussi qui confectionne les habillements de la famille. Elle vaque Ă  ses occupations en allaitant son enfant , suspendu Ă  son cou dans un sac de cuir. L'heure du repas arrive , et chacun , armĂ© de son couteau, tranche Ă  plaisir dans la chair abondante. Heureux le Salon, s'il a pu Ă©changer quelques fourrures contre une jarre d'eau-de-vie de provenance chinoise, Ă©tendue d'eau, selon l'usage des industriels qui exploitent la bonne foi Fig. 210. — Tombeaux, prĂšs de l'Amour. tartare. Une fois l'arkhi versĂ© , ces sauvages ne se tiennent plus de joie ; buveurs intrĂ©pides, ils exĂ©cutent des danses et des pantomimes, et chan- tent Ă  perte d'haleine autour du foyer. Avant de s'endormir la derniĂšre parole du Salon, en s'enfonçant dans son sac de pelleterie, est pour le ciel qui lui sert de tente, et pour la terre qui lui sert de lit. Le lendemain, le camp est bientĂŽt levĂ© chacun prend son arc ou son fusil. L'homme, la femme, le garçon, la jeune fille, tous montent Ă  che- val. Auparavant, l'enfant du tartare a Ă©tĂ© suspendu aux branches d'un CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. Il 586 L'ASIE. arbre, toujours dans sa peau de cerf, d'oĂč l'on ne laisse sortir que sa petite tĂȘte. Un l'eu, oĂč sont entassĂ©es d'Ă©normes souches, est allumĂ© au- prĂšs. Chacun s'en va et l'enfant reste seul. HabituĂ© Ă  la solitude et au froid, il ne pleure point, la bise et le veut du nord agitent son berceau ; souvent la neige tombe ; il sourit attendant sans se plaindre que la nuit ramĂšne prĂšs de lui sa mĂšre, son pĂšre et toute la famille. Alors seulement son jeĂ»ue est interrompu. » A cĂŽtĂ© des tribus de Tartares Salons, et mĂȘme au milieu d'elles, vit l'immense horde des Tahours ou Tartares Tahouris. Us viennent une partie de l'annĂ©e se grouper dans les villages et les petites villes des bords de l'Amour. L'hiver est consacrĂ© Ă  la chasse et par suite Ă  la vie nomade. On les rencontre dans les forĂȘts poursuivant l'ours, le tigre et le cerf. Les Tahouris sont braves, de haute taille, mais cruels. Malheur aux co- lons chinois rencontrĂ©s par eux! Us les tuent uniquement pour s'emparer de leurs dĂ©pouilles. Ces Tartares de diverses dĂ©nominations sont les esclaves nĂ©s, ou pour mieux dire les serfs de la race mandchoue ; cette servitude pĂšse assez durement sur les malheureuses tribus des Salons. La horde Tahour pa- raĂźt jouir de certaines immunitĂ©s parce que c'est parmi elle que se re- crutent les cavaliers de l'armĂ©e chinoise. En gĂ©nĂ©ral tous ces Tartares sont assujettis Ă  un tribut. Chaque annĂ©e le Salon doit acquitter sa taxe de serf en payant douze onces d'argent et douze fourrures de martre zibeline. En octobre et en novembre la chasse de ces animaux est en pleine activitĂ© dans les im- menses forĂȘts vierges qui s'Ă©tendent le long du Songari jusqu'Ă  l'Amour. Souvent les chasseurs s'en vont par bandes rangĂ©es sous l'autoritĂ© im- mĂ©diate du maĂźtre ; si la chasse est mauvaise, le maĂźtre mĂ©content fait sentir sa mauvaise humeur Ă  son entourage. Par les habitants de ses rives, l'Amour est un fleuve tongouse. Parmi les tribus de cette race condamnĂ©es Ă  disparaĂźtre devant les Rus- ses, on distingue encore, mais s'aĂŽaiblissant chaque jour, les Lamou- tes, les Goldes, les Giliaks, les Orotches et les ManĂšgres. Les Orotches et les ManĂšgres, baptisĂ©s pour la plupart, n'en ont pas moins conservĂ© leurs chamans et leurs idoles. Les Chinois ont actuellement encore beaucoup d'influence sur ces populatious de la Mandchourie russe. L'ASIE. 587 Du haut des plateaux de la Tartarie, ou dĂ©couvre au loiu, daus les plai- nes , les tentes des Mongols, rangĂ©es en amphithéùtre sur le penchant des collines, et ressemblant dans le lointain Ă  de nombreuses ruches d'abeilles. Ces tentes ont Ă  leur base une forme cylindrique. Sur ce cylindre de huit Ă  dix pieds de diamĂštre est ajustĂ© un cĂŽne tronquĂ©, reprĂ©sentant assez exactement un abat-jour de lampe. La charpente de la demeure Fig. 211. — ManĂšgre de l'Amour. nomade est formĂ©e d'un lĂ©ger treillis de barreaux. Des perches vont se rĂ©unir au sommet. Sur cette charpente, on Ă©tend d'Ă©pais tapis de laine grossiĂšrement foulĂ©e. La porte est basse, Ă©troite ; une traverse de bois en forme le seuil, de sorte que pour entrer dans la tente, il faut en mĂȘme temps lever le pied et baisser la tĂȘte. La fumĂ©e du foyer s'Ă©chappe par une ouverture mĂ©nagĂ©e au sommet du toit. L'intĂ©rieur de la tente, dit le P. Hue, est comme divisĂ© en deux parties; le cĂŽtĂ© gauche en en- trant est rĂ©servĂ© aux hommes; c'est lĂ  que doivent se rendre les Ă©trangers. Un homme qui passerait par le cĂŽtĂ© droit commettrait plus qu'une 588 L'ASIE. grossiĂšre inconvenance. La droite est occupĂ©e par les femmes , et c'est lĂ  que se trouvent rĂ©unis tous les ustensiles de mĂ©nage une grande urne en terre cuite pour conserver la provision d'eau, des troncs d'arbres de diverses grosseurs creusĂ©s en forme de seau, et destinĂ©s Ă  renfermer le laitage, suivant les diverses transformations qu'on lui fait subir. Au centre de la tente est un large trĂ©pied plantĂ© dans la terre, et toujours prĂȘt Ă  recevoir une grande marmite mobile, que l'on peut placer et retirer Ă  volontĂ©. Cette marmite est en fer et de la forme d'une cloche. DerriĂšre le foyer et faisant face Ă  la porte, est une espĂšce de canapĂ©, meuble le plus bizarre que nous ayons rencontrĂ© chez les Tartares. Aux deux extrĂ©- mitĂ©s sont deux oreillers terminĂ©s Ă  leur bout par des plaques de cuivre dorĂ© et habilement ciselĂ©. Il n'existe peut-ĂȘtre pas une seule tente oĂč l'on ne trouve ce petit lit , qui paraĂźt ĂȘtre un meuble de nĂ©cessitĂ© absolue , mais, chose Ă©trange et inexplicable ! durant notre long voyage nous n'en avons jamais vu un seul qui parĂ»t fabriquĂ© de fraĂźche date. Ces objets sont tou- jours dĂ©guenillĂ©s mĂȘme dans les familles qui paraissent aisĂ©es. A cĂŽtĂ© du canapĂ©, vers le quartier des hommes, on place ordinaire- ment une petite armoire carrĂ©e , oĂč sont renfermĂ©es les mille et une ba- gatelles qui servent Ă  enjoliver le costume de ce peuple simple et enfant. Cette armoire tient aussi lieu d'autel Ă  une petite idole de Bouddha ; cette divinitĂ© en bois ou en cuivre est ordinairement accroupie, les jambes croisĂ©es, et emmaillottĂ©e jusqu'au cou d'une Ă©charpe de vieux taffetas jaune. Neuf vases en cuivre, de la grosseur et de la forme de nos petits verres Ă  liqueur, sont symĂ©triquement alignĂ©s devant Bouddha c'est dans ces petits calices que les Tartares font journellement Ă  leur idole des offrandes d'eau, de lait, de beurre et de farine; enfin quelques livres thibĂ©tains enveloppĂ©s de soie jaune complĂštent l'ornement de la petite pagode. Ceux dont la tĂȘte est rasĂ©e et qui gardent le cĂ©libat ont seuls le privilĂšge de toucher ces priĂšres ; un homme noir commettrait un sacri- lĂšge s'il s'avisait d'y porter ses mains impures et profanes. De nombreuses cornes de bouc, fixĂ©es Ă  la charpente de latente, complĂštent l'ameublement des habitations mongoles; c'est lĂ  que sont sus- pendus des quartiers de viande de bƓuf ou de mouton, des vessies remplies de beurre, des flĂšches, des arcs et un fusil Ă  mĂšche ; car il n'est presque pas de famille tartare qui ne possĂšde au moins une arme Ă  feu. L'ASIE. 589 L'odeur qu'oĂč respire dans l'intĂ©rieur des tentes mongoles est re- butante et presque insupportable quand on n'y est pas accoutumĂ©. Cette odeur forte et capable quelquefois de faire bondir le cƓur, provient de la graisse et du beurre dont sont imprĂ©gnĂ©s les habits et les objets qui sont Ă  l'usage des Tartares... Fig. 212. — Femme manĂšgre. Parmi les Tartares, les soins de la famille et du mĂ©nage reposent entiĂšrement sur la femme ; c'est elle qui doit traire les vaches et prĂ©- parer le laitage, aller puiser l'eau, quelquefois Ă  une distance Ă©loignĂ©e... La confection des habits, le tannage des pelleteries, le foulage des laines, tout lui est abandonnĂ©... Les occupations des hommes consistent uniquement Ă  diriger les troupeaux dans les bons pĂąturages, et ce soin est plutĂŽt un plaisir qu'une peine pour des hommes accoutumĂ©s dĂšs leur enfance Ă  monter Ă  cheval. » 590 L'ASIE. Il n'est peut-ĂȘtre pas de spectacle plus attrayant que celui qu'offrent des cavaliers mongols courant aprĂšs un cheval indomptĂ© , armĂ©s d'une longue perche, au bout de laquelle est une corde Ă  nƓud coulant. Il faut les voir aussi se rĂ©unir en troupes pour cerner un loup qui, s'il est pris vivant , est Ă©corchĂ© et remis en libertĂ©. Fig. 213. — Camp de Mongols. Nous avons parlĂ© des funĂ©railles des nomades de l'Asie. Dans tout le dĂ©sert on abandonne les morts Ă  la voracitĂ© des animaux sauvages et des oiseaux de proie. Il n'est rien d'horrible Ă  voir comme ces restes humains que se disputent avec acharnement les aigles et les loups. Sur les limites du dĂ©sert de Gobi, aux environs des villes, les lieux de ces sĂ©pultures en plein air sont hantĂ©s par d'Ă©normes chiens au-dessus planent des corbeaux et des vautours aux pattes et au bec rouge-sang. Si nous ne connaissons pas beaucoup les Tartares Mongols, ils ne cou- L'ASIE. 591 naissent pas mieux les EuropĂ©ens. Il y a quelques annĂ©es , le colonel PrjĂ©valski, chargĂ© d'une mission par le gouvernement russe dans les parages sibĂ©riens, avait l'insigne honneur d'ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă  l'amban, c'est- Ă -dire au prince rĂ©gnant de l'Ala-tchan. Le prince mongol posa curieuse- ment des questions Ă  son visiteur Quelle est la religion des Russes? Comment marchent les trains de chemins de fer? Comment se font les bougies? Et encore Il est bien vrai, n'est-ce pas, qu'on emploie dans la photographie une liqueur tirĂ©e de l'Ɠil humain? Le colonel protesta. Mais le prince d'Ala-tchan tint Ă  lui montrer qu'il savait trĂšs bien que sans cette liqueur des yeux l'appareil ne pourrait pas voir. Il n'ignorait pas, ajouta-t-il, que les missionnaires de Tien-tsin prenaient des enfants sous prĂ©texte de les instruire et qu'ils leur crevaient les yeux pour faire de la photographie ; mais le peuple s'Ă©tait soulevĂ© et les avait exterminĂ©s. » A rapprocher cette rĂ©vĂ©lation du massacre de 1870 dans lequel vingt Français et trois Russes furent Ă©gorgĂ©s par la populace, peut-ĂȘtre sur le crĂ©dit de ce conte odieux et absurde. Quant Ă  l'issue de la guerre franco-anglaise de Chine, en 1860, leurs convictions reposent sur le renversement absolu de la vĂ©ritĂ©. L'opinion de ces barbares est que nous avons Ă©tĂ© vaincus. Si nous avions pris PĂ©kin, nous aurions dĂ©truit cette ville de fond en comble, suivant les usages de la guerre ; c'est grĂące Ă  l'inĂ©puisable bontĂ© de l'empereur que les barbares nous, naturellement ont pu fuir de PĂ©kin. Il les aurait anĂ©antis jus- qu'au dernier s'il avait voulu ; il s'est contentĂ© de leur imposer un lourd tribut. / Y. Le sud de la SibĂ©rie. — Ses montagnes et ses mines. — Les Katchinzes. — Le pays des Turco- mans. — Un faux derviche. — M"" de Ujfalvy. — Encore le dĂ©sert. — Les caravanes. — Les herbes incendiĂ©es. — La priĂšre. — Le puits. — L'hospitalitĂ©. Les monts AltaĂŻ, les moĂ»ts IablonoĂŻ et StanovoĂŻ, dont les sommets s'Ă©lĂšvent jusque dans la rĂ©gion des neiges, et qui courent, de chaĂźne en chaĂźne, jusqu'au dĂ©troit de Behring, n'offrent que des solitudes affreuses faites de pics dĂ©nudĂ©s et glacĂ©s, de prĂ©cipices insondables, de sombres et inextricables labyrinthes circulant Ă  travers les contreforts, oĂč l'Ă©- croulement d'une avalanche, les roulements du tonnerre, l'Ă©tĂ©, rĂ©pondent seuls, dans le silence Ă©ternel, aux grondements des ours et aux hurle- ments des loups. LĂ , tout est abrupt et sauvage. Ou ne trouve d'arbres que dans les ravins et les vallĂ©es profondes. MĂȘme sur leurs versants mĂ©ridionaux ces montagnes ne se parent pas d'un arbuste. Leur seul ornement, c'est lorsqu'au printemps l'eau amassĂ©e Ă  leur sommet rompt l'enveloppe de glace qui la retient et qu*elle s'Ă©panche en se congelant le long des pentes, formant, sous les premiers rayons du soleil une surface polie qui se revĂȘt des couleurs du prisme et resplendit comme une riviĂšre » de diamants et de pierres prĂ©cieuses. Daus les ramifications de ces montagnes qui envahissent le sud de la SibĂ©rie, les flancs des hautes roches recĂšlent de l'or, il est vrai, de l'argent, et d'autres mĂ©taux prĂ©cieux ; mais toutes ces richesses n'ont servi qu'Ă  faire de leurs gisements des lieux d'exil et de douleur. La SibĂ©rie et sa population de dĂ©portĂ©s aux mines, venue du fond de la Russie, du cƓur de la Pologne, c'est l'Europe civilisĂ©e et malheureuse transportĂ©e en pleine Asie. Quaut aux populations indigĂšnes qui habitent aussi cette terre in- L'ASIE. grate, sous cet Ăąpre climat, nous les avons visitĂ©es pour la plupart dans la rĂ©gion polaire; les grands fleuves qui arrosent la Russie d'Asie, — la LĂ©na, l'IĂ©niséï, l'Obi, — nous les avons vus Ă  leur embouchure, lors- qu'ils se dĂ©versent dans l'ocĂ©an Glacial. C'est ainsi que nous avons rencontrĂ© dĂ©jĂ  les Tongouses vers l'embouchure de la Kolima; mais la grande majoritĂ© de leur population appartient, nous l'avons dit, aux pays de l'Amour. Il y a encore et plus loin dans ces contrĂ©es des terrains marĂ©cageux et glacĂ©s, des steppes couvertes de buissons Ă©pineux, de mĂ©lĂšzes nains et d'autres arbres rabougris dont les racines courent Ă  la surface du sol, faute de pouvoir y pĂ©nĂ©trer; il y a de lugubres forĂȘts ; — mais nous ne voulons pas y conduire nos lecteurs. Nous ne dirons qu'un mot des Katchinzes qui habitent le sud de la SibĂ©rie, sur la rive gauche du haut IĂ©niséï. Les Katchinzes ont Ă©tĂ© signalĂ©s dĂšs le siĂšcle passĂ© pour leur extrĂȘme malpropretĂ©. Leur pays est en partie plat, coupĂ© de lacs et de marais salants, en partie montagneux, avec de beaux pĂąturages. Les Kat- chinzes sont grands chasseurs et se montrent assez bons Ă©leveurs de chevaux, de bƓufs et de moutons. Us s'habillent d'une toile grossiĂšre faite de chanvre d'orties ou de peaux de mouton et de chevreuil gar- nies de leur pelage. Leurs femmes, moins laides que celles des Kalmouks, se coiffent avec une certaine coquetterie. Elles fument du tabac dans de petites pipes. Ces nomades vivent sous la tente ; ils commencent cependant Ă  avoir quelques maisons de bois. Depuis leur annexion Ă  la Russie, ils ont Ă©tĂ© baptisĂ©s sans abandonner pour cela des croyances et des pratiques reli- gieuses qui n'ont rien de commun avec leur nouvelle religion. Une rĂ©gion oĂč l'on ne pĂ©nĂštre pas sans pĂ©rils, c'est celle qui est si- tuĂ©e Ă  l'ouest du plateau de Pamir et qui s'Ă©tend jusqu'Ă  la mer d'Aral et Ă  la mer Caspienne. C'est le Khanat, c'est le pays des Turcomans et des Kirghises. LĂ  encore nous retrouvons le dĂ©sert, — le dĂ©sert avec des villes bĂąties au milieu des sables. Parmi les derniers voyageurs qui nous ont fait connaĂźtre cette partie CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 75 594 L'ASIE. de l'Asie, il faut nommer avec distinction M. Arminius VarnbĂ©ry et Mrac de Ujfalvy-Bourdon. L'Anglais Burnes, il y a une cinquantaine d'annĂ©es, s'Ă©tait rendu daus l'Asie centrale par l'Inde, et en avait, pour ainsi dire, renouvelĂ© la gĂ©ographie. M. VambĂ©ry, Hongrois de naissance, poussĂ© par le dĂ©sir de vĂ©rifier certaines questions de linguistique qui intĂ©ressent particu- liĂšrement l'idiome magyare, rĂ©solut d'entreprendre, Ă  son tour, ce mĂȘme voyage, Ă  travers un pays dont le fanatisme musulman interdit le passage Ă  tout infidĂšle, et, pour ainsi dire, Ă  tout Ă©tranger. Cacliant sa nationalitĂ©, se faisant passer pour un Turc dĂ©vot, — pour un hadji », il se joignit, sous les haillons du derviche, Ă  une bande de pĂšlerius tartares qui revenaient de la Mecque et regaguaient leur pays. Ce voyage a Ă©tĂ© long, pĂ©nible et rempli de pĂ©ripĂ©ties dramatiques. Le philologue hongrois est allĂ© de la Perse aux bords de la mer Caspienne, puis, par le nord, Ă  Khiva, la ville des rossignols, Ă  Bokhara la ville des cigognes, Ă  Samarkand enfin, le point le plus oriental qu'il ait atteint son retour s'est effectuĂ© Ă  travers les solitudes du sud, par Karshi et par HĂ©rat. Nous avons eu ainsi la rĂ©vĂ©lation de tout un monde nouveau, entrevu, il faut dire, sous un jour peu favorable ; une sociĂ©tĂ© odieuse oĂč rĂšgne la violence, l'abrutissement et la superstition. Le derviche est la person- nification la plus complĂšte de la vie orientale. La paresse, le fanatisme et l'indolence sont des choses que l'on regarde chez lui comme des vertus, et qu'il s'efforce de faire considĂ©rer partout comme telles. On excuse la paresse en songeant Ă  l'impuissance des mortels, on voit dans le fanatisme un enthousiasme religieux, et l'indolence est justifiĂ©e par la pensĂ©e qu'il serait inutile qu'un ĂȘtre chĂ©tif comme l'homme entrĂąt en lutte avec le destin. M'ne de Ujfalvy-Bourdon a accompagnĂ©, de Paris Ă  Samarkand, M. de Ujfalvy, son mari, chargĂ© d'une mission ethnographique. C'Ă©tait en 1876. Les voyageurs traversĂšrent la Russie jusqu'Ă  Orenbourg, qui, avec sa population mĂ©langĂ©e de Kirghises, de Bachkirs et de Tartares, ses caravansĂ©rails et ses mosquĂ©es, est dĂ©jĂ  l'Asie. Mme de Ujfalvy nous a initiĂ©s aux moeurs des Kirghises de la steppe et nous a parlĂ© du Tur- kestan, de Tachkend, de Samarkand et du Ferghanah. 596 L'ASIE. Nous n'entrerons pas dans les villes ; mais le dĂ©sert nous appartient, — la vie au dĂ©sert. La verdure si douce au regard a fait place aux terres imprĂ©gnĂ©es de sel, dont l'odeur et l'aspect sinistre semblent avertir le voyageur des souffrances qui l'attendent dans ces immenses solitudes. On marche des journĂ©es entiĂšres sur un sol sablonneux offrant parfois de lĂ©gĂšres on- dulations, mais on il est impossible de dĂ©couvrir la moindre trace d'un sentier; le soleil indique seul la direction Ă  suivre. Parfois le sable fait place Ă  un sol argileux et dur sur lequel, au milieu de la nuit silen- cieuse, rĂ©sonne le pas cadencĂ© des cliameaux. Pendant la nuit le ker- vanbashi », — celui qui dirige la caravane, — se guide sur l'Ă©toile polaire appelĂ©e par les Turcomans la Cheville d'or, Ă  cause de son immobilitĂ©. Et l'on peut marcher pendant plusieurs semaines sans trouver ni une goutte d'eau pour Ă©tancher sa soif, ni un arbre pour se mettre Ă  l'abri des rayons du soleil. En hiver, le froid est extrĂȘme ; en Ă©tĂ©, la chaleur accablante, mais les deux saisons prĂ©sentent un Ă©gal danger, et les tempĂȘtes frĂ©quentes de ces rĂ©gions engloutissent les caravanes aussi bien sous des flots de neige que sous des tourbillons de sable. — Un nuage d'un bleu sombre apparaĂźt Ă  l'horizon c'est une montagne. Pendant les premiĂšres journĂ©es de marche, le silence du dĂ©sert s'em- pare de l'Ăąme comme d'une sorte d'enchantement. M. VambĂ©ry raconte, dans ses ScĂšnes et Tableaux du inonde asiatique , qu'il restait sou- vent des heures entiĂšres, les yeux fixes, perdus dans une sorte de rĂȘve- rie qu'on troublait rarement, parce qu'on le croyait plongĂ© dans de pieuses mĂ©ditations le voyageur hongrois avait revĂȘtu, nous l'avons dit, les haillons du derviche... Cependant sous l'ardeur du soleil la fa- tigue se fait sentir dans le convoi tout entier ; elle est bientĂŽt exces- sive aussi bien pour ceux qui sont juchĂ©s sur des chameaux que pour ceux qui suivent Ă  pied la caravane. Alors tous les yeux se tournent vers le kervanbashi, qui cherche du regard un endroit favorable pour la halte il est indispensable de procurer un pĂąturage aux chameaux. Quand il l'a dĂ©couvert, il y conduit la caravane, tandis que les plus ac- tifs ramassent Ă  la ronde des racines sĂšches et tout ce qui peut servir de combustible. Enfin on travaille Ă  l'installation; on dĂ©livre les chameaux de leur L'ASIE. 597 charge, ou empile les ballots pour s'en faire uu abri contre le soleil, et les chameaux s'en vont se repaĂźtre gloutonnement d'herbe ou broyer le chardon. Alors il y a un moment de douce quiĂ©tude pour chacun; c'est avec dĂ©lices qu'on jouit d'un moment de repos et, s'il se peut, de quelque fraĂźcheur. Puis le thĂ© circule, un thĂ© qui est souvent fait avec de l'eau trouble et qu'on boit sans sucre; mais la saveur du breuvage semble incompa- rable Ă  ces pauvres voyageurs extĂ©nuĂ©s. Ils absorbent ce thĂ© Ă  petites gorgĂ©es et se sentent ranimĂ©s, Ă©gayĂ©s ou disposĂ©s au sommeil. Mais tout le monde ne dort pas. Ici des mains noires pĂ©trissent la pĂąte et prĂ©parent le pain ; Ă  cĂŽtĂ© on rĂŽtit, avec de la graisse de mouton, des cĂŽtelettes de cheval ou de chameau ; ce n'est pas trĂšs appĂ©tissant la faim fait trouver tout bon. C'est Ă  regret qu'on obĂ©it au signal du kervanbasbi quand il faut se remettre en marche. Les chameaux abandonnent leur pĂąturage et vien- nent souvent d'eux-mĂȘmes rejoindre la caravane, se plaçant docilement auprĂšs des balles de marchandises qui formaient leur charge ou des personnes qui les montaient. La nuit surtout le dĂ©sert a ses dangers ; l'obscuritĂ© borne l'horizon et le rend impĂ©nĂ©trable. Soit que la caravane fasse halte, soit qu'elle poursuive sa marche, chacun se rapproche de ses compagnons. La file est rompue, la troupe se divise en sept ou huit groupes qui forment un carrĂ© compact, limitĂ© par les plus forts et les plus hardis. Au clair de lune, l'ombre des chameaux qui avancent lentement produit un effet saisissant ; mais dans les nuits obscures personne n'oserait s'Ă©- carter d'un seul pas de la caravane. Si l'on fait halte, on prend des dispositions de sĂ»retĂ©. Les ballots de marchandises sont empilĂ©s au milieu, les hommes se couchent alen- tour, tandis que les chameaux, formant une ligne de dĂ©fense, s'Ă©ten- dent sur le sol rangĂ©s en cercle. Ils demeurent couchĂ©s la tĂȘte au de- hors du cercle, prĂȘts Ă  donner l'alarme par leurs cris rauques si un ennemi paraĂźt au loin, et ils restent lĂ  toute la nuit sans bouger. La caravane marche depuis plusieurs jours et la provision d'eau commence Ă  s'Ă©puiser, le voyageur est menacĂ© de connaĂźtre les tortures de la soif. Alors, pour la premiĂšre fois peut-ĂȘtre, il lui semble que l'eau 598 L'ASIE. est le plus prĂ©cieux de tous les Ă©lĂ©ments. Que ue donnerait-il pas pour en avoir quelques gouttes ! Le patient a perdu tout appĂ©tit, il Ă©prouve un abattement excessif, un feu dĂ©vorant court dans ses veines, il se laisse tomber sur le sol dans un Ă©tat complet d'Ă©puisement. Heureux s'il entend tout d'un coup retentir Ă  ses oreilles ces paroles magiques De l'eau! de l'eau! » et que le prĂ©voyant kervanbashi, qui a cachĂ© une certaine quantitĂ© d'eau pour la distribuer quand les souffrances se- ront devenues intolĂ©rables, en verse un verre Ă  chacun des membres de la caravane. IĂźauimĂ© par ce secours inespĂ©rĂ©, il apprĂ©cie la justesse du proverbe tartare La goutte d'eau donnĂ©e dans le dĂ©sert au voya- geur mourant de soif, efface cent annĂ©es de pĂ©chĂ©. » Il arrive pendant la saison chaude, nous dit M. VambĂ©ry, que lors- que le soleil brĂ»lant a dessĂ©chĂ© les herbes et les arbrisseaux au point qu'ils sont devenus aussi inflammables que l'amadou, une Ă©tincelle tombĂ©e par nĂ©gligence et activĂ©e par le vent met le feu Ă  une steppe tout entiĂšre. La flamme, trouvant toujours un aliment nouveau, s'Ă©tend avec une telle rapiditĂ©, qu'un homme Ă  cheval peut Ă  grand peine lui Ă©chapper. Elle roule sur les herbes sĂšches comme un fleuve dĂ©bordĂ©, se dresse en sifflant lorsqu'elle rencontre des buissons et des arbrisseaux, dĂ©vore ainsi un grand espace en un temps trĂšs restreint, et sa course furieuse ne peut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e que par une riviĂšre ou un lac. Ces in- cendies prĂ©sentent pendant la nuit un aspect grandiose, mais terri- fiant ; l'horizon ressemble Ă  une vaste mer de flamme ; les plus braves mĂȘme sentent leur courage les abandonner devant ce spectacle. Avec quelque prĂ©sence d'esprit on peut toutefois se sauver. Il faut pour cela, lorsque les flammes sont encore Ă©loignĂ©es, mettre le feu aux herbes les plus proches. La flamme qui avance ne trouve plus d'aliment lors- qu'elle arrive Ă  l'espace incendiĂ©, et c'est dans cet espace mĂȘme qu'on cherche un refuge. C'est ainsi que dans le dĂ©sert l'homme ne peut combattre le feu qu'en lui opposant le feu. Les tribus ennemies emploient souvent l'une contre l'autre cette arme terrible et produisent ainsi d'affreux ravages. Quelquefois aussi, un couple fugitif y a recours pour Ă©chapper aux poursuites. De tous les peuples de l'Asie, le Tartare est celui qui par son carac- tĂšre et ses habitudes s'accommode le mieux de la vie du dĂ©sert. Son fa- 600 L'ASIE. talisme lui permet de vivre au milieu de dangers toujours menaçants. Il sait s'imposer toutes sortes de privations, garde ses vĂȘtements pendant des mois entiers, souffre de la faim et de la soif. Sa tranquillitĂ© d'Ăąme n'en est point altĂ©rĂ©e. Cela frappait M. VambĂ©ry, surtout le soir au moment de la priĂšre, Ă  laquelle chacun prenait part. La caravane, dit- il, se formait sur une seule ligne Ă  la tĂšte de laquelle se plaçait l'iman, qui, le visage tournĂ© vers le soleil couchant, rĂ©citait les priĂšres. La so- lennitĂ© de cet acte Ă©tait encore augmentĂ©e par le silence qui rĂ©gnait au loin, et lorsque les rayons de l'astre palissant venaient Ă©clairer le visage de mes compagnons, ces visages avaient, malgrĂ© leur aspect farouche, une telle expression de bĂ©atitude qu'il semblait qu'ils possĂ©dassent tous les biens de la terre et qu'il ne leur restĂąt rien Ă  dĂ©sirer. » Dans leurs mouvements semi-annuels les populations nomades de l'Asie centrale suivent toujours les mĂȘmes routes sĂ©culaires Ă  la recherche des meilleurs pĂąturages et des campements les plus commodes, sui- vant les saisons. Pendant ces migrations, le Kirghise, le Turcoman, l'Usbek, trouve au terme de son parcours quotidien le puits tant dĂ©sirĂ©. L'eau rappelle les forces Ă©puisĂ©es et ramĂšne la vie au milieu de cette troupe altĂ©rĂ©e d'hommes, de femmes, d'enfants, de chevaux, de cha- meaux, d'Ăąnes, de moutons et de chĂšvres. Ceux d'entre nos peintres de genre qui prĂ©fĂšrent les scĂšnes intimes de famille Ă  l'air libre, dit un Ă©crivain qui a vĂ©cu dans ces rĂ©gions, peu- vent me suivre vers ce puits oĂč une nombreuse et opulente famille kir- ghise vient de rĂ©unir toutes ses richesses pastorales autour des kibit- kas », de ces maisons de feutre que les femmes s'empressent de dresser pour le repos de la nuit. Le chef de la famille, entourĂ© de ses fils et de ses nombreux serviteurs, est complĂštement absorbĂ© par les soins minu- tieux, soucieux et vraiment paternels qu'il prodigue Ă  de jeunes cha- meaux harassĂ©s par les fatigues de la longue Ă©tape du jour. La premiĂšre coupe d'eau fraĂźche est pour eux ; mais le liquide rĂ©parateur est coupĂ© par de la fine farine de millet, et sa fraĂźcheur est neutralisĂ©e par une dose de koumis on de lait de jument et de brebis acidulĂ©. Le pĂšre prescrit Ă  ses fils de dĂ©couvrir au plus vite, dans les environs, un pĂąturage au gazon exceptionnellement fin et savoureux pour les jeunes Ă©lĂšves Ă  la dentition mal affermie encore et qui ont dĂ©pouillĂ©, depuis quelques jours L'ASIE. COI Ă  peine, la robe enfantine d'Ă©paisses feuilles d'ouate dont on les revĂȘt dĂšs leur naissance... Si la peinture pouvait rendre toutes les prĂ©occupa- tions, tous les calculs d'avenir qui s'accumulent sur le front bas et dĂ©- primĂ© de ce chef defamille kirghise, pendant qu'il s'oublie lui-mĂȘme, elle aiderait Ă  traduire le sentiment intime de ces rudes enfants des steppes et des dĂ©serts du Tnrkestan, sur la valeur intrinsĂšque des immenses sur- faces qu'ils hantent et qu'ils exploitent depuis des siĂšcles. Elles sont pour lui une mine fort riche de profits annuels, non seulement Ă  titre de pĂąturages gratuits et inĂ©puisables, mais comme le champ ouvert Ă  toutes ses productives spĂ©culations de transport. Qu'il possĂšde des cha- meaux jeunes et forts, et sa fortune est assurĂ©e. Les transports rĂ©munĂ©- rateurs ne lui ont jamais Ă©chappĂ© Ă  aucune Ă©poque 1. » Dans l'Asie centrale on pratique l'hospitalitĂ© en quelque sorte par ins- tinct ; parmi les nomades qui la sillonnent en tous sens on peut trouver des hommes cruels, fĂ©roces, perfides, jamais un homme inhospitalier. Pendant mon sĂ©jour parmi les Turcomaus, raconte M. VambĂ©ry dans ses ScĂšnes et Tableaux, un de mes compagnons de mendicitĂ© partit un jour pour une tournĂ©e, ayant eu soin de se revĂȘtir prĂ©alablement de ses vĂȘtements les plus misĂ©rables. AprĂšs avoir errĂ© pendant une journĂ©e, il se rapprocha le soir d'une tente isolĂ©e avec l'intention d'y passer la nuit. Il y fut accueilli cordialement, comme toujours; cependant il s'aperçut bientĂŽt que le propriĂ©taire de ce misĂ©rable Ă©tablissement pa- raissait ĂȘtre dans un grand embarras et s'agitait en tous sens, comme s'il cherchait quelque chose. Le derviche Ă©prouva un moment de ma- laise, lorsque le nomade, s'approchant de lui, lui demanda en rougissant beaucoup s'il ne pourrait pas lui prĂȘter quelques kraus », car il n'avait que du poisson sec et dĂ©sirait prĂ©senter quelque chose de mieux Ă  son hĂŽte. Un refus n'Ă©tait pas possible ; mon camarade ouvrit la bourse qu'il tenait cachĂ©e sous ses haillons, en tira cinq kraus, et l'affaire pa- rut arrangĂ©e Ă  leur satisfaction mutuelle. Le souper se passa gaiement ; lorsqu'il fut terminĂ©, on offrit Ă  l'Ă©tranger le meilleur tapis de feutre pour s'y Ă©tendre, et le lendemain matin il fut congĂ©diĂ© avec les honneurs ordinaires. Ăź J. Barrande. CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 76 602 L'ASIE. Il y avait Ă  peine nue demi-henre que j'avais quittĂ© la tente, me raconta depuis mon ami, lorsqu'un Turcomau accourut vers moi et me demanda ma bourse, en accompagnant sa demande de violentes menaces. Jugez de mon Ă©tonnement en reconnaissant dans la personne da voleur mon hĂŽte de la veille! Je m'imaginai qu'il plaisantait, et je lui rĂ©pondis en riant ; mais il me fallut bientĂŽt reconnaĂźtre qu'il Ă©tait sĂ©rieux, et, pour Ă©viter de graves dĂ©sagrĂ©ments, je fus contraint de lui livrer ma bourse, quelques feuilles de thĂ©, mon peigne et mon couteau, en un mot, tout ce que je possĂ©dais. Je me disposais ensuite Ă  m'Ă©loigner ; il me retint, et, ouvrant ma ou plutĂŽt sa bourse, il en sortit cinq kraus qu'il me remit VoilĂ  ma dette d'hier au soir ; maintenant nous sommes quittes, et vous pouvez continuer votre route. » VI. L'Arabie. — R. Burtçra. — Palgrave. — Ladj Anna Blunt. — La rĂ©gion fertile du Nedjed. — La gĂ©ographie de PtolĂ©mĂ©e. — BĂ©douins et Fellahs. — Les Wahabites et le tabac. — Les chevaux arabes. A l'extrĂ©mitĂ© sud-ouest de l'Asie, — que nous allons bientĂŽt quitter, — et unie par le dĂ©troit de Suez au vaste continent oĂč nous sommes impatients d'arriver, se trouve la grande presqu'Ăźle Ă  laquelle la mer d'Oman et le golfe Persique forment une ceinture l'Arabie. Nous connaissons les Arabes ; nous avons mĂȘme appris Ă  les connaĂźtre de trĂšs prĂšs, hors de leur pays d'origine leur vie nomade dans l'Afri- que française, leurs mƓurs, leurs lois, leur langue, tout cela nous est devenu familier. Mais l'Arabie est demeurĂ©e fermĂ©e aux investiga- tions les infidĂšles, — simples touristes ou voyageurs pour le plus grand profit de la science, — ont Ă©tĂ© tenus Ă  distance respectueuse de la Mec- que, la citĂ© sainte oĂč plus de cent mille croyants viennent chaque annĂ©e affirmer la perpĂ©tuitĂ© de l'islamisme. Le capitaine Burton, — qui a rencontrĂ© ailleurs et plus tard la cĂ©lĂ©- britĂ©, — lorsqu'il n'Ă©tait encore que lieutenant dans l'armĂ©e des Indes, accomplit le voyage de MĂ©dine Ă  la Mecque aux frais de la SociĂ©tĂ© gĂ©o- graphique de Londres. Parti de Southampton en avril 1853, Eichard Burton, une fois au Caire, se travestit en Arabe, et prit ses mesures pour visiter cette terre sainte des musulmans si rigoureusement interdite aux chrĂ©tiens. A Suez il fit la connaissance d'un jeune homme de la Mecque, en se faisant passer pour un pĂšlerin afghan; il se lia avec d'autres Arabes qui lui of- frirent de l'emmener avec eux au tombeau du ProphĂšte. ArrivĂ© Ă  MĂ©- dine sans avoir soulevĂ© sur son compte le moindre soupçon, il visita la mosquĂ©e, et prit l'esquisse de la ville et de ses environs les plus remar- 004 L'ASIE. quables. A la Mecque, il put voir les cĂ©rĂ©monies des liadji. Il leva le plan de la KĂąaba, et aprĂšs avoir Ă©tudiĂ© les objets les plus intĂ©ressants de la ville sainte il revint en Egypte ayant gagnĂ© le titre de hadji. Depuis lors, un autre Anglais, Palgrave, entreprit une exploration du mĂȘme genre, voyageant sous les dehors d'un mĂ©decin arabe de Damas Fig. 216. — PĂšlerins autour de la Kaaba, dans la mosquĂ©e de la Mecque. 1862. Ce dĂ©guisement indispensable devait avoir l'inconvĂ©nient de lui interdire la possession de toute espĂšce d'instruments physiques ou astronomiques qui lui auraient permis de faire d'utiles observations. La gĂ©ographie a donc Ă©tĂ© un peu sacrifiĂ©e ; mais Palgrave a trĂšs largement rachetĂ© ce dĂ©faut de son voyage en rapportant une masse de notions prĂ©cieuses sur la condition sociale, politique, religieuse et commerciale de l'Arabie centrale, sur le caractĂšre gĂ©nĂ©ral et la conformation des diverses parties de la pĂ©ninsule, dont on ne connaissait guĂšre que les L'ASIE. G05 provinces maritimes ; il a recueilli une foule d'informations nouvelles sur ce plateau entourĂ© d'un cercle de dĂ©serts. L'exploration de Palgrave a consistĂ© dans la traversĂ©e oblique de la pĂ©ninsule arabe depuis la pointe de la mer Morte jusqu'Ă  la cĂŽte d'O- man. Le savant voyageur Ă©tait parti de Gaza, sur la cĂŽte syrienne, avec une caravane qui se rendait Ă  la Mecque ; bientĂŽt il l'abandonna pour se diriger plus Ă  l'est et pĂ©nĂ©trer dans le Kacim, puis dans le Nedjed de lĂ  il gagna le port d'El-Khatif sur le golfe Persique, visita Mascate, revint Ă  Bagdad par l'Euphrate, et de Bagdad Ă  Damas et Ă  Beyrouth, oĂč il s'embarqua pour l'EuropĂ©en 1863. VoilĂ  les voyageurs rĂ©cents; — ajoutons-y lady Anne Blunt, Ă  qui certains cĂŽtĂ©s de la vie privĂ©e des Arabes ont Ă©tĂ© accessibles; — voilĂ , disons-nous, les voyageurs qui, aprĂšs Nieburh et Burckhardt, ont pu nous donner une idĂ©e assez prĂ©cise de la configuration de l'immense pĂ©ninsule. L'Arabie centrale est un plateau montagneux, entourĂ© cle tous cĂŽtĂ©s par des dĂ©serts. Pierreux au nord et sablonneux dans tout le reste du pourtour, ces dĂ©serts sont dĂ©coupĂ©s comme le serait une mer baignant un continent; ils offrent tantĂŽt de vastes bassins, tantĂŽt des dĂ©troits et des baies profondes. Au milieu d'eux les oasis sont des Ăźles, tandis que le plateau du centre reprĂ©sente la terre continentale. ExceptĂ© au nord-est, oĂč les hautes plaines du dĂ©sert de Syrie et d'Arabie ratta- chent la pĂ©ninsule au continent asiatique , les dĂ©serts sont eux-mĂȘmes enveloppĂ©s par les chaĂźnes de montagnes qui bordent les quatre mers au milieu desquelles se trouve situĂ©e la pĂ©ninsule. Si, au plateau cen- tral, connu sous le nom gĂ©nĂ©ral de Nedjed, on ajoute la surface habitĂ©e et cultivĂ©e des chaĂźnes du littoral, on constate que le tiers de l'Arabie, composĂ© de plaines de pierres ou de sable, oĂč, faute d'eau, toute cul- ture est impossible, se trouve rĂ©duit Ă  l'Ă©tat de dĂ©sert. Les tribus no- mades qui les parcourent sont numĂ©riquement trĂšs faibles, relative- ment au reste de la population. Tel de ces dĂ©serts est un immense ocĂ©an de sable rouge et mouvant, dont les vagues, disposĂ©es parallĂšlement par les vents, offrent Ă  l'Ɠil une suite interminable d'ondulations uniformes. Pour passer d'une crĂȘte Ă  006 L'ASIE. une autre, il faut ^descendre parfois jusqu'Ă  une profondeur de 200 Ă  300 pieds, oĂč l'on est privĂ© d'air et suffoquĂ© par la chaleur, condensĂ©e comme dans un four ; puis, pour en sortir, il faut s'Ă©lever laborieusement jusqu'au sommet suivant. Des points les plus hauts une telle plaine semble ĂȘtre une mer de feu. Pas une plante, pas une crĂ©ature vivante , pas un abri! Si cela devait durer toujours ce serait l'enfer! » s'Ă©criait Palgrave en traversant un de ces dĂ©serts Ă  la tĂȘte d'une caravane obli- gĂ©e de couper obliquement l'une aprĂšs l'autre toutes ces dunes de sable. AprĂšs les buissons et les acacias delĂ  plaine, aprĂšs les vallons sablon- neux, aprĂšs les solitudes bornĂ©es Ă  l'horizon par quelques pics bleuĂątres, se dressent des rideaux de collines peu Ă©levĂ©es, des bois de palmiers ; la terre verdit et sĂ©pare, les oiseaux gazouillent dans les bouquets d'arbus- tes; sur le sable chaud courent de grands lĂ©zards; quelquefois une bande de perdrix s'envole des herbes , ou encore une longue file de gazelles traverse le sentier suivi par la caravane c'est la rĂ©gion fertile du Xed- jed. En deux ou trois endroits, dans le Nedjed, des cercles d'Ă©normes pier- res brutes, plantĂ©es en terre et surmontĂ©es, Ă  leur sommet, par d'autres pierres posĂ©es transversalement, rappellent les pierres levĂ©es »des mo- numents celtiques. Le plateau le plus Ă©levĂ© de toute l'Arabie, qui atteint, croit-on, une hauteur de 3,000 mĂštres, est situĂ© Ă  peu prĂšs au centre de la presqu'Ăźle, dans cette province de Nedjed. De hautes montagnes sĂ©parent le Hed- jaz des plaines du Nedjed dont la surface ondulĂ©e est, dans certaines parties, brusquement coupĂ©e par plusieurs chaĂźnes. La rĂ©gion monta- gneuse de l'YĂ©men s'abaisse avec la vallĂ©e du MecdĂąn, fleuve qui a son embouchure prĂšs d'Aden, vers le territoire dĂ©sert des cĂŽtes de TĂ©hama. Les anciennes divisions de l'Arabie adoptĂ©es par le gĂ©ographe Pto- lemĂ©e ne rĂ©pondent nullement au caractĂšre des limites assignĂ©es aux diverses parties de ce territoire, et ont Ă©tĂ©, en outre, fort mal comprises. Le nom d'Arabie Heureuse, est le rĂ©sultat d'une traduction erronĂ©e du mot YĂ©men, et le mot PĂ©trĂ©e ne signifie pas davantage une nature ro- cailleuse du sol. Mais ces rĂ©serves faites, que de souvenirs n'Ă©voquent pas ces noms! L'ASIE. 007 L'Arabie PĂ©trĂ©e remplit les traditions bibliques. C'est elle que l'on nommait l'IdumĂ©e, et qui tomba en partage Ă  Edom ouEsaĂč; c'Ă©tait la / la terre des AmalĂ©cites, des Madianites, des NabathĂ©ens, de toutes ces tribns qui disputĂšrent si longtemps au peuple Ă©lu l'entrĂ©e de la Terre promise. C'est au milieu de ces solitudes stĂ©riles que s'accomplirent, Fig. 217. — Arabie PĂ©trĂ©e. Oasis de Dahab, sur le golfe Élamtique. aprĂšs la sortie d'Egypte, les destinĂ©es du peuple d'IsraĂ«l. Le dĂ©sert de l'Egarement, le rocher qui se feudit sous la verge de MoĂŻse, les puits amers de Marah sont encore lĂ  comme au jour oĂč les Juifs dĂ©sespĂ©raient d'Ă©chapper Ă  la mort qui les pressait de toutes parts. Le SinaĂŻ, sur le sommet duquel Dieu donna sa loi aux hommes ; Horeb, son buisson ar- dent, ses cavernes oĂč le prophĂšte Elie se dĂ©robait aux fureurs de JĂ©zabel, conserventĂ  ces rĂ©gions dĂ©solĂ©es le respect des nations. Non loin de cette terre des miracles, PĂ©tra, l'ancienne capitale desNabathĂ©ens, cache dans G08 L'ASIE. les profondeurs de ses rochers les temples, les arcs de triomphe, les théùtres, les tombeaux, tĂ©moins irrĂ©cusables de sa grandeur passĂ©e. C'est lĂ  que, dĂšs les temps les plus reculĂ©s, les tribus nomades de l'YĂ©- men apportaient l'encens, la myrrhe et les aromates, prĂ©cieux produits de leur contrĂ©e; c'est lĂ qu'ils recevaient en Ă©change les meilleures Ă©toffes des PhĂ©niciens; car PĂ©tra Ă©tait, plusieurs siĂšcles avant notre Ăšre, le riche entrepĂŽt du commerce de l'Arabie mĂ©ridionale. Les Arabes nomades sont dĂ©signĂ©s sous le nom de BĂ©douins et les Ara- bes sĂ©dentaires sous celui de Fellahs. Les uns et les autres descendent de ces Arabes belliqueux qui ont par leurs armes imposĂ© le Coran Ă  tout le nord de l'Afrique, Ă  une grande partie de l'Asie et mĂȘme pendant huit siĂšcles Ă  l'Espagne. Ces SĂ©mites sont de taille moyenne , vigoureusement constituĂ©s. Ils ont le teint basanĂ© ; leurs traits expriment une fiertĂ© et une gravitĂ© no- bles. Ils sont douĂ©s de beaucoup d'adresse et se montrent ingĂ©nieux. Il y a encore beaucoup en eux de ces qualitĂ©s et de ces dĂ©fauts exaltĂ©s dans ces poĂšmes, — les moallakats », — suspendus Ă  la voĂ»te du temple de la Mecque, et qui chantaient , — avec une singuliĂšre exagĂ©ration des figu- res et une abondance de traits subtils et raffinĂ©s, — les querelles san- glantes des tribus, les vengeances hĂ©rĂ©ditaires, la valeur des guerriers et leur ardeur au pillage, la vitesse des coursiers , la pratique de l'hos- pitalitĂ© et d'une libĂ©ralitĂ© aveugle, l'amour et la gloire. On a dit de l'Arabe Lorsqu'il aime, il brĂ»le ; lorsqu'il hait, il tue ; lorsqu'il lutte, il est violent; lorsqu'il se venge, il est cruel. Les Arabes se vantent d'avoir quatre-vingts mots pour dĂ©signer le miel, deux cents pour le serpent, cinq cents pour le lion, mille pour le chameau. Comme ces chiffres les peignent bien ! Une secte puissante, celle des Wahabites, mal connue en Europe, constitue aujourd'hui le dernier rempart du mahomĂ©tisme en Arabie. Elle date seulement du milieu du siĂšcle dernier. Sa doctrine est la religion du ProphĂšte dans sa forme la plus stricte, la plus primitive, la plus ex- clusive. Les Wahabites sont les puritains de l'Orient. Le tabac, — la honte ». — est ce que rĂ©prouve avec le plus d'Ă©nergie le dogme wahabite ; mais cette rĂ©probation n'a pas dĂ©passĂ© les limites L'ASIE. 609 de la puissance territoriale des Wahabites en Arabie. Ainsi aucun peuple, pas mĂȘme les Turcs de Constantinople, ne fait une consommation aussi abondante de tabac que les Arabes commerçants de l'Oman; les mar- chĂ©s de Mascate et des autres villes regorgent de ce prĂ©cieux article, et la pipe se trouve dans toutes les bouches. Mais pour un AVrahabite, le meurtre, le faux tĂ©moignage et d'autres crimes ne sont que des baga- Fig. 218. — Une oasis. telles, tandis que fumer , on plutĂŽt boire la honte, c'est un pĂ©chĂ© Ă©norme. Palgrave cite, Ă  ce propos, une anecdote qui montre jusqu'Ă  quel degrĂ© de sottise peut aller le fanatisme. Un homme, dont le fervent islamisme semblait Ă  l'abri de tout soupçon, mourut Ă  Sedous. On rĂ©cita sur sa dĂ©pouille les priĂšres d'u- sage et on l'ensevelit, comme un bon musulman, le visage tournĂ© vers la KĂąaba. Mais il arriva que, pendant les funĂ©railles, un des assis- tants laissa tomber, sans s'en apercevoir, sa bourse dans la fosse, oĂč CONTREES MYSTÉRIEUSES. 77 610 L'ASIE. elle fat recouverte par la terre jetĂ©e sur le corps. En retournant Ă  sa demeure il s'aperçut de la perte qu'il avait faite, et, aprĂšs avoir cherchĂ© inutilement partout, devina ce qui Ă©tait arrivĂ©. Notre homme ne savait Ă  quoi se rĂ©soudre. Troubler le repos des morts est uue profanation non moins abhorrĂ©e chez les mahomĂ©tans que chez les chrĂ©tiens. Le paysan consulta le cadi du village, qui lui rĂ©pondit sagement que, dans un cas semblable, fouiller une tombe n'est pas un crime ; il lui conseilla nĂ©an- moins, pour Ă©viter le scandale et les bavardages, d'attendre la tombĂ©e de la nuit. Ainsi encouragĂ©, le NedjĂ©en se mit Ă  l'Ɠuvre le soir mĂȘme, et retira bientĂŽt sa bourse des mains glacĂ©es du cadavre. Mais quelles ne furent pas son Ă©pouvante et son horreur en reconnaissant que le dĂ©funt avait changĂ© de position et dĂ©tournĂ© sa tĂȘte de la KĂąaba! Eecouvrant le corps Ă  la hĂąte, il retourna chez le cadi pour l'infor- mer de ce sinistre prĂ©sage. Tous deux furent d'avis que le mort devait avoir commis quelque faute irrĂ©missible, et rĂ©solurent de faire une enquĂȘte pour dĂ©couvrir les preuves du pĂ©chĂ© qui avait mĂ©ritĂ© un tel chĂątiment. Ils bouleversĂšrent du haut en bas la pauvre demeure du dĂ©- funt et dĂ©couvrirent enfin, soigneusement cachĂ©e dans une fente de la muraille, une petite pipe dont le tube noirci et l'odeur diabolique rĂ©vĂ©- laient trop clairement l'infĂąme hypocrisie de son propriĂ©taire. Le crime Ă©tait notoire, le miracle s'expliquait, et, sans doute, l'amateur de la honte » brĂ»lait dĂ©jĂ  dans le feu qui ne s'Ă©teint pas. » L'interdiction du tabac n'est pas l'Ɠuvre de Mahomet le prophĂšte ne connaissait pas cette plante. Mais il est probable que, s'il l'eĂ»t con- nue, il en eĂ»t dĂ©fendu l'usage, comme il a dĂ©fendu celai du vin. Le tabac, celui de l'Oman surtout, et le vin, enivrent, diseut les Waha- bites ; et ils s'en abstiennent. Dans les rĂ©gions de l'Arabie oĂč le sol s'Ă©lĂšve successivement par terrasses, la vĂ©gĂ©tation offre de belles espĂšces d'arbres Ă  fruits, de hauts palmiers, le dhourra, espĂšce de millet qui tient lieu des grains d'Europe ; ajoutons-y le tabac, le coton, l'indigo, un cafĂ© de qualitĂ© ex- cellente, des aromates de tous genres, comme le benjoin, le baume, l'a- loĂšs, la myrrhe, l'encens, etc. Les gazelles et les autruches se transportent d'oasis en oasis Ă  tra- recherche d'une proie. Les troupeaux sont riches eu moutons, 612 L'ASIE. chĂšvres et eu bƓufs. Eufiu, avec le chameau, fidĂšle compagiiou de ses pĂ©rĂ©grinations, l'Arabe possĂšde l'ane des plus nobles races chevalines. Ces chevaux arabes, le gĂ©nĂ©ral Daumas les a dĂ©peints admirablement. Les chevaux du Hedjaz ont de beaux yeux noirs, des oreilles longues, la poitrine profonde, la bouche et les lĂšvres minces, les chevilles fines et les sabots durs. Cenx du Nedjed ont l'encolure plus longue qu'aucun autre cheval arabe ; chez eux, la tĂȘte est courte, dĂ©pourvue de chair aux joues, la croupe large, le ventre vaste, les jambes sĂšches, les articulations bien soudĂ©es et les cuisses fortes. Les chevaux de l'YĂ©men ont le corps arrondi, la peau dure, la croupe un peu Ă©troite, les cuisses cependant fournies de muscles, les tendons bien sĂ©parĂ©s, bien dĂ©tachĂ©s des os, et l'encolure courte comparative- ment aux autres chevaux arabes, mais longue encore, si l'on regarde ceux des autres pays. Les chevaux syriens sont tous beaux de couleur; ils' ont les yeux grands, les coins de la bouche trĂšs ouverts, le poil fin, le crĂąne chauve. Leur corps plaĂźt Ă  l'oeil, mais ils n'ont pas le fond et la rĂ©signation des chevaux de l'Arabie proprement dite. Leurs sabots sont tendres. Ce qui donnera toujours une grande supĂ©rioritĂ© aux chevaux de ces pays-lĂ , c'est l'air, la lumiĂšre et le soleil, ces grands vivificateurs. CINQUIÈME PARTIE. L'AFRIQUE. I. L'Afrique. — L'esclavage. — Les forbans du dĂ©sert. — Les marchĂ©s d'esclaves du Fezzan. — Les esclaves Nubas. — Les esclaves de l'OgĂŽouĂ©. — Supplices et sacrifices humains. — Les Coutumes » du Dahomey. — FunĂ©railles sanglantes. — Terribles reprĂ©sailles. — L'anthro- pophagie africaine. Quelle est cette terre envahie par d'impĂ©nĂ©trables forĂȘts et par des marĂ©cages malsains, stĂ©rilisĂ©e par les sables des dĂ©serts, exposĂ©e Ă  ton- tes les ardeurs d'un soleil torride, et oĂč s'agitent au milieu de la plus af- freuse barbarie plus de cent cinquante millions d'hommes noirs, appar- tenant Ă  une race incontestablement infĂ©rieure et pour laquelle la nature semble avoir Ă©tĂ© marĂątre ? Est-il besoin de nommer le continent africain ? Ses habitants sont faibles et lĂ©gers comme des enfants; cruels sans mĂȘme avoir conscience de leur cruautĂ© ; ils paraissent ne possĂ©der d'Ă©- nergie que pour souffrir. Chose Ă©trange! dans cette partie du monde, le frĂšre vend son frĂšre, sans hĂ©sitation et saus remords. Sans ĂȘtre moins odieux, il se montre parfois plus inhumain encore lorsqu'il le fait servir Ă  de sanguinaires sacrifices. La dĂ©chĂ©ance native des hommes de la race noire, leur misĂ©rable con- dition, — dont ils ne sont pas capables de sortir, — excite la pitiĂ© des philanthropes ; mais, Ă©tudiĂ©s de prĂšs, ils dĂ©concertent les dĂ©vouements les plus sympathiques et provoquent les plus excessives sĂ©vĂ©ritĂ©s de jugement. L'esclavage est l'institution » lapins forte, la plus rĂ©sistante de l'A- frique, — si tant est qu'il y ait d'autres institutions vĂ©ritables! — l'an- thropophagie y a ses adeptes persĂ©vĂ©rants, moins excusables que les sauvages de l'OcĂ©anie qui sont demeurĂ©s longtemps isolĂ©s dans leurs Ăźles, tandis que les Africains ont vu la MĂ©diterranĂ©e battre de ses flots les promontoires de la GrĂšce, les rivages de la Gaule et de l'Italie ; Car- thage et l'Egypte ont joui de civilisations rivales de Rome et de l'Orient 616 L'AFRIQUE. hellĂ©nique il n'eu reste rien sur ce sol ingrat, — rien que des ruiues. Ici l'Ă©tape de l'Ă©tat sauvage Ă  la barbarie a Ă©tĂ© franchie depuis vingt siĂšcles au moins, et il n'y paraĂźt presque pas ; le perfectionnement intel- lectuel et moral y est absolument insensible ; le fĂ©tichisme des peuples arriĂ©rĂ©s ne s'Ă©lĂšve pas mĂȘme au niveau de l'idolĂątrie ; le progrĂšs matĂ©riel est nul; et l'outil, l'arme, le vĂȘtement, — ou ce qui tient lieu de vĂȘte- ment, — sont presque partout ceux de l'homme primitif aux prises avec les premiĂšres difficultĂ©s de l'existence. L'Afrique est enfin la terre oĂč l'ĂȘtre humain se montre sans culture, absolument comme ses solitudes qu'il abandonne aux animaux comme si c'Ă©tait leur domaine naturel ; oĂč cet ĂȘtre semble plus rapprochĂ© que nulle part de la bĂȘte fĂ©roce ou immonde, du lion des dĂ©serts ou du crocodile des fleuves, dont le nĂšgre partage les instincts, du gorille dont il a la laideur et les folles colĂšres, du serpent dont il possĂšde l'astuce. La bonne foi est inconnue Ă  ces hommes de couleur, perfides, vindicatifs ; ils sont inaccessibles Ă  la pitiĂ© ; la terreur seule a prise sur eux ; ils ne connaissent pas un autre idĂ©al que la force qui, Ă  leurs yeux, lĂ©gitime tout ainsi deux nĂšgres sont faits prisonniers par des ennemis de mĂȘme race qu'eux ils se soumettent, puisque leur faiblesse l'a voulu! En route, par un hasard heureux, ils rencontrent des libĂ©rateurs; ils vont donc pouvoir retourner au milieu des leurs ; on le croirait ; mais le plus vigoureux de ces deux gredins Ă  la peau noire se ravise il se rend maĂź- tre de son compagnon et, Ă  son tour, il le vend pour un verre de rhum. Le fait est authentique ; il s'est passĂ© au Congo, sous les yeux de M. de Brazza. Pour nous il dit tout! Cette terre d'Afrique est sillonnĂ©e de convois d'esclaves. Autrefois l'Ă©coulement de cette denrĂ©e humaine se faisait principalement par les cĂŽtes de l'Atlantique ; cela durait depuis le quinziĂšme siĂšcle, lorsque la traite fut abolie par les nations coloniales de l'Europe, et que l'AmĂ©- rique ne voulut plus d'esclaves noirs. Aujourd'hui, c'est vers l'Egypte, vers la mer Bouge, vers l'ocĂ©an Indien que se dirigent les tristes caravanes d'Africains rĂ©duits en servitude. Les Ă©tapes se font dans les plus affreuses conditions, Ă  travers des dĂ©serts brĂ»lants. On voit se dĂ©velopper Ă  l'horizon une ligne noire qui serpente Ă  tra- L'AFRIQUE. 617 vers les herbes courtes ou les sables jaunes; bientĂŽt, sons l'ardent soleil, quelques amies jettent des Ă©clairs ; c'est un convoi d'esclaves qui appro- che; il avance pĂ©niblement, escortĂ© par des forbans du dĂ©sert montĂ©s sur des chameaux. Quelques-uns des trafiquants vont Ă  pied et raniment Ă  coups de fouet ceux des Noirs dont l'Ă©puisement ralentit la marche du Fig, 220. — Navire nĂ©grier. cortĂšge au milieu des sables. Les jeunes filles et quelques trĂšs jeunes garçons, comme marchandise de choix, sont groupĂ©s par quatre sur les chameaux. M. TrĂ©maux, qui a voyagĂ© en caravane clans le Soudan au milieu du dĂ©sert de Korosko, se croisa ainsi avec un convoi qui s'acheminait vers le Caire. Sa pitiĂ© fut Ă©mue au spectacle de tant de misĂšres. Il fut sur- tout impressionnĂ© par la vue d'un homme ĂągĂ© dont la barbe courte et dĂ©jĂ  grisonnante se dessinait en blanc sur sa figure noire. Ce pauvre CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 78 G18 L'AFRIQUE. diable, dit-il, ruisselait de sueur et marchait en avant de la courbache — le fouet — du djellad, x> qui avait dĂ©jĂ  laissĂ© de nombreuses traces de poussiĂšre blanche sur ses Ă©paules noires et nues. Ses genoux flĂ©chissaient sous lui , et de moment Ă  autre il prenait un petit trot chancelant pour suivre le simple pas de ses compagnons. Le voyageur fit signe Ă  l'un des djellads qui escortaient le convoi de mettre ce vieillard Ă  la place d'une des vigoureuses jeunes filles qui Ă©taient sur un chameau un ba- lancement nĂ©gatif de la tĂȘte fut la seule rĂ©ponse qu'il reçut. Ce vieillard n'avait sans doute aux yeux du trafiquant qu'une trĂšs mince va- leur... Dans d'autres parties de l'Afrique, ces lugubres convois sont plus at- tristants encore. On passe au cou des esclaves de longues perches de bois reliĂ©es les unes aux autres ; on leur met des chaĂźnes aux mains. Us se trouvent ainsi dans l'impossibilitĂ© de s'enfuir ou de tenter aucune rĂ©sis- tance. Mais leur marche en est rendue plus pĂ©nible ; ils avancent lente- ment malgrĂ© les coups de fouet. Souvent, dans les dĂ©serts que l'on doit traverser, les vivres viennent Ă  manquer ; les malheureux captifs, hĂąves, Ă©puisĂ©s, ressentent les tortu- res de la faim et de la soif. Les traitants abandonnent ceux d'entre eux qui ne peuvent plus se tramer. Dans ces circonstances, des faits atroces se produisaient frĂ©quemment il y a quelques annĂ©es encore. Us sont devenus plus rares depuis que le continent noir a Ă©tĂ© ouvert par des explorateurs dont tout le monde sait les noms, suivis bientĂŽt de missionnaires assez nombreux dĂ©jĂ . Autre- fois les trafiquants ne prenaient pas la peine de dĂ©livrer de leurs liens ceux de ces malheureux Noirs qui demeuraient en arriĂšre. EmprisonnĂ©s dans les longues fourches qui leur interdisaient tout mouvement, ces tristes victimes s'affaissaient sur le sol, se tordant dans les douleurs d"une affreuse agonie, jusqu'Ă  ce que la mort vĂźnt les dĂ©livrer. Souvent la mort ne se faisait pas attendre les malheureux Ă©taient dĂ©vorĂ©s vi- vants par une troupe de fourmis qui en quelques heures ne laissaient de leur corps que le squelette. Livingstone a vu sur sa route des cadavres d'esclaves abandonnĂ©s ainsi, encore attachĂ©s les uns aux autres. Quelquefois le traitant va jusqu'Ă  immoler ses esclaves, non par pitiĂ©, mais en cĂ©dant Ă  la colĂšre, et pour ĂȘtre sĂ»r qu'aucun rival dans son abo- L'AFRIQUE. 019 minable industrie ne pourra recueillir l'abandonnĂ© et en tirer profit. Livingstone dit, dans son Dernier journal, qu'il lui arriva de jjasser prĂšs d'une femme attachĂ©e Ă  un arbre par le cou ; elle Ă©tait morte. Les gens du pays lui expliquĂšrent qu'elle n'avait pu suivre la bande dont elle faisait partie et que son maĂźtre n'avait pas voulu qu'elle devĂźnt la pro- priĂ©tĂ© de celui qui la trouverait, si le repos venait Ă  la remettre. Ce n'est pas la seule fois qu'il fut tĂ©moin de pareilles atrocitĂ©s. Il avait vu encore une femme poignardĂ©e ou tuĂ©e d'une balle, et qui gisait dans une mare de sang. La rĂ©ponse qu'on lui faisait Ă©tait toujours la mĂȘme le maĂźtre, pour soulager sa colĂšre, avait tuĂ© la pauvre crĂ©ature qui lui occasionnait une perte d'argent. Le lieutenant Cameron , dans sa traversĂ©e de l'Afrique Ă©quatoriale de l'est Ă  l'ouest, vit revenir d'une cliasse aux esclaves un Noir portugais. Il ramenait une file d'une cinquantaine de pauvres femmes chargĂ©es de gros ballots c'Ă©tait le butin fait par la troupe du Noir sur les gens de leur propre pays. Quelques-unes de ces infortunĂ©es portaient en outre leurs plus jeunes enfants dans les bras. Elles avaient Ă©tĂ© capturĂ©es dans qna- rante on cinquante villages qu'on avait dĂ©truits et rainĂ©s ; la plupart des hommes avaient Ă©tĂ© tuĂ©s; les autres, chassĂ©s dans les marĂ©cages, se trou- vaient exposĂ©s Ă  pĂ©rir d'inanition. Je suis persuadĂ©, dit Cameron, que ces quarante ou cinquante esclaves reprĂ©sentaient plus de cinq cents ĂȘtres humains tuĂ©s en dĂ©fendant leurs foyers, ou morts de faim, sans parler d'un plus grand nombre demeurĂ©s sans abri. Toutes ces femmes Ă©taient attachĂ©es ensemble par la ceinture avec de grosses cordes Ă  nƓuds, et si elles ralentissaient leur pas on les battait sans pitiĂ©. Ces mulĂątres portugais et ces marchands noirs sont trĂšs brutaux dans le traitement de leurs esclaves; les Arabes, au contraire, les traitent gĂ©nĂ©ralement avec moins de cruautĂ©. Habituellement les esclaves de l'intĂ©rieur ne sont pas conduits jusqu'Ă  la cĂŽte ; on les dirige sur le pays de SĂ©kĂ©letou, oĂč, pour des causes diverses, la population est assez clairsemĂ©e, et oĂč il y a une grande demande d'esclaves. Ils sont troquĂ©s contre de l'ivoire, qu'on apporte ensuite sur la cĂŽte. » M. TrĂ©maux, que nous citions tantĂŽt, raconte une histoire des plus Ă©mouvantes. C'Ă©tait au bord du Nil Bleu, Ă  un endroit oĂč il est possible de passer le fleuve Ă  guĂ©. Une caravane venait de traverser les forĂȘts G20 L'AFRIQUE. sans fin du Fa-zogl, emmenant en Egypte ce qui restait de la popu- lation de toute une rĂ©gion mise Ă  feu et Ă  sang. Parmi les femmes juchĂ©es sur les chameaux se trouvaient une mĂšre avec sa fille; la fille, jeune et belle, Ă©tait traitĂ©e avec Ă©gards, la mĂšre avait reçu plusieurs blessures en se dĂ©fendant; souffrante et ĂągĂ©e , cette pauvre femme n'Ă©tait qu'un embarras. Les djellads ne l'avaient emmenĂ©e que pour ne pas causer trop de chagrin Ă  la jeune esclave dont ils comp- taient tirer un bon prix; mais ils n'attendaient qu'Ăąne occasion favo- rable pour se dĂ©barrasser d'elle. A la traversĂ©e du fleuve, les chameaux ne devant pas ĂȘtre trop chargĂ©s, on dĂ©doubla leurs fardeaux la fille passa des premiĂšres, mais la mĂšre ne reparut pas sur l'autre rive. Lorsque la malheureuse enfant vit que le convoi se remettait en route sans sa mĂšre, elle s'abandonna Ă  la plus vive douleur; elle fut hissĂ©e sur un chameau malgrĂ© sa rĂ©sistance, ses pleurs et ses suppli- cations. Et la caravane se remit en marche ; mais peu de temps aprĂšs, les conducteurs s'aperçurent que la jeune fille avait disparu elle avait rĂ©ussi Ă  briser ses liens et Ă  se glisser dans les hautes herbes sans ĂȘtre vue. Naturellement ses compagnes reçurent pour prix de leur silence une correction exemplaire oĂč la courbache fit son office... Il n'Ă©tait pas difficile pour ces gens, bien qu'ils n'aient point d'en- trailles, de deviner que l'amour de l'enfant pour sa mĂšre avait tout fait. Cette jeune esclave valait la peine qu'on revĂźnt en arriĂšre pour la re- prendre. Deux des djellads repassĂšrent le guĂ©. La vieille nĂ©gresse n'Ă©- tait plus au bord du fleuve ; mais sa trace fut bien vite retrouvĂ©e dans le sol vaseux... Us arrivĂšrent Ă  l'endroit oĂč la pauvre vieille recevait les caresses de son enfant. Elle les vit et dit Ă  sa fille de fuir; mais il Ă©tait trop tard. Alors toutes deux essayĂšrent d'attendrir ces hommes cruels ; la jeune esclave les supplia de ne pas abandonner sa mĂšre qui dans son Ă©tat ne pouvait manquer d'ĂȘtre dĂ©chirĂ©e par la dent des carnassiers dĂšs la nuit venue le soleil baissait... Oh! non, ils ne voudraient pas que sa mĂšre fĂ»t dĂ©vorĂ©e vivante ! PriĂšres vaines! La jeune nĂ©gresse fut entraĂźnĂ©e. La mĂšre se tordait de dĂ©sespoir, appelant sa fille, regardant l'Ɠil fixe et le bras tendu dans la direction oĂč elle allait disparaĂźtre pour toujours... Ce n'est lĂ  qu'un des mille drames poignants auxquels donne lieu L'AFKIQUE. 021 chaque jour l'horrible trafic humain. On a vu de ces malheureux mourir presque subitement de chagrin leur cƓur se brisait. Mais comment parvient-on Ă  arracher ces Noirs Ă  leur sol? Ce sont de prĂ©tendus marchands d'ivoire, qui, pĂ©nĂ©trant trĂšs avant dans les empires noirs, s'approvisionnent, par l'astuce et la violence, de cette chair, dont la vente donne de si beaux profits dans diverses contrĂ©es de l'Orient. Le commerce de l'ivoire, tout avantageux qu'il Fig. 221. — Sur le Nil Blanc. est pour les caravanes, ne saurait couvrir leurs frais de campagne et ne sert qu'Ă  sauver les apparences. Les trafiquants du Nil Blanc, — pour ne parler que de ceux-lĂ , — ne sont en rĂ©alitĂ© que des chasseurs d'escla- ves. C'est un ramassis de tout ce que l'Egypte peut fournir de gens sans aveu. Les explorateurs les ont vus Ă  l'Ɠuvre. ArmĂ©s comme des forbans seuls savent s'armer, c'est-Ă -dire jus- qu'aux dents, ils partent par bandes de deux ou trois cents, sous la conduite du chef qui leur a fourni fusils, pistolets et sabres. EntassĂ©s dans des barques qui s'avancent silencieuses sur le Nil, ils guettent 622 L'AFRIQUE. de loin leur proie. Ils comptent sur la faiblesse des populations au mi- lieu desquelles ils se rendent et sur leur Ă©tat permanent d'hostilitĂ©. Il s'agit pour eux d'exploiter la situation en intervenant dans les querelles des indigĂšnes. Ils se font donc accepter sans peine comme auxiliaires par l'un ou l'autre des chefs ennemis, et se font les exĂ©cuteurs de leurs vengeances particuliĂšres. A la faveur de la nuit ou par trahison, ils se rendent maĂźtres d'un village, incendient les huttes, massacrent tous ceux qui rĂ©sistent et s'emparent des survivants par droit de conquĂȘte ». Ils n'Ă©pargnent guĂšre que les femmes, les jeunes filles et les enfants, parce qu'il leur est aisĂ© de les emmener sans rĂ©sistance, et que ces pauvres crĂ©atures sont aussi d'une vente plus avantageuse. Ces malheureuses victimes de la cupiditĂ© sont de la part de leurs ravisseurs l'objet de toutes sortes de violences et de mauvais traite- ments. Les esclaves passent, du reste, de main en main sans que leur sort reçoive aucun adoucissement. EntraĂźnĂ©s vers la basse Egypte, ils sont vendus Ă  de petits marchands dont les caravanes n'osent s'aven- turer au loin. Ceux-ci les cĂšdent ensuite aux agents arabes Ă©che- lonnĂ©s de Khartoum Ă  la mer Rouge. On embarque les esclaves Ă  Souakim ou Ă  Masoua pour ĂȘtre dirigĂ©s sur le Caire, vers l'Arabie ou la Perse, — ‱ partout enfin oĂč l'esclavage des races infĂ©rieures est maintenu et oĂč l'homme est un objet de spĂ©culation de la part de son semblable. Ce n'est qu'aprĂšs s'ĂȘtre dĂ©barrassĂ©s de leurs esclaves, qui peuvent valoir en moyenne de 100 Ă  125 francs, que les honnĂȘtes nĂ©gociants du Soudan viennent vendre Ă  Khartoum l'ivoire qu'ils ont obtenu par des moyens au nombre desquels on peut, sans leur faire tort, compter la fraude et le pillage. Mais l'ivoire, nous l'avons dit, n'est qu'un accessoire dans les opĂ©rations des caravanes, et c'est le trafic des esclaves qui fait vivre la capitale du Soudan. Livingstone trouva le pays situĂ© Ă  l'ouest du lac Tanganyika boule- versĂ© par les Arabes venus de la cĂŽte de l'ocĂ©an Indien, mĂ©tis cruels, monstres Ă  face humaine. Les indigĂšnes ManyĂ©mas n'ayant pas d'es- claves Ă  leur livrer, ces misĂ©rables traitants s'en procuraient par la guerre ; tantĂŽt, ainsi que leurs Ă©mules, — ou leurs complices, — du haut L'AFRIQUE. 023 Nil, ils Ă©pousaient la querelle d'un chef contre un autre, tantĂŽt ils volaient quelques chĂšvres et rĂ©pondaient aux rĂ©clamations par des coups de fusil ; finalement, ils emmenaient tout ce qui avait Ă©chappĂ© au car- nage. Ils parvenaient encore Ă  leurs fins en ayant l'art de faire de quelque chef un crĂ©ancier insolvable les tristes sujets payaient de la perte de leur libertĂ© les dettes de leur roitelet idiot. Les consuls europĂ©ens qui rĂ©sident Ă  Khartoum se sont montrĂ©s im- puissants Ă  s'opposer Ă  la traite des Noirs. A certains moments, les casernes de cette ville ont reçrorçrĂ© d'esclaves des deux sexes. On a vu O O le gouvernement en vendre, en donner Ă  ses employĂ©s Ă  valoir sur ce qui leur Ă©tait dĂ» pour leurs appointements! Les mesures prises par l'administration Ă©gyptienne ne l'ont jamais Ă©tĂ© que temporairement; partant, elles sont demeurĂ©es inefficaces. Sir Samuel Baker trouva rĂ©unis, lors de sou passage Ă  Gondokoro, environ trois mille esclaves noirs, dans le moment oĂč le gouvernement du Soudan, se montrant assez Ă©nergique dans la rĂ©pression de la traite, faisait remonter le Nil Blanc par des steamers pour s'emparer des bateaux chargĂ©s d'esclaves. On voyait qu'il Ă©tait devenu difficile aux caravanes de Gondokoro de de transporter leurs NĂšgres dans le Soudan. Mais ce n'Ă©tait lĂ  qu'une affaire de temps, une obligation pour les trafiquants d'user momenta- nĂ©ment de quelque prudence. L'intrĂ©pide voyageur Rohlfs, se trouvant Ă  Mourzouk, capitale du Fezzan, y a vu arriver du Kordofan des caravanes d'esclaves noirs. Le gouverneur du Fezzan favorisait cet odieux trafic, et Mourzouk est devenu sous sa protection un vĂ©ritable marchĂ© d'esclaves; des mar- chands viennent d'Egypte y acheter des NĂšgres. Au moment du sĂ©jour de GĂ©rhard Rohlfs dans cette ville, il y avait environ deux mille es- claves disponibles. Les prix, plus Ă©levĂ©s que sur la cĂŽte de la mer Rouge, Ă©taient de plusieurs centaines de francs pour un jeune homme robuste, ou une jolie nĂ©gresse nubile. Du Bornou, - — qui forme la limite mĂ©ridionale du Fezzan, — Ă  la ville de Mourzouk, il y a environ onze cents kilomĂštres de trajet Ă  travers de mornes solitudes sans arbres, sans herbes et sans eau c'est lĂ  le lugubre itinĂ©raire des caravanes qui amĂšnent les esclaves. Des deux cĂŽtĂ©s de la route suivie par G. Rohlfs, on voyait les ossements G24 L'AFRIQUE. blanchis des esclaves morts. Celui qui ne connaĂźt pas le chemin du Bornou, a Ă©crit l'explorateur de ces sinistres contrĂ©es, n'a qu'Ă  suivre les ossements dispersĂ©s Ă  gauche et Ă  droite de la voie, et ne risque pas de se tromper. » On sait, dans le pays, que ces ossements ou ces cadavres, — car souvent on trouve les corps Ă  l'Ă©tat de momies, — sont ceux d'esclaves qu'on n'a pas pris la peine d'enterrer. AuprĂšs des sour- ces ils sont plus nombreux ils y Ă©taient arrivĂ©s mourants ; ils n'ont pas eu la force de les atteindre et de s'y dĂ©saltĂ©rer. Plus d'une fois, en puisant Ă  ces sources, on en retire des crĂąnes... Le commerce des esclaves dans le Soudan Ă©gyptien est loin de n'ĂȘtre plus qu'un souvenir. Encore en 1882, un missionnaire Ă©crivait de Delen, daus la partie montagneuse du Kordofan qui est habitĂ©e par des Noirs appelĂ©s Nubas, que presque chaque semaine il assistait impuissant au passage de colonnes de captifs emmenĂ©s par les arabes pasteurs, — les Bakarahs. Ces Nubas sont trĂšs recherchĂ©s, paraĂźt-il, comme esclaves, Ă  cause de leur intelligence ; leur pays est aujourd'hui le centre de la chasse Ă  l'homme. Pendant quarante ans, des courses y ont Ă©tĂ© organisĂ©es rĂ©guliĂšrement par le gouvernement Ă©gyptien. Les employĂ©s et la solde des troupes Ă©taient payĂ©s en esclaves; le reste des Noirs enlevĂ©s servait Ă  former des rĂ©giments spĂ©ciaux. L 'Angleterre intervint en 1842, mais le dĂ©sordre dura encore long- temps, jusqu'Ă  ce que l'abominable trafic, cessant d'ĂȘtre le monopole de l'Etat, devint le but de la spĂ©culation privĂ©e, qui organisa sur une grande Ă©chelle l'exploitation des empires noirs. En ce moment, dit encore le mĂȘme missionnaire, le fameux mar- chand d'esclaves, IsmaĂŻl,a Ă©tabli un camp Ă  Delen. Cette fois il ne s'est pas contentĂ© de tentes, mais il a fait Ă©lever de vĂ©ritables hangars. Nous lui avons fait demander s'il ne craignait pas les soldats d'El- Obéïd. Il a rĂ©pondu que non. L'annĂ©e passĂ©e, lorsque les soldats d'El- Obéïd vinrent pour prĂ©lever des impĂŽts Ă  Delen, il paraĂźt qu'ils n'ins- pirĂšrent Ă  IsmaĂŻl, qui se trouvait prĂ©cisĂ©ment lĂ , aucune espĂšce de crainte. Au contraire ils vinrent Ă  lui, et ils fumĂšrent ensemble. Le gouverneur d'El-Obéïd reçoit mĂȘme, comme impĂŽts, des esclaves Ă  la place de paiement. Comment pourrait-il donc molester dans leur com- L'AFRIQUE. ',25 62G L'AFRIQUE. Mahdi insurgĂ© contre le gouvernement Ă©gyptien, et soutenu par les marchands d'esclaves du Soudan, a Ă©crasĂ© l'armĂ©e envoyĂ©e pour le faire rentrer dans l'obĂ©issance novembre 1883. Si Ton se transporte des dĂ©serts du nord-est de l'Afrique au golfe de GuinĂ©e, c'est toujours le mĂȘme tableau, — plus affligeant encore si c"est possible. Il y a quelques annĂ©es, dans son expĂ©dition sur TOgĂŽouĂ©, M. S. de Brazza y trouva l'esclavage en pleine vigueur. Les NĂšgres des rives de ce fleuve vendent leurs enfants, leurs frĂšres, leurs amis. Il fallait Ă  M. de Brazza des gens du pays pour conduire ses pirogues. Il acheta une quinzaine d'esclaves auxquels il rendit la libertĂ©; il espĂ©rait avoir en eux des serviteurs fidĂšles , il avait bien quelque droit Ă  leur recon- naissance... DĂ©ception ! ces Noirs le volĂšrent et s'enfuirent. Ces Africains de l'OgĂŽouĂ©, — et ils ont des imitateurs ! — ne sont pas exploitĂ©s par des gens venus de loin, puisqu'ils s'asservissent mu- tuellement en quelque sorte, en vue d'un bĂ©nĂ©fice douteux Ă  rĂ©aliser. Ces populations noires paraissent donc privĂ©es de sens moral aussi bien que de sensibilitĂ©. Ceci nous amĂšne Ă  rappeler bien des cruautĂ©s commises sur le sol africain par les Africains eux-mĂȘmes ; mais comme dernier mot sur l'esclavage, n'oublions pas de dire que sur les cĂŽtes de l'ouest, dans les parties du littoral oĂč le commerce des Noirs a Ă©tĂ© ruinĂ© par l'abolition de la traite, dans l'impossibilitĂ© d'utiliser les captifs tom- bĂ©s entre les mains des vainqueurs dans les guerres de peuplade Ă  peu- plade... on les tue. VoilĂ  un rĂ©sultat que n'avaient pas jjrĂ©vu les Wilber- force, les Clarkson et les Bnxton. Kamrasi, roi d'Ounyoro, avec qui Speke eut plus d'un dĂ©mĂȘlĂ©, assu- rait son autoritĂ© sur ses provinces en les parcourant, suivi d'une sorte de garde prĂ©torienne, forte de cinq cents hommes. Ce corps, comme on le pense bien, possĂ©dait le privilĂšge de piller sur le chemin du roi et ne manquait pas d'en user. Une simple faute commise par l'un des sujets Ă©tait punie de mort, aprĂšs un jugement des plus sommaires, et le cou- pable, pieds et poings liĂ©s, pĂ©rissait sur l'heure sous le bĂąton. Lorsque le capitaine Speke arriva Ă  la cour de MtĂ©sa, le jeune roi d'Ouganda, le voyageur constata avec effroi que la vie des gouverneurs, des officiers les plus Ă©levĂ©s, ne tenait qu'Ă  un caprice. Le moindre soup- L'AFRIQUE. 627 çon, un rĂȘve fĂącheux, pouvait entraĂźner leur mort. Il m'est arrivĂ©, di- sait MtĂ©sa Ă  Speke, de faire tuer jusqu'Ă  cent courtisans dans la mĂȘme journĂ©e. » Et il manifestait l'intention de punir d'une maniĂšre semblable la nĂ©gligence dont les serviteurs pourraient se rendre coupables envers son hĂŽte, car il savait comment on guĂ©rit la dĂ©sobĂ©issance ». HĂątons- nous de dire que MtĂ©sa s'Ă©tait un peu humanisĂ© depuis le visite de plusieurs explorateurs, et lorsque la nouvelle de sa mort est arrivĂ©e en Europe Ă  la fin de septembre 1883, elle a provoquĂ© de vĂ©ritables regrets. Ses officiers, ses sujets devaient s'agenouiller ou s'accroupir autour de lui, et ne l'approcher qu'en rampant et le regard baissĂ©. Toucher au trĂŽne, aux vĂȘtements du roi, mĂȘme par mĂ©garde, ou lever les yeux sur ses femmes, entraĂźnait la peine de mort. » Quant aux nombreuses femmes du harem, la vie de ces malheureuses crĂ©atures Ă©tait attachĂ©e Ă  l'observation minutieuse des lois d'une Ă©ti- quette bizarre comme les tyrans seuls en savent imaginer. La moindre intempĂ©rance de langue , un geste involontaire , un acte quelconque, non prĂ©vu ni voulu par un maĂźtre fantastique et jaloux de son pouvoir, pouvait les faire sans dĂ©lai traĂźner Ă  une mort ignominieuse. Les jeunes pages du roi remplissaient Ă  leur Ă©gard l'office de bourreau. Il ne s'est point passĂ© de jour, a Ă©crit le capitaine Speke, que je n'aie vu conduire au supplice quelquefois une, quelquefois deux et jusqu'Ă  trois'ou quatre femmes du harem de MtĂ©sa. » Faut-il s'Ă©tonner aprĂšs cela qu'il vint Ă  l'esprit de ce tyran de dĂ©char- ger une carabine sur un homme inoffensif, uniquement pour s'assurer que l'arme avait Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement chargĂ©e ? Speke vit cela la carabine Ă©tait un prĂ©sent fait par lui au roi. La fĂ©rocitĂ© de Nacer, roi de ĂŻagali, Ă©tait proverbiale, et il en tirait lui-mĂȘme une Ă©trange vanitĂ©. Un jour qu'il rentrait Ă  son quartier, il entendit une panthĂšre rugir. Comment, dit-il, il y a dans le royaume de Nacer une panthĂšre qui crie la faim? Mais c'est une honte pour Nacer! » Et, dĂ©signant au hasard un de ses hommes, il le fit jeter en pĂąture Ă  la bĂȘte affamĂ©e. Le CasembĂ©, visitĂ© par le docteur Livingstone au centre de la rĂ©gion des lacs Ă©quatoriaux, Ă©tait Un usurpateur cruel pour une faute lĂ©gĂšre 028 L'AFRIQUE. commise par un de ses sujets, il lui faisait couper les oreilles, le nez ou les mains, il vendait ses enfants, il saisissait les bestiaux 1. Au Dahomey, on excite le peuple par des spectacles sanguinaires. Le roi ordonne journellement des exĂ©cutions. Et l'on peut voir, soit sur la place du marchĂ©, soit Ă  la porte du palais du roi, ce que Jules GĂ©rard voyait chaque jour Ă  Ahomey, des tĂȘtes coupĂ©es, des cadavres de sup- pliciĂ©s, les uns pendus, d'autres disposĂ©s par dĂ©rision comme des hom- mes qui s'apprĂȘtent Ă  marcher. D'autres fois, dit le docteur RĂ©pin, justice faite, — ce mot de jus- tice n'est-il pas profanĂ© ici ? — la tĂȘte du suppliciĂ©, sĂ©parĂ©e du tronc, est placĂ©e sur les crochets de fer qui surmontent les murs d'enceinte de la case royale. Que deviennent les cadavres? J'ai souvent, ajoute le doc- teur, posĂ© cette question Ă  des Dahomyens de diverses classes, et je n'ai jamais pu obtenir une rĂ©ponse bien catĂ©gorique. Cependant je ne crois pas les Dahomyens anthropophages. La sanglante tragĂ©die qui se joue chaque annĂ©e Ă  la fĂȘte des Coutumes » n'a d'autre but que la satisfac- tion de cet instinct innĂ© de cruautĂ© qui porte la plupart des enfants Ă  faire souffrir les ĂȘtres plus faibles qu'eux et qu'on retrouve chez ces peu- ples toujours en enfance. Il pourrait se faire, nĂ©anmoins, qu'ils atta- chassent quelque idĂ©e superstitieuse Ă  la consommation de ces restes et qu'ils servissent Ă  de secrĂštes et rĂ©voltantes agapes; mais, je le rĂ©pĂšte, je n'ai lĂ -dessus que des soupçons qu'ont fait naĂźtre dans mon esprit l'hĂ©sitation et l'embarras des Noirs que j'ai interrogĂ©s Ă  ce sujet. » Ce voyageur, en parlant de Coutumes », fait allusion Ă  des sacrifices humains qui ont lien Ă  certaines Ă©poques pĂ©riodiques, comme des so- lennitĂ©s publiques. Des prisonniers sont clouĂ©s contre un arbre par la tĂȘte, la poitrine, les pieds et les mains. A l'Ă©poque des Coutumes, chaque jour on immole des victimes humaines. Un Anglais, lieutenant de vais- seau, qui se trouvait il y a quelques annĂ©es Ă  Abomey, manifesta sa dĂ©- sapprobation ; on l'avertit que s'il ne se taisait pas le roi lui ferait tran- cher la tĂȘte ; il demanda Ă  s'Ă©loigner ; on lui dit qu'il ne partirait qu'aprĂšs les Coutumes. 1 En 179G le Portugais Pereira estimait l'annĂ©e du CasembĂ©, roi du Londa, Ă  vingt mille soldats. Les mes de sa capitale Loucenda bien dĂ©chue aujourd'hui Ă©taient arrosĂ©es rĂ©guliĂš- rement ; mais on sacrifiait chaque jour vingt personnes. s L'AFRIQUE. 629 Le roi, entourĂ© de ses officiers, força le lieutenant Ă  l'accompagner au lieu de la cĂ©rĂ©monie. Dans une plaine immense, couverte de milliers de spectateurs, trois mille esclaves et trois mille bƓufs ou moutons Ă©taient rangĂ©s sur deux lignes ; le roi se promena au milieu de cette allĂ©e vivante j>uis sur un signe fait avec son bĂąton royal, les six mille tĂȘtes tombĂšrent Ă  la fois. Les guerriers dahomyens se prĂ©cipitĂšrent sur les victimes et mangĂšrent la chair sanglante des animaux. Fig. 223. — Eue Ă  Loucenda prĂšs du Tanganyika. De pareilles horreurs se renouvellent chaque annĂ©e dans cette Afrique mystĂ©rieuse. Le pauvre lieutenant en perdit l'esprit. De retour en Angleterre il croyait toujours voir tomber devant lui des milliers de tĂȘtes et poussait des cris d'horreur. Lors des Coutumes, si le roi a Ă©tĂ© battu dans une des derniĂšres rencontres et n'a pas fait de prisonniers, il prend simplement trois mille de ses sujets pour victimes. Ceux-ci sont arrivĂ©s Ă  un tel degrĂ© de stupiditĂ© que ceux sur qui le choix tombe s'estiment heureux et fiers. Une autre fois, un nĂ©gociant hollandais vit apporter vingt-quatre cor- 030 L'AFRIQUE. beilles contenant chacune un homme vivant, dont la tĂȘte seule passait au dehors. On les disposa un moment en ligne sur le rebord de la plate- forme oĂč se tenait le roi ; puis on les prĂ©cipita l'une aprĂšs l'autre. En bas, une foule ivre de sang, sautant, hurlant, se jetait sur ces corbeilles, chacun s'efforçant d'accaparer une tĂȘte Ă  scier avec quelque mauvais couteau Ă©brĂ©chĂ© ! Cette tĂȘte valait Ă  celui qui l'avait coupĂ©e un chapelet de cauris d'une valeur de 2 francs 50 centimes environ. Dans les grandes Coutumes, on sacrifie hommes et femmes avec un certain nombre de chevaux. Les sacrificateurs ont bien soin de mĂȘler le sang des chevaux Ă©gorgĂ©s Ă  celui des victimes humaines. Dans cet affreux pays le roi donne habituellement audience aux Euro- pĂ©ens dans une enceinte parĂ©e de rangĂ©es de tĂȘtes humaines, fraĂźchement coupĂ©es , saignant encore. Lorsqu'un roi du Dahomey meurt, on lui Ă©rige dans un caveau un monument cimentĂ© du sang d'une centaine de captifs, provenant des der- niĂšres guerres, et sacrifiĂ©s pour faire cortĂšge au souverain dans l'autre monde. Le corps du monarque est mis dans son cercueil, la tĂȘte repo- sant sur les crĂąnes des rois vaincus par lui. Ces prĂ©paratifs achevĂ©s, on fait entrer dans le caveau huit abaĂŻas » danseuses de la cour et cinquante gardes du roi. On place auprĂšs d'eux un amas d'ustensiles et de vĂȘtements, des parures, du tabac, des barils d'eau-de-vie le roi pourra ainsi ĂȘtre bien servi ; puis on sacrifie ces malheureux pour qu'ils aillent rejoindre leur maĂźtre, qui a besoin d'eux. Chose Ă©trange ! dit le docteur RĂ©pin, il se trouve toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des deux sexes, qui considĂšrent comme un honneur de s'immoler dans le charnier royal. Le caveau reste ouvert pendant trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques, puis le premier ministre recouvre le cercueil d'un velours noir et partage avec les grands de la cour et les abaĂŻas survivantes les joyaux et les vĂȘtements dont le nouveau roi a fait hommage Ă  l'ombre de son prĂ©dĂ©cesseur. Dans le pays des Ashantis, les royales obsĂšques Ă©taient, au commence- ment de ce siĂšcle, encore plus sanglantes. Un envoyĂ© de la Grande-Breta- gne, M. Bowdich, qui, en 1817, visita Coumassie, cette horrible capitale anĂ©antie rĂ©cemment par les Anglais, raconte que les sacrifices offerts Ă la royautĂ© se renouvelaient lĂ  de semaine en semaine pendant trois mois. L'AFRIQUE. 631 Avec de pareilles mƓurs chez les Africains, il ne faut pas s'Ă©tonner que de simples reprĂ©sailles soient terribles. G. Lejean, dans la relation de son voyage au Taka, raconte ce qui s'Ă©tait passĂ© dans un village de la haute Nubie un peu avant qu'il visitĂąt cette rĂ©gion. Un homme de Hafara avait enlevĂ© deux jeunes garçons du village oĂč habitait son beau-pĂšre ; c'Ă©tait avec l'intention de les vendre et il les vendit Ă  Kassala, malgrĂ© les protestations du beau-pĂšre. Alors celui-ci fit prĂ©venir secrĂštement sa fille de se tenir prĂȘte Ă  un grave Ă©vĂ©nement. Une nuit, il conduisit Ă  Hafara trois cents guerriers bien armĂ©s qui envahirent silencieusement le village. A la porte de chaque hutte un homme se posta en sentinelle tandis que deux autres pĂ©nĂ©traient Ă  l'intĂ©rieur et coupaient la gorge Ă  tous ceux qui s'y trouvaient. Ce fut l'affaire de quelques minutes. Les cinq cents habitants de Hafara passĂšrent sans rĂ©sistance du sommeil Ă  la mort. Le premier auteur de cette catastrophe pĂ©rit, et sa veuve suivit son pĂšre et les vainqueurs Ă  Basen. Naturellement ces reprĂ©sailles atroces devaient en amener d'autres. Les voisins des gens de Hafara, aidĂ©s des marchands d'esclaves de Kas- sala, firent une razzia chez les habitants si susceptibles de Basen. Us en tuĂšrent tant qu'ils purent et emmenĂšrent les jeunes filles et les en- fants pour les vendre Ă  Kassala. Les indigĂšnes du ManyĂ©ma dans la rĂ©gion des lacs sont sanguinaires et poussent le mĂ©pris de la vie humaine aux derniĂšres limites. L'anthro- pophagie se pratiquait ouvertement chez eux avant que les manifesta- tions de dĂ©goĂ»t des trafiquants Arabes les eussent obligĂ©s Ă  la dissimuler. L'anthropophagie ! Encore un horrible usage que nous ne pouvions manquer de rencontrer... Les Bassoutos de l'Afrique australe pratiquent l'anthropophagie , et plus d'une fois les BoĂ«rs ont dĂ» tenter de ravoir par la force un des leurs, capturĂ© pour servir Ă  des festins de cannibales. On a prĂ©tendu que les Niams-Niams du Soudan oriental sont anthro- pophages ; mais il est probable qu'on ne doit accuser de ce goĂ»t mons- trueux qu'une seule de leurs tribus, celle des Bindgie. Le rivage nord-ouest du LoĂ»ta NzidjĂ© est bordĂ© de montagnes qui plongent Ă  pic dans le lac ; elles sont habitĂ©es par des tribus suspectĂ©es d'anthropophagie. G32 L'AFRIQUE. Mais les Monbouttous du bassin de l'OĂčellĂ© se livrent au canniba- lisme avec bien plus de passion. Ce qui est une exception chez les Xiams-Xiams est la coutume chez eux. Lorsque Schweinfurth visita le roi Mounza, on tuait chaque jour pour la table de ce monstre un des pe- tits enfants ramenĂ©s Ă  la suite d'expĂ©ditions fructueuses. Chaque annĂ©e, comme s'il s'agissait de grandes chasses, ces expĂ©ditions s'organisent contre les peuplades qui vivent sons l'Ă©quateur. Les Monbouttous man- gent sur place les morts restĂ©s sur le champ de bataille et emmĂšnent leurs prisonniers pour les manger Ă  loisir. Le docteur Schweinfurth s'Ă©tant arrĂȘtĂ© devant un Ă©tal de viandes ap- pĂ©tissantes, proprement exposĂ©es sur des feuilles de bananier, apprit que cette marchandise Ă©tait de la chair de vieilles femmes engraissĂ©es pour les gourmets. — Sur la cĂŽte occidentale, les Pahouins sont Ă©galement anthropophages. D'aurte part, il faut le dire, il y a des populations, — comme les rive- rains du Nyassa et de la Rofouma, — qui ont horreur de l'anthropopha- gie, Ă  ce point qu'ils s'abstiennent mĂȘme de toucher Ă  la chair des ani- maux qui se nourrissent de l'homme, tels que le lion et la panthĂšre. II. Populations africaines. — NĂšgres et Noirs. — Condition de la femme. — Les sorciers blancs. — Albinos africains. — Les jolies nĂ©gresses. — L'embonpoint exigĂ© pour la beautĂ© fĂ©minine. — Les nains. — Traits caractĂ©ristiques des races. — Coiffures bizarres. — NuditĂ© et vĂȘte- ment. — Ornements du visage. — Colliers, bracelets, etc. — Attirail guerrier. — Armes offensives et dĂ©fensives. — CaractĂšres. — Religions. — Fanatisme et superstition. — Le a mauvais Ɠil ». — Devins et sorciers. — Le culte des serpents. — Les missionnaires. — Les marabouts. — MƓurs et coutumes. — Gouvernements. — Supplices. — Épreuves judi- ‱ ciaires. — Habitations. — Villages. — C Kraals ». — TembĂ©s ». — ZĂ©ribas. » — Nourriture. — Industrie. Ainsi nous sommes en Afrique sur une terre qui, sans sa nombreuse population, semblerait un continent nouvellement créé les siĂšcles n'y apportent avec eux aucun changement, et il en sera ainsi tant que les EuropĂ©ens n'auront pas fait la. conquĂȘte de ce vaste sol pour le plus grand profit de la civilisation et le relĂšvement de l'humanitĂ©. Quelle est donc cette race si rebelle Ă  tout progrĂšs? Elle est assez diverse. Il y a des populations d'une laideur repoussante ; il y en a d'as- sez belles ; il y en a d'Ă©tranges ; nous pouvons mĂȘme montrer des NĂšgres blancs, des gĂ©ants et des nains. Nous ne parlerons, bien entendu, que des races ou groupes d'hommes qui ont une physionomie distincte, remar- quable les autres participent de traits gĂ©nĂ©raux que nous indiquerons. Sous le nom de NĂšgres beaucoup de voyageurs, de missionnaires et d'ethnographes ont confondu des races qui se dĂ©robent Ă  cette classifica- tion et qui n'ont mĂȘme aucune parentĂ© entre elles. Nous citerons, aprĂšs M. Duveyrier, les KoĂŻ-KoĂŻns ou Hottentots, les FouillĂ©s, les Haousas, les Bantoas et les MĂąbas comme exemples d'autant de peuples, ou de grandes familles de la Nigritie, entre lesquelles on chercherait vaine- ment des caractĂšres communs soit physiques soit intellectuels ou ethno- logiques. La nature laineuse des cheveux est le vĂ©ritable cachet du NĂšgre. Tout peuple qui n'en est pas marquĂ©, dit M. Vivien de Saint-Martin, quelque CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 80 634 L'AFRIQUE. foncĂ©e que puisse ĂȘtre d'ailleurs la teinte de son Ă©piderme, quelle que soit mĂȘme la coupe de sa physionomie, n'appartient pas Ă  cette classe infĂ©rieure de la famille humaine. Ce pourra ĂȘtre un peuple noir, ce ne Fig. 224. — Hottentot Kora. sera pas un peuple nĂšgre. Les Cafres sont des Noirs, ce ne sont pas des NĂšgres. Les Fellatas ou Foullas, cette grande nation qui domine aujour- d'hui sur la moitiĂ© du Soudan, sont un peuple noir; ce n'est pas un peuple nĂšgre. On en peut dire autant des TiboĂ»s, branche adultĂ©rĂ©e de la race berbĂšre, aussi bien que des Bischaris et des autres tribus nu- biennes, qui sont les Éthiopiens des Grecs ; on peut Ă©tendre Ă©galement L'AFRIQUE. 635 cette distinction aux Abvssius et Ă  bien d'autres tribus de l'Afrique orientale. » La haute rĂ©gion forestiĂšre situĂ©e dans le triangle formĂ© par le lac Tan- ganyika et les lacs MoĂ«ro et Bangoueolo semble ĂȘtre, selon Liviug- stone, la patrie de la race noire. Les habitants, hommes et femmes, y sont en gĂ©nĂ©ral trĂšs beaux, particuliĂšrement ceux de l'Itahoua. On trouve parmi eux des tĂȘtes bien faites, de belles formes, de petites mains. C'est Ă  croire que les ĂȘtres disgraciĂ©s qui vivent dans les marais pestilentiels des cĂŽtes constituent une race dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, tandis que le vrai type nĂšgre serait celui de l'Égyptien des temps antiques. En dehors de l'islam, il y a des populations qui peuvent rĂ©pudier le nom de sauvages, mais qui assurĂ©ment sont encore en pleine barbarie ; tels sont les MĂŽssis qui vivent au sud de Tombouctou, et les Achantis de la GuinĂ©e. Examinons d'un peu plus prĂšs les caractĂšres physiques et moraux des populations africaines. Les Onolofs sont grands et bien faits ; leur peau est d'un noir d'Ă©- bĂšne ; ils ont les cheveux crĂ©pus, les lĂšvres fortes, le nez un peu dĂ©- primĂ©, la physionomie plutĂŽt avenante que repoussante. Les Peuls ont la peau assez claire, d'un brun rougeĂątre; ce sont des NĂšgres cuivrĂ©s, leurs cheveux sont crĂ©pus comme ceux des NĂšgres, mais leurs lĂšvres, beaucoup moins Ă©paisses, laissent au profil quelque chose de la rĂ©gularitĂ© des types europĂ©ens. Un grand nombre de Peuls portent deux tresses de cheveux tombant des tempes, assez semblables aux tresses d'ordonnance de nos anciens hussards. Les naturels de l'Egba ont la couleur du cuivre. Ce sont plutĂŽt des nĂ©groĂŻdes que de vĂ©ritables NĂšgres. L'Ɠil, chez eux, est beau, la lĂšvre peu Ă©paisse, mais les gencives sont bleues, les joues proĂ©minentes, le menton rentrĂ©, le front fuyant. Leurs formes sont parfaites. Les femmes relĂšvent leurs cheveux sur la tĂȘte comme une touffe de laine, et cette coiffure leur donne une ressemblance lointaine avec les bĂȘtes Ă  cornes. Elles se tatouent et se font des cicatrices sur la peau. Elles se plaisent Ă  pratiquer sur leurs enfants ces sauvages ornementations, et le corps des pauvres ĂȘtres porte de la tĂȘte aux pieds la marque d'incisions teintes en bleu au moyeu de l'antimoine. 636 L'AFKIQUE. Voici le portrait que le capitaine Burton fait des habitants du Da- homey ce C'est une vilaine race. Ils sont menteurs comme des CrĂ©tois, et, sous le rapport de l'intelligence, de vrais crĂ©tins. Ils sont lĂąches et par consĂ©quent cruels ; ils sont joueurs et par consĂ©quent voleurs. Bru- taux, ils ne respectent rien, ils n'obĂ©issent Ă  personne. Au moral, de la vermine. Au physique, ils ont la peau noire, les sourcils jaunes. Ils sont de taille moyenne, sveltes, agiles, bons marcheurs, danseurs infatiga- bles. VoilĂ  pour le sexe masculin. Quant aux femmes, elles appartien- nent Ă  l'ordre des Ă©lĂ©phants ; en d'autres termes, elles sont massives et carrĂ©es. Ce sont elles qui moissonnent, qui fauchent, qui font les gros travaux. On sait qu'une partie d'entre elles, dans ce pays, portent les armes et forment la garde personnelle du roi. » Un missionnaire Ă©crivait en 1865 Le NĂšgre est au Dahomey un peu moins sauvage que sur les autres points des environs de la cĂŽte ; en prĂ©sence du blanc, du missionnaire surtout, il est timide et doux comme un agneau; d'un amour peu stable, et le plus souvent feint, il oblige son maĂźtre Ă  se tenir toujours sur le qui-vive. Je dis son maĂźtre, car ici ils sont tous esclaves les uns des autres... Tous les sauvages sont en gĂ©- nĂ©ral d'une grande taille et ont le corps bien fait jusqu'au cou ; mais quand on passe Ă  la figure, on dirait des monstres de grosses lĂšvres, une large bouche, un nez trĂšs Ă©patĂ©, une chevelure trĂšs crĂ©pue, point de barbe une tĂȘte de boule-dogue », a Ă©crit Jules GĂ©rard, le tueur de lions, qui passa deux ou trois semaines Ă  la cour du roi de Dahomey ; ils se rasent la tĂȘte de toutes les maniĂšres. Us sont tous marquĂ©s Ă  la figure avec un instrument tranchant... Ici la femme est un ĂȘtre abomi- nable, sans pudeur, sans honte, et mĂ©chante comme la vipĂšre. On la voit, la pipe Ă  la bouche, courir de danse en danse, et se livrer ainsi du matin au soir Ă  toutes sortes d'orgies et de crimes. Il y a possibilitĂ© de ramener les hommes , mais on n'a presque rien Ă  espĂ©rer des femmes. Le Noir, quand il s'agit de travailler, est d'une mollesse Ă  ne pas pou- voir remuer les jambes. Le rotin est aussi nĂ©cessaire Ă  ces gens qu'Ă  nous la nourriture. » Les Achantis, qui ont bien des traits communs avec les prĂ©cĂ©dents, se distinguent de la plupart de leurs voisins en ce qu'ils considĂšrent la femme" comme l'Ă©gale de l'homme. Lorsque le roi est mineur, sa mĂšre L'AFRIQUE. 037 G38 L'AFRIQUE. Mais chez les Pahouins les femmes sont traitĂ©es eu esclaves. Les filles, dĂšs leur enfance, sont promises au plus offrant. A ces femmes sont rĂ©- servĂ©s les travaux pĂ©nibles, tels que la culture des jardins, la cueillette et le transport Ă  dos des bananes, etc. Plus elles sont capables de porter de lourdes charges, plus elles sont apprĂ©ciĂ©es et recherchĂ©es. Les Pa- houins n'ont pas d'esclaves leurs femmes leur en tiennent lieu et sont cruellement maltraitĂ©es ; aussi le suicide n'est-il pas inconnu parmi elles. Ces malheureuses ne deviennent mĂȘme pas libres Ă  la mort de leur mari les parents en hĂ©ritent. Dans la GainĂ©e mĂ©ridionale, Ă  laquelle le Coogo donne actuellement une importance justifiĂ©e par la situation de cette contrĂ©e, qui est la clef de l'Afrique Ă©quatoriale, les diverses races paraissent appartenir Ă  la famille cafre. Elles sont sans exception de couleur noire. Les Mouchi- congos, qui occupent le Congo proprement dit, les Mousserongos, les Ca- bindos, et les Loangos du littoral, ont les yeux bruns et ouverts, une bouche moyenne, avec des lĂšvres pas trop Ă©paisses, un nez Ă©patĂ©, l'oreille un peu grande ; le front, trĂšs bombĂ© chez l'enfant, devient fuyant chez l'adulte. Les cheveux coupĂ©s trĂšs courts sont laineux ; la barbe n'ap- paraĂźt gĂ©nĂ©ralement qu'Ă  un Ăąge avancĂ©; elle est noire d'abord, d'un jaune roussĂątre plus tard, et enfin blanche. Si l'on en croit le voyageur suĂ©dois Anderson, les Damaras sont une race d'hommes trĂšs belle ; une taille de deux mĂštres est commune parmi eux ; le corps et les membres sont bien proportionnĂ©s ; leur visage est rĂ©gulier, expressif, leurs gestes sont gracieux. La couleur de leur peau n'est pas trĂšs foncĂ©e. Les femmes sont dĂ©licates, bien proportionnĂ©es, avec de petits pieds et de petites mains, mais avec l'Ăąge elles deviennent fort laides ; du reste les deux sexes sont trĂšs malpropres. Ils s'enduisent d'ocre rouge et de graisse, ce qui rĂ©pand autour d'eux une odeur nau- sĂ©abonde. Les Zoulous ont une vĂ©ritable beautĂ© de formes, des traits rĂ©guliers. MalgrĂ© leurs cheveux laineux , ils appartiennent Ă  l'une des races les plus remarquables de l'Afrique. Les habitants de l'Ongogo les Vouagogos sont supĂ©rieurs aux tri- bus Ă©chelonnĂ©es de cet État Ă  la cĂŽte de l'OcĂ©an indien. Il y a dans leur front, dit Stanley, quelque chose de lĂ©onin; leur physionomie L'AFRIQUE. G 39 est intelligente, leurs yeux sont grands et largement ouverts. Ils ont le nez plat, les lĂšvres grosses, mais pas de cette façon monstrueuse que nous supposons chez tous les NĂšgres. » C'est Ă  peu prĂšs le portrait qu'avait fait d'eux le capitaine Burton. 640 L'AFRIQUE. Cet explorateur a notĂ© que clans l'est et clans le nord de l'Ougogo la race est vigoureuse, avec la nuance claire des Abyssiniens, mais la physionomie est sauvage, mĂȘme chez les femmes, les lĂšvres sont Ă©pais- ses et d'une expression brutale, les paupiĂšres rougies ; la voix est forte, impĂ©rieuse. La partie postĂ©rieure de la tĂȘte est petite relativement Ă  la largeur de la face. Et comme il faut que partout l'homme s'enlaidisse, — quand ce n'est pas la femme, — les Vouagogos s'arrachent les deux incisives du milieu de la mĂąchoire infĂ©rieure. Quelques-uns se rasent la tĂȘte, d'autres se tressent une quantitĂ© de petites nattes comme les an- ciens Égyptiens, et les enduisent de terre ocreuse et micacĂ©e ; ce mĂȘme enduit sert Ă  embellir le corps ; une couche de beurre fondu par dessus ne gĂąte rien, paraĂźt-il, aux yeux des plus difficiles en matiĂšre de goĂ»t. Un peuple Ă©trange entre tous ces Noirs, est celui des Vouasongoras aux longues jambes. Ils ont en aversion tout ce qui est Ă©tranger. Cette aversion n'Ă©gale que leur amour extravagant pour leurs bestiaux. Si une vache meurt de maladie, dit Stanley, on fouille tout le pays pour dĂ©couvrir celui qui a dĂ» ensorceler la bĂȘte, et y trouve-t-on un Ă©tranger, sa vie est en pĂ©ril... » Chez ces peuples, et aussi bien que chez les Vouarouanda, les Vouagafou, les Vouanyambou et en gĂ©nĂ©ral les peu- ples vivant Ă  l'ouest du Nyanza, un Ă©trauger mourrait faute d'une goutte de lait qu'on ne la lui donnerait pas. Jamais le roi Roumanika, si gĂ©nĂ©- reux et si bon qu'il se soit montrĂ© Ă  l'Ă©gard de plusieurs voyageurs, n'offrit une cuillerĂ©e de lait Ă  Stanley pendant le sĂ©jour que celui-ci fit auprĂšs de lui. A en croire les rapports faits Ă  Stanley, il y aurait chez les Vouason- goras quelques tribus Ă  jambes si longues qu'ils ne peuvent les con- templer sans un Ă©tonnement mĂȘlĂ© de craintes j>. Lorsqu'en 1872 Livingstone et Stanley, explorant le lac Tanganyika, entendirent parler d'un peuple de NĂšgres blancs qui habitait au nord de l'OuzidjĂ©, ils se refusĂšrent d'y croire. Quatre ans plus tard, Stanley reconnut la vĂ©ritĂ© de cette assertion en arrivant sur la frontiĂšre d'Ou- nyoro, au pied de l'Ă©norme massif du Kabongo qu'aucun voyageur eu- ropĂ©en ne connaissait encore. Le gĂ©ant de ces montagnes est le mont Gambaragara, volcan Ă©teint dont la neige recouvre souvent lĂȘ sommet. C'est autour de ce sommet que plusieurs villages sont habitĂ©s par une L'AFRIQUE. 641 race d'hommes au teint blanc semblable Ă  celui des EurojĂ©ens. Les fonctions de sorciers auprĂšs des rois d'Oimyoro leur sont dĂ©volues. our condiment essentiel le piment, em- ployĂ© Ă  haute dose. Les femmes broient le grain entre deux pierres et font cuire le gĂąteau daus des fours improvisĂ©s ; ou encore elles allument un grand feu sur L'AFRIQUE. G75 un terrain battu, et, quand il est suffisamment chauffĂ©, la galette de pĂąte est posĂ©e dessus recouverte d'un vase de mĂ©tal sur lequel on fait du feu. PrĂšs de la cĂŽte occidentale de l'Afrique, les indigĂšnes cultivent des concombres et les mangent en salades assaisonnĂ©s d'une huile tirĂ©e de la semence mĂȘme de cette plante. Dans la rĂ©gion du haut Nil, les Noirs riveraios des affluents du grand fleuve ne mangent ordinairement qu'une fois par jour, vers le coucher du soleil; leur principale nourriture est le lait, puis le dourrah, qu'ils consomment en bouillie ou en grains cuits Ă  l'eau. La viande est pour eux un rĂ©gal qu'ils ue rencontrent que dans les fĂȘtes, les sacrifices, et quand ils perdent une tĂȘte de bĂ©tail. Ils ont des haricots, des pois, des courges, qu'ils cultivent sur les bords des cours d'eau on dans les Ăźles. Les forĂȘts leur fournissent aussi des ra- cines, des fruits sauvages, des cham- pignons et du miel en quantitĂ©. D'autres nourritures semblent ac- cuser chez certains peuples de l'A- frique une rĂ©elle dĂ©pravation de goĂ»t. C'est ainsi qu'on mange des pĂątĂ©s de moucherons sur les bords du Nyassa et des fourmis blanches dans le ManyĂ©ma. Frites dans la poĂȘle, ces fourmis constituent, selon Li- vingstone , un mets trĂšs agrĂ©able. ExceptĂ© l'homme et le chien, dit Schweinfurth, les Bongos sem- blent regarder comme alimentaire toute substance animale, quel que soit l'Ă©tat dans lequel elle se trouve. Les restes du repas d'un lion, dĂ©bris putrĂ©fiĂ©s cachĂ©s dans la forĂȘt, et dont l'approche des milans et des vautours leur rĂ©vĂšle l'existence, sont recueillis par eux avec joie. Le fumet leur garantit que la viande est tendre, et ils estiment que dans cette condition elle est plus nourrissante et plus facile Ă  digĂ©rer que la chair fraĂźche. Il ne saurait d'ailleurs ĂȘtre question de goĂ»t avec des gens qui ne reculent pas devant la nourriture la plus rĂ©voltante. Chaque 676 L'AFRIQUE. fois, ajoute le savant voyageur, que j'ai fait tuer un bƓuf, j'ai vu mes porteurs se disputer avidement le contenu de la panse, ainsi que le font les Esquimaux, qui prennent la seule idĂ©e qu'ils puissent avoir des lĂ©- gumes daus ce que leur fournit l'estomac des rennes. » Faut-il poursuivre cette citation? J'ai vu, dit le voyageur, les Bongos arracher avec calme les vers qui tapissent tout l'appareil diges- tif du bĂ©tail de cette rĂ©gion, — d'affreux ampliistomes, — et s'en emplir la bouche. AprĂšs cela je ne suis pas surpris qu'ils tiennent pour gibiĂ«r tout ce qui grouille et qui rampe , depuis les rats j usqu'aux serpents ; ni de les voir manger sans rĂ©pugnance du vau- tour dont la chair con- serve l'odeur de la nour- riture habituelle de ces oiseaux de proie ; de l'hyĂšne galeuse, de l'hĂ©- tĂ©romĂštre palmĂ© — c'est un gros scorpion terres- tre; — des chenilles et des larves de termite Ă  l'abdomen huileux. » Les Bnshmen se gui- dent aussi sur les vau- tours pour se procurer les reliefs du lion. Quand cet animal a supris quelque girafe, un buffle, un Ă©lan, dĂšs le lendemain les vautours, pla- nant au-dessus des dĂ©bris de ce festin, en indiquent la place. Les gros os que les mĂąchoires de la bĂȘte fauve n'ont pu entamer, les Bushmen les brisent pour en sucer la moelle. Les Zoulous sont trĂšs friands de sauterelles. Ils les mangent au miel, bouillies et rĂ©duites en poudre. Il paraĂźt que grillĂ©es elles sont supĂ©rieu- res aux crevettes , selon l'opinion des EuropĂ©ens qui en ont goĂ»tĂ©. Les Zoulous sont gourmets de grosses chenilles, auxquelles ils trouvent une saveur vĂ©gĂ©tale qu'ils prisent fort une Ă©norme grenouille appelĂ©e L'AFRIQUE. G77 matlamctlo », qui une fois cuite ressemble assez Ă  un poulet, constitue une des singularitĂ©s de leur cuisine. Dans l'occident de la rĂ©gion Ă©quatoriale, il y a un fruit, la noix de kola on de goĂ»ro, dont il est fait une consommation importante. Les Achantis en envoient des quantitĂ©s considĂ©rables au marchĂ© de Salaga et les indigĂšnes viennent pour s'approvisionner de plus de 1,400 kilomĂš- tres. De mĂȘme des caravanes de BihĂ© vont chercher entre le ZaĂŻre et le ZambĂšse de grandes quantitĂ©s de miel, qui entre dans l'alimentation sous forme d"hydromel. Fig. 215. — Dessins d'objets eu cuir, fabriquĂ©s Ă  ĂŻombouctou. Ceci nous amĂšne Ă  dire quelques mots des boissons. Les musulmans, qui dominent Ă  l'ouest de la Nigritie, se dĂ©saltĂšrent avec de l'eau fraĂźche mĂ©langĂ©e avec de la farine de millet. L'infidĂšle, le fĂ©tichiste, boit son pombĂ© ou sa biĂšre de millet et de miel, espĂšce d'hy- dromel trĂšs fort et trĂšs enivrant, quelquefois aussi du vin de palmier ou de dattes. Ces biĂšres africaines, — mĂ©rissa, caffir, etc., — faites pour la plupart avec une espĂšce de millet nommĂ© dourrah, — sont des bois- sons acidulĂ©es trĂšs capiteuses. Sous leur influence, les Noirs se livrent souvent Ă  toutes sortes d'actes de sauvagerie et de brutalitĂ©. Quelques mots sur l'industrie des populations africaines trouveront naturellement leur place ici. Certains Noirs se montrent singuliĂšrement douĂ©s pour les arts indus- triels. Ainsi les Achantis connaissent le tissage, la broderie, la poterie, 678 L'AFRIQUE. Fig. 246. — Kano. Sandale en cuir. la fabrication des cuirs, l'art de travailler les mĂ©taux et mĂȘme l'orfĂš- vrerie. Les indigĂšnes de la rĂ©gion forestiĂšre situĂ©e au sud du lac Tanganyika sont trĂšs laborieux ; non seulement ils cultivent la terre avec soin, mais ils ont des forgerons qui Ă©tirent en fil mince, pour en faire des bracelets , des barres de cuivre apportĂ©es du Katannga Ă  l'ouest du lac MĂŽĂ«ro. Ils ont aussi des tisserands qui font avec le beau coton que produit la contrĂ©e des chĂąles rayĂ©s de noir et de blanc. Les habitants de l'OuuyamouĂ©si travaillent assez bien le fer et fabriquent des instru- ments d'agriculture, des couteaux, des ciseaux, des bracelets, des boucles d'oreilles. Les Zoulous se montrent habiles dans la fabrication des armes dont se servent leurs guerriers. Ils emploient aussi avec art diffĂ©rentes maniĂšres de prĂ©parer les peaux d'auirnaux pour les vĂȘtements. Les Djours sont forgerons et fournissent des ustensiles de mĂ©tal aux Chillouks, aux Dinkas et aux Nouers. Les Monbouttous, excellents ouvriers dans les travaux de forge, surpassent aussi tous les peu- ples de l'Afrique centrale dans la construction des habitations. Enfin il y a dans le haut Niger dix ou douze millions de Noirs, les plus industrieux sans doute de l'Afrique. C'est qu'en effet la vie est active dans ces grandes villes des royaumes du Soudan. Comment vivraient sans industrie les quarante mille habitants de Kouka, capitale du Bornou? Les cinquante mille habitants de la ville de Kano, dans les États du sultan de Sokoto? A Tombouctou, il y a aussi quelque chose de cette . activitĂ©. — Les marchands du Bornou apportent aux marchĂ©s de Kouka et des autres localitĂ©s importantes les produits variĂ©s du sol et de l'in- 247. — Djebira, sao de cuir. L'AFKIQU E. 679 dustrie. Ces derniers consistent snrtont en coton filĂ©, corbeilles en pailles tressĂ©es, cordes, brides, bĂąts, sacs de cuir, ustensiles agricoles, plats, vases d'argile, vĂȘtements — tourkĂ©di », draperie bleu foncĂ© dont les femmes s'enveloppent, tobĂ© », blouse flottante que portent les indigĂšnes par-dessus leur large pantalon, tuniques Ă  l'usage des Touaregs, sandales de cuir, etc. — Ils s'approvisionnent en retour de marchandises venues de bien loin par la voie des caravanes. Ajoutons que nous tenons les deux dĂ©bouchĂ©s de cette immense rĂ©gion africaine par l'AlgĂ©rie et le SĂ©nĂ©gal. III. DifficultĂ© de pĂ©nĂ©trer en Afrique. — Tentatives des nations civilisĂ©es. — Obstacles naturels et autres. — Porteurs exigeants. — Monnaies encombrantes. — Les explorateurs cĂ©lĂšbres du continent africain. — Burton, Speke, Grant, Livingstone, Carneron, Stanley, Sctnveinf urth, Serpa Pinto. — Autres voyageurs G. Lejean, Matteucci, G. Rohlfs, Baines, Nacktigal, S. de Brazza, etc., etc. VoilĂ  eu somme des peuples bien Ă©tranges qui, par leurs mƓurs, leurs idĂ©es, rendent presque impĂ©nĂ©trable le pays qu'ils habitent. On sait quel a Ă©tĂ© le sort de la mission Flatters chargĂ©e d'Ă©tudier l'Ă©ta- blissement d'une voie ferrĂ©e Ă  travers le dĂ©sert qui avoisine nos posses- sions algĂ©riennes. Notre colonie du SĂ©nĂ©gal, — qui est cependant bien placĂ©e pour nous donner accĂšs chez les populations de la Nigritie septen- trionale, — ne nous a pas Ă©tĂ© jusqu'ici d'une grande utilitĂ© pour cet objet. L'ouverture du Congo par M. de Brazza n'aura peut-ĂȘtre pas non pins d'avantages immĂ©diats. Les Portugais, qui ont pĂ©nĂ©trĂ© assez avant dans l'intĂ©rieur de l'A- frique, il y a plusieurs siĂšcles dĂ©jĂ , ne sont guĂšre plus avancĂ©s que les autres nations europĂ©ennes dans leurs relations avec le continent no ir. Ils en sont rĂ©duits Ă  fonder des comptoirs sur le littoral. Les Anglais Ă©tablis en sentinelle au Cap ne font un pas en avant qu'au prix d'Ă©normes sacrifices, comme on l'a vu lors de la guerre du Zonlouland, et encore ont-ils eu quelquefois comme auxiliaires, dans cette partie australe de l'Afrique, les BoĂ«rs d'origines hollandaise et fran- çaise qui ont fondĂ© les rĂ©publiques situĂ©es au sud et Ă  l'orient du dĂ©sert de Kalahari. Leur expĂ©dition en Abyssinie, leur campagne contre les Achantis , demeurent des faits sans consĂ©quences apprĂ©ciables au point de vue de la civilisation gĂ©nĂ©rale. L'Egypte seule, — malheureusement la moins civilisĂ©e des puissan- ces civilisĂ©es », — a rĂ©ussi Ă  ouvrir les rĂ©gions du haut Nil, mais avec des avantages contestables. Que pouvait rĂ©ellement organiser l'Egypte ayant besoin, elle-mĂȘme, que l'Europe aille faire la police chez elle? L'AFRIQUE. 081 Eu 1869, sir Samuel Baker, counu dĂ©jĂ  par ses voyages dans la rĂ©gion des lacs Ă©quatorianx, fut chargĂ© par le vice-roi d'Egypte de pĂ©nĂ©trer dans l'intĂ©rieur de l'Afrique, aussi avant qu'il le jugerait utile ; et le vice- roi lui donna le commandement d'une petite armĂ©e, d'une flottille, avec un matĂ©riel considĂ©rable. L'expĂ©dition fut faite aux frais d'IsmaĂŻl-Pacha, qui Ă©tait appelĂ© Ă  en recueillir les premiers bĂ©nĂ©fices. Il s'agissait pour lui d'annexer Ă  ses Etats d'immenses territoires ; de souder une vaste oasis aux plaines sablonneuses de la Nubie et du Soudan ; de faire du Nil. dans toute son Ă©tendue, un fleuve Ă©gyptien. Sir Samuel Baker, revĂȘtu du titre de pacha, Ă  lui confĂ©rĂ© par la Porte, et tenant du khĂ©dive de pleins pouvoirs militaires et politiques , devait avoir le gouvernement des fu- tures provinces dont l'Egypte s'agrandirait... H fallut en rabattre. Toutefois des stations militaires furent Ă©tablies jusque sous l'Ă©quateur; le khĂ©dive dĂ©trĂŽna les roitelets qui lui faisaient obstacle et prit sous sa tutelle les rivaux qu'il leur opposa... L'Egypte a-t-elle fait davantage du cĂŽtĂ© de l'Ethiopie? dans la NĂ©gri- tie intĂ©rieure? En 1873, Berbera, le grand marchĂ© des Somalis, la rivale d'Aden, a Ă©tĂ© occupĂ©e par elle. L'annĂ©e suivante le Darfour, royaume comptant quatre millions d'habitants, a Ă©tĂ© conquis; en 1875, Harar, un autre royaume de dix-huit cent mille habitants, a Ă©tĂ© annexĂ© sans coup fĂ©rir, et l'Abyssinie, par ces agrandissements successifs de l'Egypte, se trouve enclavĂ©e dans les États du khĂ©dive... L'insurrection du Soudan, dirigĂ©e par le Mahdi, a remis tout en question. Ce n'est donc pas encore de ce cĂŽtĂ©-lĂ  que l'Afrique est ouverte d'ailleurs les voyageurs europĂ©ens y rencontrent trop de mauvais vou- loir de la part des fonctionnaires Ă©gyptiens. Nous demeurons en prĂ©sence d'une Afrique oĂč. l'on ne pĂ©nĂštre encore qu'avec d'extrĂȘmes difficultĂ©s, oĂč la population est hostile, les chefs d'Etat ignorants de leurs vĂ©ritables intĂ©rĂȘts, le climat et le sol meur- triers. L'explorateur qui n'est pas arrĂȘtĂ© par les obstacles en quelque sorte insurmontables qui se prĂ©sentent Ă  lui, doit se sentir couvert, selon l'expression d'Horace, de l'armure de triple chĂȘne et de triple airain. Au delĂ  d'une Ă©troite zone, nul autre chemin que celui que jalonnent CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 86 G 82 L'AFRIQUE. les ossements Ă©pars, les squelettes dessĂ©chĂ©s, traces lugubres des con- vois de voyageurs ou d'esclaves qui ont passĂ© par lĂ ; nulle ressource que celles que l'on traĂźne aprĂšs soi au prix des plus grandes fatigues , nul gĂźte que la terre humide ou les sables ; les bois, les marĂ©cages, les cam- pagnes sont peuplĂ©s de bĂȘtes fauves, de crocodiles aux formidables mĂąchoires, de serpents et de scorpions; les airs sont infestĂ©s de nuĂ©es de moustiques Ă  longues jambes qui vous poursuivent jusque dans votre sommeil , — si toutefois les hurlements du chacal et les rugissements du lion vous permettent de prendre quelque repos. Ailleurs, la mouche tsĂ©-tsĂ© tue les chevaux du convoi. Ailleurs encore, c'est la dĂ©solation des vastes dĂ©serts. LĂ , les oasis sont semĂ©es comme de rares Ăźles au milieu d'un ocĂ©an de sable , inces- samment soulevĂ© par les vents brĂ»lants; en dehors de ces refuges, pas une ombre rafraĂźchissante, pas une goutte d'eau pour Ă©tancher sa soif, de toutes parts l'horizon dans sa continuitĂ© dĂ©sespĂ©rante. Les fourmis blanches dĂ©vorent les vĂȘtements et les provisions. Le bois mĂȘme ne rĂ©- siste pas Ă  leur voracitĂ©. En un instant elles ont dĂ©moli un fusil. Le voyageur ne pourra s'avancer qu'accompagnĂ© de nombreux por- teurs pour ses bagages, gens indisciplinĂ©s et de mauvaise foi, toujours prĂȘts Ă  s'insurger ou Ă  dĂ©serter. Il n'est pas rare, eu effet, de voir les porteurs, aprĂšs s'ĂȘtre fait payer d'avance un salaire Ă©levĂ©, dĂ©camper la nuit suivante. La prĂ©caution de dĂ©tenir leurs armes et leurs boucliers est loin d'ĂȘtre suffisante, comme certains voyageurs en ont fait la dĂ©sa- grĂ©able expĂ©rience. Avec ses gens Ă  gages sir Samuel Baker ne fut pas plus heureux que Speke et Grant. A un moment, les hommes de peine de son convoi imaginĂšrent de refuser la verroterie en payement, et d'exiger quatre vaches par porteur, pour prix d'un trajet relativement assez court. Comme, dans ce moment-lĂ , il ne fallait pas Ă  l'explorateur moins de mille hommes pour ses approvisionnements et ses marchan- dises, c'Ă©tait donc quatre mille vaches qu'il s'agissait de se procurer, si l'on ne voulait demeurer sur place. Les Turcs de l'escorte, en diverses razzias, purent Ă  peine en rĂ©unir la moitiĂ©... Si l'explorateur compte utiliser les fleuves, il lui faudra remonter leur cours encombrĂ© d'Ăźles d'alluvions, franchir des cataractes, se lais- ser emporter par des rapides. Dans d'autres rĂ©gions, il ne saurait chenii- L'AFRIQUE. 383 rier qu'en caravane avec des chameaux et une nombreuse escorte. Avant le dĂ©part que de travail ! Il s'agit de tout organiser, de tout prĂ©voir. Il faut se munir d'armes pour se dĂ©fendre contre les bĂȘtes fau- ves et contre les hommes noirs. Il faut se procurer des tentes, des usten- siles de cuisine, toutes sortes de provisions de bouche comme pour une longue traversĂ©e ; des mĂ©dicaments pour les maladies Ă  peu prĂšs inĂ©vi- tables au-devant desquelles on court, et songer surtout aux moyens d'acquitter, en bien des endroits, le droit d'aller au delĂ , aux moyens de payer le personnel de l'expĂ©dition, d'acheter, au besoin, quelques vivres supplĂ©mentaires. Pour cela il n'y a que des monnaies encombrantes ou difficiles Ă  rĂ©unir. Sur la cĂŽte de l'ocĂ©an Indien , l'explorateur se munira de verroteries di- tes rassades 1, de fils d'archal, de la toile amĂ©ricaine, de la cotonnade bleue, des bracelets de cuivre ; on ne connaĂźt pas d'autre monnaie. Avec quarante mĂštres d'Ă©toffe par jour il paiera la nourriture de cent hommes ; avec un collier de perles en verre il apaisera les convoitises d'un sultan noir. Mais les peuplades dont il doit traverser les domaines n'ont pas toutes le mĂȘme goĂ»t, et les femmes des rois nĂšgres ont diffĂ©rents capri- ces. Il en est qui prĂ©fĂšrent la cotonnade bleue Ă  la cotonnade rayĂ©e de diverses couleurs. Il en est qui repousseront avec un souverain mĂ©pris une collection de perles blanches et s'Ă©panouiront Ă  l'aspect d'un collier de perles vertes. Pour Ă©pargner ses ressources et prĂ©venir de fĂącheuses difficultĂ©s, le voyageur doit donc, avant de faire ses emplettes, prendre tous les renseignements possibles sur ces diverses prĂ©fĂ©rences. Sur d'autres points du littoral africain l'explorateur sera forcĂ© de se procurer des cauris. Le cauri est un petit coquillage blanc de la gros- seur d'une noisette, que l'on pĂȘche sur les cĂŽtes de Mozambique, de Zan- zibar et de l'Ăźle de Ceylan , et qui sert de monnaie courante dans une grande partie de l'Afrique. A la cĂŽte des Esclaves, il en faut de 50 Ă  60 pour reprĂ©senter une valeur de cinq centimes. Cent cauris ou kourdis y sont le prix de deux dĂ©fenses d'hippopotame. 1 C'est par centaines que l'on compte les variĂ©tĂ©s de perles de verre ou de porcelaine. Les plus communes , celles qui font l'office de la monnaie de billon , sont en porcelaine bleue. Les plus recherchĂ©es sont rouges de l'Ă©carlate recouverte d'Ă©mail blanc et sont le plus souvent dĂ©signĂ©es sous le nom de sam-sam ». 684 L'AFRIQUE. Dans la GuinĂ©e mĂ©ridionale, le fusil reprĂ©sente l'unitĂ© monĂ©taire. L'offre s'exprime donc en tant de fusils »; le paiement s'effectue rĂ©el- lement partie en fusils et barils de poudre, partie en tissus, baguettes de laiton, cercles de fer, bouteilles vides. Chose assez singuliĂšre, c'est le fusil qui sert pour les achats d'ivoire ; mais pour les arachides l'unitĂ© re- prĂ©sentative est la piĂšce de tissu ou le mille de matars, — sorte de ver- roterie de BohĂȘme ce sont des morceaux de tubes de verre bleu Ă  facet- tes, enfilĂ©s par sĂ©ries de cent, et qui servent aussi pour l'achat des vivres ; ainsi Ă  Ambrizette une poule coĂ»te de mille Ă  douze cents matars. Chez les Bongos du bassin du Bahr-el-Gazal, le fer prĂ©parĂ© en fers de bĂȘche grossiers loggo koĂ»llouti » devient une monnaie courante et remplit roffice de nos valeurs mĂ©talliques. Pour traverser les plaines immenses et marĂ©cageuses qui forment la ligne de partage entre le ZaĂŻre et le ZambĂšse, le lieutenant Cameron dut faire une ample provision de poissons secs, seule monnaie ayant cours dans cette partie de l'Afrique. Si l'on pĂ©nĂštre dans le Kordofan et certaines rĂ©gions voisines, il faut alors une tout autre monnaie, le talari 1. Plus avant, dans l'OuadaĂŻ, dans le Bornou, c'est encore le talari, et pour les petites dĂ©penses, les parfums... VoilĂ  bien des difficultĂ©s de dĂ©tail qu'il s'agit avant tout d'aplanir. Quand le voyageur a trouvĂ©, rassemblĂ© ses trĂ©sors , ses provisions de route, il lui faut encore diviser tout cela par portions Ă©gales dans des nattes cousues en forme de sac, eu tenant compte du poids des ballots, chacun d'eux devant former la charge d'un porteur, toujours disposĂ© Ă  se plaindre, — surtout s'il est plus chargĂ© qu'un autre. C'est en se faisant suivre d'un nombreux cortĂšge d'hommes armĂ©s et de porteurs, que les voyageurs se sont aventurĂ©s au milieu de popula- tions toujours en guerre et Ă  travers des pays oĂč il est difficile sinon im- possible de s'approvisionner. La caravane de Speke et de Grant se com- posait, en quittant Zanzibar, de 220 hommes. Plus rĂ©cemment Stanley, suivant la mĂȘme voie, emmenait avec lui 191 soldats ou porteurs. Sir 1 Le talari, monnaie qui se frappe en Autriche, n'a cours que dans certaines parties de l'Afrique. Son nom en arabe est rydl. lie talari ou thaler de Marie-ThĂ©rĂšse vaut 5 francs "25 cen- times. L'AFRIQUE. G85 Samuel Baker, en s'avançant Ă  travers l'Egypte et la Nubie, se fĂźt accompagner par une troupe de maraudeurs turcs qu'il retint tant bien que mal sous ses ordres. N'oublions pas que le transport des marchan- dises au milieu des dĂ©serts rencontre des difficultĂ©s de toute sorte, qu'en venant d'Egypte, par exemple, les cataractes du Nil entre As- souan et Khartoum rendent la navigation Ă  peu prĂšs impraticable, et Kg. 248. — Dans le dĂ©sert, prĂšs d'Assouan. qu'il n'est pas facile de se procurer des chameaux lorsque les pĂąturages ont Ă©tĂ© dĂ©truits par la sĂ©cheresse. Par la voie de Zanzibar, on peut se ser- vir de mules et d'Ăąnes. Enfin le voyageur est en route. D'autres difficultĂ©s surgissent pour lui, heureux encore si la maladie ne vient point paralyser tous ses efforts , ruiner son Ă©nergie! C'est la guerre qui a Ă©clatĂ© sur un point qui coupe le chemin ; ce sont les hommes de l'escorte qui prennent peur plus loin ils croiront Ă  des rĂ©cits rĂ©els ou imaginaires qu'on leur fera sur les disposi- V 686 L'AFRIQUE. tions dĂ©populations fĂ©roces; ils craindront d'ĂȘtre mangĂ©s et- refuseront d'avancer. Chaque chef des pays Ă  traverser retient tant qu'il le peut au- prĂšs de lui les voyageurs qui le visitent , soit pour en obtenir des prĂ©- sents Ă  force d'importunitĂ©, soit pour donner le change Ă  ses ennemis en leur faisant craindre un auxiliaire redoutable. AprĂšs tout cela, on peut se faire une idĂ©e du mĂ©rite qu'il peut y avoir Ă  diriger jusqu'au bout, et avec succĂšs, un voyage d'exploration Ă  travers l'Afrique. Et comment ne pas admirer les dispositions gĂ©nĂ©reuses de Livingstone, le plus hardi de tous les explorateurs, lorsqu'il Ă©crit les li- gues suivantes Quand ou voyage avec la perspective d'amĂ©liorer le sort des indigĂšnes, les moindres actes s'ennoblissent. Le plaisir pure- ment physique du voyage en pays inexplorĂ© est d'ailleurs trĂšs grand par lui-mĂȘme. Marcher vivement sur des terres de quelque deux mille pieds d'altitude donne de l'Ă©lasticitĂ© aux muscles ; un sang renouvelĂ© circule dans les veines ; l'esprit est lucide, l'intelligence active, la vue nette, le pas ferme, et la fatigue du jour rend trĂšs doux le repos du soir. On a le sti- mulant des chances lointaines de danger soit de la part des hommes, soit de la part des animaux. Tout est fortifiĂ© ; le corps reprend ses propor- tions, les muscles durcissent, le visage se bronze ; il n'y a plus de graisse et pas de dyspepsie. L'Afrique, sous ce rapport, est un pays merveilleux. Il y a certainement des obstacles et des fatigues dont ceux qui voyagent sous les climats tempĂ©rĂ©s ne peuvent se faire qu'une idĂ©e affaiblie ; mais quand on travaille pour Dieu, la sueur qui coule du front n'est pas un chĂątiment ; elle est vivifiante et se change en bienfait. » Nous avons nommĂ© plusieurs fois Livingstone, Speke, Baker, Schwein- furth, Carneron et d'autres explorateurs modernes nous devons plus d'attention Ă  leurs hĂ©roĂŻques travaux. C'est Ă  la mission protestante allemande de Rabat Mpia, sur la cĂŽte des SouahĂ©lis , qu'il Ă©tait rĂ©servĂ© de donner les premiĂšres notions bien prĂ©cises sur les grands lacs de l'Afrique Ă©quatoriale, qui ont servi d'im- pulsion Ă  tous les explorateurs de notre temps. Deux officiers de la Com- pagnie des Indes se rendirent alors Ă  Zanzibar, pour y organiser, sous les auspices de la SociĂ©tĂ© de gĂ©ographie de Londres, une expĂ©dition de dĂ©- couvertes vers la rĂ©gion centrale. L'un de ces deux hommes Ă©tait le ca- L'AFRIQUE. 687 pitaine Speke, que recommandait sa constitution herculĂ©enne et une Ă©nergie que n'avait pas entamĂ©e le climat de l'Inde. Le second, Burton, Ă©tait dĂ©jĂ  connu par deux voyages oĂč il avait fait preuve d'une audace inouĂŻe; il avait visitĂ© le petit Etat abyssin d'Harar, et, sous le costume d'un liadji mulsulman, il avait osĂ© pĂ©nĂ©trer eu Arabie jusqu'Ă  la ville sainte du ProphĂšte, que les yeux des chrĂ©tiens ne doivent mĂȘme pas contempler du haut des montagnes voisines. VersĂ© dans la connaissance des langues africaines, habituĂ© aux mƓurs de l'Orient, calme, rĂ©solu, observateur sagace, Burton Ă©tait le cligne compagnon de Speke. Les deux explorateurs partirent de Kaolay, dans le courant de 1857, avec une escorte de SouahĂ©lis fournie par les chefs indigĂšnes relevant de l'iman. Kaolay est un petit port sur l'ocĂ©an Indien, Ă  l'embouchure de la riviĂšre Kingaui, riviĂšre qu'ils remontĂšrent tout d'abord. On connaĂźt la relation de ce voyage, Ă©crite par Burton. Sceptique de son naturel, Burton ne montra pas la mĂȘme confiance que son Ă©mule dans le rĂ©sultat d'une exploration de l'Afrique Ă©quatoriale. Speke recommença un nouveau voyage en 1860. Cette fois il Ă©tait ac- compagnĂ© par le capitaine Grant. Les deux voyageurs quittĂšrent Zanzi- bar le 1er octobre, aprĂšs avoir pris soin d'envoyer en avant une cara- vane d'indigĂšnes , qui devaient former, Ă  Kaseh , un dĂ©pĂŽt de toutes les choses nĂ©cessaires Ă  l'expĂ©dition. Ils emmenaient avec eux soixante hommes armĂ©s, de plus une troupe de porteurs et un dĂ©tachement de soldats hottentots que le gouverneur du Cap avait voulu leur adjoindre. La diffĂ©rence de climat entre le sud et le centre de l'Afrique est telle , que ces Hottentots n'y purent rĂ©sister. La plupart moururent ; il fallut renvoyer les survivants. Dans son premier voyage, de compagnie avec Burton, Speke avait trouvĂ© libre et ouverte la route de Zanzibar Ă  Kaseh ; il en fut , cette fois, tout autrement. Une sĂ©cheresse inusitĂ©e et la famine dĂ©solaient toute l'Afrique orientale. La guerre s'Ă©tait Ă©levĂ©e entre les tribus indi- gĂšnes, et Speke s'attendait Ă  voir intercepter toute communication avec Zanzibar. Aussi employa-t-il prĂšs d'une annĂ©e Ă  atteindre Kaseh, c'est- Ă -dire Ă  accomplir la portion dĂ©jĂ  connue du voyage. LĂ , il trouva de nouveaux interprĂštes, et un an aprĂšs son dĂ©part de Zanzibar, il se remet- tait en route. Jusqu'au 15 fĂ©vrier 1863, aucune nouvelle des deuxvoya- 688 L'AFRIQUE. geurs ne parvint eu Europe; la SociĂ©tĂ© de gĂ©ographie de Londres envoya Ă  leur recherche deux de ses membres qui, remontant le Ml, allĂš- rent Ă  la rencontre de l'expĂ©dition l'un, M. Petherick, n'atteignit Gon- dokoro qu'aprĂšs de longs retards ; l'autre, sir Samuel Baker, arriva assez Ă  temps pour servir utilement Speke et ses compagnons. L'explorateur avait reconnu le N'yanza de KaragouĂ© auquel il donna le nom de Victoria N'yanza, et qui est l'un des grands rĂ©servoirs du Ml. Speke et Grant avaient sĂ©journĂ© chez les peuples riverains de cet im- mense bassin d'eau douce. Sur leurs indications, sir Samuel Baker par- vint Ă  un autre grand lac qu'il appela le lac Albert ; c'est aussi un rĂ©servoir du Ml. Baker visita les pays situĂ©s entre les deux lacs, se donnant pour un prince europĂ©en ; traitant d'Ă©gal Ă  Ă©gal les petits des- potes de ces contrĂ©es ; vivant Ă  leurs cours, et se trouvant, bien malgrĂ© lui, plus ou moins engagĂ© dans leurs querelles. Pendant que s'accomplissaient les explorations dont nous venons de parler, un autre intrĂ©pide voyageur poursuivait de son cĂŽtĂ© les siennes, entreprises avant les dĂ©couvertes de Speke et de Baker. Livingstone, parti pour l'Afrique en 1840, y Ă©tait restĂ© d'abord douze ans. Il y retourna une seconde et une troisiĂšme fois aprĂšs quelques mois de sĂ©jour en Angleterre. Quoiqu'il ne fĂ»t plus jeune et qu'il eĂ»t cruelle- ment souffert, il ne pouvait se rĂ©signer au repos. Pendant bien des an- nĂ©es, il parcourut l'Afrique australe, le bassin du ZambĂšse et la rĂ©gion des lacs. Plusieurs fois des rumeurs sinistres se rĂ©pandirent en Europe sur le sort de l'illustre explorateur. Des expĂ©ditions furent organisĂ©es pour aller Ă  sa recherche Cameron et Stanley y ont rencontrĂ© une cĂ©lĂ©- britĂ© mĂ©ritĂ©e. Un jour, la nouvelle de cette mort de Livingstone, si sou- vent annoncĂ©e, prĂ©cĂ©da de peu, cette fois, la dĂ©pouille de l'homme per- sĂ©vĂ©rant mort au champ de labeur on le ramenait en Angleterre pour y ĂȘtre inhumĂ© Ă  "Westminster, Ă  cĂŽtĂ© des rois, des hĂ©ros et des grands gĂ©nies de ce pays. C'est surtout en comparant une carte de l'Afrique telle qu'on la con- naissait il y aune quarantaine d'annĂ©es et les cartes actuelles, qu'on est frappĂ© de toute la prodigieuse Ă©tendue des travaux de Livingstone. Avant lui, on se contentait, au-dessous de l'Ă©quateur, de dessiner les cĂŽtes, le cours du fleuve Orange et, un peu au hasard, quelques montagnes parai- L'AFRIQUE. 689 lĂšles Ă  la mer. Du Congo, l'embouchure seule Ă©tait indiquĂ©e , un trait incertain figurait le ZambĂšse jusqu'Ă  deux ou trois cents kilomĂštres de la cĂŽte, un pointillĂ© aventureux donnait au lac Maravi un contour aussi vague que les renseignements recueillis Ă  son sujet, et le reste de l'intĂ©rieur Ă©tait d'une blancheur immaculĂ©e. Livingstone est venu, et avec une persĂ©vĂ©rance qui a peu Ă  peu attirĂ© l'attention et lui vaut au- jourd'hui l'admiration du monde entier, il a poursuivi l'exploration de cette rĂ©gion inconnue. C'est Ă  lui que revient l'honneur d'avoir dressĂ© la Fig. 240. — Rochers sur le TanganyLka. carte actuelle dont le cadre seul existait avant ses voyages. La dĂ©cou- verte du lac Ngami, des riviĂšres TiounguĂ© et TchobĂ©, le tracĂ© du cours du ZambĂšse, la dĂ©couverte de ce curieux lac Dilolo qui envoie des eaux Ă  l'ocĂ©an Indien par le ZambĂšse et Ă  l'ocĂ©an Atlantique par le Congo, le relevĂ© des cĂŽtes du Nyassa le Maravi des Portugais, du lac Pama- lombĂ©, la dĂ©couverte et le tracĂ© du cours du ChirĂ©, leur dĂ©versoir clans le ZambĂšse, la dĂ©couverte du lac Cliiroua, de l'extrĂ©mitĂ© mĂ©ridionale du lac Tanganyika, du lac Bangouelo, du lac MoĂ«ro, du lac Landj et du Loualaba, cette mystĂ©rieuse riviĂšre qui relie ces trois lacs et dans le bas- sin de laquelle il s'est obstinĂ© jusqu'Ă  la mort, le tracĂ© de la Rofouma, le relief des contrĂ©es que traversent ces cours d'eau, toute cette masse CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 87 G90 L'AFKIQUE. de faits gĂ©ographiques qui ont si complĂštement modifiĂ© les idĂ©es sur l'Afrique, c'est Ă  lui que nous en devons la rĂ©vĂ©lation 1 ». Le lieutenant Cameron avait vingt-neuf ans quand on songea, en 1873, Ă  lui confier la direction d'une expĂ©dition dont le bat Ă©tait d'aller au se- cours de Liviugstone et de l'aider Ă  achever son oeuvre. Il Ă©tait prĂ©parĂ© Ă  cette mission par un long sĂ©jour sur la cĂŽte africaine et par la connais- sance de la langue kissouahili, parlĂ©e dans l'intĂ©rieur partout oĂč le commerce arabe a pĂ©nĂ©trĂ©. Cameron Ă©tait lieutenant de vaisseau dans la marine anglaise. Il par- tit au mois de mars 1873 de Bagamoyo, et arriva en novembre 1875 au port de KatombĂ©la sur l'ocĂ©an Atlantique , aprĂšs avoir traversĂ© l'Afri- que dans sa largeur, presque en ligne droite, non sans courir, comme on le pense bien, de nombreux dangers, dans un voyage aussi extraordi- naire. Il usa toujours vis-Ă -vis des indigĂšnes d'une extrĂȘme douceur, sauf de rares exceptions oĂč il fut obligĂ© de leur faire entendre le son » de sa grosse carabine. Et plus d'une fois aussi il vit fuir devant lui des populations qui, vivant dans la crainte perpĂ©tuelle de tomber en escla- vage , redoutaient l'approche de sa caravane. M. Stanley, AmĂ©ricain, correspondant du New- York Herald, fut aussi envoyĂ© Ă  la recherche de Liviugstone par les propriĂ©taires de ce journal. Il rejoignit ce dernier, en octobre 1871, Ă  Oudjiji, sur la rive orientale du lac ĂŻanganyika. Il l'accompagna dans une exploration de la j>artie nord de ce lac, et rapporta en Europe des lettres et un Journal de celui qu'il avait Ă©tĂ© assez heureux de retrouver vivant, et plein encore de confiance clans l'achĂšvement de son Ɠuvre. L'explorateur amĂ©ricain rĂ©ussit, comme avant lui le lieutenant Came- ron, Ă  traverser l'Afrique Ă©quatoriale de l'est Ă  l'ouest. Parti du Zan- guebar, il arriva Ă  Saint- Paul de Loanda sur la cĂŽte occidentale d'Afri- que avec cent quinze hommes de son expĂ©dition. Il avait quittĂ© Nyan- gouĂ© le 5 novembre 1876 ; c'est le point d'oĂč Cameron se proposait de gagner le lac Sankora par le Loualaba, et de descendre ce grand cours d'eau supposĂ© en communication avec le Congo, jusqu'Ă  la mer. L'officier anglais avait dĂ» modifier cet itinĂ©raire et tourner brusque- 1 Paul Bourde. L'AFRIQUE. 691 ment au sud jusqu'Ă  KĂźsenga, pour marcher ensuite vers BenguĂ©la par une ligne Ă  peu prĂšs plein ouest. Stanley s'est davantage rapprochĂ© de l'Ă©quateur. AprĂšs avoir traversĂ© par terre l'Oureggou , ne pouvant plus avancer au milieu de forĂȘts impraticables , il passa le Loualaba et con- tinua son voyage le long de la rive gauche, Ă  travers l'Oukousou du nord- est. MalgrĂ© les continuelles attaques des indigĂšnes, l'expĂ©dition, pour- vue de dix-huit canots et d'un bateau d'exploration, rĂ©ussit Ă  descendre le fleuve semĂ© de grandes Ăźles, et aussi de cataractes, qui obligĂšrent nombre de fois les voyageurs Ă  prendre terre et Ă  traĂźner leurs embarca- tions le long des rives. De Borna, l'expĂ©dition gagna par vapeur Cabinda et, de lĂ , Saint- Paul de Loanda, fort Ă©prouvĂ©e par la dysenterie, le scorbut et ces ulcĂšres particuliers Ă  l'Afrique qui rongent les chairs des pieds jusqu'Ă  l'os , et dont Livingstone eut tant Ă  souffrir. Dans une autre partie encore inexplorĂ©e de l'Afrique centrale, dans la rĂ©gion arrosĂ©e par le Bahr-el-Gazal le riviĂšre des Gazelles et ses affuents, un savant naturaliste a fait un sĂ©jour de plusieurs annĂ©es 1868-1871. Schweinfurth fut sĂ©duit surtout par les richesses nouvelles qui s'offraient Ă  lui, se dĂ©sintĂ©ressant de tout ce qui n'avait pas un rap- port direct avec ses Ă©tudes. La relation de son voyage a cependant la plus grande valeur pour la connaissance d'un pays trĂšs sauvage, peuplĂ© d'anthropophages et voisin de la seule partie du continent africain de- meurĂ©e mystĂ©rieuse et figurant encore sur les cartes avec cette mention RĂ©gion inconnue ». Enfin, plus rĂ©cemment encore, un officier portugais, le major Serpa Pinto, a rĂ©ussi Ă  traverser l'Afrique de l'Atlantique Ă  l'ocĂ©an Indien, ou plus exactement de BenguĂ©la Ă  Durban. GrĂące Ă  sa relation, nous avons Ă©tĂ© renseignĂ©s sur bien des contrĂ©es inconnues jusqu'ici. Sur plu- sieurs points aussi ses explorations ont complĂ©tĂ© celles de Livingstone dans l'Afrique australe. Quant au voyageur, il semble avoir couru bien des dangers, s'ĂȘtre soustrait Ă  plus d'une embĂ»che. Il a triomphĂ© de l'astuce des souverains des pays traversĂ©s par lui, du mauvais vouloir de ses propres serviteurs, des maladies inĂ©vitables, et mĂȘme des bĂȘtes fĂ©- roces, — car le major n'a jamais hĂ©sitĂ© Ă  suivre un lion dans les hautes herbes. Une nuit, il en a tuĂ© deux, Ă  la faveur de la lumiĂšre de magnĂ©- 692 L'AFRIQUE. sium on peut bien le croire, puisqu'il a rapportĂ© les griffes de ces ani- maux... Le major Serpa Piuto s'est dounĂ© partout comme un envoyĂ© du roi de Portugal le MouĂ©nĂ© Pouto » , comme disent tous les peuples de l'Afrique mĂ©ridionale en vue d'Ă©tablir ou plutĂŽt de dĂ©velopper des rela- tions commerciales dĂ©jĂ  existantes, et ce, pour le plus grand profit des Lusiades, ses compatriotes. Il y aurait plus que de l'injustice Ă  passer sous silence les travaux, les efforts persĂ©vĂ©rants, les souffrances et souvent les succĂšs, de plu- sieurs explorateurs qui ont pĂ©nĂ©trĂ© en Afrique par divers points. Sans remonter trop loin dans le passĂ© une foule de noms se prĂ©sentent Ă  notre souvenir, — ceux de Claperton, Ouduey, Lainy, du docteur Cowen, du lieutenant Denovan, du fils de Mungo-Park, du jeune et vaillant Yogel, du docteur Overweg et de Richardson, compagnons du docteur Bar th. Plus prĂšs de nous, nous devrions encore payer des dettes de recon- naissance Ă  Guillaume Lejean, qui a visitĂ© la haute Nubie, au marquis de CompiĂšgne, pour ses explorations du Gabon, du pays des Pahouins, au docteur Matteucci et Ă  M. Massari, son ami, pour leur voyage de la mer Rouge au golfe de GuinĂ©e ; Ă  M. Savorgnan de Brazza, qui a fait triompher la politique française et les intĂ©rĂȘts français dans cette rĂ©gion du Congo qui est l'une des clĂ©s de l'Afrique centrale. On sait que M. de Brazza a Ă©tĂ© mis par notre gouvernement Ă  la tĂȘte d'une expĂ©dition des- tinĂ©e Ă  donner toute sa valeur au traitĂ© signĂ© avec le roi Makoko. M. TrĂ©maux nous a montrĂ© le Soudan et l'esclavage ; M. GĂ©rhard Bohlfs est allĂ© Ă  l'oasis de Koufara et aux Montagnes Noires ; le docteur Nachtigal a dĂ©crit la rĂ©gion qui s'Ă©tend de la Tripolitaine au pays des Gaberis et au delĂ , par l'OuadaĂŻ. M. Ch. de Rouvre a passĂ© huit annĂ©es 1870-78 sur les rives du ZaĂŻre, oĂč il a entretenu des relations suivies avec les indigĂšnes et il nous a fait connaĂźtre les ressources commerciales de la GuinĂ©e mĂ©ridionale. Baldwin, l'infatigable chasseur, Baines le naturaliste, ont augmentĂ© la somme de nos connaissances sur l'Afrique australe ; Georges Ebers sur la Nubie, Victor Largeau sur le pays de Rirha, Ouargla et Gha- damĂšs, le lieutenant Mage sur le Soudan occidental, Alfred Marche L'AFRIQUE. 693 Fig. 250. — Nubien. sur le SĂ©nĂ©gal et l'OgĂŽouĂ©, M. Lambert et le docteur Bayol sur le Fouta Djalon, le commandant Gallieni sur le haut Niger. Ce jeune of- 694 L'AFRIQUE. ficier de notre infanterie de marine a reçu du gouverneur du SĂ©nĂ©gal la mission de pĂ©nĂ©trer dans la vallĂ©e du haut Niger par le massif mon- tagneux compris entre ce grand cours d'eau et le SĂ©nĂ©gal 1880-1881. Ajoutons que M. Gr. RĂ©voil a entrepris une exploration du pays des Sorualis, voisin de la mer Rouge. Nous oublions d'autres voyageurs, et d'autres rĂ©sultats acquis. Combien ont payĂ© de leur vie leur dĂ©vouement Ă  la science et Ă  la civilisation! le baron de Decken et ses compagnons, massacrĂ©s chez les Somalis en 1866; C. Anderson, mort en 1867 dans le pays d'Ovampo; Ernest Linant de Bellefonds, mort victime d'une trahison sur le haut Nil Blanc en 1875, etc., et plus prĂšs de nous Maes, Crespel, Wau- tier, Deleu, Popelin, Debaize, Madoni, Fraccaroli, Gressi, Piaggia, le Dr Smith, Keith Johnston, Elton, Stahl, Phipson Wybrandt, Pin- kerton, Hildebrandt, Le Saint, Bonnat... Combien aussi de missionnaires , Ă  qui sont dues tant de prĂ©cieuses communications, n'ont pas Ă©tĂ© moissonnĂ©s par les fiĂšvres entre la cĂŽte de Zanzibar et les lacs intĂ©rieurs, ou sur le littoral de l'Atlantique! L'Afrique a le don puissant d'exciter notre curiositĂ©, mais c'est une terre meurtriĂšre. IV. L'Afrique Ă©quatoriale. — Les lacs. — Les grands fleuves. — Le Nil. — Le SĂ©nĂ©gal. Le Ni- ger. — ‱ Le Congo. — Le ZambĂšse. — Montagnes. — Les savanes. — Les dĂ©serts. — Les ri- vages, etc. Mais quelle est donc cette rĂ©gion des lacs, naguĂšre encore si mys- tĂ©rieuse et qui, tout d'un coup, a surgi comme un nouveau monde, et a pris une si grande place dans les spĂ©culations des savants, des hommes d'État, des philanthropes, des missionnaires et mĂȘme des commerçants? La partie Ă©quatoriale de l'Afrique, clans la rĂ©gion de ses grands lacs d'oĂč sort le Nil, a une hauteur moyenne de 1,000 mĂštres au-dessus du niveau de la mer. Cette portion du glohe, composĂ©e principalement de roches granitiques, n'a jamais Ă©tĂ© submergĂ©e, ni bouleversĂ©e par des volcans, et semble n'avoir subi aucune modification dans son Ă©tat pri- mitif. Les campagnes sont, pendant une longue saison, arrosĂ©es par des pluies qui, dans une zone de six degrĂ©s dont l'Ă©quateur occupe le centre, tombent depuis fĂ©vrier jusqu'Ă  la fin de novembre; mais ces pluies sont surtout abondantes du mois d'avril au mois d'aoĂ»t. Elles re- nouvellent les approvisionnements des lacs et, s'Ă©chappant en divers cours d'eau, elles vont au loin fertiliser les terres. Le climat de la rĂ©gion des lacs est assez tempĂ©rĂ©. Les ardeurs du soleil y sont rafraĂźchies par les brises qui soufflent de l'est. Les pluies qui tombent Ă  torrents, char ~>ur, vers le soir, pendant la longue saison dont nous venons de achĂšvent de rendre la tempĂ©rature fort supportable ; mais faute t. suffisante exploitation du sol, l'air est trĂšs insalubre. Les lacs Ă©quatoriaux sont de Cu. erses grandeurs; pour la plupart ils s'Ă©tendent du nord au sud aux pieds de montagnes qui courent C96 L'AFRIQUE. parallĂšlement Ă  la cĂŽte de l'ocĂ©an Indien. Les dĂ©nombrer, les grouper ne peut donner qu'une trĂšs imparfaite idĂ©e de leurs positions. Essayons nĂ©anmoins. En remontant du sud au nord, il y a d'abord, — sans comp- ter le Chiroua, — le lac Nyassa, dĂ©couvert par Livingstone en 1859. Il est assez isolĂ© et se trouve le plus rapprochĂ© de la mer, Ă  la hauteur des Ăźles Comores. Le Nyassa est trĂšs profond. A une courte distance de ses rives une ligne de plus de 90 mĂštres ne touche pas. Un grand uombre de riviĂšres se jettent dans ce lac ; mais Ă  l'extrĂ©mitĂ© nord il en est une qui en sort. Des montagnes riveraines, hautes de 3,000 Ă  3,500 mĂštres, serrent la nappe d'eau de trĂšs prĂšs. Au nord-ouest du Nyassa, un groupe trĂšs remarquable de lacs com- muniquent entre eux ; ils vont perdre leurs eaux dans la rĂ©gion encore inconnue de l'Afrique centrale, peut-ĂȘtre en donnant naissance au fleuve ZaĂŻre ou CoĂ»go ; ce sont les lacs Bangoueolo, MoĂ«ro, Kamolondo, Lincoln on Moura?, enfin un lac innommĂ©, semĂ© d'Ăźles, et d'oĂč s'Ă©chappe le fleuve dont nous parlons. Un deuxiĂšme groupe est formĂ© du lac Tanganyika, que Burton et Speke virent en 1858, du lac Hikouaou LĂ©opold, duN'yanzadu KaragouĂ©, auquel ce dernier explorateur, — Speke, — imposa le nom de Victoria N'yanza, et du MVoutan que dĂ©couvrit sir Samuel Baker, en 1864. Il est plus connu sous le nom d'Albert N'yanza. La reconnaissance du lac Victoria ne se fit pas d'ua seul coup, et pendant plusieurs annĂ©es nous avons vu trois lacs de noms diffĂ©rents figurer sur les cartes dans le tracĂ© de la plus large de ces nappes d'eau placĂ©es sous l'Ă©quateur. Nous nĂ©gligeons avec intention quelques lacs secondaires, le lac Baringo, le lac Mauyara, etc.; enfin le lac Ngami dans l'Afrique australe. Le lac Kassali , vu de loin par Cameron, est couvert de vĂ©gĂ©taux sur lesquels les indigĂšnes, Ă  l'aide de troncs d'arbres et de terre, Ă©tablissent des Ăźles flottantes qui supportent des cultures et peuvent, au grĂ© des habitants, voyager d'un rivage Ă  l'autre. A l'Ă©poque des tempĂȘtes Ă©quinoxiales, les gros temps sont terribles sur tous ces lacs. De hautes vagues y donnent le mal de mer, — aux mariniers du Nil. Parfois, sur une longue Ă©tendue, leur surface est cou- verte de roseaux ; ailleurs des masses flottantes de vĂ©gĂ©taux ambatch ou herminiera colorent leurs eaux d'une teinte rougeĂątre par la dĂ©- L'AFRIQUE. 697 composition de leur Ă©corce, et sont assez volumineuses pour entraver la navigation. Le Tanganyika, le plus remarquable de tous ces lacs, a prĂšs de 700 kilomĂštres de long et ime largeur moyenne de 40 kilomĂštres. Cameron a relevĂ© l'embouchure de quatre-vingt-seize riviĂšres qui s'y jettent. Les bords de ce lac ont un caractĂšre uniforme ce sont des montagnes coupĂ©es de vallĂ©es qui descendent vers le rivage. Aux montagnes, couvertes d'immenses forĂȘts d'un vert sombre, corres- pondent des falaises rouges qui s'avancent en promontoire dans l'eau ; aux vallĂ©es, des baies qui s'arrondissent dans l'intĂ©rieur des terres. Fig. 251. — Un radeau. Il n'y a pas en Afrique de pays plus fertile que les pays riverains de ce lac. Sir Samuel Baker a trouvĂ© l'Albert N'yanza encombrĂ© de ces bancs flottants de roseaux dont nous venons de parler. Ils empĂȘchaient les canots d'aborder. Ces bancs paraissaient s'ĂȘtre formĂ©s du dĂ©tritus d'une vĂ©gĂ©tation aquatique, dans laquelle le roseau papyrus a pris racine. L'Ă©paisseur de la masse flottante est d'environ trois pieds, et si ferme, que l'on peut marcher dessus sans courir d'autre risque que d'enfoncer jusqu'Ă  la cheville dans la vase. Sous ces radeaux de vĂ©gĂ©tation, l'eau est extrĂȘmement profonde , et le rivage se trouve ainsi protĂ©gĂ© sans interruption par cette jetĂ©e d'une formation si bizarre. Un jour, l'ex- plorateur vit une terrible rafale et le soulĂšvement de l'eau en dĂ©tacher CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 88 698 L'AFRIQUE. de grands morceaux, et le vent agissant sur les roseaux comme sur des voiles, .poussa de cĂŽtĂ© et d'autre sur le lac des Ăźles flottantes de quelques acres d'Ă©tendue. Maintenant, pour mĂ©moire seulement, mentionnons le lac Tchad, trĂšs au nord, en plein Soudan nous en parlerons plus loin. Si les lacs sont, pour ainsi dire, cantonnĂ©s dans la rĂ©gion sud orien- tale, — sauf le lac Tchad qui occupe une position centrale en Afrique, il n'en est pas de mĂȘme des fleuves. Ils se dĂ©versent dans trois mers. C'est le Nil, fleuve immense dont les embouchures sont sur la MĂ©diterranĂ©e; ce sont, sur le versant de l'Atlantique, le SĂ©nĂ©gal et la Gambie, qui descendent des monts de Kong ; le Niger, qui se jette dans le golfe de GuinĂ©e par de nombreuses bouches qui forment un delta aussi considĂ©rable que celui du Nil ; c'est encore, sur le mĂȘme versant, l'OgĂŽouĂ©, qui atteint l'Atlantique au golfe de Biafra, le ZaĂŻre ou Congo, — sur lequel nous reviendrons, — le Coanza, qui franchit par une sĂ©rie de cascades les derniers gradins des plateaux de l'intĂ©rieur, avant d'arriver Ă  la cĂŽte; le fleuve Orange, qui roule sur les plateaux de l'Afrique australe ses eaux presque taries avant de parvenir Ă  l'OcĂ©an. Enfin le versant de l'ocĂ©an Indien est arrosĂ© par deux cours d'eau importants le Limpopo et le ZambĂšse, qui descendent des plateaux intĂ©rieurs. De tous les grands fleuves qui sillonnent le globe, le Nil est celui qui, de tout temps, a le plus vivement occupĂ©, et l'on pourrait mĂȘme dire passionnĂ© les esprits. C'est le seul cours d'eau considĂ©rable que l'antiquitĂ© ait pu connaĂźtre, au moins en partie, d'une façon exacte. Le Gange, l'Indus, le fabuleux Hydaspe », dont parle Horace, ne s'offraient Ă  l'Ă©tude des anciens qu'Ă  travers les tĂ©nĂšbres d'une incer- titude que les expĂ©ditions de SĂ©sostris et d'Alexandre n'avaient pu entiĂšrement dissiper. L'Egypte, visitĂ©e de bonne heure par HĂ©rodote, conquise par Alexandre, devenue grecque avec les PtolĂ©mĂ©es et romaine avec Auguste, Ă©tait ouverte aux peuples de l'Occident. Les grands systĂšmes d'eaux de l'Inde et ceux de la Chine et de l'AmĂ©rique sont tous ocĂ©aniques ; seul, le Nil, aprĂšs un cours, qui est peut-ĂȘtre le plus long de tous, — plus long que celui des Amazones et que celui L'AFRIQUE. 699 du Mississipi, — se jette dans une mer intĂ©rieure, Ă  cĂŽtĂ© de ces colonies dont la civilisation grecque avait parsemĂ© le littoral de F Asie-Mineure et toute la mer EgĂ©e. Ces sept embouchures, formant un double delta, cette fĂ©conditĂ© exceptionnelle dont il dotait la basse Egypte, comme s'il voulait se venger d'avoir si longtemps arrosĂ© des dĂ©serts, cette crue pĂ©riodique, tantĂŽt bienfaisante, tantĂŽt, comme aujourd'hui, dĂ©vastatrice, ce mystĂšre mĂȘme qui dĂ©robait son origine, tout le recommandait Ă  l'attention. Les explorateurs de notre temps ont fait faire au problĂšme des sour- ces du Nil le plus grand pas vers sa solution. L'hypothĂšse de l'existence d'une rĂ©union de lacs sur le vaste plateau de l'Afrique Ă©quatoriale, Ă©mise, dĂšs 1852, par sir Rod. Murchisson, le cĂ©lĂšbre gĂ©ologue anglais, fortifiĂ©e par les dĂ©couvertes successives de Liviugstone, de Speke, de Baker et de Stanley, est aujourd'hui devenue une donnĂ©e scientifique exacte. Il ne reste plus Ă  dĂ©terminer que le point de dĂ©part extrĂȘme du cours d'eau, — riviĂšre on ruisseau, — qui vient du plus loin apporter son tribut, bien modeste peut-ĂȘtre, Ă  l'un des puissants rĂ©servoirs qui ali- mentent largement le Nil. C'est encore une notion incertaine, mais qui n'a vĂ©ritablement qu'un intĂ©rĂȘt secondaire et en quelque sorte pure- ment gĂ©ographique. Il est certain qu'en Ă©tudiant le cours du fleuve qui vient rĂ©pandre la vie dans les sables brĂ»lĂ©s de la Nubie et de la basse Egypte, sous un ciel oĂč il ne pleut point, et en remarquant combien sont peu nom- breux ses affluents, et combien sont puissantes ses inondations pĂ©rio- diques, aux mois de juillet et d'aoĂ»t Ă©poque de l'annĂ©e oĂč partout les chaleurs font baisser les eaux fluviales, on ne pouvait guĂšre s'arrĂȘter Ă  la supposition de commencements modestes pour le Nil, — comme pour tant de fleuves; — l'on ne pouvait penser qu'il sort, mince filet d'eau, du creux d'un rocher. Il ne faut, en effet, rien moins que plu- sieurs grands rĂ©servoirs recueillant les eaux tombĂ©es sur la surface dĂ©vastes bassins, Ă  l'Ă©poque des abondantes pluies Ă©quatoriales, pour remplir largement, dĂšs sa naissance, le lit d'un fleuve si imposant. Ces pluies lui apportent chaque annĂ©e une immense quantitĂ© d'eau qui Ă©lĂšve son niveau. Le fleuve commence Ă  monter dans les premiers 700 L'AFKIQUE. jours de juillet, atteint son rnaximun de hauteur vers la fin de septembre et baisse ensuite graduellement jusqu'au milieu de mai de l'annĂ©e sui- vante. Le Nil Ă©lĂšve continuellement son lit par ses dĂ©pĂŽts successifs de limon ; on a calculĂ© que cet exhaussement est de un mĂštre en neuf siĂš- cles; cette Ă©lĂ©vation est plus considĂ©rable en dehors du lit du fleuve, dans les plaines oĂč l'eau dĂ©borde ou est amenĂ©e artificiellement. Fig. 252. — Chutes de Eipou, prĂšs du lac Victoria. A mesure que l'on approche de l'Ă©quateur en remontant le Nil, la vĂ©gĂ©tation se dĂ©veloppe de plus eu plus. Jusqu'Ă  Gondokoro, la navi- gation sur le fleuve ne laisse apercevoir que des marĂ©cages sans fin, s'Ă©tendant Ă  perte de vue, habitĂ©s par les hippopotames et infestĂ©s de moustiques. Le fleuve, dont les eaux sont grises, charrie des herbes, des roseaux, des troncs d'arbres, sur lesquels sont perchĂ©es des cigognes et des grues. Mais, aprĂšs avoir dĂ©passĂ© Gondokoro, l'aspect du pays se modifie sensiblement. BientĂŽt on trouve des campagnes magnifiques, L'AFRIQUE. 701 oĂč. les plaines gazonnĂ©es alternent avec les bois, et rappellent, en les Ă©crasant de leur supĂ©rioritĂ©, les crĂ©ations des jardiniers paysagistes. Le pays de MĂ©di offre dans son entier l'image d'un vĂ©ritable parc na- turel. Le vert des prairies y est piquĂ© de bouquets de tamarins gigan- tesques au feuillage sombre. Fig- 253. — Crocodile la nuit. L'Ounyoro se prĂ©sente ensuite avec ses vastes plaines, basses et ma- rĂ©cageuses, rendues impĂ©nĂ©trables par d'interminables forĂȘts de menus arbres, de broussailles et de hautes herbes. Quelques rares collines, d'une forme conique, ne suffisent pas Ă  rompre la monotonie des sites. Les bananes, les patates douces, le cĂ©same et le millet forment la mai- gre culture des terres. 702 L'AFRIQUE. Les habitants, Ă  l'unisson avec le pays, se couvrent d'une façon sor- dide de peaux de bĂȘtes, et se rĂ©unissent dans de misĂ©rables villages, aux huttes Ă©troites et malsaines. En fait de bĂ©tail, ils ne possĂšdent guĂšre que des chĂšvres, rarement des vaches. Mais, dans ces latitudes, les extrĂȘm es se touchent. Au cƓur mĂȘme de l'Ounyoro, Ă  Eondogani, sur les bords du Nil, les plus riantes perspectives s'offrent Ă  la vue. Le fleuve coule largement entre deux rives verdoyantes, distantes Tune de l'autre de 600 Ă  700 mĂštres. Du milieu de son lit, s'Ă©lĂšvent des Ăźlots habitĂ©s par les pĂȘcheurs, ou des rĂ©cifs sur lesquels s'abat- tent hirondelles de mer, floricans et pintades, et oĂč les crocodiles se chauffent au soleil, tandis que les hippopotames bruissent Ă  travers les roseaux. Au delĂ  des berges , errent de nombreux troupeaux d'antilopes. Le Soga, qui est une province de l'Ounyoro, semble appartenir aux bĂȘtes sauvages. Les Ă©lĂ©phants s'y promĂšnent par bandes. Les jardins de ba- naniers y sont remplis d"hippopotames et les jungles d'antilopes. Les lions s'y montrent frĂ©quemment et sont d'une trĂšs grande fĂ©rocitĂ©. Il y a des rĂ©gions d'une fertilitĂ© exceptionnelle, aux environs des chutes de Kipon, situĂ©es non loin du point oĂč une branche du Nil sort du lac Victoria. Le Nil prĂ©sente un phĂ©nomĂšne curieux. Depuis le confluent de la Saubat jusqu'au lac Nau, le fleuve, qui a de 1,800 Ă  3,000 mĂštres de large, est littĂ©ralement couvert par la vĂ©gĂ©tation. Un arbuste, qae les Arabes appellent ambatch et dont le bois est plus lĂ©ger que le liĂšge, Ă©met ses racines dans l'eau; le vent les arrache de la rive et les jette dans le courant. Quand un obstacle les arrĂȘte, elles s'entassent ; des papyrus et d'autres plantes se mĂȘlent Ă  l'ambatch, et bientĂŽt le Nil coule sous un parquet de verdure. — Nous avons vu quelque chose de semblable dans les grands lacs. Le Nil Blanc, qui est un des affluents les plus considĂ©rables du grand fleuve africain, est par lui-mĂȘme si puissant, si large, qu'Ă  1,000 milles de la mer il ressemble Ă  un lac. Tout ce qu'on y voit y en est rapport avec ses proportions gigantesques. L'hippopotame dresse sa tĂȘte Ă  la surface des eaux et se roule dans les courants qui aboutissent au fleuve. D'Ă©normes crocodiles se montrent, la gueule bĂ©ante, sur le rivage ; des L'AFRIQUE. 703 troupeaux d'Ă©lĂ©phants jouent dans les pĂątura- ges ; entre les hauts pal- miers marchent fiĂšre- ment la girafe ; des ser- pents, gros comme des troncs d'arbres, reposent dans les marais, et des monticules de fourmis, de dix pieds de hauteur, s'Ă©lĂšvent au milieu des joncs. Dans les vastes et Ă©paisses broussailles obstruant les rives, les lions affamĂ©s rugissent, et les Noirs apparaissent au loin brandissant leurs lances. A l'endroit oĂč le Ml Blanc se joint avec le Bahr-el-Gazal Fleuve des Gazelles, affluent occidental du Nil, leurs eaux rĂ©unies forment ce lac Nau, que nous venons de nommer, sans l'avoir comptĂ© toutefois parmi les lacs africains c'est Ă  proprement parler un dĂ©bordement permanent des deux fleuves. Cette nappe d'eau a une lieue de circonfĂ©rence ; elle entoure une Ăźle couverte d'une vĂ©gĂ©tation toute tropicale. La ligne blanchĂątre du fleuve Blanc se dessine distinctement dans cette eau Fig. 254. Chef Bambarra en costume de guerre. Haut SĂ©nĂ©gal. 704 L'AFRIQUE. calme, d'une limpiditĂ© si parfaite qu'on peut voir les poissons nager parmi les plantes aquatiques qui tapissent le fond du lac. Ce vaste miroir reflĂ©tant le bleu du ciel n'est troublĂ© Ă  sa surface que par les Ă©bats des bippopotames. Passons au versant de l'Atlantique. Le SĂ©nĂ©gal est le fleuve le plus important de notre Ă©tablissement colonial sur la cĂŽte occidentale d'Afrique. Ce fleuve s'avance vers la mer aprĂšs avoir traversĂ© de rares collines et un pays plat. A la saison des pluies, qui commence vers le 1er juin, le fleuve inonde la partie basse du pays. Quand les eaux se retirent, elles laissent de larges espaces inondĂ©s qui ne peuvent sĂ©cher que par l'Ă©vaporation. A ce moment pullulent les moustiques. Pendant la saison sĂšche le fleuve coule entre des berges qui deviennent de plus en plus Ă©levĂ©es Ă  mesure qu'on le remonte c'est Ă  cette Ă©poque que les hirondelles d'Europe viennent chercher un refuge au SĂ©nĂ©gal ; elles creusent les berges du fleuve pour y Ă©tablir leurs nids. Le SĂ©nĂ©gal, comme la plupart des fleuves de la cĂŽte d'Afrique, se jette Ă  la mer par une embouchure qui est obs- truĂ©e par une barre de sables mobiles, et rendue impraticable durant les basses eaux. Le Niger ou Dhioli-Ba, est le second fleuve de l'Afrique. Dans un par- cours navigable de plus de 3,000 kilomĂštres, il reçoit prĂšs des trois quarts des innombrables affluents alimentĂ©s par les pluies pĂ©riodiques qui se produisent Ă  Ă©poques fixes dans le Soudan, comme dans toutes les rĂ©gions de la zone Ă©quatoriale ; le restant de ces eaux se rĂ©unit Ă  l'est dans une mer intĂ©rieure, sans issue connue le lac Tchad. Malheu- reusement la rĂ©gion infĂ©rieure des bouches de ce puissant cours d'eau est d'une insalubritĂ© proverbiale de nombreux marĂ©cages tour Ă  tour submergĂ©s par les eaux douces et les eaux de la mer y produisent des Ă©manations pestilentielles. A l'embouchure de ces fleuves africains du versant de l'Atlantique se produisent, avec plus ou moins d'intensitĂ©, des raz de marĂ©e d'une durĂ©e de plusieurs jours. La houle se jette sur la cĂŽte en vagues rapides de plus en plus hautes et qui, blanches d'Ă©cume et grondant Gomme un tonnerre lointain , courent les unes sur les autres et tourbillonnent en bouillonnant sous un ciel de plomb, au milieu de la brume des em- L'AFKIQUE. 705 bruns. Ces vagues finissent par former une sorte de muraille liquide qui s'effondre avec un Ă©norme fracas, produisant sur le rivage une com- motion qui se fait sentir au loin. Un cours d'eau qui a aussi une importance considĂ©rable, moins par son volume que par le rĂŽle qu'il est appelĂ© Ă  jouer, comme voie de communication, c'est l'OgĂŽouĂ©, qui est presque Ă  la ligne de partage des deux GuinĂ©es. On connaĂźt les expĂ©ditions successives du marquis de CompiĂšgne accompagnĂ© de M. Marche , l'expĂ©dition allemande du doc- teur Lenz et surtout celle de MM. Savorgnan de Brazza et Alfred Marcbe. M. de Brazza a menĂ© Ă  si bonne fin sa premiĂšre expĂ©dition qu'il a obtenu l'appui du gouvernement français pour en entreprendre une seconde beaucoup plus importante. Nous allons en parler. Le Congo ou ZaĂŻre est le fleuve-roi de la cĂŽte occidentale d'Afrique, — bien qu'il n'arrive qu'en troisiĂšme ligne parmi les fleuves de ce continent. Son embouchure est immense elle a plus de 11,000 mĂštres. Cameron compare cette embouchure Ă  celle de l'Amazone et du Yang- Tse-Kiang pour la majestĂ©, la rapiditĂ© du courant et le volume. Le Congo est le seul fleuve de la cĂŽte occidentale d'Afrique qui n'ait point de barre Ă  son entrĂ©e. Il dĂ©bouche dans l'OcĂ©an avec une telle impĂ©tuositĂ© qu'Ă  dix lieues au lai'ge la mer est encore colorĂ©e par ses eaux, dont le volume est si considĂ©rable qu'elles adoucissent les eaux de l'Atlantique. Le Loualaba, ce cours d'eau du centre de l'Afrique qu'on n'a pas encore pu suivre jusqu'Ă  son embouchure, n'est autre chose, selon toute apparence, que le Congo ou ZaĂŻre sous un troisiĂšme nom. Coupant la large ceinture de montagnes situĂ©es entre le grand plateau central et le littoral, il descend par une trentaine de chutes et de rapides furieux jusqu'au grand fleuve qui se trouve entre les cataractes de Yellala et la mer. Le Loualaba est semĂ© d'Ăźles et malheureusement aussi de ca- taractes infranchissables qui obligĂšrent maintes fois Stanley et ses compagnons Ă  descendre sur la rive et Ă  traĂźner leurs embarcations sur le sol. Le grand Loualaba varie dans sa largeur entre quatre et seize kilo- mĂštres, lia Ă©tĂ© mesurĂ© par Cameron au dernier point reconnu par Living- stone en 1871 NyaugouĂ©. Ce fleuve avait dans cet endroit 932 mĂštres, CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 89 706 L'AFRIQUE. d'un courant trĂšs rapide. Le lieutenant Cameron a calculĂ© qu'Ă  l'Ă©tiage, le dĂ©bit du Loualaba Ă©tait de 126,000 pieds cubes par seconde, c'est-Ă - dire que ce cours d'eau avait un dĂ©bit Ă©gal Ă  plus d'une fois et demie celui du Gange en temps de crue et Ă  trois fois celui du Nil Ă  Gondokoro. Lorsqu'on pĂ©nĂštre dans le Congo par son embouchure , les rives ap- paraissent bordĂ©es d'Ăźles couvertes de palĂ©tuviers aux racines Ă©normes enchevĂȘtrĂ©es de lianes, au travers desquelles serpentent un grand nom- lire de petits bras. Au milieu de ce delta s'ouvre la voie navigable; Ă  trente mille de l'embouchure le fleuve change d'aspect. A partir de lĂ  se succĂšdent de vastes Ăźles couvertes d'herbes hautes et serrĂ©es, pĂąturage ordinaire des hippopotames et qui ne montrent que de rares bouquets d'arbres. Ces Ăźles, formĂ©es de terrains d'alluvion, se dĂ©tachent parfois au moment des hautes eaux par morceaux de 1,000 mĂštres et plus qui descendent le cours du fleuve et s'en vont, flottant avec les vĂ©gĂ©taux et les animaux qu'elles nourrissent, se dĂ©sagrĂ©ger en pleine mer. Enfin on aperçoit derriĂšre de vĂ©ritables murailles de vĂ©gĂ©tation, quel- ques hauteurs, les premiĂšres ; au loin les sommets dĂ©nudĂ©s des monta- gnes apparaissent lĂ©gĂšrement teintĂ©s de bleu. Puis, sur la rive droite, la montagne se rapproche, nue, plaquĂ©e d'Ă©normes blocs Ă©tincelants de mica. L'estuaire du Congo prend fin et le paysage change encore d'aspect ; les Ăźles deviennent montueuses. BientĂŽt tous les bras du fleuve se rĂ©unissent en un seul, large de 1,800 mĂštres et qui coule entre de hautes montagnes descendant sur les rives par des plans trĂšs inclinĂ©s. Le fleuve, dit M. Charles de Rouvre, gronde comme un gi- gantesque torrent au milieu de passes Ă©troites bordĂ©es d'une opulente vĂ©gĂ©tation ; les immenses murailles qui le resserrent s'entr'ouvrent par places pour laisser apercevoir de riants vallons. Le paysage est d'un as- pect Ă  la fois pittoresque et grandiose. » Tel est le Congo jusqu'aux cataractes ou plutĂŽt jusqu'aux rapides de Yellala. On sait ce qui a Ă©tĂ© tentĂ© sur l'initiative de M. de Brazza pour faire prĂ©valoir l'influence française dans les vallĂ©es de l'Alima et de la Niari, ainsi que pour assurer le libre parcours des voies de l'OgĂŽouĂ© et de l'Alima. Notre chambre des dĂ©putĂ©s a votĂ© en 1 882 un crĂ©dit de 1,275,000 francs pour subventionner la mission de M. de Brazza et lui permettre d'Ă©tablir huit stations principales reliĂ©es par douze postes, et devant former les L'AFRIQUE. 707 Ă©tapes d'une double route vers le grand fleuve africain, — du Gabon, par l'OgĂŽouĂ© et l'Alima, et de la mer par le Quillion et la vallĂ©e de la Niari, — ces deux routes aboutissant au point oĂč le Congo cesse d'ĂȘtre navigable lorsqu'on remonte son cours. De son cĂŽtĂ©, Stanley, repris soudain du dĂ©sir de retourner en Afrique, et soutenu par l'Association internationale africaine, a dĂ©ployĂ© une Fig. 255. — Sur les rives du Cougo. activitĂ© capable d'exercer une grande influence sur la contrĂ©e que tra- verse le Congo. Et bientĂŽt plusieurs baleiniĂšres Ă  vapeur ont pu faire sur ce fleuve un service quasi rĂ©gulier entre Isanghila et Manyanga. Les petits steamers remontant le fleuve africain Ă  partir du Stanley- Pool, qui est la partie oĂč il devient navigable, pouvaient sans obstacle sĂ©rieux pĂ©nĂ©trer jusqu'au cƓur du continent noir. L'Association internationale a fondĂ© plusieurs stations au delĂ  du Stanley-Pool. Pour tenir tĂȘte, au besoin, aux indigĂšnes, le cĂ©lĂšbre explorateur amĂ©ricain a cru prudent de faire venir de Zanzibar deux ou trois cents liommes bien armĂ©s ; les i 708 L'AFRIQUE. cadres de cette petite troupe ont Ă©tĂ© formĂ©s des survivants des expĂ©di- tions prĂ©cĂ©dentes et de quelques compagnons de Livingstone, de Speke et de Grant. Il se fait un grand commerce sur cette partie du littoral africain et un certain nombre de factoreries françaises Ă©chelonnĂ©es sur la rive gauche y reprĂ©sentent des intĂ©rĂȘts sĂ©rieux. Sur le versant de l'ocĂ©an Indien, le ZambĂšse prĂ©sente l'apparence d'un magnifique cours d'eau, de plus de 1,600 mĂštres de largeur; mais il est si peu profond, que pendant plusieurs mois de l'annĂ©e, la na- vigation n'est permise qu'Ă  des canots d'un faible tirant d'eau. A son embouchure, la cĂŽte, couverte de palĂ©tuviers, a un aspect lugubre; une barre formidable, sur laquelle vient se briser un violent ressac, ne per- met pas de considĂ©rer le ZambĂšse comme une grande voie commerciale. En remontant le fleuve et pendant les cent premiers milles qu'il par- court, le pays a un aspect des plus monotones. Sur l'une et l'autre rives s'Ă©tend une plaine couverte d'herbes gigantesques, sans une colline, presque sans arbres. Le sol ne commence Ă  s'accidenter qu'au mont Morumbala ; alors la vĂ©gĂ©tation prend quelque force ; les arbres se mul- tiplient ; les deux rives se bordent de collines. A la plaine nue et mono- tone a succĂ©dĂ© un terrain couvert d'une vĂ©gĂ©tation luxuriante. Le sable blanc des rives fait place Ă  un terrain volcanique; de gros blocs de ba- salte forment les bords du fleuve. Dans cette rĂ©gion le fleuve commence Ă  ĂȘtre pointillĂ© d'Ăźlots couverts d'une magnifique verdure. La cataracte de Gogna, en aval des rapides de la Sitoumba, interrompt la navigation du ZambĂšse. Il faut alors transporter par terre les canots jusqu'Ă  un endroit nommĂ© le Mamoungo. Il y a encore d'autres cata- ractes et d'autres rapides, jusqu'Ă  la grande chute de Mosi-oa-Tounia la FumĂ©e qui monte, nommĂ©e par Livingstone cascade de Victoria ; une auge, une crevasse gigantesque, » selon l'expression du major Pinto. C'est un abĂźme profond par lequel le ZambĂšse se prĂ©cipite sur une largeur de plus de mĂštres. D'aprĂšs la relation du major Serpa Pinto, le ZambĂšse se jette dans la crevasse qu'il rencontre par trois cataractes grandioses le courant est divisĂ© en trois bras par deux grandes Ăźles. La chute perpendiculaire est de 80 mĂštres. L'une de ces Ăźles est couverte de la vĂ©gĂ©tation la plus riche. 710 L'AFRIQUE. La chute la plus petite est aussi la plus belle ou, Ă  dire vrai, elle est la seule qui soit belle, car pour tout le reste Mosi-oa- Tourna n'est qu'une sublime horreur. Ce gouffre Ă©norme, noir comme le basalte oĂč il est bĂ©ant, sombre Ă  cause de l'obscuritĂ© du nuage qui l'enveloppe, s'il eĂ»t Ă©tĂ© connu aux temps bibliques, eĂ»t Ă©tĂ© pris pour l'image des rĂ©gions infernales, pour un enfer d'eaux et de tĂ©nĂšbres plus redoutable peut- ĂȘtre que celui de feu et de lumiĂšre... Parfois, quand l'Ɠil pĂ©nĂštre jus- qu'aux profondeurs , Ă  travers le brouillard Ă©ternel, il aperçoit une masse aux formes confuses, pareilles Ă  des ruines aussi vastes qu'effroyables. Ce sont des pics de rochers d'une hauteur Ă©norme, sur lesquels l'eau qui les fouette se convertit en une nuĂ©e d'Ă©cume 1. » Aux environs de cette chute le ZambĂšse est parsemĂ© d'Ăźles verdoyan- tes et fleuries. Les eaux transparentes prennent une teinte vert glauque ; çà et lĂ  des crocodiles, des hippopotames gigantesques Ă©mergent et re- plongent parmi les ondes rapides. Dans sa traversĂ©e du BarozĂ©, le fleuve, lors de la saison des pluies, inonde la plaine, qui a une Ă©tendue de plus de 50 kilomĂštres. Des colonies portugaises occupent le cours infĂ©rieur du ZambĂšse. Elles se composent gĂ©nĂ©ralement de sangs-mĂȘlĂ©s, gens d'une santĂ© lan- guissante, d'un aspect grossier et plus ou moins engagĂ©s dans le trafic des esclaves. En fait de montagnes, — nous ne nous occupons, qu'on ne l'oublie pas, que de la partie inexplorĂ©e ou peu connue de l'Afrique, — les cimes nei- geuses du Kilima-Ndjaro et du mont KĂ©nia, situĂ©es dans le pays des MasaĂŻs, non loin de l'ocĂ©an Indien, marquent les points les plus Ă©levĂ©s dans l'Ă©tat actuel de nos connaissances sur ce continent. Ces gĂ©ants africains, suivant le baron de Decken, n'auraient pas moins de 20, 000 pieds de hauteur. Le ciel Ă©tant clair, dit-il, je pus voir en plein la montagne de neige ; elle semblait -un mur gigantesque, sur le sommet duquel j'aperçus deux tours immenses. Ces deux tours, placĂ©es Ă  peu de distance l'une de l'autre, donnent Ă  la montagne un aspect imposant, qui me jeta en de profondes rĂȘveries. Le Kilima-Ndjaro a un sommet en 1 Comment j'ai traversĂ© V Afrique. L'AFRIQUE. 711 forme de dĂŽme, mais le KĂ©nia a la forme d'un toit gigantesque, sur le- quel ces deux tours se dressent comme deux Ă©normes piliers qui, sans aucun doute, sont vus par les habitants des contrĂ©es avoisinant les lati- tudes septentrionales de l'Ă©quateur. » Fig. 257. — Guerrier Touareg. Il existe, en Afrique, beaucoup de vastes Ă©tendues abandonnĂ©es Ă  la solitude. Ce continent a ses savanes comme le Nouveau Monde. Couver- tes pendant la saison pluvieuse d'herbes serrĂ©es et dures qui atteignent jusqu'Ă  six ou sept pieds de hauteur, elles prĂ©sentent de loin l'aspect de verdoyants pĂąturages parsemĂ©s de place eu place de points noirs formĂ©s par des arbres, — le plus souvent quelques baobabs isolĂ©s, ou des bou- 712 L'AFRIQUE. quets de palmiers. Elles sont alors peuplĂ©es de myriades d'animaux de toute sorte. A la saison sĂšche, les herbes jaunissent et les Noirs les bmlent, afin de repousser les fauves, les serpents, et de dĂ©truire les in- sectes malfaisants. Quant aux vĂ©ritables dĂ©serfs, — les dĂ©serts de sable, — ils occupent une large place sur le sol africain. Les principaux sont le Sahara au nord et au centre, le dĂ©sert de Libye Ă  l'orient, et le dĂ©sert de Kalahari dans la rĂ©gion australe. Le Sahara et le Kalahari n'ont pas toujours Ă©tĂ© les dĂ©serts qu'on voit aujourd'hui. Ces contrĂ©es Ă©taient autrefois sillonnĂ©es de fleuves et de ri- viĂšres et parsemĂ©es de lacs, dont il ne reste plus que les lits et les co- quilles ou les ossements des animaux qui vivaient dans leurs eaux. D'anciennes traditions permettent de croire qu'Ă  une Ă©poque impos- sible Ă  prĂ©ciser, le Sahara tout entier Ă©tait recouvert par une expansion des eaux de la MĂ©diterranĂ©e. Ces eaux, contournant la chaĂźne de l'Atlas, seraient allĂ©es se joindre, d'un cĂŽtĂ© Ă  celles de l'ocĂ©an Atlantique, de l'autre peut-ĂȘtre Ă  celles de la mer Rouge, avant que le Nil, Ă©tendant ses alluvions, eĂ»t donnĂ© naissance au sol de la basse Egypte. De cette maniĂšre, la partie la plus septentrionale de l'Afrique proprement dite, ou patrie des Noirs, se serait trouvĂ©e reculĂ©e bien loin vers l'Ă©quateur. Dans le Sahara se trouvent encore de vastes dĂ©pressions naturelles, sortes de lacs salĂ©s aujourd'hui dessĂ©chĂ©s que l'on appelle chotts ». M. le commandant Eoudaire a poursuivi pendant plusieurs annĂ©es le projet d'utiliser les chotts de Rharsa et de Melrin, situĂ©s au sud de l'AlgĂ©rie et de la Tunisie, pour crĂ©er une mer intĂ©rieure capable de mĂ©tamorphoser d'une maniĂšre trĂšs avantageuse les conditions gĂ©nĂ©rales de cette partie du grand dĂ©sert africain. Le golfe de GabĂšs mettrait les chotts en communication avec la mer au moyen d'un canal. Ce projet, repoussĂ© une premiĂšre fois par une commission nommĂ©e par le gouvernement français, est devenu l'objet de nouvelles Ă©tudes, et l'Aca- dĂ©mie des sciences, sur l'initiative de M. de Lesseps, l'a pris en considĂ©- ration. Deux populations distinctes habitent le Sahara; l'une sĂ©dentaire, ayant des centres fixes dans des villes ou villages ksour aux endroits L'AFRIQUE. 713 oĂč l'eau permanente a permis de s'Ă©tablir; l'autre nomade, vivant sous la tente c'est la race des Arabes conquĂ©rants. Quand on pĂ©nĂštre dans le Sahara par l'AlgĂ©rie, on traverse d'abord des montagnes. Au fond des ravins l'eau court au milieu des lauriers- roses... Les pentes de toutes les hauteurs sont entiĂšrement couvertes Fig. 258. — Capitale des Eeni-Mzab. de broussailles et leurs sommets couronnĂ©s de chĂȘnes-verts, de chĂȘnes- liĂ©ges et d'arbres rĂ©sineux. Il y a mĂȘme lĂ  des forĂȘts de palmiers ; puis aprĂšs les montagnes , ce ne sont pins que des rangĂ©es de collines encore broussailleuses ou couronnĂ©es de quelques pins rabougris ; accidentel- lement on y voit deux ou trois figuiers et autant de lentisques. BientĂŽt, sous l'Ă©clat du jour, sous l'action du soleil sur une terre ar- dente, apparaĂźt le vĂ©ritable dĂ©sert, annoncĂ© par les brises chaudes. Les CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 90 714 L'AFRIQUE. dattiers ondoient avec des rayons d'or dans leurs palmes ; des plaines succĂšdent Ă  des plaines, comme dit M. Fromentin ; plaines unies, marĂ©- cageuses, plaines sablonneuses, terrains secs et pierreux, plaines onclu- leuses hĂ©rissĂ©es d'alfa, quelques palmiers çà et lĂ , et dans le sud-est, enfin, une plaine indĂ©finiment plate le Pays de la soif » ; pays tout de terre et de pierres vives, battu par les vents arides et brĂ»lĂ© jusqu'aux entrailles, une terre marneuse, polie comme de la terre Ă  poterie, pres- que luisante Ă  l'Ɠil tant elle est nue, et qui semble, tant elle est sĂšche, avoir subi l'action du feu, sans la moindre trace de culture, sans une herbe , sans un chardon ; — des collines horizontales qu'on dirait aplaties avec la main ou dĂ©coupĂ©es par une fantaisie Ă©trange en dentelures aiguĂ«s, formant crochet, comme des cornes tranchantes ou des fers de faux; au centre, d'Ă©troites vallĂ©es, aussi propres, aussi nues qu'une aire Ă  battre le grain ; quelquefois, un morne bizarre, encore plus dĂ©solĂ©, si c'est pos- sible, avec un bloc informe posĂ© sans adhĂ©rence au sommet, comme un aĂ©rolithe tombĂ© lĂ  sur un amas de silex en fusion ; — et tout cela d'un bout Ă  l'autre, aussi loin que la vue peut s'Ă©tendre, ni rouge, ni tout Ă  fait jaune, ni bistrĂ©, mais exactement couleur de peau de lion 1. » Il faut qu'on nous permette de citer une magnifique page d'un ÉtĂ© dans le Sahara. C'est un passage pour lequel M. Fromentin, l'habile pein- tre, a mieux fait peut-ĂȘtre avec des mots qu'il n'eĂ»t pu le faire avec sa riche palette. Il y a une heure au milieu du jour oĂč le dĂ©sert se transforme en une plaine obscure. Le soleil, suspendu Ă  son centre, l'inscrit dans son cercle de lumiĂšre dont les rayons Ă©gaux le frappent en plein, dans tous les sens et partout Ă  la fois. Ce n'est plus ni de la clartĂ© ni de l'ombre ; la perspective indiquĂ©e par des couleurs fuyantes cesse Ă  peu prĂšs de mesurer les distances; tout se couvre d'un ton brun, prolongĂ© sans rayure, sans mĂ©lange ; ce sont quinze ou vingt lieues d'un pays uniforme et plat comme un plancher. Il semble que le plus petit objet saillant y devrait appa- raĂźtre ; pourtant on n'y dĂ©couvre rien ; mĂȘme on ne saurait plus dire oĂč il y a du sable, de la terre ou des parties pierreuses, et l'immobilitĂ© de cette mer solide devient alors plus frappante que jamais. On se demande 1 Fromentiu. L'AFRIQUE. 715 en le voyant commencer Ă  ses pieds, puis s'Ă©tendre, s'enfoncer vers le sud, vers l'est, vers l'ouest, sans route tracĂ©e, sans inflexion, quel peut ĂȘtre ce pays silencieux, revĂȘtu d'un ton douteux qui semble la couleur du vide; d'oĂč personne ne vient, oĂč personne ne s'en va et qui se termine par une raie si droite et si nette sur le ciel ; — l'ignorĂąt-on, on sent qu'il Fig. 250. — Camp des Chambaas, prĂšs de Ouargla. ne finit pas lĂ  et que ce n'est, pour ainsi dire, que l'entrĂ©e de la haute mer. Alors, ajoute Ă  toutes ces rĂȘveries le prestige des noms qu'on a vus sur la carte, des lieux qu'on sait ĂȘtre lĂ -bas, dans telle ou telle direction, Ă  cinq, Ă  dix, Ă  vingt, Ă  cinquante journĂ©es de marche, les uns connus, les autres seulement indiquĂ©s , puis d'autres de plus en plus obscurs — d'abord, droit en plein sud, les Beni-Mzab, avec leur confĂ©dĂ©ration de sept villes, dont trois sont, dit-on, aussi grandes qu'Alger, qui comp- 716 L'AFRIQUE. tent leurs palmiers par cent mille et nous apportent leurs dattes, les meilleures du monde ; puis les Chamba, colporteurs et marchands, voi- sins duTouat; — puisleTouat, immense archipel saharien, fertile, arrosĂ©, populeux , qui confine aux Touaregs ; puis les Touaregs, qui remplissent vaguement ce grand pays de dimension inconnue dont on a fixĂ© seule- ment les extrĂ©mitĂ©s, Tembektou et Ghadmes, Timimoun et le Haoussa; puis le pays nĂšgre dont on n'entrevoit que le bord ; deux ou trois noms de villes, avec une capitale comme pour un royaume; des lacs, des forĂȘts, une grande mer Ă  gauche, peut-ĂȘtre de grands fleuves, des intempĂ©ries extraordinaires sous l'Ă©quateur, des produits bizarres, des animaux monstrueux, des moutons Ă  poils, des Ă©lĂ©phants, et puis quoi? plus rien de distinct, des distances qu'on ignore, une incertitude, uue Ă©nigme... » Le dĂ©sert de Libye a quelques-uns des aspects du Sahara. Dans les parties montagneuses, de nombreux dĂ©filĂ©s coupent dans toutes les di- rections les hauteurs rocheuses qui ressemblent Ă  une agglomĂ©ration de formes coniques ; les gorges qui les sĂ©parent prĂ©sentent un fond nivelĂ© par les sables que les vents y accumulent. Des carcasses d'animaux et souvent des corps humains indiquent les routes suivies par les caravanes. Ces tristes restes dessĂ©chĂ©s dans une atmosphĂšre embrasĂ©e sont momi- fiĂ©s, durcis, et non dĂ©composĂ©s. Le dĂ©sert de Kalahari occupe une trĂšs grande place dans l'Afrique australe. Voici ce qu'en dit le major Serpa Pinto, qui en a traversĂ© une partie La nature semble s'ĂȘtre complu Ă  y mettre en juxtaposition les Ă©lĂ©ments les plus discordants. Ici, la forĂȘt luxuriante longe la plaine sĂšche et stĂ©rile; le sable mobile et dĂ©liĂ© est continuĂ© par l'argile dure; la sĂ©cheresse succĂšde Ă  l'eau. Ce dĂ©sert ressemble tour Ă  tour au Sahara, aux pampas d'AmĂ©rique et aux steppes de Russie ; il est Ă©levĂ© d'un mil- lier de mĂštres au-dessus du niveau de l'OcĂ©an ; mais le phĂ©nomĂšne le plus extraordinaire qu'il prĂ©sente est encore le grand Macaricari ou le grand Ă©tang salĂ©, bassin Ă©norme dont la longueur varie entre 220 et 280 kilomĂštres. » Au nord du Kalahari et entre ce dĂ©sert et le ZambĂšse, se trouve le dĂ©- sert de moindre Ă©tendue qui figure sur les cartes de Serpa Pinto sous le nom de Baines. Ces deux dĂ©serts sont sĂ©parĂ©s par de vastes marais sa- L'AFRIQUE. 717 ]Ă©s. Le dĂ©sert de Baines est occupĂ© en partie par une forĂȘt d'une puis- sante vĂ©gĂ©tation, avec un sous-bois Ă©pineux qui obstrue tout passage. En gĂ©nĂ©ral , nous apprend le major Pinto, la flore de la rĂ©gion est lĂ©gu- Fig. 260. — Paysage dans l'Ăźle de San ThomĂ©. mineuse et compte une immense variĂ©tĂ© d'acacias. Les fleurs des tons les plus divers et les plus brillants , des formes les plus dĂ©licates et les plus charmantes, en mĂȘme temps qu'elles rĂ©jouissent la vue, remplissent l'air de leurs parfums dĂ©licieux. » 718 L'AFRIQUE. Dans ces dĂ©serts de l'Afrique australe, des espĂšces d'ouragans, ou trombes minuscules d'un rayon de douze Ă  quinze pieds, sĂ©vissent sur leur passage avec une violence incroyable. La trombe fait sa trouĂ©e et enlĂšve Ă  une hauteur prodigieuse un tourbillon de feuilles, d'arbustes arrachĂ©s et de grosses branches fracassĂ©es... Les rivages africains ont leur puissante originalitĂ©. Nous avons mon- trĂ© les embouchures des grands fleuves, les barres qui les ferment pour la plupart, les raz de marĂ©e ou le ressac. Le Cap, pays anglais actuellement, demeurant par ce fait en dehors de notre sujet, nous ne donnerons qu'un rapide souvenir aux dangers de ;la navigation vers ces parages lointains, daus ces temps d'une science maritime incertaine qui exi- geaient la hardiesse d'un Vasco de Gama pour doubler le cap des Tem- pĂȘtes, devenu depuis le cap de Bonne-EspĂ©rance le gĂ©ant Adamastor, conçu par le gĂ©nie poĂ©tique du CamoĂ«ns, serait du reste une rĂ©miniscence littĂ©raire quelque peu dĂ©placĂ©e ici. Le ce fantĂŽme Ă©pouvantable » sorti menaçant du sein des flots avec sa taille gigantesque, ses membres Ă©galant en grandeur l'Ă©norme colosse de Bhodes, son front chargĂ© d'o- rages, sa barbe hĂ©rissĂ©e, ses yeux Ă©tincelants , son regard horrible, sa chevelure Ă©paisse et limoneuse, » n'est plus qu'un Ă©pouvantail de poĂšme Ă©pique on va de Southampton Ă  Cape-Town eu quelques semaines bien puni celui qui n'arrive pas ! Quant aux Ăźles de l'Afrique, elles sont pour la plupart colonisĂ©es par des gouvernements europĂ©ens ; nous n'en dirons rien, si ce n'est que la nature de leur sol participe directement de la rĂ©gion continentale voi- sine. Ainsi l'archipel de GuinĂ©e, — l'Ăźle du Prince, San ThomĂ©, Fer- nando-Po, etc., — placĂ© sous l'Ă©quateur, se fait remarquer par la vĂ©gĂ©- tation vigoureuse de l'Afrique Ă©quatoriale, et le pic de Clarence, couvert de forĂȘts, s'Ă©lĂšve en face du pic grandiose de Camarones, situĂ© non loin du rivage africain ; San ThomĂ© prĂ©sente une ligne de montagnes pro- fnsĂ©ment boisĂ©es ayant pour tĂȘte un pic qui se dresse Ă  plus de 2,000 mĂštres. Y. Paysages. — Le Eordofan. — L'oasis de Kagmar. — Les galeries » du pays des jSTiams-Niams. — La rĂ©gion des lacs. — Les jungles. — Les plateaux intĂ©rieurs. — L'OuadaĂŻ. — Le lac Tchad. — Ses sources. — Ce qu'on appelle une ce Ă©ponge ». — Le pays des diamants. Le trait le plus saillant de la structure gĂ©nĂ©rale de l'Afrique, c'est l'imperfection de sa charpente montagneuse, assez connue actuellement pour qu'on en puisse saisir les caractĂšres gĂ©nĂ©raux. Le versant de la MĂ©diterranĂ©e s'Ă©tend par l'Egypte, la Nubie et la moitiĂ© de la rĂ©gion des lacs, un peu au delĂ  de l'Ă©quateur. Ses bassins principaux sont ceux du Nil et des affluents de ce grand fleuve. Ce ver- sant recueille les eaux du massif montagneux de l'Abyssinie, et, sous le nom de dĂ©sert de Libye, enlĂšve au Sahara sa partie orientale. Les plateaux de l'Afrique intĂ©rieure sont sans Ă©coulements connus. Ils commencent derriĂšre l'Atlas, englohent Ă  peu prĂšs tout le Sahara, et du Soudan une partie dont le lac Tchad forme le centre. Le versant de l'Atlantique prend une portion du Sahara, le long dn littoral , du Maroc au SĂ©nĂ©gal ; il possĂšde les vastes bassins du Niger et du Congo, avec les monts de Kong, et s'Ă©tend par consĂ©quent dans les deux GuinĂ©es ainsi que fort avant dans la rĂ©gion Ă©quatoriale on sait que les eaux de quelques-uns des grands lacs dĂ©couverts de notre temps ne vont pas au Nil , mais se dirigent vers l'occident. Ce mĂȘme versant de l'Atlantique s'Ă©tend encore, au sud, jusqu'aux pays des Cafres et des Hottentots. Il trouve sa limite au Cap mĂȘme. Enfin, le versant de l'ocĂ©an Indien occupe lapins grande partie de l'Afrique australe avec le ZambĂšse et le Limpopo pour principaux fleu- ves et les Draken pour montagnes. Ce versant s'empare de la cĂŽte jus- qu'au golfe d'Aden. Ajoutons pour mĂ©moire le versant de la mer Bouge, qui n'est autre chose que l'Ă©troite pente orientale des monts arabiques. 720 L'AFRIQUE. Nous avocs dĂ©jĂ  indiquĂ© eu quelques traits les caractĂšres des paysa- ges que prĂ©sentent les deux rives du Nil et des grands cours d'eau qui viennent s'y dĂ©verser. Les sables au milieu desquels coule le puissant fleuve ne sont souvent que des dĂ©serts ; ils en ont la morne et dĂ©solante Ă©tendne, le sol brĂ»lant, les plantes rares; l'eau y est plus rare encore; les vents cbauds les balayent ; enfin, — heureusement cette fois comme dans les dĂ©serts, — on y rencontre ces Ăźlots de verdure et de fraĂźcheur, ces oasis qui sont un refuge, un port de salut pour les caravanes extĂ©- nuĂ©es. Le Kordofau prĂ©sente un vaste plateau oĂč l'on ne trouve nulle part de cours d'eau permanent les khor » sont des torrents qui coulent pen- dant la saison des pluies et tarissent Ă  la saison sĂšche. Mais l'eau dort presque partout Ă  peu de profondeur sous la surface du sol, et les arbres de l'Afrique tropicale ne manquent pas absolument dans le Kordofan. Mais au milieu du Kordofan, Kagmar est une oasis charmante dans un dĂ©sert aride. L'Ɠil fatiguĂ© des sables brĂ»lants se repose avec dĂ©lice sur ce qui semble ĂȘtre une grande prairie serpentante , d'un vert d'Ă©me- raude. Pendant quatre mois, cette prairie est un lac ; le reste de l'annĂ©e, l'eau se trouve trĂšs prĂšs de la surface du sol, et l'on y puise dans plus de deux cents trous qui se trouvent au bord de la zone de verdure. Tous les jours on y voit des milliers de chameaux qu'on mĂšne s'y abreuver de tous les dĂ©serts environnants. AussitĂŽt que quelques centaines de ces animaux s'en vont, ils sont immĂ©diatement remplacĂ©s par d'autres, et continuellement on a sous les yeux le spectacle de quatre Ă  cinq mille chameaux couvrant un espace de vingt Ă  trente arpents de terrain. De grands troupeaux de bƓufs, de chĂšvres et de moutons viennent aussi s'abreuver Ă  ces puits prĂ©cieux. Sur les bords de la tache de verdure, on voit une douzaine de palmiers dattiers et autant de palmiers doĂ»m, ainsi que quelques figuiers. Ici les habitants, qui sont des QuabĂąbichs, culti- vent le doukhu, le blĂ©, le coton, la bĂąm'ia. — Des myriades d'oiseaux, d'espĂšces variĂ©es, parmi lesquels prĂ©domine la cigogne noire et blanche, contribuent Ă  animer le paysage 1. » En pĂ©nĂ©trant sous l'Ă©quateur, la verdure et l'eau sont de moins en 1 Le colonel Colston. L'AFRIQUE. 721 moins rares. L'un des affluents de droite du Nil, — la droite du voya- geur qui remonte le cours du fleuve, — nous conduit presque au cƓur de l'Afrique, au pays des anthropophages Niams-Niams et Mombouttous. Le pays des Niams-Niams, bien que situĂ© Ă  2,000 pieds au-dessus du niveau de la mer, est rempli de sources vives crĂ©ant des riviĂšres sans nombre profondĂ©ment encaissĂ©es. La vĂ©gĂ©tation est incroyable- ment puissante. A la flore de l'Ă©quateur s'ajoutent les plantes qui, au nord de cette contrĂ©e, sont brĂ»lĂ©es par la sĂ©cheresse. Pas une vallĂ©e, Fig. 261. — Village prĂšs le Gaudo. pas un ravin, dit Schweinfurth, oĂč ne dĂ©borde en tout temps le luxe des tropiques. » Les bandes de terre qui sĂ©parent les riviĂšres sont en- vahies par des taillis buissonnants ; les arbrisseaux y sont distribuĂ©s comme dans un parc, alternant avec des plantes Ă  grand feuillage. Au bord des cours d'eau croissent en lignes Ă©paisses des arbres Ă©nor- mes plus Ă©levĂ©s que tous ceux que le voyageur, se dirigeant vers les sour- ces du Nil, a pu voir jusqne-lĂ , — sans excepter les palmiers d'Egypte. — Ils abritent des arbrisseaux dont les cĂźmes s'Ă©chelonnent sous le feuillage. Vus du dehors, dit le voyageur citĂ© plus haut, ces bois res- semblent Ă  un mur de feuillage ; l'enceinte franchie, vous vous trouvez CONTRÉES MYSTÉRIEUSES. 91 722 L'AFRIQUE. dans une avenue, ou plutĂŽt dans un temple dont la colonnade soutient la triple voĂ»te. Les piliers de cette nef ont, en moyenne, cent pieds de hauteur; les plus bas arrivent Ă  soixante-dix. Des galeries » moins grandes s'ouvrent Ă  droite et Ă  gauche, et donnent accĂšs Ă  des bas cĂŽtĂ©s, remplis, comme l'avenue principale, des murmures harmonieux du feuillage. » Des arbres gĂ©ants forment la voĂ»te. Les palmiers, ces princes du monde vĂ©gĂ©tal, » n'ont de reprĂ©sentant ici que parmi les plantes infĂ©rieures. Il y a aussi les espĂšces Ă  grandes feuilles, les buissons Ă©pineux; partout des lianes s'Ă©laneant de branche en branche suspendent leurs festons et leurs girandoles. De tout cela rĂ©sulte un sous-bois qui se ramifie, se mĂȘle, s'enlace, et dont l'Ă©normitĂ© du feuillage rend plus Ă©paisse l'ombre verte de la galerie ». Enfin, prĂšs du sol , tous les vides sont remplis par un fourrĂ© souvent inextri- cable ; surtout par des jungles d'amomes et de costus d'une hauteur de quinze pieds et dont les tiges pressĂ©es et rigides vous arrĂȘtent, ou ne vous livrent passage que pour vous faire tomber dans le marais d'oĂč elles s'Ă©lĂšvent. Des fougĂšres merveilleuses, non pas arborescentes, mais ayant des feuilles qui parfois atteignent de douze Ă  quinze pieds de lon- gueur, et qui, par leur dĂ©licatesse, forment le plus ravissant contraste avec le feuillage massif des alentours, jettent sur les plantes basses le voile si variĂ© de leurs frondes... tandis qu'une autre fougĂšre, l'oreille d'Ă©lĂ©phant, attache ses nƓuds Ă  cinquante ou soixante pieds d'Ă©lĂ©va- tion, en compagnie de l'angrĂ©ca et des longues barbes grises de l'usnĂ©e. Les troncs d'arbres que ne surchargent pas les fougĂšres de diffĂ©rente espĂšce sont entourĂ©s, pour la plupart, des grappes de corail du cubĂšbe. Aussi loin qu'il puisse atteindre, l'oeil n'aperçoit que verdure. Les Ă©troits sentiers qui se dĂ©robent sous les fourrĂ©s, ou qui les tournent, sont composĂ©s de marches, formĂ©es par les racines nues et saillantes qui retiennent la terre spongieuse. Des troncs d'arbres couverts de mousse, et plus ou moins vermoulus vous arrĂȘtent Ă  chaque pas. Ce n'est plus la chaleur des steppes inondĂ©es de soleil, ni l'air des bouquets ombreux; c'est l'atmosphĂšre Ă©touffante d'une serre chaude pas plus de vingt-cinq Ă  trente degrĂ©s; mais une chaleur moite, saturĂ©e d'eau par l'exhalation du feuillage, et Ă  laquelle on est heureux d'Ă©chapper. Tout d'abord l'ami des jardins est ravi la disposition des groupes L'AFRIQUE. 723 n'est pas moins artistique que la vĂ©gĂ©tation est splendide ; mais les cris des oiseaux, l'activitĂ© exaspĂ©rante des insectes, la prodigieuse quantitĂ© de fourmis d'espĂšce minuscule, fourmis qui pleuvent de toutes les bran- ches, de toutes les feuilles sur l'envahisseur de leur domaine, gĂąte bientĂŽt votre extase. Et cependant, si l'on persĂ©vĂšre, la majestĂ© du lieu finit par dominer ; un calme solennel couvre tous les bruits ; Ă  peine si le murmure du feuillage pĂ©nĂštre dans l'ombre qui vous entoure. Des quantitĂ©s de papillons, d'un jaune brillant pour la plupart, animent le repos de cet ocĂ©an de verdure, et font oublier le manque de fleurs. » L'aspect du pays s'embellit encore lorsqu'on pĂ©nĂštre au sud-est chez les Mombouttous. A la vĂ©gĂ©tation du pays des Niams-Niams se mĂȘlent des bosquets de bananiers et de palmiers Ă©laĂŻs d'une beautĂ© sans pareille. Kevenons vers le cours du Nil, et entrons clans la rĂ©gion des lacs. Le Ganda ou l'Ouganda est situĂ© entre le lac Albert et le lac Victoria. Le pays est mollement ondulĂ©. Des montagnes s'y dressent couron- nĂ©es de la vĂ©gĂ©tation la plus variĂ©e. Les jardins sont cultivĂ©s avec soin. Des chemins larges et bien entretenus relient entre eux des villages dont les huttes sont d'une remarquable propretĂ©. Le Ganda est bornĂ© an sud par le lac Victoria, dont les rives offrent de grandes beautĂ©s de paysage. Dans le KaragouĂ©, qui contourne le lac Victoria Ă  l'occident, se dres- sent les montagnes de la Lune. Sur de hautes pentes couronnĂ©es de fourrĂ©s d'acacias naĂźt une Ă©paisse vĂ©gĂ©tation. L'opulente vallĂ©e d'Ou- zenga, entourĂ©e de collines tapissĂ©es d'herbages, et s'Ă©levant Ă  plus de trois cents mĂštres, y est plantĂ©e de grands et beaux arbres partout oĂč ne s'Ă©tend pas la culture du bananier. Les sources thermales de Mlagata sont vantĂ©es dans la rĂ©gion pour leurs propriĂ©tĂ©s curatives. Stanley a visitĂ© la gorge profonde et boisĂ©e oĂč sont ces sources, et oĂč croissent avec une variĂ©tĂ© surprenante toutes sortes d'arbres, de plantes, d'herbes et de broussailles. Les vĂ©gĂ©taux, serrĂ©s les uns contre les autres, s'y Ă©touffent faute d'espace. Des collines entiĂšres semblent n'ĂȘtre qu'une seule et immense plante aux feuillages divers. Au moment de l'arrivĂ©e de l'explorateur amĂ©ricain de nombreux malades faisaient leur cure Ă  ces sources. Tous, femmes et hommes, confondus ensemble, demeuraient couchĂ©s, Ă  moitiĂ© endormis, dans les mares d'eau chaude. 724 L'AFKIQUE. Un peu au sud du KaragouĂ© se trouvent les vallĂ©es du Soui, Ă  la vĂ©- gĂ©tation luxuriante. LĂ , se voit une sorte de palmier appelĂ©e pandana, des bananiers en grand nombre, de vastes plants d'indigo sauvage. Quel- ques montagnes rougeĂątres, aux sommets dĂ©nudĂ©s du haut en bas par de longues traĂźnĂ©es blanches, dominent le pays. Plus loin, vers l'est, du milieu des terres cultivĂ©es, s'Ă©lĂšvent des collines aux croupes rondes, en partie dĂ©frichĂ©es, en partie recouvertes de broussailles. On y distin- gue Ă  peine de petits villages Ă  huttes gazonnĂ©es, cachĂ©s au milieu de vastes plantations de bananiers. Le bĂ©tail abonde dans cette riche contrĂ©e. Les vallons de rOunyamouĂ©zi sont sĂ©parĂ©s l'un de l'autre par une suite d'Ă©minences granitiques qui s'Ă©lancent, avec des formes pittores- ques, en vastes dĂŽmes, en blocs puissants et bizarrement entassĂ©s. Il y a, dit Burton, peu de scĂšnes plus douces Ă  contempler qu'un paysage de l'OunyamouĂ©zi vu par une soirĂ©e de printemps. A mesure que le so- leil descend Ă  l'horizon, un calme d'un sĂ©rĂ©nitĂ© indescriptible se rĂ©pand sur la terre; pas une feuille ne s'agite, l'Ă©clat laiteux de l'atmosphĂšre embrasĂ©e disparaĂźt ; le jour qui s'Ă©loigne en rougissant couvre d'une teinte rose les derniers plans du tableau que le crĂ©puscule vient enflam- mer ; aux rayons de pourpre et d'or succĂšde le jaune, puis le vert tendre et le bleu cĂ©leste qui s'Ă©teint dans l'azur assombri. » Dans toute la partie orientale de ce pajrs, se rĂ©vĂšlent des preuves nom- breuses de l'action plutonienue ; elles s'Ă©tendent au nord jusqu'aux ri- ves du Tanganyika. Les roches lĂ©gĂšrement bombĂ©es qui surgissent du sol ont parfois quelques mĂštres de tour, d'autres fois des centaines de mĂštres. Elles forment des groupes, des allĂ©es... De ces roches, il y en a quelques-unes droites et minces plantĂ©es comme les quilles d'un jeu de gĂ©ant... CouronnĂ©es de cactus, zĂ©brĂ©es de noir par les pluies, envahies par les plantes grimpantes, ces masses granitiques donnent au paysage son originalitĂ©. La saison des pluies commence plus tĂŽt dans l'Afrique centrale que sur la cĂŽte du Zanguebar et de Mozambique. Elle dĂ©bute par des orages d'une violence extrĂȘme. Des Ă©clairs aveuglants s'entre-croisent pendant des heures, tandis que les roulements continus du tonnerre Ă©branlent toutes les parties du ciel Ă  la fois. Si Ă  la pluie doit se mĂȘler de la grĂȘle, L'AFRIQUE. 725 un grondement se fait entendre, l'air se refroidit brusquement, et des nuages d'un brun violet rĂ©pandeut une Ă©trange obscuritĂ©. Les vents se rĂ©pondent des quatre coins de l'horizon et l'orage se prĂ©cipite vers les courants infĂ©rieurs de l'atmosphĂšre. Le dĂ©sert qui sĂ©pare l'OunyamouĂ©zi de l'Ougogo a reçu des indigĂšnes le nom de plaine embrasĂ©e... actuellement on le traverse en une se- Fig. 262. — Caravane. maine. C'est un plateau brĂ»lant, s'Ă©tendant de l'est Ă  l'ouest, et dont la largeur est de plus de 200 kilomĂštres. Aux gommiers et aux mi- mosas se mĂȘlent le cactus, l'aloĂšs, l'euphorbe, une herbe rigide, que broutent les bestiaux quand elle est verte, et que brĂ»lent les caravanes quand elle est sĂšche, pour favoriser la pousse nouvelle... A l'Ă©poque des grandes chaleurs, les animaux que la soif fait beaucoup souffrir, tels que les Ă©lĂ©phants et les buffles, y meurent en grand nombre... Dans cette partie de l'Afrique, les routes, on le soupçonne bien, n'existent pas. Les plus frĂ©quentĂ©es, au rapport de Burton, ne sont que 72G L'AFRIQUE. des pistes de vingt ou trente centimĂštres de large et qui reverdissent et s'effacent pendant la saison des pluies. Au milieu de la plaine, le sentier se divise en quatre ou cinq lignes tortueuses; dans les jungles, il dispa- raĂźt sous une voĂ»te d'arbustes Ă©pineux; prĂšs des villages, il est fermĂ© par une haie d'euphorbe, ou un amas de fascines. Dans les espaces libres, ce sentier se traĂźne parmi les grandes herbes, traverse des marĂ©cages, des riviĂšres au lit vaseux oĂč l'on a de l'eau jusqu'aux aisselles. TantĂŽt il disparaĂźt au fond d'un ravin, ou s'arrĂȘte net en face de montagnes abruptes ; il se transforme alors en une Ă©chelle de racines et de quartiers de roche, interdite, on le comprend, aux bĂȘtes de somme. En venant de Zanzibar vers l'OunyamouĂ©zi, le chemin, dit Burton, perce des halliers, parcourt des forĂȘts, oĂč les fondriĂšres l'interrompent, et oĂč la plupart du temps on ne le reconnaĂźtrait plus sans les arbres Ă©corcĂ©s ou brĂ»lĂ©s qui en marquent les bords... Dans l'Ouvinza et prĂšs de l'Oudjiji, la piste cumule tous les inconvĂ©nients Ă  la fois; ruisseaux, ravins, halliers, grandes herbes, rochers Ă  pic, marais, crevasses et cail- loux. On ne sait laquelle choisir des voies transversales qui s'entre- croisent dans les endroits habitĂ©s ; mais oĂč elles n'existent pas, la jungle est impĂ©nĂ©trable, et le conseil donnĂ© au voyageur, de prĂ©fĂ©rer les lieux Ă©levĂ©s pour y camper le soir, devient une ironie dans cette partie de l'A- frique ; il lui serait plus facile de se creuser un terrier que de s'ouvrir un chemin dans ce rĂ©seau d'Ă©pines et de troncs d'arbres. » Sur la limite de cette contrĂ©e centrale est un vaste plateau ; c'est le pays des MasaĂŻs. Il s'y trouve çà et lĂ  quelques dĂ©pĂŽts salins et de pe- tits lacs dont les eaux sont saumĂątres. Il est terminĂ© Ă  l'occident par une chaĂźne de montagnes qui y dĂ©roule ses anneaux en face des monta- gnes de la Lune. La partie orientale de cette chaĂźne appartient au versant de l'ocĂ©an Indieu. Les monts KĂ©nia et Kilima-Ndjaro se dĂ©tachent par leur majes- tueuse hauteur de cette longue chaĂźne qui court parallĂšlement au littoral le plus proche. Entre le Kordofan et le Darfour se trouve la ligne de partage des eaux, celles du versant de la MĂ©diterrannĂ©e et celles des plateaux du centre de l'Afrique. De ces eaux les unes sont donc destinĂ©es Ă  grossir le Nil; les autres vont alimenter le lac Tchad. L'AFKIQUE. 727 Les plateaux intĂ©rieurs s'ouvrent Ă  nous. Le pays situĂ© Ă  l'est est d'a- bord mon tueux, l'eau n'y est pas trop rare, la vĂ©gĂ©tation y montre quelque vigueur. Nos derniĂšres informations sur cette contrĂ©e, nous les possĂ©- dons grĂące Ă  l'exploration du docteur Pellegrino Matteucci. Le voyageur italien a rĂ©ussi Ă  traverser l'Afrique, de la la mer Rouge au golfe de GuinĂ©e 1880-81. Disons, en passant, qu'en visitant le Darfour au len- Fig. 263 . — Un marchĂ©. demain de l'annexion de cet État par l'Egypte, il trouva la capitale El-Fascher et les principales villes tombant en ruines. Dans cette partie peu accessible du continent africain se trouve le petit royaume de Tama, situĂ© dans les montagnes les plus bautes de la rĂ©gion. Les cbameaux et les bƓufs de bonne race y abondent. Depuis le voyageur allemand Nachtigal, aucun EuropĂ©en n'avait pĂ©nĂ©- trĂ© dans l'OuadaĂŻ lorsque le docteur Matteucci obtint la permission de traverser ses campagnes fertiles mais dĂ©peuplĂ©es , et dont les villages, entourĂ©s dĂ©liantes palissades en osier, semblent abandonnĂ©s. Si l'on vient du nord, dans les derniĂšres oasis dominent les acacias Ă  728 L'AFRIQUE. Ă©pines , les dattiers et les hyphĂšnes. Ce dernier arbre , qui n'atteint pas une trĂšs grande hauteur, est remarquable par la façon dont se bifurquent rĂ©guliĂšrement le tronc et les branches. Son fruit, gros comme une pomme, a un noyau si dur que les riverains du Nil qui l'utilisent le dĂ©signent sous le nom d'ivoire vĂ©gĂ©tal. Mais la route est encore pĂ©nible par les grandes chaleurs. c3 3 > 2 ' SO O > 3 > >v> > 3 » >33 33 >3> 3 >3 3 > 3333> » > » > > ;> 3 » » 33B> >3> 3> 333 3 3 3 33 3 v » >3 3 o > > 33 33 >3 >3> >3 o v> > 3 >3 >3 7!3* >S> >3 >TJ*2> > 3 3 I 3> >3 > > » » 33 S>33> 3 3 »;» > 3 >r>33 3 3 ;3 > > » 2> > >3 j S >> , 3 3 >3 3> 7m >r> C 3 3 3 3 ijK* j 2>3 3 » 5 >7^>>> / g>f 333 33 3^ 3 ; > > 3 > 7, > > -> 33 337 >BlB>3 3 > 3 > 33 7>3/> » > > y? > > 33 33 > > > 3> . }3 ;> >\ >>3> > > 33 30g gag irs l> > >> } > 33 333 3> 3 v 3 > . > >^ 1> » 3 3> 5j 33 ' 3 >3 3 3 733 > 3 > 3 > ‱ !' 3 > > 3 3 > 3 >3 3 >3'> 3 > ‱ 3 ‱ » 3 3 > 3 > 3 3 ^3 - 3 > ^ 3 > > 3 3 >> > > ‱ ."T» » /-3 3> ĂŽ > 3 5 2> ,'>3>^3"> > SHÂŁ> » >> 33> 33? T> ^.. 3> 3> 2> 53 X> 3j 3 S >> ‱ 2> 3 X>.3>3J 3^- 33 > -\> 2>-r >. 3 3>> L»3X> >3 >3 m »>"-;3D/C3^ 3 33»35> -3^. 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Lesboules et les chocottes. Dans le centre du BrĂ©sil, Wes et Jess doivent choisir entre des vallĂ©es inondĂ©es ou des savanes arides, tout en Ă©vitant des guĂȘpes, des araignĂ©es, et des
Tout le monde connait cette Ă©mission de tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© qui met des participants Ă  nu », dans le sens direct, pendant toute l’émission. A part la nuditĂ© qui est Ă©vidente, cette Ă©mission, Adam and eve, a pour but d’aider les participants Ă  rencontrer le grand amour, sur une Ăźle paradisiaque. La France ne s’est pas encore prononcĂ©e lĂ -dessus choquant ? RĂ©aliste ? Ou tout Ă  fait naturel ? En tout cas, D8 n’a pas attendu d’avoir la rĂ©ponse pour diffuser quelques Ă©pisodes de l’émission sans floutage. Adam et Eve une version sans floutage pour l’Allemagne La chaine RTL HD a gravĂ© des mĂ©moires avec les bandes d’annonce de l’émission Adam et Eve ou plutĂŽt Adam sucht Eva. Les candidats sont entiĂšrement nus et sans aucun floutage. Afin d’attirer plus de public, la chaine n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  choisir une candidate Bimbo blonde Ă  forte poitrine pour inciter le public Ă  rester scotchĂ© devant leur tĂ©lĂ©vision. L’émission n’a pas Ă©tĂ© si mal accueillie par les allemands car apparemment l’audience a largement augmentĂ©. D’autres pays ont aussi surfĂ© sur la vague de la nouveautĂ© pour avoir plus de tĂ©lĂ©spectateurs comme en Hollande en Belgique en France* Pays-bas Espagne Adam recherche Eve trouver l amour » version Française InspirĂ© sur la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Adam et Eve, Adam recherche Eve » a Ă©tĂ© diffusĂ© la premiĂšre fois le 3 mars 2015 sur D8 ndlr cette chaine de la TNT a rĂ©cemment Ă©tĂ© renommĂ©e C8 . Cette Ă©mission a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par l’animatrice Caroline Ithurbide qui est aussi chroniqueuse aux cĂŽtĂ© d’Enora Malagre et de Cyril Hanouna dans l’emission Touche Pas Ă  Mon Poste TPMP. Voici comment l’histoire se passe un homme est abandonnĂ© sur une Ăźle dĂ©serte, ensuite deux femmes le rejoignent. Ainsi, ces deux femmes doivent concurrencer pour sĂ©duire l’homme le fruit dĂ©fendu en question afin de remporter l’émission. De son cĂŽtĂ©, l’homme doit apprendre Ă  connaitre les deux femmes dans le plus simple appareil pour en choisir une Ă  la fin de l’émission. Bien sĂ»r, il peut s’agir de l’inverse avec deux hommes et une femme. Le tout est de rĂ©sister Ă  la tentation! Il y a eu un petit souci Ă  la fin de la saison 1. En effet, certains tĂ©lĂ©spectateurs se sont plaintes au CSA Ă  propos de remarque des participants sur le physique. De plus la connotation sexuelle poussĂ©e de l’émission est assez mal vue. En dĂ©pit du floutage, les jeunes tĂ©lĂ©spectateurs sont interdits Ă  cette Ă©mission. On ne doit donc pas diffusĂ© l’émission avant 22 h et l’émission devra ĂȘtre interdite au moins de 12 ans. » Pourquoi regarder cette Ă©mission ? Dans d’autre pays, comme le Pays-Bas et l’Espagne, les parties gĂ©nitales sont montrĂ©es Ă  l’écran sans aucune modification. Mais dans le cas de la France, on ne voit uniquement que la poitrine des femmes. Ceci fait afin de ne pas choquer les tĂ©lĂ©spectateurs. Le floutage a permis de diffuser cette Ă©mission Ă  20h50. Cette diffusion a Ă©tĂ© une grande premiĂšre pour une chaine française. Raison pour laquelle, elle fait rapidement et tout le monde en avait parlĂ©. D’ailleurs sur l’émission de D8, dans Touche pas Ă  mon poste », les chroniqueurs se sont donnĂ©s Ă  cƓur joie de pouvoir critiquer l’émission. Si vous ĂȘtes dans de tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© comme Koh lanta et bien
 continuez Ă  regarder Koh lanta 🙂 Le sujet que vous venez de dĂ©couvrir parle de Adam et Eve D8 en France
Joele Timide Ă  Bichkek, Kirghizistan. Joe le Timide est ce petit ĂȘtre qui nous accompagne durant notre voyage! TrĂšs timide en premier lieu, il se montre finalement plutĂŽt rĂąleur et porte un regard assez critique sur Ă  peu prĂšs tout! A commencer par nous deux, le voyage, les pays traversĂ©s. Depuis NoĂ«l 2019, Joe a une petite amie
gerald watelet vie privĂ©e PubliĂ© le 4 juin 2022 PAUL PREDAULT signature. ORANGE bienveillant. Qui triomphera Ă  l'issue de cette. Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©; AnnĂ©e 2014; RĂ©sumĂ© de l'Episode 5 Les jardin des peines . Aucune diffusion prĂ©vue dans les 7 prochains jours. "Retour Ă  l'instinct primaire" sur RMC DĂ©couverte. Episode 1 Terreur en Tanzanie. Les boules et les chocottes. Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine . Synopsis . ODYSSEE 4 VOIX personnages. 2016. Comment s'en sortiront-ils ? Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a dĂ©cidĂ© de rĂ©unir les meilleurs survivalistes pour un nouveau dĂ©fi. Les boules et les chocottes version XL Film Complet Saison Streaming Français Gratuit Bluray 1080px, 720px, BrRip, DvdRip. J'achĂšte Format papier ou . Les boules et les chocottes Les boules et les chocottes Risques et remords Pour cette huitiĂšme saison, les survivalistes devront se dĂ©barrasser de leurs idĂ©es reçues en mĂȘme temps que de leurs. 2 avis Donner mon avis Diffusions Les boules et. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! BientĂŽt une adaptation frenchy ! Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. Saison 2. "Les boules et les . LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. Programme TV; Replay; Accueil ; Programme TV; Toutes les sĂ©ries; Les boules et les chocottes; Les boules et . MERCEDES complice. Abonnement. DurĂ©e 50 min. Rechercher. Injection de matiĂšres plastiques / Uncategorized / les boules et les chocottes. Informations . Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou . Abonnement. Les boules et les chocottes Les boules et les chocottes DĂ©butants et vĂ©tĂ©rans Deux survivalistes doivent survivre durant 21 jours sans eau ni nourriture ni vĂȘtements dans l'un des lieux les plus. Épisode 4. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ©poche. Rechercher le texte L'actualitĂ© MEZZO suave. Naked and Afraid, diffusĂ© depuis le 6 janvier sur la chaĂźne belge 100 % docu-rĂ©alitĂ© ABXplore la remplaçante de AB4, pousse encore le concept plus loin dans la nuditĂ©. Seuls et tout nus au QuĂ©bec, ou Les Boules et les Chocottes puis Retour Ă  l'instinct primaire en France Naked and Afraid est une Ă©mission de tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. NANA complice. La malĂ©diction de la jungle. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! Synopsis; Titre original Naked and Afraid XL; AnnĂ©e de production 2015; Pays Etats-Unis ; Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DurĂ©e 50 min. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Les boules et les chocottes version XL Programme TV Documentaires Les boules et les chocottes version XL Samedi 4 juin Ă  16h10 M'avertir des diffusions ! Retrouvez Ă©galement l'intĂ©gralitĂ© des saisons sur ï»żfilmamazon ! Je m'abonne. LES MYSTERES DE L'ECOSSE humour. LG doux. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Comme Allegri va beaucoup mieux les plumes continuent Ă  repousser et elle est en pleine forme on va pouvoir programmer le test pour la chlamydiose, que j'ai commandĂ© ma deuxiĂšme cage et que mes congĂ©s d'Ă©tĂ© approchent, je commence Ă  rechercher activement une deuxiĂšme calo via les sites de petites annonces d'Ă©leveurs et de particuliers vu que je n'ai pas trouvĂ© d'asso. Les boules et les chocottes version XL. QUICK . Discovery Channel lance, ce jeudi 17 octobre, Ă  21h35, Les boules et les . Regarder a travers Les boules et les chocottes version XL - Season 4 VOSTFR en streaming gratuitement. LUXEOL MINCEUR rassurant. Menu. Programme Divertissement & Jeux TV. DurĂ©e 50 min. 50 mn 2013. Lors d'un rebondissement inĂ©dit, deux autres anciens candidats rejoindront le groupe aprĂšs avoir rĂ©ussi leur propre dĂ©fi de 21 jours. Ce samedi Ă  la TV sur ABXPLORE, regardez Les boules et les chocottes version XL - Au milieu des lions. Les boules et les chocottes version XL . 2013. "Retour Ă  l'instinct primaire" sur RMC DĂ©couverte. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine nature pour une aventure hors du commun. 50min. 1 avis Donner mon avis Diffusion Les boules. LES BOULES ET LES CHOCOTTES .Discovery Channel humour. Les boules et les chocottes. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. 21h05 Les boules et les chocottes MisĂšre maya 55mn - Aventures. dans votre boĂźte mail. L'un d'entre eux tombe gravement malade. Connus pour leurs films et parodies dĂ©jantĂ©s, les hĂ©ros de "C'est la fin" seront bientĂŽt nus et effrayĂ©s dans "les boules et les chocottes" "Naked and afraid", l'Ă©mission de Discovery. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? Temps de lecture 1 minute. Synopsis . La survie en milieu hostile est devenue un outil de prĂ©vention, contre les affres du monde, notamment Ă  la tĂ©lĂ©vision. Naked and Afraid Les Boules et les Chocottes en France est une tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. About me . Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Saison 11. Saison 1. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. MISCO informatif. Programme TV. Les boules et les chocottes, version XL rassemble les meilleurs candidats des Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes de l'Ă©mission. Accueil Koh-Lanta Photos Koh-Lanta "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. MARVEL agressif. Programme Divertissement & Jeux TV. Combien d'entre eux pourront endurer cette 
 23h35 Crimes . Durant 40 jours et 40 nuits, 12 hommes et femmes devront faire face aux requins, aux serpents mortels, aux infatigables insectes et Ă  de fĂ©roces varans. Episode 1 L'homme face a l'Amazone. "Les boules et les . MATEL annonce/humour. PubliĂ© le 17 Janvier 2018 - 07h45 Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? 21 fĂ©vrier 2021; No Comments; Uncategorized; Voyance En Ligne Senegal, Meilleur Documentaire Sportif Netflix, Contestation Synonyme 6 Lettres, Production Ă©crite Sur Le Loup 5Ăšme AnnĂ©e Primaire, Amel Bent Jusqu'au Bout Mp3, Zoo Ă  Vendre Floride, Sciences Po Ecofi, Facebook . EntiĂšrement nus et en terrain hostile ! Depuis le 28 septembre, Les Boules et les Chocottes et Seul au Monde sont de retour en France sur Discovery Channel. 50 mn 2013. BientĂŽt une adaptation frenchy ! Rechercher Newsletter. Ils doivent cette fois survivre 40 jours da. Au QuĂ©bec, elle est diffusĂ©e depuis le 28 aoĂ»t 2014 sur ZtĂ©lĂ©. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. Les boules et les chocottes Guerre des sexes Une Ă©quipe d'hommes et une de femmes tentent de survivre dans le bush impitoyable de Vhembe, en Afrique du Sud. 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. Je m'abonne. Watch anytime, anywhere. Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. LES BOULES ET LES CHOCOTTES Voix off de la bande annonce par le comĂ©dien voix Thierry Legrand, Ă©mission diffusĂ©e sur Canalsat Vous pouvez
 TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DĂšs le dĂ©but de l'aventure, la chaleur et le manque d'eau font des ravages chez les survivants. 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. Navigation de l'article. À savoir deux candidats - un homme et une femme qui ne se connaissent ni d'Ève ni d'Adam - qui se retrouvent isolĂ©s durant vingt et un . Les tĂ©lĂ©spectateurs peuvent dĂ©couvrir ainsi une soirĂ©e Au Naturel . Tu peux donc donner ton opinion sur ce thĂšme, mais aussi sur d'autres sujets associĂ©s Ă  les, boule, chocottes, les boules, les boulets, les boules et les chocottes, les boules de geisha, les boulettes, les bouleaux, les boulevards de colomiers, les bouledogues français, les boules de bichat et les bouleries jump. Enjoy exclusive Amazon Originals as well as popular movies and TV shows. Il s'agit d'une Ă©mission de survie ultime. Retour Ă  l'instinct primaire. LOGEMENT FRANCAIS narratif. Les boules et les chocottes Saison 2 - Épisode 5 Les jardin des peines. BientĂŽt une version française ! 40 jours, 40 nuits et 4 Ă©quipes composĂ©es des meilleurs candidats des boules et des chocottes. FĂ©v 21. les boules et les chocottes. BientĂŽt une version française ! Escapade Ă  BornĂ©o. 21h05 Sanditon 1h15 - SĂ©rie dramatique. traduction avoir autoritĂ© pour dans le dictionnaire Français - Français de Reverso, voir aussi 'avoir Ă ',avoir beau',avoir besoin',avoir Ă  disposition', conjugaison, expressions idiomatiques J'achĂšte Format papier ou . les boules et les chocottes. Synopsis; Titre original Naked and Afraid XL; AnnĂ©e de production 2015; Pays Etats-Unis ; Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DurĂ©e 50 min. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! Les boules et les chocottes version XL. Les boules et les chocottes MisĂšre maya 55mn - Aventures Un homme et une femme font Ă©quipe pour relever le dĂ©fi de survivre trois semaines dans la mystĂ©rieuse forĂȘt tropicale maya, oĂč il . MC DONALD complice. Les boules et les chocottes Programme TV Divertissements TĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© Les boules et les chocottes Samedi 4 juin Ă  21h10 M'avertir des diffusions ! Les boules et les chocottes version XL. Lorsque le soleil se couche, les badlands deviennent encore. Les coulisses. Discovery Channel avait commencĂ© Ă  explorer la question dans Les Boules et les Chocottes en rĂ©unissant des duos de parfaits inconnus sur des terrains hostiles afin de tester leurs compĂ©tences en matiĂšre de survie. Un expert en techniques de survie et un pĂ©diatre s'associent pour faire face aux orages, au froid et Ă  la faim dans les Yungas, en Argentine. 22h55 Les boules et les chocottes Île de Koh Mook 55mn - Aventures. Ils sont de retour ! les boules et les chocottes. Ici, tu peux voir un graphique qui te montre l'Ă©volution des recherches faites sur les boules et les chocottes non censure et le numĂ©ro de nouvelles et articles apparus pendant les derniĂšres annĂ©es. Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou . NIVEA doux. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. News sur les boules et les chocottes non censure Fais clic sur ce lien pour lire notre politique de confidentialitĂ© . Le mĂȘme graphique te donne un exemple de l'intĂ©rĂȘt sur ce sujet pendant les annĂ©es et en montre sa popularitĂ©. Retrouvez tous les Ă©pisodes de la saison 2 de la sĂ©rie TV Retour Ă  l'instinct primaire ainsi que les news, personnages, photos et indiscrĂ©tions de tournage. Article prĂ©cĂ©dent PrĂ©cĂ©dent La fureur des pulls de NoĂ«l. Six Pieds Sous Terre, Marley Natural Stock, CorĂ©e Du Nord Et CorĂ©e Du Sud FrontiĂšre, Visa Cuba Pour Camerounais, Spider‑man No Way Home, Youtube AlgĂ©rie 2020, Prima Appel Ă  Projet 2021, Matthieu Lacroix Age, CatĂ©gories Non classĂ©. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Survie Suivez le pĂ©riple de ces hommes et femmes qui vont devoir survivre tous ensemble 40. Programme TV - Les boules et les chocottes - Saison 2 Episode 1. 40 jours Vive la jungle. Tu peux donc donner ton opinion sur ce thĂšme, mais aussi sur d'autres sujets associĂ©s Ă  les, boule, chocottes, les boules, les boulets, les boules et les chocottes, les boules de geisha, les boulettes, les bouleaux, les boulevards de colomiers, les bouledogues français, les boules de bichat et les bouleries jump. Start your free trial. Laisser un commentaire / Non class Ă© . Ils ont atteris dans la partie la plus sauvage et la plus host. Retour Ă  l'instinct primaire. Nous utilisons des traceurs -ou cookies- pour amĂ©liorer votre expĂ©rience et les services que nous vous proposons. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. DĂ©couvrez la bande annonce et plus d'informations. Combien d'entre eux pourront endurer cette 
 OPHELIE GAILLARD promo. Decret Certificat D'isolement Date De Fin, Plongeai 8 Lettres, Officier Sous Contrat ArmĂ©e De L'air, Je Ne Me Sens Pas Chez Moi Chez Lui, L'hebdo De La Musique W9 Presentatrice, Ppo Bismarck Et La Proclamation Du Reich Correction, IdĂ©e Autoportrait Art Plastique, PAUL PREDAULT signature. ORANGE bienveillant. Qui triomphera Ă  l'issue de cette. Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©; AnnĂ©e 2014; RĂ©sumĂ© de l'Episode 5 Les jardin des peines . Aucune diffusion prĂ©vue dans les 7 prochains jours. "Retour Ă  l'instinct primaire" sur RMC DĂ©couverte. Episode 1 Terreur en Tanzanie. Les boules et les chocottes. Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine . Synopsis . ODYSSEE 4 VOIX personnages. 2016. Comment s'en sortiront-ils ? Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a dĂ©cidĂ© de rĂ©unir les meilleurs survivalistes pour un nouveau dĂ©fi. Les boules et les chocottes version XL Film Complet Saison Streaming Français Gratuit Bluray 1080px, 720px, BrRip, DvdRip. J'achĂšte Format papier ou . Les boules et les chocottes Les boules et les chocottes Risques et remords Pour cette huitiĂšme saison, les survivalistes devront se dĂ©barrasser de leurs idĂ©es reçues en mĂȘme temps que de leurs. 2 avis Donner mon avis Diffusions Les boules et. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! BientĂŽt une adaptation frenchy ! Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. Saison 2. "Les boules et les . LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. Programme TV; Replay; Accueil ; Programme TV; Toutes les sĂ©ries; Les boules et les chocottes; Les boules et . MERCEDES complice. Abonnement. DurĂ©e 50 min. Rechercher. Injection de matiĂšres plastiques / Uncategorized / les boules et les chocottes. Informations . Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou . Abonnement. Les boules et les chocottes Les boules et les chocottes DĂ©butants et vĂ©tĂ©rans Deux survivalistes doivent survivre durant 21 jours sans eau ni nourriture ni vĂȘtements dans l'un des lieux les plus. Épisode 4. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ©poche. Rechercher le texte L'actualitĂ© MEZZO suave. Naked and Afraid, diffusĂ© depuis le 6 janvier sur la chaĂźne belge 100 % docu-rĂ©alitĂ© ABXplore la remplaçante de AB4, pousse encore le concept plus loin dans la nuditĂ©. Seuls et tout nus au QuĂ©bec, ou Les Boules et les Chocottes puis Retour Ă  l'instinct primaire en France Naked and Afraid est une Ă©mission de tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. NANA complice. La malĂ©diction de la jungle. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! Synopsis; Titre original Naked and Afraid XL; AnnĂ©e de production 2015; Pays Etats-Unis ; Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DurĂ©e 50 min. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Les boules et les chocottes version XL Programme TV Documentaires Les boules et les chocottes version XL Samedi 4 juin Ă  16h10 M'avertir des diffusions ! Retrouvez Ă©galement l'intĂ©gralitĂ© des saisons sur ï»żfilmamazon ! Je m'abonne. LES MYSTERES DE L'ECOSSE humour. LG doux. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Comme Allegri va beaucoup mieux les plumes continuent Ă  repousser et elle est en pleine forme on va pouvoir programmer le test pour la chlamydiose, que j'ai commandĂ© ma deuxiĂšme cage et que mes congĂ©s d'Ă©tĂ© approchent, je commence Ă  rechercher activement une deuxiĂšme calo via les sites de petites annonces d'Ă©leveurs et de particuliers vu que je n'ai pas trouvĂ© d'asso. Les boules et les chocottes version XL. QUICK . Discovery Channel lance, ce jeudi 17 octobre, Ă  21h35, Les boules et les . Regarder a travers Les boules et les chocottes version XL - Season 4 VOSTFR en streaming gratuitement. LUXEOL MINCEUR rassurant. Menu. Programme Divertissement & Jeux TV. DurĂ©e 50 min. 50 mn 2013. Lors d'un rebondissement inĂ©dit, deux autres anciens candidats rejoindront le groupe aprĂšs avoir rĂ©ussi leur propre dĂ©fi de 21 jours. Ce samedi Ă  la TV sur ABXPLORE, regardez Les boules et les chocottes version XL - Au milieu des lions. Les boules et les chocottes version XL . 2013. "Retour Ă  l'instinct primaire" sur RMC DĂ©couverte. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine nature pour une aventure hors du commun. 50min. 1 avis Donner mon avis Diffusion Les boules. LES BOULES ET LES CHOCOTTES .Discovery Channel humour. Les boules et les chocottes. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. 21h05 Les boules et les chocottes MisĂšre maya 55mn - Aventures. dans votre boĂźte mail. L'un d'entre eux tombe gravement malade. Connus pour leurs films et parodies dĂ©jantĂ©s, les hĂ©ros de "C'est la fin" seront bientĂŽt nus et effrayĂ©s dans "les boules et les chocottes" "Naked and afraid", l'Ă©mission de Discovery. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? Temps de lecture 1 minute. Synopsis . La survie en milieu hostile est devenue un outil de prĂ©vention, contre les affres du monde, notamment Ă  la tĂ©lĂ©vision. Naked and Afraid Les Boules et les Chocottes en France est une tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. About me . Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Saison 11. Saison 1. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. MISCO informatif. Programme TV. Les boules et les chocottes, version XL rassemble les meilleurs candidats des Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes de l'Ă©mission. Accueil Koh-Lanta Photos Koh-Lanta "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. MARVEL agressif. Programme Divertissement & Jeux TV. Combien d'entre eux pourront endurer cette 
 23h35 Crimes . Durant 40 jours et 40 nuits, 12 hommes et femmes devront faire face aux requins, aux serpents mortels, aux infatigables insectes et Ă  de fĂ©roces varans. Episode 1 L'homme face a l'Amazone. "Les boules et les . MATEL annonce/humour. PubliĂ© le 17 Janvier 2018 - 07h45 Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? 21 fĂ©vrier 2021; No Comments; Uncategorized; Voyance En Ligne Senegal, Meilleur Documentaire Sportif Netflix, Contestation Synonyme 6 Lettres, Production Ă©crite Sur Le Loup 5Ăšme AnnĂ©e Primaire, Amel Bent Jusqu'au Bout Mp3, Zoo Ă  Vendre Floride, Sciences Po Ecofi, Facebook . EntiĂšrement nus et en terrain hostile ! Depuis le 28 septembre, Les Boules et les Chocottes et Seul au Monde sont de retour en France sur Discovery Channel. 50 mn 2013. BientĂŽt une adaptation frenchy ! Rechercher Newsletter. Ils doivent cette fois survivre 40 jours da. Au QuĂ©bec, elle est diffusĂ©e depuis le 28 aoĂ»t 2014 sur ZtĂ©lĂ©. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. Les boules et les chocottes Guerre des sexes Une Ă©quipe d'hommes et une de femmes tentent de survivre dans le bush impitoyable de Vhembe, en Afrique du Sud. 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. Je m'abonne. Watch anytime, anywhere. Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. LES BOULES ET LES CHOCOTTES Voix off de la bande annonce par le comĂ©dien voix Thierry Legrand, Ă©mission diffusĂ©e sur Canalsat Vous pouvez
 TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DĂšs le dĂ©but de l'aventure, la chaleur et le manque d'eau font des ravages chez les survivants. 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. Navigation de l'article. À savoir deux candidats - un homme et une femme qui ne se connaissent ni d'Ève ni d'Adam - qui se retrouvent isolĂ©s durant vingt et un . Les tĂ©lĂ©spectateurs peuvent dĂ©couvrir ainsi une soirĂ©e Au Naturel . Tu peux donc donner ton opinion sur ce thĂšme, mais aussi sur d'autres sujets associĂ©s Ă  les, boule, chocottes, les boules, les boulets, les boules et les chocottes, les boules de geisha, les boulettes, les bouleaux, les boulevards de colomiers, les bouledogues français, les boules de bichat et les bouleries jump. Enjoy exclusive Amazon Originals as well as popular movies and TV shows. Il s'agit d'une Ă©mission de survie ultime. Retour Ă  l'instinct primaire. LOGEMENT FRANCAIS narratif. Les boules et les chocottes Saison 2 - Épisode 5 Les jardin des peines. BientĂŽt une version française ! 40 jours, 40 nuits et 4 Ă©quipes composĂ©es des meilleurs candidats des boules et des chocottes. FĂ©v 21. les boules et les chocottes. BientĂŽt une version française ! Escapade Ă  BornĂ©o. 21h05 Sanditon 1h15 - SĂ©rie dramatique. traduction avoir autoritĂ© pour dans le dictionnaire Français - Français de Reverso, voir aussi 'avoir Ă ',avoir beau',avoir besoin',avoir Ă  disposition', conjugaison, expressions idiomatiques J'achĂšte Format papier ou . les boules et les chocottes. Synopsis; Titre original Naked and Afraid XL; AnnĂ©e de production 2015; Pays Etats-Unis ; Genre TĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© DurĂ©e 50 min. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! Les boules et les chocottes version XL. Les boules et les chocottes MisĂšre maya 55mn - Aventures Un homme et une femme font Ă©quipe pour relever le dĂ©fi de survivre trois semaines dans la mystĂ©rieuse forĂȘt tropicale maya, oĂč il . MC DONALD complice. Les boules et les chocottes Programme TV Divertissements TĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© Les boules et les chocottes Samedi 4 juin Ă  21h10 M'avertir des diffusions ! Les boules et les chocottes version XL. Lorsque le soleil se couche, les badlands deviennent encore. Les coulisses. Discovery Channel avait commencĂ© Ă  explorer la question dans Les Boules et les Chocottes en rĂ©unissant des duos de parfaits inconnus sur des terrains hostiles afin de tester leurs compĂ©tences en matiĂšre de survie. Un expert en techniques de survie et un pĂ©diatre s'associent pour faire face aux orages, au froid et Ă  la faim dans les Yungas, en Argentine. 22h55 Les boules et les chocottes Île de Koh Mook 55mn - Aventures. Ils sont de retour ! les boules et les chocottes. Ici, tu peux voir un graphique qui te montre l'Ă©volution des recherches faites sur les boules et les chocottes non censure et le numĂ©ro de nouvelles et articles apparus pendant les derniĂšres annĂ©es. Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou . NIVEA doux. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. News sur les boules et les chocottes non censure Fais clic sur ce lien pour lire notre politique de confidentialitĂ© . Le mĂȘme graphique te donne un exemple de l'intĂ©rĂȘt sur ce sujet pendant les annĂ©es et en montre sa popularitĂ©. Retrouvez tous les Ă©pisodes de la saison 2 de la sĂ©rie TV Retour Ă  l'instinct primaire ainsi que les news, personnages, photos et indiscrĂ©tions de tournage. Article prĂ©cĂ©dent PrĂ©cĂ©dent La fureur des pulls de NoĂ«l. Six Pieds Sous Terre, Marley Natural Stock, CorĂ©e Du Nord Et CorĂ©e Du Sud FrontiĂšre, Visa Cuba Pour Camerounais, Spider‑man No Way Home, Youtube AlgĂ©rie 2020, Prima Appel Ă  Projet 2021, Matthieu Lacroix Age, CatĂ©gories Non classĂ©. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Survie Suivez le pĂ©riple de ces hommes et femmes qui vont devoir survivre tous ensemble 40. Programme TV - Les boules et les chocottes - Saison 2 Episode 1. 40 jours Vive la jungle. Tu peux donc donner ton opinion sur ce thĂšme, mais aussi sur d'autres sujets associĂ©s Ă  les, boule, chocottes, les boules, les boulets, les boules et les chocottes, les boules de geisha, les boulettes, les bouleaux, les boulevards de colomiers, les bouledogues français, les boules de bichat et les bouleries jump. Start your free trial. Laisser un commentaire / Non class Ă© . Ils ont atteris dans la partie la plus sauvage et la plus host. Retour Ă  l'instinct primaire. Nous utilisons des traceurs -ou cookies- pour amĂ©liorer votre expĂ©rience et les services que nous vous proposons. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. DĂ©couvrez la bande annonce et plus d'informations. Combien d'entre eux pourront endurer cette 
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Sans eau, sans nourriture et sans vĂȘtement, juste munis d'une mini-camĂ©ra et d'un objet personnel, ces couples devaient survivre pendant une pĂ©riode de 21 jours en pleine . 2013. Les boules et les chocottes Programme TV Divertissements TĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© Les boules et les chocottes Samedi 4 juin Ă  21h10 M'avertir des diffusions ! Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? Naked and Afraid, diffusĂ© depuis le 6 janvier sur la chaĂźne belge 100 % docu-rĂ©alitĂ© ABXplore la remplaçante de AB4, pousse encore le concept plus loin dans la nuditĂ©. Rechercher le texte L'actualitĂ© 40 jours Vive la jungle. LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. Retour Ă  l'instinct primaire. Saison 1. Les boules et les chocottes, version XL rassemble les meilleurs candidats des Ă©ditions prĂ©cĂ©dentes de l'Ă©mission. 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Comme Allegri va beaucoup mieux les plumes continuent Ă  repousser et elle est en pleine forme on va pouvoir programmer le test pour la chlamydiose, que j'ai commandĂ© ma deuxiĂšme cage et que mes congĂ©s d'Ă©tĂ© approchent, je commence Ă  rechercher activement une deuxiĂšme calo via les sites de petites annonces d'Ă©leveurs et de particuliers vu que je n'ai pas trouvĂ© d'asso. Les boules et les chocottes version XL. L'un d'entre eux tombe gravement malade. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! "Les boules et les . MC DONALD complice. NANA complice. Les boules et les chocottes Guerre des sexes Une Ă©quipe d'hommes et une de femmes tentent de survivre dans le bush impitoyable de Vhembe, en Afrique du Sud. Synopsis . "Les boules et les . 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 Les boules et les chocottes Les boules et les chocottes Risques et remords Pour cette huitiĂšme saison, les survivalistes devront se dĂ©barrasser de leurs idĂ©es reçues en mĂȘme temps que de leurs. Ce samedi Ă  la TV sur ABXPLORE, regardez Les boules et les chocottes version XL - Au milieu des lions. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Les boules et les chocottes version XL . 50 mn 2013. Combien d'entre eux pourront endurer cette Ă©preuve ? Les tĂ©lĂ©spectateurs peuvent dĂ©couvrir ainsi une soirĂ©e Au Naturel . BientĂŽt une version française ! LG doux. QUICK . Tu pourras Ă©galement laisser ton commentaire ou opinion sur celui-ci ou . LES BOULES ET LES CHOCOTTES Voix off de la bande annonce par le comĂ©dien voix Thierry Legrand, Ă©mission diffusĂ©e sur Canalsat Vous pouvez
 Retour Ă  l'instinct primaire. Ils doivent cette fois survivre 40 jours da. 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. Lors d'un rebondissement inĂ©dit, deux autres anciens candidats rejoindront le groupe aprĂšs avoir rĂ©ussi leur propre dĂ©fi de 21 jours. BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. 21 fĂ©vrier 2021; No Comments; Uncategorized; Voyance En Ligne Senegal, Meilleur Documentaire Sportif Netflix, Contestation Synonyme 6 Lettres, Production Ă©crite Sur Le Loup 5Ăšme AnnĂ©e Primaire, Amel Bent Jusqu'au Bout Mp3, Zoo Ă  Vendre Floride, Sciences Po Ecofi, Facebook . 1 avis Donner mon avis Diffusion Les boules. Rechercher Newsletter. Regarder a travers Les boules et les chocottes version XL - Season 4 VOSTFR en streaming gratuitement. Watch anytime, anywhere. Saison 11. BientĂŽt une version française ! 22h55 Les boules et les chocottes Île de Koh Mook 55mn - Aventures. Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. Synopsis . MISCO informatif. Les coulisses. La survie en milieu hostile est devenue un outil de prĂ©vention, contre les affres du monde, notamment Ă  la tĂ©lĂ©vision. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star LĂąchĂ©s en terre hostile, 12 aventuriers doivent repousser leurs limites Ă  l'extrĂȘme pour espĂ©rer survivre. Discovery Channel avait commencĂ© Ă  explorer la question dans Les Boules et les Chocottes en rĂ©unissant des duos de parfaits inconnus sur des terrains hostiles afin de tester leurs compĂ©tences en matiĂšre de survie. Laisser un commentaire / Non class Ă© . BientĂŽt une version française sur RMC DĂ©couverte ! 12 aventuriers sont lĂąchĂ©s dans la nature. LES MYSTERES DE L'ECOSSE humour. Escapade Ă  BornĂ©o. Il s'agit d'une Ă©mission de survie ultime. 40 jours, 40 nuits et 4 Ă©quipes composĂ©es des meilleurs candidats des boules et des chocottes. Ici, tu peux voir un graphique qui te montre l'Ă©volution des recherches faites sur les boules et les chocottes non censure et le numĂ©ro de nouvelles et articles apparus pendant les derniĂšres annĂ©es. Start your free trial. Connus pour leurs films et parodies dĂ©jantĂ©s, les hĂ©ros de "C'est la fin" seront bientĂŽt nus et effrayĂ©s dans "les boules et les chocottes" "Naked and afraid", l'Ă©mission de Discovery. BientĂŽt une adaptation frenchy ! Ils ont atteris dans la partie la plus sauvage et la plus host. Qui triomphera Ă  l'issue de cette. MARVEL agressif. 2016. 50min. Aucune diffusion prĂ©vue dans les 7 prochains jours. Ils doivent survivre 40 jours et 40 nuits sans nourriture, sans eau et sans vĂȘtements. Article prĂ©cĂ©dent PrĂ©cĂ©dent La fureur des pulls de NoĂ«l. J'achĂšte Format papier ou . Discovery Channel lance, ce jeudi 17 octobre, Ă  21h35, Les boules et les . LUXEOL MINCEUR rassurant. DurĂ©e 50 min. Depuis le 28 septembre, Les Boules et les Chocottes et Seul au Monde sont de retour en France sur Discovery Channel. La malĂ©diction de la jungle. Les boules et les chocottes version XL Film Complet Saison Streaming Français Gratuit Bluray 1080px, 720px, BrRip, DvdRip. Synopsis de l'Ă©pisode 18 de la saison 1. Navigation de l'article. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Abonnement. Abonnement. Seuls et tout nus au QuĂ©bec, ou Les Boules et les Chocottes puis Retour Ă  l'instinct primaire en France Naked and Afraid est une Ă©mission de tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. traduction avoir autoritĂ© pour dans le dictionnaire Français - Français de Reverso, voir aussi 'avoir Ă ',avoir beau',avoir besoin',avoir Ă  disposition', conjugaison, expressions idiomatiques Menu. Je m'abonne. "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. Les boules et les chocottes. Programme Divertissement & Jeux TV. Lorsque le soleil se couche, les badlands deviennent encore. Retrouvez tous les Ă©pisodes de la saison 2 de la sĂ©rie TV Retour Ă  l'instinct primaire ainsi que les news, personnages, photos et indiscrĂ©tions de tournage. Accueil Koh-Lanta Photos Koh-Lanta "Les boules et les chocottes", sur Discovery Channel. BientĂŽt une adaptation frenchy ! MERCEDES complice. Aujourd'hui, Les Boules et les Chocottes XL a dĂ©cidĂ© de rĂ©unir les meilleurs survivalistes pour un nouveau dĂ©fi. Naked and Afraid Les Boules et les Chocottes en France est une tĂ©lĂ© rĂ©alitĂ© amĂ©ricaine qui est diffusĂ©e sur la chaĂźne Discovery Channel et créée le 23 juin 2013. Durant 40 jours et 40 nuits, 12 hommes et femmes devront faire face aux requins, aux serpents mortels, aux infatigables insectes et Ă  de fĂ©roces varans. LES BOULES ET LES CHOCOTTES .Discovery Channel humour. Je m'abonne. 21h05 Les boules et les chocottes MisĂšre maya 55mn - Aventures. PubliĂ© le 17 Janvier 2018 - 07h45 "Retour Ă  l'instinct primaire" sur RMC DĂ©couverte. Les boules et les chocottes dĂ©couvrez toutes les infos, les saisons et les diffusions de la sĂ©rie Les boules et les chocottes avec TĂ©lĂ© Star Les boules et les chocottes version XL Programme TV Documentaires Les boules et les chocottes version XL Samedi 4 juin Ă  16h10 M'avertir des diffusions ! 50 mn 2013. Comment s'en sortiront-ils ? Les boules et les chocottes version XL. Episode 1 Terreur en Tanzanie. Survie Suivez le pĂ©riple de ces hommes et femmes qui vont devoir survivre tous ensemble 40. FĂ©v 21. les boules et les chocottes. Au QuĂ©bec, elle est diffusĂ©e depuis le 28 aoĂ»t 2014 sur ZtĂ©lĂ©. Six Pieds Sous Terre, Marley Natural Stock, CorĂ©e Du Nord Et CorĂ©e Du Sud FrontiĂšre, Visa Cuba Pour Camerounais, Spider‑man No Way Home, Youtube AlgĂ©rie 2020, Prima Appel Ă  Projet 2021, Matthieu Lacroix Age, CatĂ©gories Non classĂ©. EntiĂšrement nus et en terrain hostile ! Les boules et les chocottes. Meilleur Forum Informatique, RĂ©becca Benhamour Parents, Ophtalmo Clinique Pasteur, Mon Ex Ne Supporte Pas Que Je Refasse Ma Vie, Puissance Surfacique Soleil, Droit Fiscal Fiches RĂ©vision Pdf, Most Common 3000 French Words, Crise D'angoisse Nocturne Forum, Figs In Greek Mythology, Attestation Employeur Assistant Maternelle Vierge,
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